Chapitre III Chapitre III : Espaces vectoriels sur un corps Introduction Au cours des deux premiers chapitres, nous avons appris à calculer dans Kn avec K un corps quelconque. Nous avons appelé Kn un espace vectoriel (car les propriétés (P1 ) – (P7 ) sont satisfaites) sur K (pour bien mettre en évidence que les scalaires sont choisi dans K). Introduction Soit K un corps donné. Il se fait que, en plus des espaces Kn , il existe de nombreux autres ensembles pour lesquels on peut définir une addition et une multiplication (par un scalaire de K), et qui satisfont aussi aux propriétés (P1 ) – (P7 ). Introduction Exemple 1 Considérons K = R ainsi que l’ensemble RR des fonctions qui vont de R dans R. Par exemple f1 : R → R : x 7→ x 2 et f2 : R → R : x 7→ cos(x) sont des éléments de cet ensemble. On peut définir une addition sur RR en posant pour f , g ∈ RR : (f + g ) : R → R : x 7→ f (x) + g (x) et une multiplication scalaire en définissant pour f ∈ RR et λ ∈ R : (λf )(x) = λf (x). Introduction Exemple (Suite de l’exemple 1) Il est évident qu’avec ces définitions, RR satisfait aux propriétés (P1 ) – (P7 ). En effet : les propriétés (P1 ) et (P2 ) concernent l’associativité et la commutativité de +, qui sont évidentes ici. la propriété (P3 ) concerne l’existence d’un élément neutre pour l’addition. Ici, on peut simplement prendre comme neutre la fonction identiquement nulle : n : R → R : x 7→ 0, Introduction Exemple (Suite de l’exemple 1) la propriété (P4 ) concerne l’existence d’un inverse pour l’addition. Ici, on peut simplement prendre comme inverse de f la fonction −f : −f : R → R : x 7→ −f (x), les proriétés (P5 ), (P6 ) et (P7 ) sont aussi clairement satisfaites. Introduction On a naturellement envie de dire que RR forme un espace vectoriel sur le corps R, vu que RR satisfait les même propriétés (P1 ) – (P7 ) que Rn . Le fait que les éléments de RR (des fonctions) n’aient plus rien à voir avec des n-uples (x1 , . . . , xn ) n’est pas un problème. Espaces vectoriels Soit K un corps commutatif quelconque et V un ensemble muni d’une loi interne +:V ×V →V et d’une multiplication scalaire · : K × V → V. Si V satisfait les propriétés (P1 ) – (P7 ), on dira que V forme un espace vectoriel sur K. On précise "sur K" pour bien mettre en évidence que les scalaires sont pris dans le corps K. Les éléments de V sont appelés vecteurs. Espaces vectoriels La notion générale d’espace vectoriel qu’on vient d’introduire est celle étudiée dans les cours d’algèbre linéaire. Les espaces Kn introduits aux Chapitres 1 et 2 ne sont que des cas particuliers. Espaces vectoriels Ce qu’il faut bien comprendre dans la définition d’un espace vectoriel : L’addition, la multiplication scalaire, l’élément neutre sont spécifiques à l’espace qu’on considère. Par exemple, dans Kn , l’addition est l’addition "composante par composante" tandis que l’élément neutre est le n-uples (0, . . . , 0). Par contre, dans RR , l’addition est l’addition de fonctions et l’élément neutre est la fonction nulle. Nous allons maintenant donner d’autres exemples. Espaces vectoriels Remarque : on avait vu que les propriétés (P1 ) – (P7 ) étaient complètement évidentes sur Kn . En revanche, il est tout à fait possible de construire (mais on en le fera pas ici) des exemples d’ensembles munis d’une loi interne et d’une multiplication scalaire qui ne satisfont pas certaines des propriétés (P1 ) – (P7 ). Dans le cadre général avec lequel on travaille maintenant, ces propriétés ne sont donc pas si évidentes. Espaces vectoriels Exemple 2 L’espace Kn est (évidemment !) un espace vectoriel sur K. Exemple 3 Plus généralement, si V est un sous-espace (au sens du Chapitre I) de Kn , alors V est aussi un espace vectoriel sur K. Espaces vectoriels Exemple 4 L’ensemble Mat(2 × 2, R) des matrices 2 × 2 à coefficients réels forme un espace vectoriel sur R. L’addition est l’addition matricielle et la multiplication scalaire est la multiplication usuelle d’une matrice par un scalaire λ ∈ R. Par exemple : 1 0 3 1 4 1 + = 1 2 4 2 5 4 et 1 0 3 0 3 = 1 2 3 6 En fait, Mat(2 × 2, R) est "le même" espace que R4 , sauf qu’on met les coefficients dans un tableau au lieu de les mettre en ligne. Espaces vectoriels Exemple 5 Si on remplace R par un corps quelconque et 2 par un naturel quelconque, on obtient que l’ensemble Mat(n × m, K) des matrices n × m à coefficients dans K forme un espace vectoriel sur K (qui est en fait "le même" espace que Kn×m , mais vu différement). Espaces vectoriels Exemple 6 L’ensemble C est un espace vectoriel sur R. L’addition est l’addition habituelle des nombres complexes, et le produit scalaire est le produit habituel d’un complexe z par un réel r . Dans cet exemple, les éléments de R sont les scalaires mais sont aussi des vecteurs (vu qu’ils sont aussi des éléments de C). Cette situation à priori étrange ne pose en fait aucun problème. Espaces vectoriels Remarque : l’exemple précédent montre qu’on peut considérer C comme espace vectoriel