Nicolae Cochinescu

publicité
La légalisation des normes réglementant le système judiciaire en
Roumanie
Nicolae Cochinescu
Juge à la Cour Constitutionnelle de la Roumanie
1. La légalisation du droit
Le concept relatif à la légalisation du droit découle du principe de la
primauté de la Constitution, conformément auquel, les règles établies par la
Loi fondamentale ont une force juridique supérieure et elles s’imposent à
toutes les autres normes juridiques, classées, selon le schéma imaginé par
Hans Kelsen, dans un système pyramidal.
1.1 La légalisation du droit par l’augmentation des normes
constitutionnelles
Engendrées et nourries par la réalité sociale et politique, ces règles ne
sont, éternellement, limitées, ni quantitativement, ni qualitativement, elles
peuvent changer et s’enrichir par de nouvelles règles, existant avec des
statuts de normes et de principes dans d’autres branches du droit, par des
règles tirées de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle ou, tout
simplement, par des règles imposées par un moment historique donné.
Vu cette dynamique des règles constitutionnelles, la notion de légalisation
du droit est comprise comme un processus « d’augmentation quantitative des
normes constitutionnelles ». Dans la littérature juridique, il est mentionné, à
cet égard, le principe de la non-rétroactivité de la loi, la présomption
d’innocence ou la bonne foi dans l’exercice des droits et des libertés, des
règles et des principes qui existaient dans le système juridique roumain où
elles n’étaient pas attestées et n’avaient pas de force juridique
constitutionnelle. »1
La légalisation du droit constitutionnel par l’augmentation des normes
constitutionnelles implique l’activité des facteurs compétents pour initier et
mener à bien la révision de la Constitution - prévus à l’article 150 et à
l’article 151 de la Constitution de la Roumanie – ainsi que l’activité
juridictionnelle de la Cour Constitutionnelle. A cet égard, un bon exemple,
est fourni par la révision de la Constitution de la Roumanie par la Loi no
429/2003, approuvée par le référendum national du 18-19 novembre 2003.
Ioan Muraru, Elena Simina Tănăsescu, Droit constitutionnel et institutions politiques, I tome, les
Editions All Beck, 2003, p.80
Voici quelques règles et principes concernant la justice et l’activité
des organes judiciaires, introduits dans la Constitution, à l’occasion de la
révision :
 Par l’article 1 alinéa (4), il a été consacré le principe de la
séparation des pouvoirs dans les termes suivants: « L’État est
organisé conformément au principe de la séparation et de
l’équilibre des pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - dans le
cadre de la démocratie constitutionnelle ». Le principe n’avait pas
été expressément formulé lorsque la Constitution a été adoptée,
en 1991, mais, en revanche, il avait acquiert une expression
législative par l’article 1 de la Loi no 92/1992 sur l’organisation
judiciaire, qui prévoyait que « le pouvoir judiciaire est séparé des
autres pouvoirs de l’Etat. »
 L’article 21 sur l’accès libre à la justice a été complété par un
alinéa (3), lequel a consacré « le droit à un procès équitable et le
principe de la solution des causes dans un délai raisonnable, et
par un autre alinéa (4), par lequel a été établi le caractère
facultatif et gratuit des juridictions administratives.
 A l’article 123 (devenu, comme suite de la renumérotation, 124),
a été inséré un nouvel alinéa, par lequel ont été entérinés,
constitutionnellement, les principes de l’unicité, de l’impartialité
et de l’égalité de la justice.
 A l’article 132 (après la renumérotation, article 133) portant sur le
rôle et la structure du Conseil Supérieur de la Magistrature, il a
été jugé que cette institution de l’autorité judiciaire « est le garant
de l’indépendance de la justice », en étant aussi prévus les
pouvoirs spécifiques par lesquels le dit conseil remplit cette
fonction.
1.2. La légalisation du droit comme suite de l’adaptation de la
législation aux règles et aux principes de la Constitution
Du principe de la primauté de la Constitution, il découle pour le
législateur ordinaire, une double obligation, id est, celle d’adopter des règles
générales, conformes à la Constitution, et d’abroger les actes normatifs à
force de loi, contraires à la Constitution.
On pourrait en dégager un deuxième sens du terme de légalisation du
droit, à savoir, celui portant sur l’accomplissement de la concordance entre
le système de réglementation subordonné à la Constitution et les règles
établies par la Constitution.
2
La légalisation du droit, comprise dans ce second sens, ne peut être,
toutefois, réalisée, en l’absence de l’existence de certains systèmes de
contrôle vis-à-vis de la constitutionnalité des lois et de garantie envers la
suprématie de la Constitution. En Roumanie, le problème a été résolu par la
création de la Cour Constitutionnelle et par son investissement d’agir en tant
que « garant de la suprématie de la Constitution » - l’art 142 alinéa (1) de la
Constitution – ainsi que d’avoir la compétence d’exercer un contrôle sur la
constitutionnalité des actes normatifs ayant force de loi. Cette prérogative de
la Cour est prévue à l’article 146 lettres a), b) et d) de la Loi fondamentale,
dans les termes suivants:
« La Cour Constitutionnelle a les attributions suivantes: a) elle se
prononce sur la constitutionnalité des lois, avant leur promulgation, sur
saisine du Président de la Roumanie, du président de l’une des Chambres,
du Gouvernement, de la Haute Cour de Cassation et de Justice, de l’Avocat
du Peuple, de 50 députés au moins ou de 25 sénateurs au moins, ainsi que
d’office, sur les initiatives de révision de la Constitution; b) elle se prononce
sur la constitutionnalité des traités ou des autres accords internationaux,
sur saisine du président de l’une des deux Chambres, de 50 députés au
moins ou de 25 sénateurs au moins; c) se prononce sur la constitutionnalité
des règlements du Parlement, sur saisine du président de l’une des
Chambres, d’un groupe parlementaire ou de 50 députés au moins ou 25
sénateurs au moins; d) elle décide des exceptions sur l’inconstitutionnalité
des lois et des ordonnances, soulevées devant les instances judiciaires ou
d’arbitrage commercial ; l’exception d’inconstitutionnalité peut être
directement soulevée par l’Avocat du Peuple ».
