La constitutionalisation des normes réglementant
le système judiciaire en Roumanie
Nicolae COCHINESCU
Juge à la Cour Constitutionnelle de la Roumanie
1. La constitutionalisation du droit
Le concept relatif à la légalisation du droit découle du principe de la primauté de
la Constitution, conformément auquel les règles établies par la Loi fondamentale ont une
force juridique supérieure et elles s’imposent à toutes les autres normes juridiques,
classées, selon le schéma imaginé par Hans Kelsen, dans un système pyramidal.
1.1. La constitutionalisation du droit par l’augmentation des normes
constitutionnelles
Engendrées et nourries par la réalisociale et politique, ces règles ne sont,
éternellement limitées, ni quantitativement, ni qualitativement, elles peuvent changer et
s’enrichir par de nouvelles règles, existant avec des statuts de normes et de principes
fondamentaux dans d’autres branches du droit, par des règles tirées de la jurisprudence
de la Cour Constitutionnelle ou, tout simplement, par des règles imposées par un
moment historique donné.
Vu cette dynamique des règles constitutionnelles, la notion de
constitutionalisation du droit est comprise comme un processus «
d’augmentation quantitative des normes constitutionnelles ». Dans la littérature
juridique, il est mentionné, à cet égard, «le principe de la non-rétroactivité de la loi, la
présomption d’innocence ou la bonne foi dans l’exercice des droits et des libertés, des
règles et des principes qui existaient dans le système juridique roumain elles étaient
attestées et n’avaient pas de force juridique constitutionnelle».
1
La constitutionalisation du droit par l’augmentation des normes constitutionnelles
implique l’activité des facteurs compétents pour initier et mener à bien la révision de la
Constitution - prévus à l’article 150 et à l’article 151 de la Constitution de la Roumanie
ainsi que l’activi juridictionnelle de la Cour Constitutionnelle. À cet égard, un bon
exemple est fourni par la révision de la Constitution de la Roumanie par la Loi no
429/2003, approuvée par le férendum national du 18-19 novembre 2003. Voici
quelques règles et principes concernant la justice et l’activité des organes judiciaires,
introduits dans la Constitution à l’occasion de la révision:
par l’article 1 alinéa (4), il a été consacré le principe de la séparation des
pouvoirs dans les termes suivants: «L’État est organisé conformément au principe de la
séparation et de l’équilibre des pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - dans le cadre
de la démocratie constitutionnelle.» Le principe n’avait pas été expressément formulé
lorsque la Constitution a été adoptée, en 1991, mais, en revanche, il avait acquiert une
expression législative par l’article 1 de la Loi no 92/1992 sur l’organisation judiciaire, qui
prévoyait que «e pouvoir judiciaire est séparé des autres pouvoirs de l’État [...] »;
1 Ioan Muraru, Elena Simina Tănăsescu, Droit constitutionnel et institutions politiques, I tome, Éditions All
Beck, 2003, p.80.
l’article 21 sur l’accès libre à la justice a été complété par un alinéa (3), lequel a
consacré le droit à un procès équitable et le principe de la solution des causes dans un
délai raisonnable, et par un autre alinéa (4), par lequel il a été établi le caractère
facultatif et gratuit des juridictions administratives ;
à l’article 123 (devenu, comme suite de la renumérotation, article 124), il a été
inséré un nouvel alinéa, par lequel ont été entérinés, constitutionnellement, les principes
de l’unicité, de l’impartialité et de l’égalité de la justice ;
à l’article 132 (devenu, après la renumérotation, article 133) portant sur le rôle
et la structure du Conseil Supérieur de la Magistrature, il a été jugé que cette institution
de l’autorité judiciaire «est le garant de l’indépendance de la justice», en étant aussi
prévus les pouvoirs spécifiques par lesquels le dit conseil remplit cette fonction.
1.2. La constitutionalisation du droit comme suite de l’adaptation de la
législation aux règles et aux principes de la Constitution
Du principe de la primauté de la Constitution, il découle pour le législateur
ordinaire une double obligation, id est celle d’adopter des règles générales conformes à
la Constitution et celle d’abroger les actes normatifs à force de loi contraires à la
Constitution.
On pourrait en dégager un deuxième sens du terme de galisation du droit, à
savoir celui portant sur l’accomplissement de la concordance entre le système de
réglementation subordonné à la Constitution et les règles établies par la
Constitution.
