la constitutionalisation des normes réglementant

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LA CONSTITUTIONALISATION DES NORMES RÉGLEMENTANT
LE SYSTÈME JUDICIAIRE EN ROUMANIE
Nicolae COCHINESCU
Juge à la Cour Constitutionnelle de la Roumanie
1. La constitutionalisation du droit
Le concept relatif à la légalisation du droit découle du principe de la primauté de la
Constitution, conformément auquel les règles établies par la Loi fondamentale ont une force
juridique supérieure et elles s’imposent à toutes les autres normes juridiques, classées, selon le
schéma imaginé par Hans Kelsen, dans un système pyramidal.
1.1.
La constitutionalisation du droit par l’augmentation des normes
constitutionnelles
Engendrées et nourries par la réalité sociale et politique, ces règles ne sont, éternellement
limitées, ni quantitativement, ni qualitativement, elles peuvent changer et s’enrichir par de
nouvelles règles, existant avec des statuts de normes et de principes fondamentaux dans d’autres
branches du droit, par des règles tirées de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle ou, tout
simplement, par des règles imposées par un moment historique donné.
Vu cette dynamique des règles constitutionnelles, la notion de constitutionalisation
du droit est comprise comme un processus « d’augmentation quantitative des normes
constitutionnelles ». Dans la littérature juridique, il est mentionné, à cet égard, «le principe de la
non-rétroactivité de la loi, la présomption d’innocence ou la bonne foi dans l’exercice des droits
et des libertés, des règles et des principes qui existaient dans le système juridique roumain où
elles étaient attestées et n’avaient pas de force juridique constitutionnelle».1
La légalisation du droit par l’augmentation des normes constitutionnelles implique
l’activité des facteurs compétents pour initier et mener à bien la révision de la Constitution prévus à l’article 150 et à l’article 151 de la Constitution de la Roumanie – ainsi que l’activité
juridictionnelle de la Cour Constitutionnelle. À cet égard, un bon exemple est fourni par la
révision de la Constitution de la Roumanie par la Loi no 429/2003, approuvée par le référendum
national du 18-19 novembre 2003. Voici quelques règles et principes concernant la justice et
l’activité des organes judiciaires, introduits dans la Constitution à l’occasion de la révision:
– par l’article 1 alinéa (4), il a été consacré le principe de la séparation des pouvoirs dans
les termes suivants: «L’État est organisé conformément au principe de la séparation et de
l’équilibre des pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - dans le cadre de la démocratie
constitutionnelle.» Le principe n’avait pas été expressément formulé lorsque la Constitution a été
adoptée, en 1991, mais, en revanche, il avait acquiert une expression législative par l’article 1 de
la Loi no 92/1992 sur l’organisation judiciaire, qui prévoyait que «e pouvoir judiciaire est séparé
des autres pouvoirs de l’État [...] »;
– l’article 21 sur l’accès libre à la justice a été complété par un alinéa (3), lequel a
consacré le droit à un procès équitable et le principe de la solution des causes dans un délai
raisonnable, et par un autre alinéa (4), par lequel il a été établi le caractère facultatif et gratuit
des juridictions administratives ;
Ioan Muraru, Elena Simina Tănăsescu, Droit constitutionnel et institutions politiques, I tome, Éditions
All Beck, 2003, p.80.
1
– à l’article 123 (devenu, comme suite de la renumérotation, article 124), il a été inséré
un nouvel alinéa, par lequel ont été entérinés, constitutionnellement, les principes de l’unicité, de
l’impartialité et de l’égalité de la justice ;
– à l’article 132 (devenu, après la renumérotation, article 133) portant sur le rôle et la
structure du Conseil Supérieur de la Magistrature, il a été jugé que cette institution de l’autorité
judiciaire «est le garant de l’indépendance de la justice», en étant aussi prévus les pouvoirs
spécifiques par lesquels le dit conseil remplit cette fonction.
1.2.
La constitutionalisation du droit comme suite de l’adaptation de la
législation aux règles et aux principes de la Constitution
Du principe de la primauté de la Constitution, il découle pour le législateur ordinaire une
double obligation, id est celle d’adopter des règles générales conformes à la Constitution et celle
d’abroger les actes normatifs à force de loi contraires à la Constitution.
On pourrait en dégager un deuxième sens du terme de légalisation du droit, à savoir celui
portant sur l’accomplissement de la concordance entre le système de réglementation
subordonné à la Constitution et les règles établies par la Constitution.
La constitutionalisation du droit, comprise dans ce second sens, ne peut être,
toutefois, réalisée en l’absence de l’existence de certains systèmes de contrôle vis-à-vis
de la constitutionnalité des lois et de garantie envers la suprématie de la Constitution. En
Roumanie, le problème a été résolu par la création de la Cour Constitutionnelle et par son
investissement d’agir en tant que «garant de la suprématie de la Constitution » - l’article
142 alinéa (1) de la Constitution – ainsi que d’avoir la compétence d’exercer un contrôle
sur la constitutionnalité des actes normatifs ayant force de loi. Cette prérogative de la
Cour est prévue à l’article 146 lettres a), b) et d) de la Loi fondamentale, dans les termes
suivants :
«La Cour Constitutionnelle a les attributions suivantes: a) elle se prononce sur la
constitutionnalité des lois, avant leur promulgation, sur saisine du Président de la Roumanie,
du président de l’une des deux Chambres, du Gouvernement, de la Haute Cour de Cassation
et de Justice, de l’Avocat du Peuple, de 50 députés au moins ou de 25 sénateurs au moins,
ainsi que d’office, sur les initiatives de révision de la Constitution; b) elle se prononce sur la
constitutionnalité des traités ou des autres accords internationaux, sur saisine du président de
l’une des deux Chambres, de 50 députés au moins ou de 25 sénateurs au moins; d) elle décide
des exceptions sur l’inconstitutionnalité des lois et des ordonnances, soulevées devant les
instances judiciaires ou d’arbitrage commercial; l’exception d’inconstitutionnalité peut être
directement soulevée par l’Avocat du Peuple ;[…] »
1.3. La situation de la législation antérieure
Durant le processus de transition du régime communiste au système
démocratique, juridiquement consacré par la Constitution de la Roumanie de 1991, il a
été aussi soulevé la question de la survie de la législation antérieure et du contrôle de sa
conformité avec la nouvelle Loi fondamentale.