1.3. La situation de la législation antérieure
Durant le processus de transition du régime communiste au système
démocratique, juridiquement consacré par la Constitution de la Roumanie de
1991, il a été aussi soulevé la question de la survie de la législation
antérieure et du contrôle de sa conformité avec la nouvelle Loi
fondamentale.
Ainsi comme on le sait, l’abrogation d’une constitution n’engendre
pas, immédiatement et automatiquement, l’effondrement de tout le système
juridique, lequel, en partie, demeure en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle
3
constitution soit adoptée, et même après, dans la mesure où il est compatible
avec les règles et les principes de celle-ci.2
En Roumanie, la dernière constitution, adoptée sous le gouvernement
communiste, celle de l’année 1965, a été, formellement et totalement,
abrogée, par l’article 149 de la Constitution de 1991 (devenu, comme suite
de la nouvelle numérotation, après la révision de la Constitution, article
153). En partie, respectivement, dans les sections visant les principes de
l’organisation de l’Etat, la structure et la compétence des institutions de
l’Etat, la Constitution de 1965 avait été, implicitement, abrogée ou modifiée
par les actes normatifs à contenu organique, adoptés par les organes du
pouvoir instauré sur la voie révolutionnaire, durant la troisième décade de
décembre 1989, par les actes des organes représentant le pouvoir,
ultérieurement créé, comme une conséquence de la négociation, menée par
les partis politiques démocratiques, récrées ou de fraîche date, ainsi que par
les actes normatifs adoptés par le Parlement, résulté à la suite des élections
de mai 1990. En outre, quelques autres actes normatifs, adoptés lors de
l’ancien régime, sont devenus inefficaces, aussi. Pourtant, la plupart des lois
de droit privé, adoptées en vertu de la Constitution de 1965, des autres
constitutions datant de l’époque du gouvernement communiste ou même en
vertu des constitutions antérieures, étaient encore en vigueur. Ainsi, on a
continué d’appliquer le Code civil et le Code de procédure civile, adoptés en
vertu de la Constitution de 1864 et amendés, par la suite, sous toutes les
autres constitutions, le Code de la famille, adopté en 1954, le Code du
travail, adopté en 1972. Il a existé aussi une continuation quant à
l’application d’actes normatifs de droit public, tel que le Code pénal et le
Code de procédure pénale, adoptés en 1969. Il s’y agit uniquement de
quelques exemples…
En ce qui concerne ces actes normatifs, la Constitution de la
Roumanie de l’année 1991, a réglé, par l’art. 150 alinéa (1), « qu’ils
resteront en vigueur tant qu’ils ne contreviennent pas à la présente
Constitution ». A la fois, par l’alinéa (2) dudit article, il incombe au Conseil
législatif de réviser, dans les 12 mois à compter de la date d’entrée en
vigueur de la loi relative à son organisation, la conformité de la législation
par rapport à la Constitution et d’avancer « au Parlement ou, le cas échéant,
au Gouvernement, des propositions adéquates ». Par ces dispositions de la
Constitution de 1991, il a été octroyé, aussi, au Conseil législatif un pouvoir
de contrôle constitutionnel, limité, durant un laps de temps déterminé, ayant
2
Voir à cet égard, Philippe Ardant, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 17 e édition, L.G.D.J.,
2005, p.92
4
un objet précis et un but spécifique – celui de saisir les autorités compétentes
pour qu’elles décident d’abroger les actes normatifs contraires à la
Constitution. La Loi no 73/1993 pour la création, l’organisation et le
fonctionnement du Conseil législatif est entrée en vigueur le 5 novembre
1993, après sa publication au Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la
Roumanie. Ainsi qu’il a été prévu, compte tenu du volume considérable de
textes législatifs, susceptibles d’être analysés, il a été impossible d’examiner
en entier l’héritage législatif et de le clarifier dans les conditions stipulées
par l’article 150 alinéa (1) de la Constitution. En outre, en établissant le
principe de l’abrogation des lois et de tous les autres actes visés par le texte
constitutionnel, la Loi fondamentale n’a prévu non plus de procédures de
transition, par lesquelles ait été jugée leur inconstitutionnalité et soit réalisée
leur élimination de l’ordre normatif, lors du laps de temps situé entre l’entrée
en vigueur de la Constitution et l’entrée dans l’exercice de ses pouvoirs du
Conseil législatif. Avant la création de la Cour Constitutionnelle, la question
devait être résolue par les cours judiciaires, avec des effets inter partes, en se
fondant sur le principe de la suprématie de la Constitution et des règles sur la
succession des lois à travers le temps. A plusieurs reprises, la Cour
Constitutionnelle a jugé dans le sens de son adhésion à la présente solution.
Ainsi, dans les considérants de la Décision no 32 du 26 mai 1993 – donc,
avant la création du Conseil législatif - la Cour Constitutionnelle a retenu
que « la juridiction de droit commun a non seulement le droit, mais, aussi
l’obligation de décider si le texte de la loi dont l’application doit être faite
est encore en vigueur ou non. Cela implique le fait qu’elle doive statuer sur
la circonstance si le texte en question a été abrogé ou non, explicitement ou
implicitement ».3 Mais, lorsque la cour judiciaire n’a pas statué ou elle a
trouvé que le texte ne contrevenait pas à la Constitution et il est resté, donc,
en vigueur, la Cour Constitutionnelle a décidé qu’elle avait la compétence de
résoudre la question lors du contrôle exercé, comme suite de sa saisine, par
la voie de l’exception d’inconstitutionnalité. À cet égard, dans une affaire
jugée par la Décision no 1 du 12 janvier 1993, la Cour a conclut que « la
constatation de l’incidence de l’article 150, alinéa 1 de la Constitution relève
de la compétence de la Cour Constitutionnelle, du moment que l’instance de
jugement ne s’est pas prononcée sur le fait si les décrets attaqués,
antérieurement à l’entrée en vigueur de la Constitution, contreviennent ou
non à celle-ci; sinon, cela signifierait que la Cour elle-même admet
l’applicabilité de textes contraires à la Constitution ».4
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’ínconstitutionnalité, 1992-1998, Editions C.H. Beck, 2007,
p.319
4
Idem, p.304
3
5
En guise de conclusions, il a incombé à la Cour Constitutionnelle dans l’exercice de sa prérogative relative au contrôle a posteriori de la
constitutionnalité des lois, prévue à l’article 146 lettre d) de la Constitution la mission de l’assainissement de la législation, avant l’entrée en vigueur de
la Constitution de 1991.5
Par ce qui s’en suit, je me suis proposé de présenter quelques données
et réflexions sur les statuts constitutionnels du système judiciaire en
Roumanie et sur la contribution de la Cour Constitutionnelle à la légalisation
des actes normatifs censés réglementer l’organisation et le fonctionnement
de l’autorité judiciaire, ainsi qu’à celle d’autres actes concernant
l’administration de la justice.
