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Hommage à Henri Piéron
Monsieur le Chancelier des Universités de Paris,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président de l’Université Paris Descartes,
Mesdames et Messieurs les Professeur,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très honorée que Monsieur le Président de notre université m’ait
demandé de présenter en quelques mots celui qui est le parrain de votre
promotion cette année : Henri Piéron.
Il aurait été ici comme chez lui : il est né en 1881 à deux pas de la
Sorbonne, il a habité sur le Boulevard Saint-Michel durant toute sa jeunesse,
parce que son père était professeur de mathématiques puis directeur des lycées
du Quartier, Louis-le-Grand et Saint Louis, avant de devenir Inspecteur général
de l’instruction publique. Henri Piéron prenait dans le Quartier Latin des cours
de danse et d’escrime ; il y faisait éventuellement le coup de poing et en recevait,
pour défendre le capitaine Dreyfus par exemple. Et puis bien sûr, ici même, il
suivait des cours, ceux des philosophes Lucien Lévy-Bruhl et Pierre Janet en
particulier, pour se former à la philosophie, qui se préoccupait, et se préoccupe
toujours, de la nature humaine. Après 2 échecs à l’oral, Piéron fut agrégé de
philosophie dès que Lévy-Bruhl entra au jury : dans les jurys précédents, certains
jugeaient que cette question de la nature humaine ne devait pas être abordée
scientifiquement contrairement à ce que soutenait déjà bien haut le candidat
Henri Piéron.
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A la Sorbonne aussi, il a passé sa licence ès sciences naturelles avec des
enseignants comme Louis Lapicque, ou le néo-lamarckien Albert Dastre, un ami
du père de Piéron, puis il a travaillé au laboratoire de physiologie de Dastre qui
lui a transmis alors son néo-lamarckisme. Il a effectué, pour son doctorat es-
sciences naturelles, des recherches qui l’ont rendu mondialement célèbre, sur la
physiologie du sommeil, à l’asile de Villejuif, chez Edouard Toulouse, là il
avait trouvé un lieu propice à ses études sur le sommeil… chez le chien. Piéron
n’eut jamais d’enfants, il eut des chiens, et comme il l’écrit, sa femme et lui
consacrèrent toute leur vie à ses recherches à lui, et à leurs chiens. A Villejuif,
Piéron à votre âge était connu comme celui qui promenait des chiens autour de
l’asile, non par lubie, mais pour fatiguer ses chiens, pour les empêcher de dormir ;
dès qu’ils n’en pouvaient plus, Piéron prélevait du liquide céphalo-rachidien de
ces chiens fatigués, et l’injectait dans le cerveau de chiens frais et dispos, qui
s’endormaient aussitôt. Piéron proposa donc l’hypothèse que si l’on dormait, c’est
parce que l’activité de veille accumule dans le cerveau des hypnotoxines. Cette
hypothèse connut des sorts différents au cours du 20è siècle, mais les spécialistes
du sommeil ne manquent jamais encore aujourd’hui de citer les travaux de
Piéron.
Piéron donna également des cours dans la Sorbonne, des cours de
physiologie des sensations, mais pendant deux années universitaires seulement,
entre 1921 et 1923, parce qu’à cette date, il devient à 42 ans professeur au
Collège de France, une chaire est créée pour lui, de physiologie des sensations
justement.
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Piéron est un chercheur bien sûr, mais au Collège, comme ailleurs, c’est
aux questions institutionnelles qu’il consacre la majeure partie de son activité.
Pourquoi ?
- D’abord parce qu’il a été élevé par un Inspecteur général de l’instruction
publique, ce qui impose un souci constant du bien public et des institutions, souci
que le père a transmis au fils, et parce que Piéron veut disons « faire progresser
la science » et que le front sur lequel la science doit gagner du terrain, dans la
France de la IIIè République, c’est celui de l’étude de l’homme. Voilà à quoi il va
consacrer toute sa vie : faire de la psychologie une science, et une science de la
vie, l’extraire du giron qu’il trouvait étouffant de la philosophie alors spiritualiste
de la vieille Sorbonne.