Ainsi comme on le sait, l’abrogation d’une constitution n’engendre pas,
immédiatement et automatiquement, l’effondrement de tout le système juridique, lequel,
en partie, demeure en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle constitution soit adoptée, et
même après, dans la mesure où il est compatible avec les règles et les principes de celleci.2
En Roumanie, la dernière constitution, adoptée sous le gouvernement communiste, celle de
l’année 1965, a été formellement et totalement abrogée par l’article 149 de la Constitution de 1991
(devenu, comme suite de la nouvelle numérotation, après la révision de la Constitution, article 153). En
partie, respectivement dans les sections visant les principes de l’organisation de l’État, la structure et la
compétence des institutions de l’État, la Constitution de 1965 avait été, implicitement, abrogée ou
modifiée par les actes normatifs à contenu organique adoptés par les organes du pouvoir instauré sur la
voie révolutionnaire, durant la troisième décade de décembre 1989, par les actes des organes
représentant le pouvoir ultérieurement créé, par l’intermédiaire de la négociation, par les partis politiques
démocratiques, récrés ou de fraîche date, ainsi que par les actes normatifs adoptés par le Parlement
résulté à la suite des élections de mai 1990. En outre, quelques autres actes normatifs adoptés lors de
l’ancien régime sont devenus inefficaces, aussi. Pourtant, la plupart des lois de droit privé, adoptées en
vertu de la Constitution de 1965, des autres constitutions datant de l’époque du gouvernement
communiste ou même en vertu des constitutions antérieures, étaient encore en vigueur. Ainsi, on a
continué d’appliquer le Code civil et le Code de procédure civile, adoptés en vertu de la Constitution de
1864 et amendés, par la suite, sous toutes les autres constitutions, le Code de la famille, adopté en 1954,
le Code du travail, adopté en 1972. Il a existé aussi une continuation quant à l’application d’actes
normatifs de droit public, tel que le Code pénal et le Code de procédure pénale, adoptés en 1969. Il s’y
agit uniquement de quelques exemples…
En ce qui concerne ces actes normatifs, la Constitution de la Roumanie de l’année 1991 a
réglé, par l’article 150 alinéa (1), «qu’ils resteront en vigueur tant qu’ils ne contreviennent pas à
la présente Constitution». À la fois, par l’alinéa (2) dudit article, il incombe au Conseil législatif
de réviser, dans les 12 mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi relative à son
organisation, la conformité de la législation par rapport à la Constitution et «d’avancer au
Parlement ou, le cas échéant, au Gouvernement des propositions adéquates ». Par ces dispositions
de la Constitution de 1991, il a été octroyé, aussi, au Conseil législatif un pouvoir de contrôle
constitutionnel, limité, durant un laps de temps déterminé, ayant un objet précis et un but
spécifique – celui de saisir les autorités compétentes pour qu’elles décident d’abroger les actes
normatifs contraires à la Constitution. La Loi no 73/1993 pour la création, l’organisation et le
fonctionnement du Conseil législatif est entrée en vigueur le 5 novembre 1993, après sa
publication au Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie. Ainsi qu’il a été prévu,
compte tenu du volume considérable de textes législatifs susceptibles d’être analysés, il a été
impossible d’examiner en entier l’héritage législatif et de le clarifier dans les conditions stipulées
par l’article 150 alinéa (1) de la Constitution. En outre, en établissant le principe de l’abrogation
des lois et de tous les autres actes normatifs visés par le texte constitutionnel cité, la Loi
fondamentale n’a prévu pas de procédures de transition par lesquelles ait été jugée leur
inconstitutionnalité et soit réalisée leur élimination de l’ordre normatif, lors du laps de temps situé
entre l’entrée en vigueur de la Constitution et l’entrée dans l’exercice de ses pouvoirs du Conseil
législatif. Avant la création de la Cour Constitutionnelle, la question devait être résolue par les
cours judiciaires, avec des effets inter partes, en se fondant sur le principe de la suprématie de la
Constitution et sur les règles visant la succession des lois à travers le temps. À plusieurs reprises,
la Cour Constitutionnelle a jugé dans le sens de son adhésion à la présente solution. Ainsi, dans
les considérants de la Décision no 32 du 26 mai 1993 – donc, avant la création du Conseil
législatif – la Cour Constitutionnelle a retenu que «la juridiction de droit commun a non
seulement le droit, mais aussi l’obligation de décider si le texte de la loi dont l’application doit
être faite est encore en vigueur ou non. Cela implique le fait qu’elle doive statuer sur la
circonstance si le texte en question a été abrogé ou non, explicitement ou implicitement».3 Mais,
lorsque la cour judiciaire n’a pas statué ou elle a trouvé que le texte ne contrevenait pas à la
2
Voir à cet égard, Philippe Ardant, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 17e édition, L.G.D.J.,
2005, p.92.
3
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1992-1998, Éditions C.H. Beck, 2007,
p.319
Constitution et il est resté, donc, en vigueur, la Cour Constitutionnelle a décidé qu’elle avait la
compétence de résoudre la question lors du contrôle exercé comme suite de sa saisine par la voie
de l’exception d’inconstitutionnalité. À cet égard, dans une affaire jugée par la Décision n o 1 du
12 janvier 1993, la Cour a conclut que «la constatation de l’incidence de l’article 150, alinéa (1)
de la Constitution relève de la compétence de la Cour Constitutionnelle, du moment que
l’instance de jugement ne s’est pas prononcée sur le fait si les décrets attaqués, antérieurs à
l’entrée en vigueur de la Constitution, contreviennent ou non à celle-ci; sinon, cela signifierait
que la Cour elle-même admet l’applicabilité de textes contraires à la Constitution».4
En guise de conclusions, il a incombé à la Cour Constitutionnelle - dans l’exercice de sa
prérogative relative au contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois, prévue à l’article 146 lettre
d) de la Constitution - la mission de l’assainissement de la législation antérieure à l’entrée en vigueur de
la Constitution de 1991.5
Par ce qui s’en suit, je me suis proposé de présenter quelques données et réflexions sur
les statuts constitutionnels du système judiciaire en Roumanie et sur la contribution de la Cour
Constitutionnelle à la légalisation des actes normatifs censés réglementer l’organisation et le
fonctionnement de l’autorité judiciaire, ainsi qu’à celle d’autres actes concernant
l’administration de la justice.