2. Les statuts constitutionnels du pouvoir judiciaire en Roumanie
Après la chute du régime communiste, le 22 décembre 1989, dans les
conditions de la restructuration globale des institutions de l’Etat, la nécessité
de la réforme visant la sphère judiciaire s’imposait. Il s’agissait d’une vérité
axiomatique, soit, que les vieilles autorités judiciaires, conçues pour servir
un type de régime étatique totalitaire, fondées sur le principe du
gouvernement de la société, en ensemble, par le parti unique, ne
satisfaisaient pas aux exigences de l’État de droit démocratique, créé par la
Révolution.
Les cours judiciaires et la procurature, ont continué, cependant, de
fonctionner, en se fondant sur les anciennes lois organiques, adaptées, bien
sûr, à la nouvelle réalité, jusqu’à la mise en application des lois relatives à
l’organisation judiciaire, adoptées conformément à la Constitution de la
Roumanie de 1991. Il a été, ainsi, obtenu un répit d’observation et de
réflexion sur la manière dont la justice fonctionnait dans le système
démocratique, insuffisant pour une recherche systématique et approfondie,
mais, extrêmement fertile pour formuler les orientations nécessaires à la
réforme judiciaire et pour élaborer les premières étapes de cette réforme.
La Constitution de la Roumanie de 1991 a ouvert la voie d’une
profonde réforme du système judiciaire, par la consécration des principes
généraux de l’État de droit – l’obligation d’observer la Constitution, de sa
suprématie et des lois, la séparation des pouvoirs à l’intérieur de l’Etat et
l’accès libre à la justice – ainsi que par l’établissement des règles
primordiales régissant l’organisation et le fonctionnement de la justice.
5
Voir à cet égard, Prof. Dr Ioan Vida, Président de la Cour Constitutionnelle, Avant-propos à l’ouvrage cité, p.XXIX
6
Les normes fondamentales de l’organisation et du fonctionnement de
la justice, établies par la Constitution de 1991, représentent des critères de
développement du système judiciaire en Roumanie et, aussi, des limites de la
réforme dans ce domaine. Les principales règles d’organisation et de
fonctionnement du pouvoir judiciaire, énoncées au chapitre VI de la
Constitution, titré « L’autorité judiciaire », sont les suivantes :
a) l’autorité judiciaire est formée : des tribunaux, du Ministère Public
et du Conseil supérieur de la Magistrature ; cette composition ne pourra être
ni augmentée, par la loi, ni diminuée ;
b) la création d’instances extraordinaires est interdite ; la justice est
exercée par la Haute Cour de Cassation et de Justice et par les autres
instances judiciaires établies par la loi ;
c) les séances des instances judiciaires sont publiques et la procédure
judiciaire se déroule en langue roumaine;
d) les juges sont inamovibles, indépendants et ils ne se soumettent
qu’à la loi; les procureurs mènent leur activité selon les principes de la
légalité, de l’impartialité et du contrôle hiérarchique ;
e) dans l’activité judiciaire, le Ministère Public représente les intérêts
généraux de la société; les procureurs mènent leur activité suivant les
principes de la légalité, de l’impartialité et du contrôle hiérarchique ;
f) Les fonctions de procureur et de juge sont incompatibles avec
toute autre fonction publique ou privée, exception faite des fonctions
pédagogiques de l’enseignement supérieur.
3. La légalisation de la législation judiciaire
Par la Loi sur l’organisation judiciaire no 92/1992 et par la
jurisprudence consécutive à la Constitution de 1991, les changements
suivants se sont produits, dans le système judiciaire :
a) ils ont été ré établies les cours d’appel, lesquelles avaient été
dissoutes en 1952;
b) il a été aboli l’institution de la Procurature qui, conformément à la
Constitution de 1965, remplissait une fonction distincte dans le cadre de
l’Etat, celle d’assurer le respect de la légalité, et il a été créé le Ministère
Public, institution de l’autorité judiciaire;
c) il a été mis en place le Conseil supérieur de la Magistrature, organe
avec des compétences décisives quant à la nomination des juges et des
procureurs, à l’avancement, au transfert et à la responsabilité disciplinaire
des magistrats;
7
d) il a été établi l’inamovibilité des juges et la stabilité des procureurs;
e) il a été réintroduit dans le procès pénal et civil, l’appel, en tant qu’un
deuxième degré de juridiction;
f) il a été aboli, le recours extraordinaire, tant dans le procès civil que
dans celui pénal;
Après la révision de la Constitution de la Roumanie, réalisée en
décembre 2003, la Loi pour l’organisation judiciaire n° 92/1992 a été
abrogée en 2004, en étant remplacée par la Loi no 303 sur les Statuts de la
des juges et des procureurs, la Loi no 304 pour l’organisation judiciaire, les
deux datant du 28 juin 2004, et la Loi no 317 du 1 er juillet 2004 concernant
le Conseil supérieur de la Magistrature. Un an plus tard, les trois lois ont été
modifiées par la Loi no 247/2005 sur la réforme dans les sphères de la
propriété et de la justice.
On peut parler, en Roumanie, d’une réforme judiciaire soutenue,
caractérisée par l’approfondissement progressif des règles
d’organisation des institutions représentant le pouvoir judiciaire et des
règles de procédure judiciaire par rapport aux normes et aux principes
de la Constitution et, notamment, aux règles fixées par les pactes et les
traités internationaux auxquels la Roumanie est partie. Ce processus se
déroule en deux directions, l’une législative - comme je l’ai noté plus haut et l’autre, liée à la jurisprudence, par les décisions rendues par la Cour
Constitutionnelle dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité, exercé
par celle-ci.