- Il le fait aussi parce qu’il a un don pour nouer les relations nécessaires à
une politique institutionnelle : l’accès au monde universitaire, à l’époque très
restreint par rapport à ce qu’il est aujourd’hui, lui est certes facilité par le métier
de son père : Lévy-Bruhl, Dastre, René Legendre, le très puissant recteur Louis
Liard, le Directeur de l’enseignement supérieur Albert Bayet, connaissent bien
son père ; mais Piéron s’est acquis lui-même un réseau d’amis influents : les
physiciens Jean Perrin et Paul Langevin, Henri Laugier, futur chef de cabinet du
ministre Yvon Delbos, et puis Henri Wallon, bien sûr, l’ami timide de toujours
dont Piéron fera véritablement la carrière, mais qui l’épaulera en retour par ses
relations politiques. Chacun de tous ceux-là, à son heure, va appuyer la politique
de Piéron. C’est avec eux que Piéron va créer, à partir de 1920, des institutions
pour faire reconnaître la psychologie, sa psychologie, c’est-à-dire une psychologie
physiologique.
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- A la mort d’Alfred Binet en 1916, il reprend le Laboratoire EPHE de la
Sorbonne que celui-ci dirigeait plus ou moins assidument, et il devient directeur
et propriétaire de la revue L’Année psychologique, à laquelle il va donner jusqu’à
sa mort cette orientation physiologique qui lui semblait seule capable de sauver
la psychologie de la philosophie.
-En 1920 il fait créer grâce à ses relations l’Institut de Psychologie qui
restera jusqu’après 1945 une boîte quasi-vide, formant grâce au bénévolat de ses
amis un nombre d’étudiants qu’on peut presque compter sur les doigts.
-Puis il obtient la création en 1928 de l’Institut National d’Orientation
Professionnelle pour démontrer l’utilité sociale de la psychologie.
Piéron ne cédera rien sur ce front de la science qu’il veut instituer ; ainsi
on l’a trouvé dans la Sorbonne après la Grande Guerre occupé à tester les
affirmations des spirites, qui entendaient faire revenir ceux qui sont morts ; déjà
avant cette 1
ère
Guerre, il avait dénoncé la croyance en l’existence de rayons dits
N (pour Nancy ils avaient été inventés) rayons censés émaner de diverses
substances : c’est dans la dénonciation permanente de toute pseudoscience qu’il
est devenu l’ami de savants comme Jean Perrin.
La science de Piéron doit être sans tache, pure de toute métaphysique, de
toute subjectivité. Comment plier la psychologie à cette exigence qui ne lui
convient pas nécessairement ? Piéron n’ignore pas qu’une partie de la psychologie
repose sur des interprétations des conduites, interprétations nécessairement
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offertes aux biais de la subjectivité, qu’une autre partie de la psychologie de son
époque se lie aux sociologues, aux anthropologues.
Il est certain qu’en raison d’obstacles profonds, avant la Deuxième Guerre,
Piéron n’a pas gagné la partie : L’Année psychologique est beaucoup moins lue
que le Journal de psychologie normale et pathologique qui fédère des
anthropologues, des sociologues, des psychiatres et des philosophes bien sûr ; et
les étudiants en philosophie qui font un certificat de psychologie, comme Michel
Foucault en 1947 par exemple, n’entendent pas faire de la psycho-physiologie
mais s’intéressent de plus en plus à la psychanalyse.
Ses relations vont lui être à nouveau utiles pour parvenir à ses fins, mais
tardivement : il est le véritable artisan de la Commission Langevin-Wallon, et
côtoie donc le nouveau pouvoir ce qui fait qu’en 1947, avec le psychanalyste
Daniel Lagache, il fait créer une licence ès lettres de psychologie ; la première
année, il y a 40 étudiants inscrits à Paris. Aujourd’hui, il y en a plusieurs milliers
par an à l’Institut de psychologie.
Grâce à Jean Perrin, qui a créé en 1933 le CNRS, Piéron y fait entrer la
psychologie ; elle est rattachée à la philosophie de 1945 à 1948, date à laquelle
elle s’allie à la sociologie ; en 1961, alors que Piéron a pris sa retraite (en 1952),
on attribue à la psychologie une section indépendante dans les sciences de
l’homme, et ce n’est qu’en 1965, un an après le décès de celui qui en avait
toujours rêvé, que la discipline entre au sein des sciences de la vie.
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