sur C (espace Kn avec K = C et n = 1) ou bien sur R. Il est donc important lorsqu’on parle d’un espace vectoriel de préciser le corps sur lequel on travaille, parfois plusieurs corps différents peuvent convenir ! Espaces vectoriels Les espaces vectoriels sur K = R sont parfois appelés espace vectoriels réels et ceux sur K = C espaces vectoriels complexes. Lorsqu’on parle de "l’espace vectoriel Kn " sans préciser le corps, on supposera toujours qu’on le considère comme espace vectoriel sur K. Espaces vectoriels Même si les espaces Kn (et leurs sous-espaces) sont ceux qu’on rencontre le plus couramment dans les applications à l’informatique, il en existe beaucoup d’autres. Certains d’entre eux apparaissent parfois en informatique, et il vaut la peine de les connaître. Espaces vectoriels Exemple 7 Nous avons vu que RR forme un espace vectoriel sur R. Il se fait qu’on peut considérer plus généralement l’ensemble KA des fonctions qui vont de A vers K (avec K un corps et A un ensemble quelconque), et on obtient ainsi un espace vectoriel sur K. L’addition est (f + g ) : A → K : x 7→ f (x) + g (x) et le neutre est la fonction nulle n : A → K : x 7→ 0. Espaces vectoriels Exemple 8 L’ensemble R[X ] des polynômes à coefficients réels forme un espace vectoriel sur R. On a donc R[X ] = {a0 + a1 X + a2 X 2 + . . . + an X n | n ∈ N, ai ∈ R}. Par exemple, 1 + X 15 et 12 + 2X − X 4 sont des éléments de R[X ]. L’addition est l’addition habituelle sur les polynômes (et de même pour la multiplication scalaire). Le neutre est le polynôme nul (tous les ai valent 0) et l’inverse de a0 + a1 X + . . . + an X n est −a0 − a1 X − . . . − an X n . Espaces vectoriels Exemple 9 L’exemple précédent n’est pas spécifique à R : si on remplace R par un corps K, on obtient que K[X ] forme un espace vectoriel sur K. Espaces vectoriels Il existe une généralisation de l’espace des polynômes qui intervient parfois en informatique. C’est l’espace des séries formelles, qui sera étudié plus en détails dans le cours de mathématiques discrètes de BA2. L’idée des séries formelles est la suivante : au lieu de ne considérer qu’un nombre fini de termes non nuls (comme dans R[X ]), on travaille avec des "polynômes infinis". Espaces vectoriels Exemple 10 L’ensemble des série formelles à coefficients réels est ( +∞ ) X R[[X ]] = ak X k | ak ∈ R ∀k . k=0 Par exemple +∞ X Xk = 1 + X + X2 + ... k=0 et +∞ X k 2 X k = X + 4X 2 + . . . k=0 sont des séries formelles. De même que pour R[X ], l’ensemble R[[X ]] est un espace vectoriel réel. Espaces vectoriels Exemple (Suite de l’exemple précédent) Attention : l’adjectif "formelle" signifie qu’a priori, on ne peut pas remplacer X par un nombre réel (on n’est pas sûr que la somme infinie qui en résulterait a forcément du sens dans R). On ne s’intéresse donc qu’aux coefficients (ak ). De ce point de vue, une série formelle n’est donc qu’une suite de réels (a0 , a1 , a2 , . . .). Espaces vectoriels Exemple 11 Soit Cn le nombre d’arbres binaires enracinés à n feuilles (voir le cours d’algorithmique). Les nombres Cn sont appelés nombres de Catalan. Il est possible de déterminer une formule exacte pour Cn en utilisant la série formelle +∞ X Cn X n . n=1 Voir le cours de mathématiques discrètes de BA2. Plus généralement : les séries formelles sont souvent utilisées dans des problèmes (liés à l’informatique) ou l’on souhaite obtenir des informations sur une suite donnée de nombres. Espaces vectoriels Exemple 12 L’exemple précédent n’est pas spécifique à R : si on remplace R par un corps K, on obtient que K[[X ]] forme un espace vectoriel sur K. Espaces vectoriels Remarque : on a bien sûr K[X ] ⊆ K[[X ]]. En effet, si p(X ) = n X ak X k k=0 on peut écrire p sous la forme p(X ) = +∞ X k=0 avec ak = 0 dès que k > n. ak X k Sous espaces vectoriel Donc K [X ] est inclu à K[[X ]] et est un espace vectoriel (pour la même addition et la même multiplication scalaire). On a donc envie de dire que K[X ] est un sous-espace vectoriel de K[[X ]]. Sous espace vectoriel De façon plus générale, si V est un espace vectoriel sur K, on dira que W est un sous-espace vectoriel de V si : 1 0 ∈ W, 2 u + v ∈ W dès que u, v ∈ W , 3 λu ∈ W dès que u ∈ W et λ ∈ K, Cela revient à dire que W est un espace vectoriel inclu dans V , pour la même addition et multiplication scalaire que V . Sous espace vectoriel Exemple 13 Soit V = RR l’espace vectoriel des fonctions de R dans R et W = C (R) l’ensemble des fonctions de V sont continues (= dont on peut tracer le graphe sans lever le crayon). Additionner deux fonctions continues redonne une fonction continue et multiplier une fonction continue par un nombre λ ∈ R aussi. De plus, la fonction nulle est aussi continue. Donc W est bien un sous-espace de RR . Résumé des points importants du chapitre 1 La définition d’un espace vectoriel sur un corps K, 2 Les exemples suivants d’espaces vectoriels : Kn , Mat(n × m, K), K[X ], K[[X ]], KA (où K un corps), 3 La notion de sous-espace vectoriel.