4. Le rôle de la Cour Constitutionnelle dans la légalisation de la
législation judiciaire
La contribution de la Cour Constitutionnelle à la légalisation de la
législation judiciaire s’est matérialisée dans les décisions rendues dans le
cadre du contrôle exercé envers les initiatives relatives à la révision de la
Constitution, dans les décisions rendues lors du contrôle visant la
constitutionnalité des lois avant la promulgation, ainsi que dans celles
rendues lors du contrôle a posteriori à l’égard de certaines prévisions
renfermées par les lois portant sur l’organisation des cours judiciaires, le
Conseil supérieur de la Magistrature, le Ministère Public, les statuts des
juges et des procureurs, les lois de procédure civile et pénale, ainsi que par
d’autres lois et actes juridiques normatifs ayant une force légale, censés
regarder l’administration de la justice.
Le grand nombre de décisions, rendues par la Cour Constitutionnelle,
en matière, durant les 15 ans d’activité, m’obligent à une sélection
8
illustrative et, bien sûr, subjective, organisée sur un nombre limité de
questions, lesquelles, à mon avis, peuvent définir la jurisprudence de la Cour
Constitutionnelle comme une contribution à la légalisation du système
judiciaire et juridique en Roumanie.
4.1 Questions relatives au principe du libre accès à la justice et au
droit à la défense
Le principe du libre accès à la justice est inscrit dans la Constitution
de la Roumanie à l’article 21, dans les termes suivants: « (1) Toute personne
peut s'adresser à la justice pour la protection de ses droits, de ses libertés et
de ses intérêts légitimes. (2) Aucune loi ne peut limiter l'exercice de ce droit.
(3) Les parties ont droit à un procès équitable et à la solution des causes
dans un délai raisonnable. (4) Les juridictions spéciales administratives sont
facultatives et gratuites.»
Dans les décisions, par lesquelles elle établit l’inconstitutionnalité de
certains actes normatifs, comme suite de la violation de ce principe, la Cour
Constitutionnelle se réfère souvent aussi au principe du droit à la défense,
stipulé par l’article 24 de la Constitution.
Ces principes ont été évoqués dans toutes les décisions de la Cour, à
savoir, dans la décision sur la constitutionnalité de la proposition législative
visant à réviser la Constitution, dans les décisions sur le contrôle de la
constitutionnalité des lois avant leur promulgation, dans celles rendues à
l’égard des exceptions d’inconstitutionnalité et dans celles ayant comme
objet le contrôle de la constitutionnalité des règlements du Parlement.
4.1.1 Par la Décision no 148 du 16 avril 2003 sur la constitutionnalité
de la proposition législative visant à réviser la Constitution, la Cour a tiré
l’attention sur l’inconstitutionnalité de la proposition d’introduire à l’article
21 de la Constitution un alinéa d’où il découlait que le législateur est libre
d’établir des juridictions administratives obligatoires, en soulignant que « le
libre accès à la justice ne peut être conditionné par une juridiction
administrative obligatoire ou même facultative. »6
L’observation a été examinée par le Parlement à l’adoption de la
Constitution et, dans le texte de l’article 21 alinéa (4) portant sur le
caractère facultatif et gratuit des juridictions administratives spéciales, la
La Cour Constitutionnelle, Décisions sur l’inconstitutionnalité, 1992-2003, Editions C.H. Beck, 2007,
second tome, p.119
6
9
possibilité de créer des juridictions administratives obligatoires n’a plus été
prévue.
Par la même décision, la Cour a critiqué la proposition visant
l’introduction à l’article 132 de la Constitution d’un alinéa où il était spécifié
que « Les décisions du Conseil supérieur de la Magistrature ne peuvent être
contestées aux cours judiciaires » La Cour a également averti que «cette
disposition est dans un rapport antinomique avec l’article 21 alinéa (1) de la
Constitution » et que, « dans un Etat de droit, il est inacceptable de ne pas
garantir le libre accès aux tribunaux « , en référence à l’article 6 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.7
Cette critique a été acquise en partie par le législateur constituant, et le
texte inséré à l’alinéa (7) de l’article 132 (devenu, par la renumérotation,
article 133) stipule que « Les décisions du Conseil supérieur de la
Magistrature sont définitives et irrévocables, sauf celles prévues à l'article
133 alinéa (2) » - devenu, par la renumérotation, article 134 alinéa (2). Les
décisions exceptées sont celles rendues par le Conseil en tant que tribunal
disciplinaire des juges et des procureurs, celles-ci pouvant être portées en
appel devant la Haute Cour de Cassation et de Justice.
Par une décision subséquente - rendue dans la solution d’une
exception d’inconstitutionnalité, formulée par un président d’une cour
d’appel, démis de ses fonctions par une décision du Conseil supérieur de la
Magistrature - la Cour Constitutionnelle a jugé que l’article 132 alinéa (7) de
la Constitution ne vise aussi les décisions par lesquelles l’Assemblée
plénière du Conseil supérieur de la Magistrature prenait des mesures
relatives à la carrière des magistrats (telles que la révocation des juges et des
procureurs stagiaires, le transfert des magistrats, la suspension de la fonction
des magistrats) ou refusait à ceux-ci l’exercice d’un droit acquis, de
semblables décisions étant, par leur nature même, des documents juridiques
à caractère administratif, soumis au contrôle judiciaire. La Cour a noté, en ce
sens, que le texte cité de la Constitution a été introduit par la loi portant
révision et que, « Vu les dispositions de l’article 152 alinéa (2) de la loi
fondamentale, en vertu de laquelle aucune révision ne peut être faite si elle
se traduit par la suppression des droits et des libertés fondamentales des
citoyens, on ne pourrait admettre que le législateur constituant a souhaité
supprimer, par la voie de la révision de la Constitution, le droit des
magistrats de contester en justice les actes de décision, émis par le Conseil
7
Idem, p.121
10
supérieur de la Magistrature, actes par lesquels les droits acquis dans
l’exercice de leurs fonctions sont enfreints. »8
4.1.2. Par la Décision no 1/1994 concernant le libre accès des
personnes à la justice en vue de la défense de leurs droits, libertés et intérêts
légitimes, l’Assemblée plénière de la Cour Constitutionnelle a examiné la
constitutionnalité des procédures administratives juridictionnelles spéciales,
en statuant ce qui s’en suit:
« 1. l’institution d’une procédure administrative juridictionnelle n’est
pas contraire au principe prévu à l’article .21 de la Constitution, concernant
le libre accès à la justice, tant que la décision de l’organe administratif de
juridiction peut être attaquée devant une instance judiciaire.
