Série : La Messe (1ère série).
Conférence : 06 - «In spiritu humilitatis et animo contrito».
«Acceptez, Seigneur, ce Sacrifice, qu'il soit agréé par vous, nous vous en
implorons, en esprit d'humilité et avec une âme contrite».
Cette brève prière liturgique nous place d'emblée au centre de l'Amour. Nous
demandons à Dieu d'accepter Son propre Sacrifice et, immédiatement, nous
en saisissons le contenu principal : l'esprit d'humilité à l'égard du Très-Haut,
et une âme repentante à l'égard du mal.
Il est très difficile de faire saisir aux âmes ce point de départ fondamental de
la sainteté : occuper la dernière place résulte du besoin spirituel d'être premier
dans l'amour, car aimer c'est toujours aller là où se trouve celui auquel on s'est
donné et le Christ ne se trouve que là où Il s'est mis : à la dernière place.
Arrivée à ce moment de la Messe, le prêtre est envahi par une confusion :
celle d'une disproportion, nécessairement insoluble par ses propres forces,
entre son âme et le Sacrifice auquel il va s'associer. Il y a une espèce de
vertige à s'approcher de l'anéantissement de l'Hostie quand on connaît les
répugnances humaines à occuper la dernière place.
Le prêtre est mis en demeure de prendre conscience qu'entre cet
anéantissement de Jésus et ses dispositions humaines, s'intercale l'obstacle
principal propre à notre nature : l'envie de plaider sa propre cause. D'un seul
coup, on rejoint là, la chute originelle d'Adam et d'Eve, avec le tout premier
mouvement qui s'en est suivi dans l'âme de ces deux créatures merveilleuses :
elles ont été prises d'une envie irrésistible de démontrer qu'elles n'avaient pas
tort. Elles venaient d'être mordues par l'orgueil : ce besoin de prouver ce qui
est inconciliable avec l'Amour : prouver qu'on a raison, au dépens de ses
relations avec Dieu. La racine même de tout orgueil et le point de départ de
toute révolte, comme l'aboutissement de tout péché, résident dans ce tout
premier mouvement de nature : démontrer à Dieu que nous n'avons pas tort
d'agir sans Lui ou contre Lui, ou au dépens de Lui. C'est le culte originel de
l'homme rendu à l'homme, essayant d'affirmer sa valeur en dévalorisant son
attitude.
A ce moment de la Messe, le prêtre s'incline profondément devant l'autel
comme pour traduire physiquement cette disposition essentielle de la
rencontre avec Dieu : rejoindre volontairement la dernière place pour
reprendre conscience qu'on est premier dans l'Amour. Il impose là à l'orgueil
l'interdiction de relever la tête. Il traduit peut-être là sans le savoir tous les
premiers mouvements d'humilité sans lesquels on ne rejoint jamais l'Amour :
- le refus de s'excuser
- le refus d'éluder ses responsabilités
- le refus de se laisser aveugler par son propre raisonnement
Et en agissant de la sorte, le prêtre donne l'exemple de la démission volontaire
de ses prétentions humaines à jouer le jeu de l'existence sans aucune
soumission intelligente à l'Amour de Dieu.
Ce tout petit moment de la Messe, qui ne dure à peine que quelques secondes,
situe d'avance la fécondité apostolique du Sacerdoce.
La grandeur du prêtre c'est de démissionner des prétentions intellectuelles qui
s'en viennent, sinon contrarier, du moins énerver, les élans de la Foi, la force
des certitudes, la conviction du Credo, avec tout le zèle qui en découle et
toute l'ardeur apostolique qu'ils contiennent, par le fait même.
La vitalité et la fraîcheur de la vie de Dieu en nous est conditionnée par la
générosité humaine à émonder tous les excès personnels, si supérieurs soient-
ils, dans lesquels nous cherchons toujours notre compte en ayant l'air parfois
de servir Dieu, tandis que dans la démission volontaire, c'est toujours la
nature et ce sont toujours ses excès qui font les frais de la décision d'amour de
n'être qu'à la disposition d'une vérité qui ne vient pas de nous et d'une charité
qui est plus forte que notre égoïsme.
Dans cette humble prière, le refus de plaider prend toute sa violence
d'expression. Plaider SA cause, c'est parler à quelqu'un qui vous adresse des
reproches. Or, Dieu ne nous reproche rien, sinon de ne pas L'aimer. Or, c'est
déjà ne plus L'aimer que de plaider sa cause au dépens de la Sienne.
