Quelques vérités historiques sur le protectionnisme
Une interview exclusive de Bernard Phan,
professeur d’histoire en Première Supérieure (khâgne) au lycée Henri IV
Le protectionnisme a mauvaise presse. On assimile ce terme au repli, à la xénophobie
voire au fascisme en invoquant l'histoire et notamment la crise des années 30 et la
seconde guerre mondiale. Pourriez-vous nous éclairer quelque peu sur le sujet ? Le
protectionnisme a-t-il conduit à la guerre ?
Le protectionnisme s’est généralisé durant les années 30 et même la Grande-Bretagne,
championne du libre-échange s’y est convertie à partir de la conférence d’Ottawa, en 1932 qui
organise la « zone sterling ».
Il faut en fait repartir de la Grande Guerre. Avant celle-ci la Grande-Bretagne depuis les
« corn-laws » des années 40 du XIXe siècle est libre-échangiste et a essayé d’y convertir les
autres pays. D’où la série de traités de commerce qui abaissent les droits dans les années 60
du XIXe. Mais, à partir de la crise conjoncturelle de 1873, tout le monde revint peu ou prou
aux tarifs protecteurs, sauf Londres. Les Etats-Unis sont protectionnistes, les Républicains
veillant à protéger la construction de leur industrie selon les thèses de List. Allemands et
Etatsuniens sont en phase. Ce protectionnisme des Républicains aux Etats-Unis est une des
causes de la guerre de Sécession.
La Grande-Bretagne a une balance commerciale déficitaire avec la plupart des pays
développés, mais ses placements un peu partout dans le monde lui permettent de solder ce
déficit et de s’enrichir. C’est ainsi que la City, sans en avoir été chargée par personne se
trouve réguler le système monétaire, alors sous le régime de l’étalon-or.
La guerre de 1914 a profondément ébranlé cette organisation de l’économie mondiale, sans
pour autant la détruire. La Grande-Bretagne donna la priorité au rétablissement du
sterling : « Quand la Grande-Bretagne vous emprunte une livre, elle vous rend une livre.
Quand la France vous emprunte un franc, elle vous rend vingt centimes » disait vachardement
Churchill quand Londres eut réussi à atteindre son objectif et que Poincaré dut dévaluer. Les
Etats-Unis, devenus première puissance économique et industrielle du monde continuèrent à
se protéger alors qu’il eut été souhaitable qu’ils devinssent plus ouverts : les pays européens
auraient pu leur vendre et ainsi gagner de l’argent pour acquitter leurs lourdes dettes de guerre
et autres réparations. En fait les Etats-Unis furent protectionnistes de leur création à 1945 !
Mais, effrayés par le monde extérieur et saisis de vertige devant un rôle mondial qui les
effrayait, les Etatsuniens choisirent de ne pas se mêler trop des affaires du monde, tout en
défendant âprement leurs intérêts et en plaçant de l’argent à l’extérieur. Ainsi le système du
gold exchange standard, mis en place à Gênes en 1922, était bancal. Personne ne le pilotait
vraiment, mais Londres et New York donnaient l’impression de fonctionner en double
commande, sans aucune instance de concertation.
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De même, on explique souvent la crise des années 30 par l'apparition du
protectionnisme aux Etats-Unis ? Ne serait-ce pas plutôt le contraire qui s'est passé ?
La crise puis le protectionnisme ?
Quand le krach se produisit, tout le monde souhaitait essayer une « sortie concertée » :
Hoover proposa le moratoire des dettes pour se donner le temps d’agir. Mais un an était trop
court. Or en 1931 Londres dévalua de 30 % et entreprit la réorganisation de son économie.
Qu’elle réussit : en 1939 la Grande-Bretagne était sortie de la crise. Elle s’était convertie au
protectionnisme en bénéficiant de son vaste empire colonial avec lequel elle avait établi un
tarif préférentiel.
Durant la campagne présidentielle de 1932, les Etats-Unis avaient laissé espérer qu’une
conférence internationale, sous l’égide de la SDN, devrait relancer les échanges
internationaux pour sortir de la dépression. Cette conférence échoua, de leur fait, et ils
adoptèrent le tarif le plus protecteur de leur histoire. Handicapé par la dévaluation
britannique, ils dévaluèrent le dollar de 40 %. C’est alors que tout le monde essaya de jouer le
chacun pour soi : les pays ayant un empire colonial ou, comme les Etats-Unis un vaste marché
et l’arrière-cour sud américaine, constituèrent des zones dans lesquelles leurs monnaies leur
permettaient de se ravitailler.
Allemagne, Japon et Italie durent se débrouiller et le Japon se mit à grignoter la Chine, les
deux autres mirent en place une économie dirigée et, surtout l’Allemagne, se ravitailla dans
les pays neufs de l’Europe centrale dont les économies étaient complémentaires de la sienne
et auxquels elle imposa des accords de clearing et offrit des bourses à leurs étudiants pour ne
pas avoir à épuiser ses maigres devises.
Aucun pays, G-B exceptée, n’était sorti de la dépression en 1939 ; Ils en sortirent par la
guerre. Washington analysa soigneusement les erreurs commises et dès 1939 mit en place des
organismes chargés de réfléchir à la reconstruction d’après-guerre. C’est comme cela que
furent créés Bretton Woods et FMI, BIRD, etc.
La guerre n’est pas la conséquence du protectionnisme, mais il fut commode de lui en imputer
la responsabilité et cela facilita l’acceptation des projets de reconstruction étatsuniens en
1944.
Quelle a été l'attitude de l'Europe des Six face au protectionnisme ? Aujourd'hui, il
semble que l'Europe ait toujours été libre échangiste ? Est-ce le cas ?
L’Europe était souhaitée par les Etats-Unis sous leadership britannique. Or, dès 1948, La
Haye, Londres applaudit à l’idée d’une construction européenne, mais affirme qu’elle n’en
sera pas. Elle préfère les trois cercles et la relation privilégiée avec Washington. Par défaut,
les Etats-Unis jouent la France, via Jean Monnet, et font tout pour ne pas empêcher la
construction européenne. Le traité de Rome fut d’abord une affaire politique et Adenauer
imposa pas mal de choses à Erhard. Les Etats-Unis s’inquiétèrent dès 1957 de la protection de
l’agriculture, mais étaient satisfaits de la poursuite de la construction européenne. Le GATT
permettrait de limiter le protectionnisme. En France, les secteurs les plus dynamiques
n’étaient pas hostiles à une prise de risques en diminuant les protections.
Sans être vraiment libre-échangiste, la CEE fut très vite peu protectionniste : RFA et Pays-
Bas ne le souhaitaient pas, l’euphorie de la prospérité (les 30 glorieuses et l’élargissement du
marché) poussèrent la France à prendre des risques d’autant qu’à l’époque elle était portée par
la sévère remise en ordre de 1958-60. Enfin, tout de suite via le GATT, les Etats-Unis
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veillèrent au grain. Il aurait alors fallu redoubler d’efforts pour mettre en route des politiques
communes. Ce ne fut fait que pour l’agriculture.
Bibliographie :
J-F Deniau: L'Europe interdite, Seuil, Paris, 1977.
P. Gerbet: La construction de l'Europe, Imp. Nationale, Paris, 1983.
A. Grosser: Les Occidentaux, Points-Histoire, Seuil, Paris, 1982.
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