2. l’accès aux structures judiciaires et aux moyens procéduraux, y
compris aux voies d’attaque, se réalise en respectant les règles de
compétence et de procédure de jugement fixées par la loi.
3. le libre accès à la justice se réalise uniquement en respectant
l’égalité des citoyens devant la loi et les autorités publiques, de sorte que
toute exclusion qui signifierait une violation de l’égalité de traitement
juridique est inconstitutionnelle. » 9
En concordance avec cette jurisprudence, par des décisions
successives, no 59/1994, no 90/1995, no 66/1995 et no 3/1998, la Cour
Constitutionnelle a observé l’inconstitutionnalité de l'article 175 lettres a),
b), c) et d) du Code du travail, adopté en 197210, par lequel il était exclu, en
ce qui concerne les employés, l’accès à la justice pour certaines catégories
de conflits de travail, orientés vers la compétence de l’organe supérieur
hiérarchique ou de l’organe représentant la direction collective.
Ces litiges concernaient: les contestations contre les sanctions
disciplinaires qui, en accord avec la loi, ne visaient pas la compétence du
tribunal ou d’autres organes (lettre a) ; les contestations contre la rupture du
contrat de travail, ainsi que litiges portant sur la réinsertion au travail des
personnes en position de chefs, nommées par les organes hiérarchiquement
supérieurs, ainsi que des directeurs généraux et des personnes occupant des
fonctions similaires à ceux-ci des organes centraux (lettre b) ; les
contestations contre la réorganisation du personnel, opérée à l’occasion des
réductions des effectifs travaillant dans l’administration ou dans la sphère
de production (lettre c) ; les contestations en relation avec l’octroi
d’échelons et de gradations de rémunération, à l’encontre de la réduction du
Décision no 433 du 21 octobre 2004, dans Décisions …second tome, p.441
Décisions…premier tome, p.716
10
La Loi no 10 du 10 novembre 1972, publiée au Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie,
Partie Ire, no 140 du 1 décembre 1972
8
9
11
salaire tarifaire à cause du non-accomplissement en totalité des tâches
spécifiques à l’emploi, ainsi que visant l’octroi des prix et des gratifications
(lettre d).11
Dans les considérants des décisions mentionnés, il a été retenu, que
les autorités administratives prévues par l'article 175 du Code du travail
n’avaient pas le statut d’organes juridictionnels - circonstance dans laquelle
l’accès à la justice serait assuré par la contestation de leurs décisions - parce
qu’elles-mêmes avaient pris les mesures blâmées. Cela signifierait que la
même autorité sera, à la fois, juge et partie intéressée, ce qui est contraire
aux dispositions de l'article 6, point 1 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, censée instituer le droit de
la personne d’être jugée, équitablement, par un tribunal indépendant et
impartial.
4.1.3. Par les décisions no 189/2006 et 647/2006, la Cour
Constitutionnelle a statué qu’il s’agissait aussi d’une violation de l’accès
libre à la justice lorsque les règles de procédure gouvernant l’exercice de
certaines voies de recours sont imprécises.12 Dans les causes où ces
décisions ont été rendues, la Cour a examiné la constitutionnalité de l'article
20 alinéa (1) et, respectivement, de l'article 4 alinéa (3) de la Loi sur le
contentieux administratif no 554/2004, par lesquels, en étant institué la voie
de recours contre les décisions rendues par les tribunaux de contentieux
administratif, il était précisé que le terme de déclaration de l’appel
commençait « à partir du prononcé ou de la notification ». La Cour
Constitutionnelle a décidé que les dispositions légales citées sont
inconstitutionnelles en raison de leur inexactitude et étant donné que « le
principe du libre accès à la justice implique, entre autres, l’adoption par le
législateur de certaines règles de procédure claires, qui fixent précisément
les modalités et les délais dans lesquels les justiciables peuvent exercer leurs
droits procéduraux, y compris ceux relatifs aux voies de recours contre les
décisions des tribunaux «.
La Cour a également jugé que, par de telles règles, imprécises, il est
aussi violé le droit à la défense, entériné par l’article 24 de la Constitution.
4.1.4. Par l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement n° 58/2003
portant amendement et complétion au Code de procédure civile, les
dispositions suivantes ont été introduites à l’article 308 alinéa 4 du présent
Code : « Si le complet est à l’unanimité d’accord sur le fait que l’appel ne
satisfait pas aux exigences formelles ou que les motifs d’appel soulevés et
11
12
Décisions….tome I, p.418-422, 488-493, 503-506 et 642-646
Decisions….tome III, p.475-479 et 518-523
12
leur développement ne concordent pas avec ceux prévus à l’article 304, il
annule ou, le cas échéant, rejette l’appel par une décision justifiée, rendue
sans convoquer les parties, et laquelle n’est soumise à aucune voie de
recours ». La raison de la réglementation était celle de décourager
l’utilisation abusive de la voie de recours, ainsi que celle de décongestionner
l’activité d’appel, qui incombait à l’époque, à la Haute Cour de Cassation et
de Justice.
Par la Décision no 194 du 24 avril 2004, la Cour Constitutionnelle a
estimé que la disposition légale citée était inconstitutionnelle, car «
l’annulation ou, selon le cas, le rejet du pourvoi à cause de l’insatisfaction
des conditions formelles ou à cause de la motivation erronée ou insuffisante
de l’appel, sans convoquer les parties et, par conséquent, sans laisser à
l’appelant la possibilité de présenter aux juges, directement, ou par le biais
d’un avocat, les explications nécessaires concernant ces conditions de
recevabilité, constitue une violation manifeste du principe du libre accès à
la justice et du droit à la défense prévus à l’article 21 et, respectivement, à
l’article 24 alinéas (1) et (2) de la Constitution de la Roumanie.»13
4.2. Des questions concernant l’identité et le fonctionnement des
cours judiciaires
4.2.1. En se fondant sur l’interprétation systématique de la
Constitution, la Cour Constitutionnelle a délimité, même à partir de l’année
1994, l’activité judiciaire des tribunaux de celle menée par les organes de
juridiction administrative.