La constitutionalisation du droit, comprise dans ce second sens, ne peut
être, toutefois, réalisée en l’absence de l’existence de certains systèmes de
contrôle vis-à-vis de la constitutionnalité des lois et de garantie envers la
suprématie de la Constitution. En Roumanie, le problème a été résolu par la
création de la Cour Constitutionnelle et par son investissement d’agir en tant que
«garant de la suprématie de la Constitution » - l’article 142 alinéa (1) de la
Constitution ainsi que d’avoir la compétence d’exercer un contrôle sur la
constitutionnalité des actes normatifs ayant force de loi. Cette prérogative de la
Cour est prévue à l’article 146 lettres a), b) et d) de la Loi fondamentale, dans les
termes suivants :
«La Cour Constitutionnelle a les attributions suivantes: a) elle se prononce
sur la constitutionnalité des lois, avant leur promulgation, sur saisine du Président de
la Roumanie, du psident de l’une des deux Chambres, du Gouvernement, de la
Haute Cour de Cassation et de Justice, de l’Avocat du Peuple, de 50 putés au
moins ou de 25 sénateurs au moins, ainsi que d’office, sur les initiatives de révision
de la Constitution; b) elle se prononce sur la constitutionnalité des traités ou des
autres accords internationaux, sur saisine du président de l’une des deux
Chambres, de 50 dépus au moins ou de 25 sénateurs au moins; d) elle cide
des exceptions sur l’inconstitutionnali des lois et des ordonnances, soulevées
devant les instances judiciaires ou d’arbitrage commercial; l’exception
d’inconstitutionnalité peut être directement soulevée par lAvocat du Peuple ;[…] »
1.3. La situation de la législation antérieure
Durant le processus de transition du régime communiste au système
démocratique, juridiquement consacré par la Constitution de la Roumanie de
1991, il a été aussi soulevé la question de la survie de la législation antérieure et
du contrôle de sa conformité avec la nouvelle Loi fondamentale.
Ainsi comme on le sait, l’abrogation d’une constitution n’engendre pas,
immédiatement et automatiquement, l’effondrement de tout le système juridique,
lequel, en partie, demeure en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle constitution soit
adoptée, et même après, dans la mesure il est compatible avec les règles et
les principes de celle-ci.
2
En Roumanie, la dernière constitution, adoptée sous le gouvernement
communiste, celle de l’année 1965, a été formellement et totalement abrogée par
l’article 149 de la Constitution de 1991 (devenu, comme suite de la nouvelle
numérotation, après la révision de la Constitution, article 153). En partie, respectivement
dans les sections visant les principes de l’organisation de l’État, la structure et la
compétence des institutions de l’État, la Constitution de 1965 avait été, implicitement,
abrogée ou modifiée par les actes normatifs à contenu organique adoptés par les
organes du pouvoir instauré sur la voie révolutionnaire, durant la troisième décade de
décembre 1989, par les actes des organes représentant le pouvoir ultérieurement créé,
par l’intermédiaire de la négociation, par les partis politiques démocratiques, récrés ou
de fraîche date, ainsi que par les actes normatifs adoptés par le Parlement résulté à la
suite des élections de mai 1990. En outre, quelques autres actes normatifs adoptés lors
de l’ancien régime sont devenus inefficaces, aussi. Pourtant, la plupart des lois de droit
privé, adoptées en vertu de la Constitution de 1965, des autres constitutions datant de
l’époque du gouvernement communiste ou même en vertu des constitutions antérieures,
étaient encore en vigueur. Ainsi, on a continué d’appliquer le Code civil et le Code de
procédure civile, adoptés en vertu de la Constitution de 1864 et amendés, par la suite,
sous toutes les autres constitutions, le Code de la famille, adopté en 1954, le Code du
travail, adopté en 1972. Il a existé aussi une continuation quant à l’application d’actes
normatifs de droit public, tel que le Code pénal et le Code de procédure pénale, adoptés
en 1969. Il s’y agit uniquement de quelques exemples…
En ce qui concerne ces actes normatifs, la Constitution de la Roumanie de
l’année 1991 a réglé, par l’article 150 alinéa (1), «qu’ils resteront en vigueur tant qu’ils
ne contreviennent pas à la présente Constitution». À la fois, par l’alinéa (2) dudit article,
il incombe au Conseil législatif de réviser, dans les 12 mois à compter de la date
d’entrée en vigueur de la loi relative à son organisation, la conformité de la législation
par rapport à la Constitution et «d’avancer au Parlement ou, le cas échéant, au
Gouvernement des propositions adéquates ». Par ces dispositions de la Constitution de
1991, il a été octroyé, aussi, au Conseil législatif un pouvoir de contrôle constitutionnel,
limité, durant un laps de temps déterminé, ayant un objet précis et un but spécifique