- de plus, plaider sa cause, c'est s'adresser à quelqu'un qui vous démontre
votre culpabilité. Or, l'amour de Dieu ne nous démontre pas, il nous montre
notre culpabilité, c'est-à-dire : il nous invite à la connaître avec confiance, non
pas pour sauver notre estime que nous ne méritons plus mais pour
retrouver notre estime par la sincérité du repentir et de l'aveu.
L'homme a toujours peur de paraître au-dessous de sa tâche par rapport à ce
que les autres pensent de lui, et l'orgueil utilise précisément cet instinct de
défense en lui susurrant le mensonge des apparences et des attitudes dans
lesquelles il s'efforce de continuer à manifester de la valeur qu'il n'a plus. Il se
met dans un état de mensonge vis à vis de lui-même, et comme Dieu est la
Vérité même, la Messe ne peut livrer ses secrets tant qu'on ne s'est pas remis
dans cet état de sincérité vis à vis de soi-même.
En s'inclinant ainsi très bas, devant l'autel, le prêtre invite les fidèles à faire de
même psychologiquement parlant, afin de récupérer un état de sincérité
absolue et de se délivrer des envies incoercibles et pharisaïques de plaider
leur cause devant Dieu, au lieu de laisser l'amour triompher dans
l'anéantissement volontaire de leur orgueil.
Nous rejoignons là le «mea culpa» du Confiteor, l'absence complète de
discussion, et la Messe comprendra, tout au long de sa célébration, cette
mystérieuse application de l'âme à veiller à demeurer petite, anéantie et véri,
veillant à empêcher les moindres mouvements de satisfaction orgueilleuse ou
vaniteuse à falsifier sa prière et, en quelque sorte, à la décolorer.
Cette attitude est si impérieusement nécessaire que celle du Christ dans
l'Hostie, nous montre jusqu'où elle a été dans l'anéantissement, afin d'obtenir
de nous, non pas l'envie de plaider notre cause, mais l'envie de nous
harmoniser sur la Sienne.
En somme, devant qui sommes nous, à l'autel ?
- devant une Victime qui, au lieu d'accuser, a été accusée à notre place :
anéantissement de Son intelligence.
- devant une Victime qui, au lieu de réclamer les sanctions pour nous;
innocente, les a réclamées pour Elle : anéantissement de la volonté.
- devant une Victime, dont la puissance de Thaumaturge, après avoir suscité
l'estime et l'admiration accepte volontairement de provoquer l'étonnement
douloureux de la passivité impuissante : anéantissement de la valeur.
Devant une pareille Présence, on ne se sent pas jugé, on se sent confus. Or,
précisément, la confusion consiste dans une telle prise de conscience
admirative et intraduisible de la valeur d'un autre qu'on renonce, devant lui, à
n'importe quelle excuse et n'importe quel plaidoyer. On se sent disposé à faire
tout ce qu'Il voudra; l'imitation de ses attitudes comprise.
Il se produit alors dans l'âme des fidèles et dans l'âme du prêtre cette
expérience intérieure qu'on est infiniment plus soi-même, infiniment plus
réalité dans un état de vérité humiliante qu'en se maintenant protestataire dans
un état d'excuses orgueilleuses. Au lieu de renforcer la déformation de son
être, on prend conscience qu'on devient quelqu'un en rejoignant la Victime
anéantie, et dont l'anéantissement volontaire et libre affirme l'extraordinaire
personnalité.
C'est à ce moment qu'on réalise toute l'hypocrisie de la mentalité mondaine
composée de gestes faux, d'expressions fausses, ou d'attitudes fausses, et toute
la tranquille majesté des âmes sanctifiées qui ont renoncé depuis longtemps à
se faire un personnage, pour, au contraire, s'exprimer dans la tranquille
expression de leur vérité, même si cette vérité est leur misère...