À cet égard, il est à rappeler, pour sa valeur de principe, la Décision
no 64/1994 de la Cour Constitutionnelle, par laquelle il a été observé
l’inconstitutionnalité de l’article 1 alinéa 1 de la Loi no 94/1992 sur
l’organisation et le fonctionnement de la Cour des Comptes, dans la partie
qui définissait la Cour des Comptes comme représentant «l’organe
suprême de la juridiction dans le domaine financier.» La Cour
Constitutionnelle a statué que la nature juridique de la juridiction financière,
exercée par la Cour des comptes, ne saurait qualifier l’institution en tant
qu’organe suprême, car cela impliquerait la placer parmi les tribunaux et
au-dessus de la Haute Cour de Cassation et de Justice, avec la conséquence
de l’élimination de la possibilité que les décisions rendues soient contestées
devant la justice. Et, ce serait non seulement contraire aux dispositions de
L’article 21 de la Constitution concernant le libre accès à la justice, mais
13
Décisions…tome III, p.417
13
aussi à celles incluses par l’article 125 de la Loi fondamentale (devenu, par
la renumérotation, article 126), selon lesquels la justice est rendue par la
Haute Cour de Cassation et de Justice et par les autres cours judiciaires,
établies par la loi. En outre, l’activité judiciaire de la Cour des Comptes n’est
pas prévue au chapitre de la Constitution sur « l’autorité judiciaire», mais au
titre IV, « L’économie et les finances publiques », et les juges financiers ont
un statut constitutionnel et juridique différent par rapport aux juges actifs
dans le système judiciaire. Il en résulte, il a été souligné dans la décision de
la Cour Constitutionnelle, que « la juridiction des tribunaux de la Cour des
Comptes est de nature administrative et non judiciaire » et se trouve « sous
l’examen juridictionnel du tribunal de contentieux administratif » et « le
concept d’organe suprême, avec renvoi à l’activité de la Cour des Comptes,
est inconstitutionnel. »14
De même, par la Décision no 788 du 28 septembre 2007 15, la Cour
Constitutionnelle a jugé que ni le Conseil supérieur de la Magistrature n’était
une cour judiciaire, lorsque, en accord avec l'article 134 alinéa (2) de la
Constitution, « il remplit le rôle d'instance de jugement, par le biais de ses
sections, dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges et des
procureurs ». Et dans ce cas, aussi, la Cour constitutionnelle a jugé que
l'article 126 de la Constitution ne comptait pas le Conseil supérieur de la
Magistrature parmi les cours judiciaires et que le statut des membres du
Conseil, en tant que tel, était différent de celui des juges, en leur qualité de
membres des cours judiciaires.
4.2.2. Dans un autre cas, réglé par la Décision n° 322/2001, il a été
question de la constitutionnalité de la participation à l’activité de jugement
de certaines personnes, n’ayant pas la qualité de juge.
Ainsi, par l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement no 179/1999,
ont été ajoutées à la Loi portant organisation judiciaire n° 92/1992 les
dispositions de l'article 17 alinéas 11-13, par lesquelles il a été mis en place
l’institution des assistants judiciaires, nommés par le ministre de la Justice
sur proposition du Conseil économique et social, dont le rôle était celui de
membres des jurys de jugement dans les causes regardant les conflits et les
litiges de travail, en tant que représentants des syndicats et des employeurs.
Par la décision citée, la Cour Constitutionnelle a observé que ces dites
dispositions de loi contrevenaient à l'article 1 alinéa (3), à l'article 51, à
l'article 123, à l'article 124 et à l'article 125 de la Constitution de la
Roumanie. « En se fondant sur les textes constitutionnels mentionnés, il est
14
15
Décisions…p.428-436
Le Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie, Partie I re, le 2 novembre 2007, p. 7-9
14
souligné dans la motivation de la décision, la Cour retient que la justice est,
en exclusivité, une fonction de l’État qui, conformément à l’article 125
alinéa (1) de la Constitution, est exercée par la Cour suprême de Justice et
par les autres instances judiciaires légalement établies, en étant exclue la
possibilité que l’activité de juridiction soit menée par d’autres structures ou
par d’autres personnes ou institutions privées. La Cour retient, également,
que l’activité de jugement est accomplie, au nom de la loi, exclusivement par
les membres de ces instances, c’est-à-dire par les juges, car, c’est seulement
au sujet de ceux-ci qu’il est proclamé, conformément à l’article 123 alinéa
(2) de la Constitution, qu’ils sont indépendants et qu’ils ne sont soumis qu’à
la loi. En conséquence, il est exclu la possibilité d’attribuer le pouvoir de
jugement, de dire le droit, à d’autres personnes qu’aux juges. »16
4.2.3. Dans deux causes, la Cour Constitutionnelle a été saisie du
contrôle de la constitutionnalité visant certaines règles juridiques qui
prévoyaient la possibilité de censurer des décisions judiciaires rendues par
des organes de l’administration publique.
Ainsi, par la Décision n° 127/2003, la Cour a constaté
l’inconstitutionnalité des dispositions de l'article 1 alinéa (2) de
l’Ordonnance d'urgence du Gouvernement no 13/2001 sur la solution des
contestations dirigées contre les mesures ordonnées par les actes de contrôle
ou de fiscalité signés par le Ministère des Finances publiques, dispositions
par lesquelles les organes du ministère cité étaient autorisés de trouver une
issue aussi, entre autres choses, aux plaintes contre la manière d’établir, par
les décisions des instances judiciaires, la taxe judiciaire de timbre. 17 De
même, par la Décision no 233/2003, la Cour a tranché l’inconstitutionnalité
des prévisions de l'article 18 alinéa (2) de la Loi no 146/1997 sur les taxes
judiciaires de timbre, qui disposaient que « en vertu des dispositions
applicables en matière fiscale, il existe la possibilité de faire appel à la
justice contre la manière dont la taxe judiciaire de timbre a été établie », à
savoir, aux organes du Ministère des Finances.18
En argumentant ces décisions, la Cour Constitutionnelle a retenu que
les dispositions légales mentionnées étaient contraires à l’article 125, alinéa
(1) de la Constitution (devenu, par la renumérotation, article 126 alinéa (1)
et au principe visant la séparation des pouvoirs à l’intérieur de l’Etat.
4.3. Questions portant sur le Ministère Public et les statuts des
procureurs
Décisions…p.232-239
Décisions…, second tome, p.542-548
18
Idem, p.577-582
16
17
15
En Roumanie, le Ministère Public a un statut constitutionnel, étant régi
par la loi fondamentale dans le chapitre titré « L’autorité judiciaire », à côté
des cours judiciaires et du Conseil supérieur de la Magistrature.