2. Les statuts constitutionnels du pouvoir judiciaire en Roumanie
Après la chute du régime communiste, le 22 décembre 1989, dans les conditions de la
restructuration globale des institutions de l’État, la nécessité de la réforme visant la sphère
judiciaire s’imposait. Il s’agissait d’une vérité axiomatique, soit que les vieilles autorités
judiciaires, conçues pour servir un type de régime étatique totalitaire, fondées sur le principe du
gouvernement de la société, en ensemble, par le parti unique, ne satisfaisaient pas aux exigences
de l’État de droit démocratique, créé par la Révolution.
Les cours judiciaires et l’Office du procureur général ont continué, cependant, de
fonctionner, en se fondant sur les anciennes lois organiques, adaptées, bien sûr, à la nouvelle réalité,
jusqu’à la mise en application des lois relatives à l’organisation judiciaire, adoptées conformément à la
Constitution de la Roumanie de 1991. Il a été, ainsi, obtenu un répit d’observation et de réflexion sur
la manière dont la justice fonctionnait dans le système démocratique, insuffisant pour une recherche
systématique et approfondie, mais extrêmement fertile pour formuler les orientations nécessaires à la
réforme judiciaire et pour élaborer les premières étapes de cette réforme.
La Constitution de la Roumanie de 1991 a ouvert la voie d’une profonde réforme du
système judiciaire, par la consécration des principes généraux de l’État de droit – l’obligation
d’observer la Constitution, sa suprématie et les lois, la séparation des pouvoirs à l’intérieur de
l’État et l’accès libre à la justice – ainsi que par l’établissement des règles primordiales régissant
l’organisation et le fonctionnement de la justice.
Les normes fondamentales de l’organisation et du fonctionnement de la justice, établies
par la Constitution de 1991, représentent des critères de développement du système judiciaire en
Roumanie et, aussi, des limites de la réforme dans ce domaine. Les principales règles
d’organisation et de fonctionnement du pouvoir judiciaire, énoncées au chapitre VI de la
Constitution, titré L’autorité judiciaire, sont les suivantes:
a) l’autorité judiciaire est formée: des tribunaux, du Ministère Public et du Conseil
supérieur de la Magistrature; cette composition ne pourra être ni augmentée, par la loi, ni
diminuée;
b) la création d’instances extraordinaires est interdite; la justice est exercée par la Haute
Cour de Cassation et de Justice et par les autres instances judiciaires établies par la loi;
c) les séances des instances judiciaires sont publiques et la procédure judiciaire se déroule
en langue roumaine;
4
Ibidem, p.304.
Voir à cet égard, Prof. Dr Ioan Vida, Président de la Cour Constitutionnelle, Avant-propos à l’ouvrage
cité, p.XXIX.
5
d) les juges sont inamovibles, indépendants et ils ne se soumettent qu’à la loi; e) dans
l’activité judiciaire, le Ministère Public représente les intérêts généraux de la société; les
procureurs mènent leur activité suivant les principes de la légalité, de l’impartialité et du contrôle
hiérarchique;
f) les fonctions de procureur et de juge sont incompatibles avec toute autre fonction
publique ou privée, exception faite des fonctions pédagogiques de l’enseignement supérieur.
3. La constitutionalisation de la législation judiciaire
Par la Loi sur l’organisation judiciaire no 92/1992 et par l’ensemble des lois de procédure
consécutives à la Constitution de 1991, les changements suivants se sont produits, dans le
système judiciaire:
a) il a été ré-établi le système des cours d’appel, lesquelles avaient été dissoutes en 1952;
b) il a été aboli l’institution de la Procurature qui, conformément à la Constitution de
1965, remplissait une fonction distincte dans le cadre de l’État, celle d’assurer le respect de la
légalité, et il a été créé le Ministère Public, institution de l’autorité judiciaire;
c) il a été mis en place le Conseil supérieur de la Magistrature, organe avec des
compétences décisives quant à la nomination des juges et des procureurs, à l’avancement, au
transfert et à la responsabilité disciplinaire des magistrats;
d) il a été établi l’inamovibilité des juges et la stabilité des procureurs;
e) il a été réintroduit dans le procès pénal et civil l’appel, en tant qu’un deuxième degré
de juridiction;
f) il a été aboli le recours extraordinaire, tant dans le procès civil que dans celui pénal.
Après la révision de la Constitution de la Roumanie, réalisée en décembre 2003, la Loi
sur l’organisation judiciaire n° 92/1992 a été abrogée en 2004, en étant remplacée par la Loi n o
303 sur les statuts des juges et des procureurs, la Loi no 304 pour l’organisation judiciaire, les
deux datant du 28 juin 2004, et la Loi no 317 du 1er juillet 2004 concernant le Conseil supérieur de
la Magistrature. Un an plus tard, les trois lois ont été modifiées par la Loi n o 247/2005 sur la
réforme dans les sphères de la propriété et de la justice.
On peut parler, en Roumanie, d’une réforme judiciaire soutenue, caractérisée par
l’approfondissement progressif des règles d’organisation des institutions représentant le
pouvoir judiciaire et des règles de procédure judiciaire par rapport aux normes et aux
principes de la Constitution et, notamment, aux règles fixées par les pactes et les traités
internationaux auxquels la Roumanie est partie. Ce processus se déroule en deux directions,
l’une législative - comme je l’ai noté plus haut - et l’autre, liée à la jurisprudence, par les
décisions rendues par la Cour Constitutionnelle dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité,
exercé par celle-ci.
4. Le rôle de la Cour Constitutionnelle dans la constitutionalisation de la
législation judiciaire
La contribution de la Cour Constitutionnelle à la légalisation de la législation judiciaire
s’est matérialisée dans les décisions rendues dans le cadre du contrôle exercé envers les initiatives
relatives à la révision de la Constitution, dans les décisions rendues lors du contrôle visant la
constitutionnalité des lois avant la promulgation, ainsi que dans celles rendues lors du contrôle a
posteriori à l’égard de certaines prévisions renfermées par les lois portant sur l’organisation des
cours judiciaires, le Conseil supérieur de la Magistrature, le Ministère Public, les statuts des juges
et des procureurs, par les lois de procédure civile et pénale, ainsi que par d’autres lois et actes
juridiques normatifs ayant une force légale, censés regarder l’administration de la justice.
