La science en principe est susceptible d’obliger l’individu à « se rendre compte du sens ultime de ses propres
actes » (p.113). Un professeur obtenant ce résultat est au services de « puissances morales », à savoir le devoir
de faire naître en l’âme des autres la clarté et le sens des responsabilités.
Ces opinions ici exposées ont « pour base la condition fondamentale suivante : pour autant que la vie a en elle-
même a un sens et qu’elle se comprend d’elle même, elle ne connaît […] que l’incompatibilité des points de vue
ultimes possibles, l’impossibilité de régler leurs conflits et par conséquent la nécessité de se décider en faveur
de l’un ou de l’autre » (p.114).
Notre destin est de vivre à une époque indifférente à Dieu et aux prophètes. Quelle position adopter devant le
fait qu’il existe une théologie qui prétend au titre de science ? La théologie est une rationalisation intellectuelle
de l’inspiration religieuse. Il n’existe pas de science entièrement exempte de présuppositions et aucune ne peut
apporter la preuve de sa valeur à qui les rejettent. Toute théologie accepte la présupposition que le monde doit
avoir un sens, la question qui se pose est alors de savoir comment il faut interpréter ce sens pour pouvoir le
penser, démarche identique à celle de KANT qui, partant de la présupposition « la vérité scientifique existe et
elle est valide », se demande ensuite quelles sont les présuppositions qui la rendent possible. Démarche
également identique à celle de LUKACS en esthétique qui présuppose l’existence « des œuvres d’art ». La
théologie nous explique comment accepter les présupposés religieux parfois douteux : ils appartiennent à une
sphère qui se situe au-delà des limites de la science. Elle ne constitue donc pas un « savoir » au sens habituel du
mot, mais un « avoir », en ce sens qu’aucune théologie ne peut remplacer la foi chez celui qui ne la
« possède » pas. Dans toute théologie « positive » le croyant aboutit à un point où il ne pourra faire autrement
qu’appliquer la maxime de St Augustin : je crois parce que c’est absurde. Le « sacrifice de l’intellect »
constitue le trait caractéristique et décisif de tout homme pratiquant.
Certains croient voir dans la religion une possibilité de fonder le lien social afin de le rendre plus solide. Or s’il
est vrai que cela peut contribuer à renforcer la solidarité entre les hommes, il est douteux d’inscrire la dignité de
ce lien dans une religion unique. Les prophéties n’ont d’autres résultats que de former des sectes de fanatiques,
jamais de véritables communautés. Cela dit, il vaut mieux moralement se donner sans conditions à une religion
que de ne pas chercher à voir clair dans ses choix derniers en se réfugiant dans un relativisme précaire : rien ne
s’est encore fait par l’attente. C’est pourquoi il faut se mettre au travail pour répondre aux demandes de chaque
jour dans sa vie d’homme comme dans son métier. Et ce travail sera simple et facile si chacun trouve le démon
qui tient les fils de sa vie.
II. Le métier et la vocation d’homme politique.
A) Les fondements de la légitimité :
On peut définir la politique comme la direction du groupement politique appelé Etat ou bien l’influence qu’on
exerce sur cette direction. On la retrouve soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un
même Etat. L’Etat se définit sociologiquement par le moyen spécifique qui lui est propre : la violence
physique. Tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir – soit parce qu’il le considère comme un
moyen en vue d’autres fins, idéales ou égoïstes, soit qu’il le désire « pour lui même » en vue de jouir du
sentiment de prestige qu’il confère.
Il existe trois fondements de la légitimité, trois formes « pures » qui légitiment l’obéissance :
1. l’autorité traditionnelle : celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l’habitude
enracinée en l’homme de les respecter (celle du patriarche ou du seigneur terrien d’autrefois).
2. l’autorité charismatique : fondée sur la grâce personnelle d’un individu, elle se caractérise par le
dévouement tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne
en tant qu’elle se singularise par des qualités prodigieuses (celle du prophète, du chef de guerre élu, du
souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d’un parti politique).
3. l’autorité légale rationnelle : elle s’impose en vertu de la croyance en la validité d’un statut légal et
d’une « compétence » positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d’autres termes elle est
fondée sur l’obéissance à des obligations conformes au statut établi (pouvoir tel que l’exerce le
« serviteur de l’Etat » moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s’en rapprochent sous ce
rapport).