Selon l'article 131 alinéa (1) de la Constitution, «Dans l'activité
judiciaire, le Ministère Public représente les intérêts généraux de la société
et défend l'ordre de droit, ainsi que les droits et les libertés des citoyens ».
Conformément à l'article 134 de la Constitution, un nombre de 5 procureurs
et le procureur général du Parquet auprès de la Haute Cour de Cassation et
de Justice sont membres du Conseil supérieur de la Magistrature.
Malgré cette qualification constitutionnelle du Ministère Public, la
nature juridique de l’institution a été et demeure controversée. L’opinion
selon laquelle le ministère public fait partie de l’autorité judiciaire est
complètement isolée19, le point de vue visant l’appartenance des procureurs
au pouvoir exécutif étant quasi unanime.20 Reflet de la doctrine
traditionnelle, ce point de vue trouve également un soutien normatif dans le
texte, non pas sans ambiguïté, de l’article 132 alinéa (1) de la Constitution,
aux termes duquel «Les procureurs exercent leur activité conformément aux
principes de la légalité, de l'impartialité et du contrôle hiérarchique, sous
l'autorité du ministre de la justice. »
La fermeté doctrinale, censée caractériser le Ministère Public en tant
qu’organe du pouvoir exécutif, et l’ambiguïté de réglementation citée se
sont, parfois, reflétées aussi dans la législation, par les dispositions de loi de
nature à établir un statut des magistrats procureurs, inférieur à celui des
magistrats juges ou à restreindre les prérogatives courantes des procureurs.
A plusieurs reprises, la Cour Constitutionnelle a été appelée à introduire
dans l’ordre constitutionnel la réglementation relative au statut du Ministère
Public et à l’activité des procureurs. Je rappellerai, pour la valeur de principe
des considérations sur lesquelles elles s’appuient, seulement deux décisions.
4.3.1. Par la décision no 345/200621, la Cour Constitutionnelle a
observé l'inconstitutionnalité des dispositions de l’article 64 alinéa (3) de la
Loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire, en vertu duquel « Les
solutions, adoptées par le procureur, peuvent être invalidées, avec des
arguments bien fondés, par le procureur hiérarchiquement supérieur,
lorsqu’elles sont estimées comme illégales. La mesure de la réfutation est
19
Voir Nicolae Cochinescu, « Tout sur le Ministère Public », Editions Lumina Lex, 2000, p. 63-81
Voir Ioan Vida, “La Constitution de la Roumanie, commentée et annotée », la Régie Autonome
« Monitorul Oficial », Bucarest, 1992, p.288 ; Ioan Muraru, « La Constitution de la Roumanie révisée »,
Editions All Beck, 2004, p.277
21
Décisions…III tome, p.495-502
20
16
soumise au contrôle de la cour compétente de juger la cause sur le fond, sur
la demande du procureur ayant adopté la solution ». Voilà les considérants
de la décision :
« En vertu de l’article 132 alinéa (1) de la Constitution de la
Roumanie, les procureurs mènent leur activité conformément au principe
de la légalité, de l’impartialité et du contrôle hiérarchique.
De ces trois principes, qui se trouvent à la base de l’activité des
procureurs, le principe de l’impartialité, applicable aussi aux juges, par
la nature de l’activité de juridiction, exercée par ceux-ci, découle de
l’appartenance des procureurs à l’autorité judiciaire et du rôle du
Ministère Public, institué par l'article 131 alinéa (1) de la Constitution, de
représenter dans l‘activité judiciaire, les intérêts généraux de la société et
pas uniquement les intérêts de certaines personnes ou catégories de
personnes – id est, l’Etat, les autorités publiques, d’autres personnes, les
personnes physiques.
Le principe de la légalité est, en conformité avec la signification
attribuée par la Loi fondamentale, spécifique à l’activité des
procureurs, lesquels, en vertu de ce principe, sont tenus dans l’exercice
de leurs compétences, prévues par la loi, de respecter, forcément, les
dispositions impératives de la loi, sans être en mesure d’agir en se
fondant sur des critères d’opportunité, soit qu’il y est question de
mesures ou de choix concernant les procédures. Ainsi, en agissant au nom
du principe de la légalité, le procureur ne peut ni refuser l’engagement
d’une procédure pénale ou le commencement de l’action pénale dans
d’autres affaires que celles exigées par la loi et il n’a ni le droit de
demander à l’instance de jugement l’acquittement d’un défendeur coupable
d’avoir commis une infraction, sur le motif que des intérêts politiques,
économiques, sociaux ou d’autre nature rendent inopportune la
condamnation de celui-ci.
Comme une garantie de l’observation par les procureurs de ces dits
principes, dans leur travail, la Constitution a consacré aussi le principe de
l’unité d’action des membres du Ministère Public, sous la forme du
contrôle hiérarchique.
Par l'application du principe du contrôle hiérarchique, il est assuré
l’exercice, par tous les procureurs du système appartenant au Ministère
Public, de leur fonction susceptible de représenter les intérêts de la société,
in toto, c’est à dire, d’organe de la loi, en absence de toute discrimination et
sans parti pris. En vertu de ce principe, le Ministère Public est conçu comme
un système pyramidal, les mesures d’application de la loi, adoptées par le
17
procureur hiérarchiquement supérieur, devant être obligatoires pour les
procureurs en subordination.
La Cour Constitutionnelle voit que la disposition englobée par
l'article 64 alinéa (3) de la Loi sur l’organisation judiciaire no 304/2004,
par lequel il est établi le contrôle judiciaire envers la mesure relative à la
récusation de la solution retenue par le procureur, sur demande du
procureur ayant adopté la solution invalidée, contrevient, distinctement, au
principe énoncé dans l’article 132 alinéa (1) de la Constitution. En étant
contraire au texte constitutionnel mentionné, la disposition analysée n’est
justifiée par aucune autre norme de la loi fondamentale ou des instruments
directifs internationaux portant sur les droits de l’homme, auxquels la
Roumanie se constitue en partie.