celui de saisir les autorités compétentes pour qu’elles décident d’abroger les actes
normatifs contraires à la Constitution. La Loi no 73/1993 pour la création, l’organisation
et le fonctionnement du Conseil législatif est entrée en vigueur le 5 novembre 1993,
après sa publication au Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie. Ainsi qu’il a
été prévu, compte tenu du volume considérable de textes législatifs susceptibles d’être
analysés, il a été impossible d’examiner en entier l’héritage législatif et de le clarifier
dans les conditions stipulées par l’article 150 alinéa (1) de la Constitution. En outre, en
établissant le principe de l’abrogation des lois et de tous les autres actes normatifs visés
par le texte constitutionnel cité, la Loi fondamentale n’a prévu pas de procédures de
transition par lesquelles ait été jugée leur inconstitutionnalité et soit réalisée leur
élimination de l’ordre normatif, lors du laps de temps situé entre l’entrée en vigueur de la
Constitution et l’entrée dans l’exercice de ses pouvoirs du Conseil législatif. Avant la
création de la Cour Constitutionnelle, la question devait être résolue par les cours
judiciaires, avec des effets inter partes, en se fondant sur le principe de la suprématie de
la Constitution et sur les règles visant la succession des lois à travers le temps. À
2
Voir à cet égard, Philippe Ardant, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 17e édition, L.G.D.J.,
2005, p.92.
plusieurs reprises, la Cour Constitutionnelle a jugé dans le sens de son adhésion à la
présente solution. Ainsi, dans les considérants de la Décision no 32 du 26 mai 1993
donc, avant la création du Conseil législatif la Cour Constitutionnelle a retenu que «la
juridiction de droit commun a non seulement le droit, mais aussi l’obligation de décider si
le texte de la loi dont l’application doit être faite est encore en vigueur ou non. Cela
implique le fait qu’elle doive statuer sur la circonstance si le texte en question a été
abrogé ou non, explicitement ou implicitement».
3
Mais, lorsque la cour judiciaire n’a pas
statué ou elle a trouvé que le texte ne contrevenait pas à la Constitution et il est resté,
donc, en vigueur, la Cour Constitutionnelle a décidé qu’elle avait la compétence de
résoudre la question lors du contrôle exercé comme suite de sa saisine par la voie de
l’exception d’inconstitutionnalité. À cet égard, dans une affaire jugée par la Décision no 1
du 12 janvier 1993, la Cour a conclut que «la constatation de l’incidence de l’article 150,
alinéa (1) de la Constitution relève de la compétence de la Cour Constitutionnelle, du
moment que l’instance de jugement ne s’est pas prononcée sur le fait si les décrets
attaqués, antérieurs à l’entrée en vigueur de la Constitution, contreviennent ou non à
celle-ci; sinon, cela signifierait que la Cour elle-même admet l’applicabilité de
textes contraires à la Constitution».
4
En guise de conclusions, il a incombé à la Cour Constitutionnelle - dans
l’exercice de sa prérogative relative au contrôle a posteriori de la constitutionnalides
lois, prévue à l’article 146 lettre d) de la Constitution - la mission de l’assainissement de
la législation antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1991.
5
Par ce qui s’en suit, je me suis proposé de présenter quelques données et
réflexions sur les statuts constitutionnels du système judiciaire en Roumanie et sur la
contribution de la Cour Constitutionnelle à la légalisation des actes normatifs censés
réglementer lorganisation et le fonctionnement de l’autorité judiciaire, ainsi qu’à celle
d’autres actes concernant l’administration de la justice.
2. Les statuts constitutionnels du pouvoir judiciaire en Roumanie
Après la chute du régime communiste, le 22 décembre 1989, dans les conditions
de la restructuration globale des institutions de l’État, la nécessité de la réforme visant la
sphère judiciaire s’imposait. Il s’agissait d’une vérité axiomatique, soit que les vieilles
autorités judiciaires, conçues pour servir un type de régime étatique totalitaire, fondées
sur le principe du gouvernement de la société, en ensemble, par le parti unique, ne
satisfaisaient pas aux exigences de l’État de droit démocratique, créé par la Révolution.
Les cours judiciaires et l’Office du procureur général ont continué, cependant, de
fonctionner, en se fondant sur les anciennes lois organiques, adaptées, bien sûr, à la
nouvelle réalité, jusqu’à la mise en application des lois relatives à l’organisation
judiciaire, adoptées conformément à la Constitution de la Roumanie de 1991. Il a été,
ainsi, obtenu un répit d’observation et de réflexion sur la manière dont la justice
fonctionnait dans le système démocratique, insuffisant pour une recherche systématique
et approfondie, mais extrêmement fertile pour formuler les orientations nécessaires à la
réforme judiciaire et pour élaborer les premières étapes de cette réforme.