Le grand nombre de décisions rendues par la Cour Constitutionnelle en matière, durant
les 15 ans d’activité, m’oblige à une sélection illustrative et, bien sûr, subjective, organisée sur un
nombre limité de questions, lesquelles, à mon avis, peuvent définir la jurisprudence de la Cour
Constitutionnelle comme une contribution à la légalisation du système judiciaire et juridique en
Roumanie.
4.1 Questions relatives au principe du libre accès à la justice et au droit à la défense
Le principe du libre accès à la justice est inscrit dans la Constitution de la Roumanie à l’article
21, dans les termes suivants: «(1) Toute personne peut s’adresser à la justice pour la protection de ses
droits, de ses libertés et de ses intérêts légitimes. (2) Aucune loi ne peut limiter l’exercice de ce droit.
(3) Les parties ont droit à un procès équitable et à la solution des causes dans un délai raisonnable. (4)
Les juridictions spéciales administratives sont facultatives et gratuites.»
Dans les décisions par lesquelles elle établit l’inconstitutionnalité de certains actes
normatifs, comme suite de la violation de ce principe, la Cour Constitutionnelle se réfère souvent
aussi au principe du droit à la défense, stipulé par l’article 24 de la Constitution.
Ces principes ont été évoqués dans toutes les décisions de la Cour, à savoir dans la
décision sur la constitutionnalité de la proposition législative visant à réviser la Constitution, dans
les décisions sur le contrôle de la constitutionnalité des lois avant leur promulgation, dans celles
rendues à l’égard des exceptions d’inconstitutionnalité et dans celles ayant comme objet le
contrôle de la constitutionnalité des règlements du Parlement.
4.1.1 Par la Décision no 148 du 16 avril 2003 sur la constitutionnalité de la proposition
législative visant à réviser la Constitution, la Cour a tiré l’attention sur l’inconstitutionnalité de la
proposition d’introduire à l’article 21 de la Constitution un alinéa d’où il découlait que le
législateur est libre d’établir des juridictions administratives obligatoires, en soulignant que «le
libre accès à la justice ne peut être conditionné par une juridiction administrative obligatoire ou
même facultative. »6
L’observation a été examinée par le Parlement à l’adoption de la Constitution et, dans le
texte de l’article 21 alinéa (4) portant sur le caractère facultatif et gratuit des juridictions
administratives spéciales, la possibilité de créer des juridictions administratives obligatoires n’a
plus été prévue.
Par la même décision, la Cour a critiqué la proposition visant l’introduction à l’article
132 de la Constitution d’un alinéa où il était spécifié que « Les décisions du Conseil supérieur de
la Magistrature ne peuvent être contestées aux cours judiciaires». La Cour a également averti que
«cette disposition est dans un rapport antinomique avec l’article 21 alinéa (1) de la Constitution»
et que, «dans un État de droit, il est inacceptable de ne pas garantir le libre accès aux tribunaux»,
en référence à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.7
Cette critique a été acquise en partie par le législateur constituant, et le texte inséré à l’alinéa
(7) de l’article 132 (devenu, par la renumérotation, article 133) stipule que «Les décisions du Conseil
supérieur de la Magistrature sont définitives et irrévocables, sauf celles prévues à l’article 133 alinéa
(2)» - devenu, par la renumérotation, article 134 alinéa (2). Les décisions exceptées sont celles rendues
par le Conseil en tant que tribunal disciplinaire des juges et des procureurs, celles-ci pouvant être
portées en appel devant la Haute Cour de Cassation et de Justice.
Par une décision subséquente - rendue dans la solution d’une exception
d’inconstitutionnalité, formulée par un président d’une cour d’appel, démis de ses fonctions par
une décision du Conseil supérieur de la Magistrature - la Cour Constitutionnelle a jugé que
l’article 132 alinéa (7) de la Constitution ne vise aussi les décisions par lesquelles l’Assemblée
plénière du Conseil supérieur de la Magistrature prenait des mesures relatives à la carrière des
magistrats (telles que la révocation des juges et des procureurs stagiaires, le transfert des
magistrats, la suspension de la fonction des magistrats) ou refusait à ceux-ci l’exercice d’un droit
acquis, de semblables décisions étant, par leur nature même, des documents juridiques à caractère
administratif, soumis au contrôle judiciaire. La Cour a noté, en ce sens, que le texte cité de la
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1999-2003, Éditions C.H. Beck, 2007,
second tome, p.119.
7
Ibidem, p.121.
6
Constitution a été introduit par la loi portant révision et que, «Vu les dispositions de l’article 152
alinéa (2) de la loi fondamentale, en vertu de laquelle aucune révision ne peut être faite si elle se
traduit par la suppression des droits et des libertés fondamentales des citoyens, on ne pourrait
admettre que le législateur constituant a souhaité supprimer, par la voie de la révision de la
Constitution, le droit des magistrats de contester en justice les actes de décision, émis par le
Conseil supérieur de la Magistrature, actes par lesquels les droits acquis dans l’exercice de leurs
fonctions sont enfreints.»8
4.1.2. Par la Décision no1/1994 concernant le libre accès des personnes à la justice en vue de
la défense de leurs droits, libertés et intérêts légitimes, l’Assemblée plénière de la Cour
Constitutionnelle a examiné la constitutionnalité des procédures administratives-juridictionnelles
spéciales, en statuant ce qui s’en suit:
«1. L’institution d’une procédure administrative juridictionnelle n’est pas contraire au
principe prévu à l’article 21 de la Constitution, concernant le libre accès à la justice, tant que la
décision de l’organe administratif de juridiction peut être attaquée devant une instance judiciaire.
2. L’accès aux structures judiciaires et aux moyens procéduraux, y compris aux voies
d’attaque, se réalise en respectant les règles de compétence et de procédure de jugement fixées
par la loi.
