Philosophie antique, n° 15 (2015), 149-178
TONNEAU PERCÉ, TONNEAU HABITÉ
Calliclès et Diogène : les leçons rivales de la nature
Simon-Pierre CHEVARIE-COSSETTE
Université de Montréal
RÉSUMÉ. Comme de nombreux penseurs antiques avant et après eux et con-
trairement à Socrate, Calliclès et Diogène ont déclaré avoir fondé leur éthique sur
l’observation de la nature. Et pourtant, les deux discours normatifs qui sont tirés
d’une nature que l’on pourrait a priori croire être la même sont on ne peut plus op-
posés. Calliclès croit que l’homme est appelé à dominer autrui ; Diogène pense
plutôt qu’il doit se dominer lui-même ; le premier est un hédoniste débridé, le
second croit que le bonheur ne s’achète qu’au prix du sacrifice des désirs artificiels.
Comment expliquer cette dichotomie ? Nous empruntons deux routes expli-
catives. D’abord, nous montrons que pour Calliclès et Diogène, la notion de na-
ture non seulement diffère, mais est observée sous un angle différent. La première
est celle des tyrans et de dieux anthropomorphes, la seconde, celle de petits ani-
maux et de dieux autarciques. La première concerne la relation des hommes entre
eux ; la seconde, celle de l’homme avec lui-même. Ensuite, nous exposons la dif-
férence des présupposés normatifs qui précèdent ou accompagnent l’observation
de la nature ; nous contrastons, pour ce faire, les formes d’anticonventionnalisme
et d’anti-intellectualisme défendues par Calliclès et Diogène.
SUMMARY. Like many ancient thinkers before and after them and contra So-
crates, Callicles and Diogenes said they based their ethics on the observation of nature.
And yet, the two normative discourses that are derived from nature that we might a
priori believe to be the same could not be more opposed. Callicles believes that people
are called to dominate others, Diogenes rather thinks people must dominate them-
selves. The first is an unbridled hedonist, the second believes that happiness can be
bought only at the price of sacrificing artificial desires. How to explain this dichotomy?
We take two explanatory routes. First, we show that for Callicles and Diogenes, the
notion of nature not only differs but is observed from a different angle. The first one is
the nature of tyrants and anthropomorphic gods, the second that of small animals and
autarkic gods. The first focuses on the relationship between people, the second focuses
on the relationship of a person with themselves. Secondly, we expose the difference in
normative assumptions that precede or accompany the observation of nature; in order