La Constitution de la Roumanie de 1991 a ouvert la voie d’une profonde réforme
du système judiciaire, par la consécration des principes généraux de l’État de droit
l’obligation d’observer la Constitution, sa suprématie et les lois, la séparation des
pouvoirs à l’intérieur de l’État et l’accès libre à la justice ainsi que par l’établissement
des règles primordiales régissant l’organisation et le fonctionnement de la justice.
3
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1992-1998, Éditions C.H. Beck, 2007,
p.319
4
Ibidem, p.304.
5
Voir à cet égard, Prof. Dr Ioan Vida, Président de la Cour Constitutionnelle, Avant-propos à l’ouvrage cité,
p.XXIX.
Les normes fondamentales de l’organisation et du fonctionnement de la justice,
établies par la Constitution de 1991, représentent des critères de développement du
système judiciaire en Roumanie et, aussi, des limites de la réforme dans ce domaine.
Les principales règles d’organisation et de fonctionnement du pouvoir judiciaire,
énoncées au chapitre VI de la Constitution, titré L’autorité judiciaire, sont les suivantes:
a) l’autorité judiciaire est formée: des tribunaux, du Ministère Public et du Conseil
supérieur de la Magistrature; cette composition ne pourra être ni augmentée, par la loi,
ni diminuée;
b) la création d’instances extraordinaires est interdite; la justice est exercée par
la Haute Cour de Cassation et de Justice et par les autres instances judiciaires établies
par la loi;
c) les séances des instances judiciaires sont publiques et la procédure judiciaire
se déroule en langue roumaine;
d) les juges sont inamovibles, indépendants et ils ne se soumettent qu’à la loi; e)
dans l’activité judiciaire, le Ministère Public représente les intérêts généraux de la
société; les procureurs mènent leur activité suivant les principes de la légalité, de
l’impartialité et du contrôle hiérarchique;
f) les fonctions de procureur et de juge sont incompatibles avec toute autre
fonction publique ou privée, exception faite des fonctions dagogiques de
l’enseignement supérieur.
3. La constitutionalisation de la législation judiciaire
Par la Loi sur l’organisation judiciaire no 92/1992 et par l’ensemble des lois de
procédure consécutives à la Constitution de 1991, les changements suivants se sont
produits, dans le système judiciaire:
a) il a été ré-établi le système des cours d’appel, lesquelles avaient été dissoutes
en 1952;
b) il a été aboli l’institution de la Procurature qui, conformément à la Constitution
de 1965, remplissait une fonction distincte dans le cadre de l’État, celle d’assurer le
respect de la légalité, et il a été créé le Ministère Public, institution de l’autorité judiciaire;
c) il a été mis en place le Conseil supérieur de la Magistrature, organe avec des
compétences décisives quant à la nomination des juges et des procureurs, à
l’avancement, au transfert et à la responsabilité disciplinaire des magistrats;
d) il a été établi l’inamovibilité des juges et la stabilité des procureurs;
e) il a été réintroduit dans le procès pénal et civil l’appel, en tant qu’un deuxième
degré de juridiction;
f) il a été aboli le recours extraordinaire, tant dans le procès civil que dans celui
pénal. Après la révision de la Constitution de la Roumanie, réalisée en décembre 2003,
la Loi sur l’organisation judiciaire n° 92/1992 a été abrogée en 2004, en étant remplacée
par la Loi no 303 sur les statuts des juges et des procureurs, la Loi no 304 pour
l’organisation judiciaire, les deux datant du 28 juin 2004, et la Loi no 317 du 1er juillet
2004 concernant le Conseil supérieur de la Magistrature. Un an plus tard, les trois lois
ont été modifiées par la Loi no 247/2005 sur la forme dans les sphères de la propriété
et de la justice.
On peut parler, en Roumanie, dune réforme judiciaire soutenue,
caractérisée par l’approfondissement progressif des règles d’organisation des
institutions représentant le pouvoir judiciaire et des règles de procédure judiciaire
par rapport aux normes et aux principes de la Constitution et, notamment, aux
règles fixées par les pactes et les traités internationaux auxquels la Roumanie est
partie. Ce processus se déroule en deux directions, l’une législative - comme je l’ai noté
plus haut - et l’autre, liée à la jurisprudence, par les décisions rendues par la Cour
Constitutionnelle dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité, exercé par celle-ci.
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