3. Le libre accès à la justice se réalise uniquement en respectant l’égalité des citoyens
devant la loi et les autorités publiques, de sorte que toute exclusion qui signifierait une violation
de l’égalité de traitement juridique est inconstitutionnelle. »9
En concordance avec cette jurisprudence, par des décisions successives, n o 59/1994, no
90/1995, no 66/1995 et no 3/1998, la Cour Constitutionnelle a observé l’inconstitutionnalité de
l’article 175 lettres a), b), c) et d) du Code du travail, adopté en 197210, par lequel il était exclu, en
ce qui concerne les employés, l’accès à la justice pour certaines catégories de conflits de travail,
orientés vers la compétence de l’organe hiérarchiquement supérieur ou de l’organe représentant la
direction collective. Ces litiges concernaient: les contestations contre les sanctions disciplinaires qui,
en accord avec la loi, ne visaient pas la compétence du tribunal ou d’autres organes (lettre a) ; les
contestations contre la rupture du contrat de travail, ainsi que les litiges portant sur la réinsertion au
travail des personnes en position de chefs, nommées par les organes hiérarchiquement supérieurs,
ainsi que des directeurs généraux et des personnes occupant des fonctions similaires à ceux-ci des
organes centraux (lettre b); les contestations contre la réorganisation du personnel, opérée à l’occasion
des réductions des effectifs travaillant dans l’administration ou dans la sphère de production (lettre c);
les contestations en relation avec l’octroi d’échelons et de gradations de rémunération, à l’encontre de
la réduction du salaire tarifaire à cause du non-accomplissement en totalité des tâches spécifiques à
l’emploi, ainsi que visant l’octroi des prix et des gratifications (lettre d).11
Dans les considérants des décisions mentionnées, il a été retenu que les autorités
administratives prévues par l’article 175 du Code du travail n’avaient pas le statut d’organes
juridictionnels - circonstance dans laquelle l’accès à la justice serait assuré par la contestation de
leurs décisions - parce qu’elles-mêmes avaient pris les mesures blâmées. Cela signifierait que la
même autorité sera, à la fois, juge et partie intéressée, ce qui est contraire aux dispositions de
l’article 6, point 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, censée instituer le droit de la personne d’être jugée, équitablement, par un tribunal
indépendant et impartial.
4.1.3. Par les décisions no 189/2006 et 647/2006, la Cour Constitutionnelle a statué qu’il
s’agissait aussi d’une violation de l’accès libre à la justice lorsque les règles de procédure
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 2004-2006, Éditions C.H. Beck, 2007,
IIIe tome, p.441.
9
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1992-1998, Éditions C.H. Beck, 2007,
premier tome, p.720.
10
La Loi no 10 du 10 novembre 1972, publiée au Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie,
Partie Ire, no 140 du 1 décembre 1972.
11
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1992-1998, Éditions C.H. Beck, 2007,
premier tome, p. 418-422, 488-493, 503-506 et 642-646.
8
gouvernant l’exercice de certaines voies de recours sont imprécises.12 Dans les causes où ces
décisions ont été rendues, la Cour a examiné la constitutionnalité de l’article 20 alinéa (1) et,
respectivement, de l’article 4 alinéa (3) de la Loi sur le contentieux administratif no 554/2004, par
lesquels, en étant institué la voie de recours contre les décisions rendues par les tribunaux de
contentieux administratif, il était précisé que le terme de déclaration de l’appel commençait «à
partir du prononcé ou de la notification». La Cour Constitutionnelle a décidé que les dispositions
légales citées sont inconstitutionnelles en raison de leur inexactitude et étant donné que «le
principe du libre accès à la justice implique, entre autres, l’adoption par le législateur de certaines
règles de procédure claires, qui fixent précisément les modalités et les délais dans lesquels les
justiciables peuvent exercer leurs droits procéduraux, y compris ceux relatifs aux voies de recours
contre les décisions des tribunaux».
La Cour a également jugé que, par de telles règles, imprécises, il est aussi violé le droit à
la défense, entériné par l’article 24 de la Constitution.
4.1.4. Par l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement n° 58/2003 portant amendement et
complétion au Code de procédure civile, les dispositions suivantes ont été introduites à l’article 308
alinéa (4) du présent Code: «Si le complet est à l’unanimité d’accord sur le fait que l’appel ne satisfait
pas aux exigences formelles ou que les motifs d’appel soulevés et leur développement ne concordent
pas avec ceux prévus à l’article 304, il annule ou, le cas échéant, rejette l’appel par une décision
justifiée, rendue sans convoquer les parties et laquelle n’est soumise à aucune voie de recours.»
La raison de la réglementation était celle de décourager l’utilisation abusive de la voie de recours,
ainsi que celle de décongestionner l’activité d’appel, qui incombait à l’époque, à la Haute Cour de
Cassation et de Justice.
Par la Décision no194 du 24 avril 2004, la Cour Constitutionnelle a estimé que la disposition
légale citée était inconstitutionnelle, car «l’annulation ou, selon le cas, le rejet du pourvoi à cause de
l’insatisfaction des conditions formelles ou à cause de la motivation erronée ou insuffisante de l’appel,
sans convoquer les parties et, par conséquent, sans laisser à l’appelant la possibilité de présenter
aux juges, directement ou par le biais d’un avocat, les explications nécessaires concernant ces
conditions de recevabilité, constitue une violation manifeste du principe du libre accès à la justice et
du droit à la défense, prévus à l’article 21 et, respectivement, à l’article 24 alinéas (1) et (2) de la
Constitution de la Roumanie.»13
4.2. Des questions concernant l’identité et le fonctionnement des cours judiciaires
4.2.1. En se fondant sur l’interprétation systématique de la Constitution, la Cour
Constitutionnelle a délimité, même à partir de l’année 1994, l’activité judiciaire des tribunaux de celle
menée par les organes de juridiction administrative.