Il faut alors signaler aux fidèles que c'est une très grande grâce de la Messe,
quand on sait bien suivre le mouvement ascendant de la prière liturgique qui
se déroule, de nous faire parvenir à cet état de confusion résultant d'une
espèce d'illumination spontanée et profonde des comportements du Christ sur
l'autel, et résultant aussi de la distance incommensurable qui existe entre ses
comportements et les nôtres. Nous prenons alors conscience de l'absurdité de
nos gestes humains comparés à l'attitude héroïque du Christ, et nous prenons
aussi conscience de l'obligation morale où cette attitude héroïque met la nôtre
d'ébaucher si peu que ce soit un essai de ressemblance avec Son
anéantissement.
En s'inclinant aussi bas que possible devant les espèces qui seront tout à
l'heure consacrées, le prêtre semble avouer que sa nature reste stupide
d'étonnement devant la portée de ce Sacrifice, et devant la portée des péchés
qui l'ont provoqués. Il exprime là qu'il y aurait comme un affreux malaise à
prétendre encore oser discuter qu'après tout nous n'avons pas tous les torts et
qu'en somme le geste héroïque du Christ n'était pas si nécessaire... Ce serait
une manière fort adroite d'évincer en souplesse la portée du péché, le poids de
honte que l'humanité porte devant Dieu, qu'elle le veuille ou non, en jugeant
que l'amour absolu du Christ aurait dû se dispenser d'être Amour absolu.
- et, comme toute prière n'en reste jamais à une prise de conscience négative,
mais qu'elle nous relie positivement à la Vie même de Dieu, le prêtre ne peut
que se relever en invitant les fidèles à exprimer, par un souhait impérieux,
leur désir de tirer un plein profit de l'anéantissement de Jésus. Ce profit est
contenu dans les deux petits mots de la prière «in animo contrito» - «nous
T'offrons ce Sacrifice avec une âme broyée», c'est-à-dire avec une mentalité
tellement débarrassée de toute discussion et de toute excuse qu'il n'y a plus en
elle de place que pour la confession absolue de ses torts et un besoin
impérieux de les désavouer, par un jaillissement d'amour tout neuf, tout vrai
et sans aucune hésitation.
- s'approcher de Dieu, c'est s'éloigner de son contraire, et le fidèle qui assiste à
la Messe ne peut pas faire autrement que d'y venir pour s'approcher de
l'Amour, en s'éloignant par le repentir et le regret de ce qui s'oppose, en lui, à
l'Amour.
Il y a là une bien belle attitude pleine de confiance, parce que pleine
d'humilité, à conseiller aux plus grands pécheurs qui assistent à la Messe. Du
moment que le pécheur saisit que sur l'autel la décision du Christ de l'aimer
continue d'être plénière et d'être irrésistible, il est en possession de toutes les
raisons suffisantes pour ne plus douter de son pardon et avoir envie de se
rapprocher du Christ par le repentir. Si ce repentir se présente à lui comme
une attitude impossible, retenu qu'il se sent, au sol de sa misère par les vieilles
racines qu'il n'arrive pas à arracher, il peut du moins, dans la confusion qu'il
éprouve à comprendre la générosité du Christ, émettre humblement devant
Dieu le souhait d'évoluer peu à peu vers les préférences divines. N'est-ce pas
déjà annoncer le «Domine non sum dignus» - «Seigneur, je ne suis pas
digne», puisque je suis toujours enraciné dans mes péchés, mais puisse ma
présence ici, dans un temple, au coeur de Votre Sacrifice, qui me confond de
reconnaissance, mériter cette mystérieuse parole intérieure qui a fait sortir les
morts de leurs tombeaux et remis en place les intentions les plus perverties ou
les plus misérables.
Le pécheur est là devant l'Etre sansché, non pas pour être condamné, mais
pour être lui-même préparé à l'amour, s'il accepte de ne pas s'excuser, de ne
pas discuter et de ne pas refuser.
Instinctivement, on pense à la belle expression du «Dies irae» : «tantus labor
non sit cassus» - «ne permettez pas qu'un pareil effort soit inutile...»
L'effort de Jésus nous démontre que, dans l'anéantissement, il y a le salut, car
il ne faut pas oublier l'immense effort fourni par l'humanité de Jésus, sous les
exigences de Sa puissance divine, à participer ainsi aux abaissements
volontaires réparant les prétentions intellectuelles et morales du péché
originel. Il ne faut pas nous imaginer que sous prétexte qu'Il était Dieu, Jésus
a commandé sans difficulté à Son humanité les exigences du Calvaire; c'est
qu'Il a aussi bien respecté les lois de la nature humaine que celles de la nature
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