48]Dossier astrophysique
© Pour la Science - n° 372 - Octobre 2008
un rôle central en cosmologie et a trouvé
une solide assise dans la physique des par-
ticules. Elle résout l’essentiel des problèmes
qui se posent à grande échelle, par exemple
en expliquant pourquoi l’espace a une
courbure très faible, pourquoi il est homo-
gène d’un bout à l’autre de la voûte céleste,
comment l’information a pu se transmettre
entre des régions éloignées, ou encore
pourquoi certains objets étranges, mais
prévus par les théories d’unification, ne
sont pas observés.
Le scénario de l’inflation a été testé
grâce à de nombreuses observations cos-
mologiques, telle la mesure des anisotro-
pies du fond diffus cosmologique. Cette
théorie est aujourd’hui compatible avec
l’ensemble des données observationnelles.
D’autres mécanismes produisant des effets
semblables ont été envisagés, mais ils appa-
raissent moins convaincants. Les obser-
vations futures, en particulier celles qui
seront réalisées par le satellite Planck qui
sera lancé en 2009 par l’Agence spatiale
européenne, permettront de tester de façon
plus précise les modèles d’inflation et d’ou-
vrir la voie à une véritable étude quanti-
tative de ces scénarios.
Quels renseignements les trous noirs
primordiaux apportent-ils sur l’inflation?
Si cette dernière fait partie intégrante du
modèle standard de la cosmologie, il reste
très délicat de tester et de caractériser le
détail des processus à l’œuvre. Les mesures
du fond diffus cosmologique permettent
d’avoir une première idée de l’énergie ini-
tiale du champ à l’origine de l’inflation
(l’inflaton). De façon complémentaire,
les trous noirs primordiaux apportent des
indices sur d’autres paramètres théoriques
fondamentaux (en particulier l’accéléra-
tion de ce champ) et leur simple absence
contraint l’espace des valeurs possibles
(quant aux trous noirs primordiaux hypo-
Bien qu’ils ne soient pas, au sens strict,
primordiaux, d’autres microtrous noirs
sont aujourd’hui au cœur des spéculations
les plus audacieuses : ceux qui pourraient
être engendrés par le
LHC
, le grand colli-
sionneur de hadrons du
CERN
, à Genève.
Certaines théories prévoient l’existence
de dimensions supplémentaires d’espace-
temps. La théorie des cordes, par exemple,
requiert dix dimensions d’espace pour être
cohérente. Il y a une dizaine d’années,
Nima Arkani-Hamed et Savas Dimopou-
los, de l’Université Stanford, en Califor-
nie, et Georgi Dvali, alors à l’Université
de Trieste, en Italie, ont compris que ces
dimensions supplémentaires pouvaient
résoudre le problème de la faiblesse appa-
rente de la gravitation. Si toutes les inter-
actions ont une origine commune,
pourquoi l’intensité de la force gravita-
tionnelle est-elle si faible comparée à celle
des autres forces fondamentales? Leur
modèle, nommé
ADD
d’après leurs initiales,
suppose l’existence de grandes dimensions
spatiales supplémentaires où seule la
gravitation se propage. Ainsi, la gravitation
ne serait pas réellement plus faible, mais
simplement « diluée » dans davantage de
dimensions que les autres forces.
L’une des conséquences les plus spec-
taculaires de ce scénario est que des
trous noirs peuvent se former dans les
accélérateurs de particules ! La raison est
liée à un abaissement de l’échelle de Planck.
L’énergie de Planck, où la gravité devient
aussi forte que les autres interactions
fondamentales, est supposée être très éle-
vée, autour de 1028 électronvolts, soit
15 ordres de grandeur au-dessus de l’éner-
gie du
LHC
. Cependant, si des dimensions
supplémentaires existent, l’énergie de
Planck pourrait être beaucoup plus basse,
voire plus faible que celle du
LHC
. Dans ce
cas, la formation de trous noirs serait iné-
luctable : deux particules se rencontrant
frontalement avec une énergie plus éle-
vée que celle de Planck formeraient un trou
noir. Les accélérateurs de particules pour-
raient alors devenir des usines à micro-
trous noirs !
Cette idée, déjà émise par le physi-
cien Roger Penrose en 1985 et remise au
goût du jour par Tom Banks, l’un des acteurs
principaux de la théorie des cordes, est
néanmoins à considérer avec précautions.
Même s’il existait des dimensions sup-
plémentaires étendues – ce qui n’est cor-
roboré par aucune observation à l’heure
actuelle –, rien n’assure que l’énergie de
Planck soit abaissée à une valeur assez
faible pour être atteinte au
LHC
. L’idée a
pourtant été récemment revisitée par Georgi
Dvali : il n’est même pas nécessaire qu’il
existe des dimensions supplémentaires
pour abaisser l’échelle de Planck de façon
notable : il « suffit » qu’il existe de nom-
breuses familles de particules. La démons-
tration se fonde évidemment sur… la
physique des trous noirs.
Si des microtrous noirs se formaient
au
LHC
, la nouvelle serait à première vue
décevante : l’horizon de ces trous noirs
masquerait les processus physiques à
l’œuvre et marquerait, en un sens, la fin
de la physique des particules. Mais, en
retour, de nombreuses expériences jus-
qu’ici hors de portée deviendraient pos-
sibles. L’évaporation des microtrous noirs
nous renseignerait sur le nombre de dimen-
sions de l’espace-temps. En outre, la nature
de leur spectre d’émission garderait une
empreinte de la théorie gravitationnelle per-
tinente à cette échelle. Les spectres obser-
vés porteraient la signature de la « nouvelle
physique » valide à l’échelle de Planck. La
mort de ces trous noirs de laboratoire serait,
en somme, une porte ouverte sur la gra-
vité quantique.
Des microtrous noirs en laboratoire
✔BIBLIOGRAPHIE
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T. Damour, The entropy of black
holes: a primer, séminaire
Poincaré décembre 2004,
arXiv :hep-th/0401160
Des microtrous noirs pourraient être mis en
évidence dans le détecteur
ATLAS
du
LHC
.
Maximilien Brice/
CERN
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