À cet égard, il est à rappeler, pour sa valeur de principe, la Décision n o 64/1994 de la
Cour Constitutionnelle, par laquelle il a été observé l’inconstitutionnalité de l’article 1 alinéa (1)
de la Loi no 94/1992 sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour des Comptes, dans la
partie qui définissait la Cour des Comptes comme représentant «l’organe suprême de la
juridiction dans le domaine financier». La Cour Constitutionnelle a statué que la nature juridique
de la juridiction financière, exercée par la Cour des Comptes, ne saurait qualifier l’institution en
tant qu’organe suprême, car cela impliquerait la placer parmi les tribunaux et au-dessus de la
Haute Cour de Cassation et de Justice, avec la conséquence de l’élimination de la possibilité que
les décisions rendues soient contestées devant la justice. Et, ce serait contraire non seulement aux
dispositions de l’article 21 de la Constitution concernant le libre accès à la justice, mais aussi à
celles incluses par l’article 125 de la Loi fondamentale (devenu, par la renumérotation, article
126), selon lesquelles la justice est rendue par la Haute Cour de Cassation et de Justice et par les
autres cours judiciaires, établies par la loi. En outre, l’activité judiciaire de la Cour des Comptes
n’est pas prévue au chapitre de la Constitution sur L’autorité judiciaire, mais au titre IV La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 2004-2006, Éditions C.H. Beck, 2007,
IIIe tome, p.475-479 et 519-523.
13
Ibidem, p. 417.
12
L’économie et les finances publique -, et les juges financiers ont un statut constitutionnel et
juridique différent par rapport aux juges actifs dans le système judiciaire. Il en résulte, il a été
souligné dans la décision de la Cour Constitutionnelle, que «la juridiction des tribunaux de la
Cour des Comptes est de nature administrative et non judiciaire» et se trouve «sous l’examen
juridictionnel du tribunal de contentieux administratif» et «le concept d’organe suprême, avec
renvoi à l’activité de la Cour des Comptes, est inconstitutionnel»14.
De même, par la Décision no 788 du 28 septembre 200715, la Cour Constitutionnelle a
jugé que ni le Conseil supérieur de la Magistrature n’était une cour judiciaire lorsque, en accord
avec l’article 134 alinéa (2) de la Constitution, « il remplit le rôle d’instance de jugement, par le
biais de ses sections, dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges et des
procureurs». Et dans ce cas, la Cour Constitutionnelle a jugé que l’article 126 de la Constitution
ne comptait pas le Conseil supérieur de la Magistrature parmi les cours judiciaires et que le statut
des membres du Conseil, en tant que tel, était différent de celui des juges, en leur qualité de
membres des cours judiciaires.
4.2.2. Dans un autre cas, réglé par la Décision n° 322/2001, il a été question de la
constitutionnalité de la participation à l’activité de jugement de certaines personnes n’ayant pas la
qualité de juge.
Ainsi, par l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement no 179/1999, ont été ajoutées à la
Loi sur l’organisation judiciaire n° 92/1992 les dispositions de l’article 17 alinéas 11-13, par
lesquelles il a été mis en place l’institution des assistants judiciaires, nommés par le ministre de la
Justice sur proposition du Conseil économique et social, dont le rôle était celui de membres des
jurys de jugement dans les causes regardant les conflits et les litiges de travail, en tant que
représentants des syndicats et des employeurs.
Par la décision citée, la Cour Constitutionnelle a observé que ces dites dispositions de loi
contrevenaient à l’article 1 alinéa (3), à l’article 51, à l’article 123, à l’article 124 et à l’article 125 de la
Constitution de la Roumanie. «En se fondant sur les textes constitutionnels mentionnés, il est souligné
dans la motivation de la décision, la Cour retient que la justice est, en exclusivité, une fonction de l’État,
qui, conformément à l’article 125 alinéa (1) de la Constitution [devenu, par la renumérotation, article
126 alinéa (1)], est exercée par la Cour suprême de Justice et par les autres instances judiciaires
légalement établies, en étant exclue la possibilité que l’activité de juridiction soit menée par d’autres
structures ou par d’autres personnes ou institutions privées. La Cour retient, également, que l’activité de
jugement est accomplie, au nom de la loi, exclusivement par les membres de ces instances, c’est-à-dire
par les juges, car c’est seulement au sujet de ceux-ci qu’il est proclamé, conformément à l’article 123
alinéa (2) de la Constitution, qu’ils sont indépendants et qu’ils ne sont soumis qu’à la loi. En
conséquence, il est exclu la possibilité d’attribuer le pouvoir de jugement, de dire le droit, à d’autres
personnes qu’aux juges.»16
4.2.3. Dans deux causes, la Cour Constitutionnelle a été saisie du contrôle de la
constitutionnalité visant certaines règles juridiques qui prévoyaient la possibilité de censurer des
décisions judiciaires rendues par des organes de l’administration publique.
Ainsi, par la Décision n° 127/2003, la Cour a constaté l’inconstitutionnalité des
dispositions de l’article 1 alinéa (2) de l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement n o 13/2001 sur
la solution des contestations dirigées contre les mesures ordonnées par les actes de contrôle ou de
fiscalité signés par le Ministère des Finances publiques, dispositions par lesquelles les organes du
ministère cité étaient autorisés de trouver une issue aussi, entre autres choses, aux plaintes contre
la manière d’établir, par les décisions des instances judiciaires, la taxe judiciaire de timbre. 17 De
même, par la Décision no 233/2003, la Cour a tranché l’inconstitutionnalité des prévisions de
l’article 18 alinéa (2) de la Loi no 146/1997 sur les taxes judiciaires de timbre, qui disposaient que
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1992-1998, Éditions C.H. Beck, 2007,
premier tome, p. 428-436.
15
Le Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie, Partie Ire, le 2 novembre 2007, p. 7-9.
16
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1999-2003, Éditions C.H. Beck, 2007,
second tome, p. 437.
17
Ibidem, p.543-548.
14
«en vertu des dispositions applicables en matière fiscale, il existe la possibilité de faire appel à la
justice contre la manière dont la taxe judiciaire de timbre a été établie», à savoir, aux organes du
Ministère des Finances.18
En argumentant ces décisions, la Cour Constitutionnelle a retenu que les dispositions
légales mentionnées étaient contraires à l’article 125, alinéa (1) de la Constitution [devenu, par la
renumérotation, article 126 alinéa (1)] et au principe visant la séparation des pouvoirs à l’intérieur
de l’État.
4.3. Questions portant sur le Ministère Public et les statuts des procureurs
En Roumanie, le Ministère Public a un statut constitutionnel, étant régi par la Loi
fondamentale dans le chapitre titré L’autorité judiciaire à côté des cours judiciaires et du Conseil
supérieur de la Magistrature.