Par la création du contrôle judiciaire, stipulé par le texte légal cité,
il est aboli, en effet, le contrôle hiérarchique, prévu par la Constitution, et
il est transféré la compétence relative au contrôle à la tâche des cours
judiciaires, en dehors de leurs pouvoirs habituels - prévus à l'article 6
alinéa (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales et dans les lois internes – soit, de trouver une issue
aux requêtes des personnes physiques visant la violation des droits subjectifs
et de leurs intérêts légitimes.
À cet égard, la Cour Constitutionnelle constate que, porter devant la
justice la mesure relative à l'invalidation par le procureur hiérarchiquement
supérieur de la solution, retenue dans une affaire, le procureur – auteur de
la dite solution ne défend pas un droit subjectif personnel, car il ne
représente pas une partie dans l’affaire qu’il doit solutionner, mais,
l’autorité compétente d‘instruire et de résoudre l’affaire. »
4.3.2. La seconde décision, que je me suis proposé de citer, c’est la
Décision de la Cour Constitutionnelle no 866/200622, laquelle concerne la
relation entre le statut juridique des procureurs et le statut des juges.
La Cour Constitutionnelle a été saisie de l’exception
d’inconstitutionnalité des dispositions de l'article 52 alinéa (1) de la Loi no
303/2004 sur le statut des juges et des procureurs, en conformité avec
lesquelles « La promotion dans la fonction de juge à la Haute Cour de
Cassation et de Justice est faite par le Conseil supérieur de la Magistrature,
des rangs des personnes ayant rempli la fonction de juge les 2 dernières
années aux tribunaux ou aux cours d’appel, ont obtenu le qualificatif de
«très bien» à la dernière évaluation, ne furent pas sanctionnées
disciplinairement, se sont remarquées dans l’activité professionnelle et ont
22
Décisions…III tome, p.524-529.
18
une ancienneté dans la fonction de juge ou de procureur de 12 ans au
moins.”
Par la décision citée, la Cour Constitutionnelle a jugé que ces
dispositions légales étaient contraires à la Constitution, pour les raisons
suivantes:
« Le Ministère Public a été institué, par les articles 131 et 132 de la
Constitution de la Roumanie, comme une magistrature composante de
l’autorité judiciaire, avec le rôle de représenter dans l’activité judiciaire les
intérêts généraux de la société et de défendre l’ordre de droit, ainsi que les
droits et les libertés des citoyens. Les procureurs ont, tout comme les juges,
un statut constitutionnel de magistrats, prévu expressément aux articles
133 et 134 de la Loi fondamentale. Ainsi, conformément à l’article 133
alinéa (2) lettre a) de la Constitution, le Conseil supérieur de la
Magistrature est composé de deux sections, l’une de 9 juges, et la deuxième
de 5 procureurs, élus les uns et les autres, dans les assemblées générales des
magistrats. Dans le même sens, la Cour Constitutionnelle retient que les
procureurs sont nommés en fonction, ainsi que les juges, sur proposition du
Conseil supérieur de la Magistrature et que ledit organe de l’autorité
judiciaire remplit le rôle d’instance de jugement dans le domaine de la
responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs. Enfin, la Cour
constate que le statut juridique constitutionnel des procureurs est identique
à celui des juges, en ce qui concerne les incompatibilités, établies dans les
mêmes termes, à l’article 125 alinéa (3) et, respectivement, à l’article 132
alinéa (2), conformément auxquels la fonction de procureur, ainsi que celle
de juge, est incompatible avec toute autre fonction publique ou privée,
exception faisant les fonctions pédagogiques de l’enseignement supérieur.
En appliquant les principes constitutionnels évoqués, le législateur a établi,
par la Loi nº303 du 28 juin 2004 relative au statut des juges et des
procureurs, des normes identiques ou similaires relatives aux
incompatibilités ou aux interdictions applicables aux fonctions de procureur
et de juge, l’admission en magistrature et la formation professionnelle des
juges et des procureurs, la nomination des juges et des procureurs, l’accès
des procureurs à la fonction de juge et des juges à la fonction de procureur,
les droits et les obligations des juges et des procureurs, la responsabilité
juridique de ceux-ci. Concernant les dispositions de l’article 52 alinéa (1)
de la Loi nº303 du 28 juin 2004 relative au statut des juges et des
procureurs, lequel fait l’objet de l’exception d’inconstitutionnalité, la Cour
Constitutionnelle constate que ces dispositions ne tiennent pas compte du
statut de magistrat des procureurs et méconnaissent le principe de l’égalité
en droits prévu à l’article 16 alinéa (1) de la Constitution, en raison du
19
traitement discriminatoire, qui est imposé à ces personnes afin de
promouvoir au rang de juge à la Haute Cour de Cassation et de Justice.
Ainsi, en établissant pour la promotion à la fonction de juge à la Haute
Cour de Cassation et de Justice la condition d’ancienneté de 12 ans en
fonction de juge ou de procureur, le texte de loi analysé ajoute la condition
d’exercer les 2 dernières années la fonction de juge dans les tribunaux ou
dans les cours d’appel. L’effet de cette dernière condition est celui
d’admettre seulement la promotion des magistrats juges et d’exclure la
possibilité de promouvoir les magistrats procureurs. L’exigence de remplir
la fonction de juge pendant les 2 deux dernières années et, implicitement, à
la date de la demande de promotion, aussi, constitue une rupture injustifiée
de l’équilibre au sein des deux catégories de magistrats ou, tel que déjà
montré, une discrimination contraire à la Constitution. ».
5. En guise de conclusions, une évaluation quantitative de la
contribution de la Cour Constitutionnelle à la légalisation du droit.
Jusqu’au 31 décembre 2007, la Cour a rendu 314 décisions, par
lesquelles elle a observé l’inconstitutionnalité totale ou partielle de certaines
lois et d’autres actes normatifs ayant une force de loi, dont 62 décisions lors
du contrôle effectué avant la promulgation des lois et 252 décisions, lors du
contrôle a posteriori, les exceptions d'inconstitutionnalités étant résolues.
Les décisions relatives à l’organisation et au fonctionnement du système
judiciaire représentent uniquement une partie de celles-ci.
Il s’impose, également, de préciser que l’activité de légalisation,
accomplie par la Cour Constitutionnelle, a été efficace, car, toutes les
dispositions légales déclarées inconstitutionnelles ont été écartées de la
législation ou, selon le cas, appliquées, par la suite, avec la signification
conforme à la Constitution, en accord avec l’avis de la Cour.
20
Téléchargement