Selon l’article 131 alinéa (1) de la Constitution, «Dans l'activité judiciaire, le Ministère
Public représente les intérêts généraux de la société et défend l’ordre de droit, ainsi que les droits
et les libertés des citoyens». Conformément à l’article 134 de la Constitution, un nombre de 5
procureurs et le procureur général du Parquet auprès de la Haute Cour de Cassation et de Justice
sont membres du Conseil supérieur de la Magistrature.
Malgré cette qualification constitutionnelle du Ministère Public, la nature juridique de
l’institution a été et demeure controversée. L’opinion selon laquelle le Ministère Public fait partie
de l’autorité judiciaire est complètement isolée19, le point de vue visant l’appartenance des
procureurs au pouvoir exécutif étant quasi unanime20. Reflet de la doctrine traditionnelle, ce point
de vue trouve également un soutien normatif dans le texte, non pas sans ambiguïté, de l’article
132 alinéa (1) de la Constitution, aux termes duquel «Les procureurs exercent leur activité
conformément aux principes de la légalité, de l’impartialité et du contrôle hiérarchique, sous
l'autorité du ministre de la justice.»
La fermeté doctrinale, censée caractériser le Ministère Public en tant qu’organe du
pouvoir exécutif, et l’ambiguïté de réglementation citée se sont, parfois, reflétées aussi dans la
législation, par les dispositions de loi de nature à établir un statut des magistrats procureurs,
inférieur à celui des magistrats juges ou à restreindre les prérogatives courantes des procureurs. À
plusieurs reprises, la Cour Constitutionnelle a été appelée à introduire dans l’ordre constitutionnel
la réglementation relative au statut du Ministère Public et à l’activité des procureurs. Je
rappellerai, pour la valeur de principe des considérations sur lesquelles elles s’appuient,
seulement deux décisions.
4.3.1. Par la Décision no 345/200621, la Cour Constitutionnelle a observé
l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article 64 alinéa (3) de la Loi n o 304/2004 sur
l’organisation judiciaire, en vertu duquel «Les solutions adoptées par le procureur
peuvent être invalidées, avec des arguments bien fondés, par le procureur
hiérarchiquement supérieur, lorsqu’elles sont estimées comme illégales. La mesure de la
réfutation est soumise au contrôle de la cour compétente de juger la cause sur le fond, sur
la demande du procureur ayant adopté la solution.» Voilà les considérants de la décision:
«En vertu de l’article 132 alinéa (1) de la Constitution de la Roumanie, les
procureurs mènent leur activité conformément au principe de la légalité, de
l’impartialité et du contrôle hiérarchique.
18
Ibidem, p.577-582.
Voir Nicolae Cochinescu, « Tout sur le Ministère Public », Éditions Lumina Lex, 2000, p. 63-81.
20
Voir Ioan Vida, «La Constitution de la Roumanie, commentée et annotée», la Régie Autonome
« Monitorul Oficial», Bucarest, 1992, p.288; Ioan Muraru, «La Constitution de la Roumanie révisée »,
Éditions All Beck, 2004, p.277.
21
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 2004-2006, Éditions C.H. Beck, 2007,
IIIe tome, p.494-498.
19
De ces trois principes, qui se trouvent à la base de l’activité des procureurs, le
principe de l’impartialité, applicable aussi aux juges, par la nature de l’activité de
juridiction exercée par ceux-ci, découle de l’appartenance des procureurs à l’autorité
judiciaire et du rôle du Ministère Public, institué par l’article 131 alinéa (1) de la
Constitution, de représenter dans l’activité judiciaire, les intérêts généraux de la société et pas
uniquement les intérêts de certaines personnes ou catégories de personnes – l’État, les
autorités publiques, d’autres personnes, les personnes physiques.
Le principe de la légalité est, en conformité avec la signification attribuée par
la Loi fondamentale, spécifique à l’activité des procureurs, lesquels, en vertu de ce
principe, sont tenus dans l’exercice de leurs compétences, prévues par la loi, de
respecter, forcément, les dispositions impératives de la loi, sans être en mesure
d’agir en se fondant sur des critères d’opportunité, soit qu’il y est question de
mesures ou de choix concernant les procédures. Ainsi, en agissant au nom du principe
de la légalité, le procureur ne peut ni refuser l’engagement d’une procédure pénale ou le
commencement de l’action pénale dans d’autres affaires que celles exigées par la loi et il
n’a ni le droit de demander à l’instance de jugement l’acquittement d’un défendeur
coupable d’avoir commis une infraction, sur le motif que des intérêts politiques,
économiques, sociaux ou d’autre nature rendent inopportune la condamnation de celui-ci.
Comme une garantie de l’observation par les procureurs de ces dits principes
dans leur travail, la Constitution a consacré aussi le principe de l’unité d’action des
membres du Ministère Public, sous la forme du contrôle hiérarchique.
Par l’application du principe du contrôle hiérarchique, il est assuré l’exercice, par
tous les procureurs du système appartenant au Ministère Public, de leur fonction
susceptible de représenter les intérêts de la société, in toto, c’est à dire, d’organe de la loi,
en absence de toute discrimination et sans parti pris. En vertu de ce principe, le Ministère
Public est conçu comme un système pyramidal, les mesures d’application de la loi,
adoptées par le procureur hiérarchiquement supérieur, devant être obligatoires pour les
procureurs en subordination.
La Cour Constitutionnelle voit que la disposition englobée par l’article 64 alinéa
(3) de la Loi sur l’organisation judiciaire no 304/2004, par lequel il est établi le contrôle
judiciaire envers la mesure relative à la récusation de la solution retenue par le procureur,
sur demande du procureur ayant adopté la solution invalidée, contrevient, distinctement,
au principe du contrôle hiérarchique énoncé dans l’article 132 alinéa (1) de la
Constitution. En étant contraire au texte constitutionnel mentionné, la disposition
analysée n’est justifiée par aucune autre norme de la loi fondamentale ou des instruments
directifs internationaux portant sur les droits de l’homme, auxquels la Roumanie se
constitue en partie.
Par la création du contrôle judiciaire stipulé par le texte légal cité, il est aboli,
en effet, le contrôle hiérarchique prévu par la Constitution et il est transféré la
compétence relative au contrôle à la tâche des cours judiciaires, en dehors de leurs
pouvoirs habituels - prévus à l’article 6 alinéa (1) de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et dans les lois internes – soit de trouver
une issue aux requêtes des personnes physiques visant la violation des droits subjectifs et
de leurs intérêts légitimes.
À cet égard, la Cour Constitutionnelle constate que, porter devant la justice la
mesure relative à l’invalidation par le procureur hiérarchiquement supérieur de la solution
retenue dans une affaire, le procureur - auteur de la dite solution ne défend pas un droit
subjectif personnel, car il ne représente pas une partie dans l’affaire qu’il doit solutionner,
mais l’autorité compétente d’instruire et de résoudre l’affaire.»
4.3.2. La seconde décision que je me suis proposé de citer c’est la Décision de la
Cour Constitutionnelle no 866/200622, laquelle concerne la relation entre le statut
juridique des procureurs et le statut des juges.
La Cour Constitutionnelle a été saisie de l’exception d’inconstitutionnalité des
dispositions de l’article 52 alinéa (1) de la Loi no 303/2004 sur le statut des juges et des
procureurs, en conformité avec lesquelles «La promotion dans la fonction de juge à la
Haute Cour de Cassation et de Justice est faite par le Conseil supérieur de la
Magistrature, des rangs des personnes qui ont rempli la fonction de juge les 2 dernières
années aux tribunaux ou aux cours d’appel, ont obtenu le qualificatif de "très bien" à la
dernière évaluation, ne furent pas sanctionnées disciplinairement, se sont remarquées
dans l’activité professionnelle et ont une ancienneté dans la fonction de juge ou de
procureur de 12 ans au moins.»
Par la décision citée, la Cour Constitutionnelle a jugé que ces dispositions légales
étaient contraires à la Constitution, pour les raisons suivantes :
«Le Ministère Public a été institué, par les articles 131 et 132 de la Constitution
de la Roumanie, comme une magistrature composante de l’autorité judiciaire, avec le
rôle de représenter dans l’activité judiciaire les intérêts généraux de la société et de
défendre l’ordre de droit, ainsi que les droits et les libertés des citoyens.
Les procureurs ont, tout comme les juges, un statut constitutionnel de
magistrats, prévu expressément aux articles 133 et 134 de la Loi fondamentale. Ainsi,
conformément à l’article 133 alinéa (2) lettre a) de la Constitution, le Conseil supérieur
de la Magistrature est composé de deux sections, l’une de 9 juges et la deuxième de 5
procureurs, élus, les uns et les autres, dans les assemblées générales des magistrats.
Dans le même sens, la Cour Constitutionnelle retient que les procureurs sont
nommés en fonction, ainsi que les juges, sur proposition du Conseil supérieur de la
Magistrature et que ledit organe de l’autorité judiciaire remplit le rôle d’instance de
jugement dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs.
Enfin, la Cour constate que le statut juridique constitutionnel des procureurs est
identique à celui des juges, en ce qui concerne les incompatibilités, établies dans les
mêmes termes, à l’article 125 alinéa (3) et, respectivement, à l’article 132 alinéa (2),
conformément auxquels la fonction de procureur, ainsi que celle de juge, est incompatible
avec toute autre fonction publique ou privée, exception faisant les fonctions
pédagogiques de l’enseignement supérieur.
En appliquant les principes constitutionnels évoqués, le législateur a établi, par la
Loi nº 303 du 28 juin 2004 relative au statut des juges et des procureurs, des normes
identiques ou similaires relatives aux incompatibilités ou aux interdictions applicables
aux fonctions de procureur et de juge, l’admission en magistrature et la formation
professionnelle des juges et des procureurs, la nomination des juges et des procureurs,
l’accès des procureurs à la fonction de juge et des juges à la fonction de procureur, les
droits et les obligations des juges et des procureurs, la responsabilité juridique de ceux-ci.
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 2004-2006, Éditions C.H. Beck, 2007,
IIIe tome, p. 524-529.
22
Concernant les dispositions de l’article 52 alinéa (1) de la Loi nº 303 du 28
juin 2004 relative au statut des juges et des procureurs, lequel fait l’objet de
l’exception d’inconstitutionnalité, la Cour Constitutionnelle constate que ces dispositions
ne tiennent pas compte du statut de magistrat des procureurs et méconnaissent le principe
de l’égalité en droits prévu à l’article 16 alinéa (1) de la Constitution, en raison du
traitement discriminatoire, qui est imposé à ces personnes afin de promouvoir au rang de
juge à la Haute Cour de Cassation et de Justice.
Ainsi, en établissant pour la promotion à la fonction de juge à la Haute Cour de
Cassation et de Justice la condition d’ancienneté de 12 ans en fonction de juge ou de
procureur, le texte de loi analysé ajoute la condition d’exercer les 2 dernières années la
fonction de juge dans les tribunaux ou dans les cours d’appel. L’effet de cette dernière
condition est celui d’admettre seulement la promotion des magistrats juges et
d’exclure la possibilité de promouvoir les magistrats procureurs.
[…] l’exigence de remplir la fonction de juge pendant les deux dernières années
et, implicitement, à la date de la demande de promotion, aussi, constitue une rupture
injustifiée de l’équilibre au sein des deux catégories de magistrats ou, tel que déjà montré,
une discrimination contraire à la Constitution.»
5. En guise de conclusions, une évaluation quantitative de la contribution de la
Cour Constitutionnelle à la constitutionalisation du droit.
Jusqu’au 31 décembre 2009, la Cour a rendu 314 décisions, par lesquelles elle a
observé l’inconstitutionnalité totale ou partielle de certaines lois et d’autres actes
normatifs ayant une force de loi, dont 62 décisions lors du contrôle effectué avant la
promulgation des lois et 252 décisions lors du contrôle a posteriori, les exceptions
d’inconstitutionnalités étant résolues. Les décisions relatives à l’organisation et au
fonctionnement du système judiciaire représentent uniquement une partie de celles-ci.
Il s’impose, également, de préciser que l’activité de légalisation, accomplie par la
Cour Constitutionnelle, a été efficace, car, toutes les dispositions légales déclarées
inconstitutionnelles ont été écartées de la législation ou, selon le cas, appliquées, par la
suite, avec la signification conforme à la Constitution, en accord avec l’avis de la Cour.
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