BCEAO, UEMOA... : BANNY SORT DE SA RÉSERVE Dernière mise à jour : 09 Jan 2008 - 00:00 GMT Pour la première fois, depuis son départ de la BCEAO et de la Primature, l’ancien gouverneur et ex-Premier ministre, fait le bilan de ses mandats respectifs. Première partie. M. le Gouverneur, vous venez de faire valoir vos droits à la retraite. Dans quel état se trouve la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest au moment où vous la quittez ? Ecoutez ; il n'y a pas d'âge limite pour exercer la fonction de Gouverneur. Cependant, il est vrai, j'ai cessé mes fonctions ou plus exactement, j'ai décidé de ne pas solliciter un autre mandat. J'ai écrit, à cet effet, au Président Compaoré en sa qualité de Président en exercice de la Conférence des Chefs d'Etat de l'Uemoa, le priant d'en informer ses pairs. C'est donc chose faite en ce qui me concerne. Maintenant, dans quel état se trouve la Bceao au moment où je quitte mes fonctions ? Sans tomber dans la complaisance ou l'autosatisfaction, je peux affirmer que la situation est bonne. Je laisse une institution monétaire crédible qui mérite son appellation de Banque centrale. A cet effet, les observateurs les plus neutres, mais aussi les plus sévères et les plus avertis, le reconnaissent. En Afrique, parmi les institutions monétaires qui méritent cette appellation, la Bceao fait partie du "trio gagnant" aux côtés de la Reserve Bank d'Afrique du Sud par exemple. Je laisse aussi une entreprise dont la situation financière est excellente. Je laisse une entreprise monétaire dont les ressources humaines sont de qualité. Tout cela n'a pas toujours été ainsi, croyez-moi. Car nous avons traversé des moments difficiles qui ont nécessité de déployer beaucoup d'effort et de consentir beaucoup de sacrifice. Aujourd'hui, les eaux sont plus calmes, au point où certains Chefs d'Etat nous ont fait le… reproche d'avoir conduit la Banque centrale dans cette situation : " trop riche ", disaient-ils. Paradoxe que voilà ! Je préfère cette situation à celle qui était la nôtre, il y a 15 ou 20 ans en arrière. Bref, la situation monétaire et financière est bonne au moment où je la quitte. Au total, j’ai conscience que j’ai bien défendu les couleurs de l’Union et partant, de la Côte d’Ivoire. Les chiffres sont là pour l'attester : réserves de changes, crédits à l'économie, crédits aux Etats, masse monétaire, fonds propres, etc. pour ne retenir que ces quelques indicateurs monétaires et financiers. Ainsi la situation monétaire de l'Union est des plus solides, aujourd'hui. Mais, on ne peut en dire de même de la situation économique. Dans la dialectique entre situation monétaire et situation économique, il faut toujours faire en sorte que la situation monétaire reflète la situation économique. Ainsi, la santé monétaire devrait se retrouver dans l'économie. Santé monétaire et santé économique doivent aller de pair. C'est tout l'art du pilotage de la politique monétaire de faire en sorte qu'il n'y ait pas de décalage de longue durée entre situation monétaire et situation économique. Dans le cas de notre Union, et cela n'est pas une situation nouvelle, nous observons, nous l'avons observée par le passé, que la situation monétaire est saine, alors que l'on ne peut pas dire autant de la situation économique qui demeure fragile. Taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) faible, finances publiques précaires, tout ceci comporte des risques… De dévaluation ? Je n'ai pas prononcé ce mot. Il y a des risques, dis-je ! Evidemment, si la monnaie est durablement plus forte que l'économie, la tentation est grande de dire qu'il y a une surévaluation de la monnaie par rapport aux actifs économiques. Mais, cela ne conduit pas à la conclusion qu'il faille, automatiquement, recourir à la solution d'affaiblissement de la valeur de la monnaie. Pour moi, cela veut dire d'abord qu'il faut renforcer l'économie. A cet égard, je reste persuadé qu'il y a encore des marges de croissance ; nos politiques économiques doivent être de nature à rendre l'économie plus forte, afin que la valeur de la monnaie en soit le reflet acceptable. Ces marges de croissance, l'économie de l'Union ne les a toujours pas capitalisées, malgré un précédent ajustement monétaire. Et l'intégration économique a un train de retard sur l'intégration monétaire. Au début des années 1990, notre région a connu cette situation qui, à certains égards, et je pèse mes mots, pourrait ressembler à la situation que nous traversons aujourd'hui ; à savoir faiblesse de la croissance économique, surévaluation de la monnaie. Nous avions pensé qu'il fallait renforcer l'intégration économique pour qu'elle soit au niveau de l'intégration monétaire qui était déjà faite, depuis plus de 40 ans. C'est donc ainsi que le traité de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) dont j'ai été l'un des promoteurs, pour ne pas dire le promoteur au niveau de la BCEAO, a été signé. Evidemment, ce sont les chefs d'Etat qui décident, mais sachez que l'UEMOA est partie de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Notre analyse était donc celle-là que vous faites, aujourd'hui. En effet, alors que nous étions dans une zone monétaire parfaitement intégrée, la zone économique n'existait pratiquement pas. La zone économique créée, même les politiques économiques régionales (PER) n'ont pas permis de corriger le déséquilibre, avec la situation monétaire. Beaucoup de choses ont été faites, depuis 1994-95, en particulier au niveau de la législation, de la réglementation économique. Nombre d'initiatives ont été prises, également, pour créer un environnement économique qui favorise l'intégration. Maintenant, il faut meubler ce cadre normatif par des politiques sectorielles communes de productions et d'échanges. L'enjeu, aujourd'hui, c'est la mise en œuvre de la politique de production communautaire, que ce soit dans les domaines agricole, industriel, de l'aménagement de l'espace communautaire, du renforcement des capacités humaines prévu dans le traité fondateur de l'UEMOA. C'est cela qu'il faut faire pour créer un espace intégré, de production et d'échange qui correspondent à l'espace monétaire commun. L'heure est à l'action, il faut donc agir et vite. On agit déjà, peut-être le faisons-nous mal ou pas suffisamment ; alors, il faut le reconnaître et aller vite, afin de créer l'espace économique commun, le seul qui pourra nous amener à atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ; c'est-à-dire atteindre un taux de croissance d'au moins 7% pour espérer réduire de moitié la pauvreté sur le continent à l'horizon 2015. L'Afrique en est loin, la zone ouest-africaine francophone est encore plus loin. Il faut constater notre retard en la matière et prendre véritablement les dispositions nécessaires pour corriger cela. Un autre constat qu'il convient également de faire, c'est que l'assainissement des finances publiques, sous la surveillance de la Banque centrale, n'a pas non plus été effectif. Résultat, 13 années après la dévaluation du franc CFA, les Etats de l'Union font face encore à des difficultés, au niveau des finances publiques. C'est vrai qu'en matière de convergences budgétaires et d'assainissement de finances publiques, on n'a pas fait beaucoup de progrès. Cependant, certains pays ont fait des progrès extraordinaires en matière d'assainissement des finances publiques. Je veux parler du Bénin, du Mali, et même du Sénégal, pays qui, avant ces deux dernières années, avait une bonne situation des finances publiques ; également le Burkina, etc. En revanche, d'autres n'ont pas connu les mêmes succès. C'est le cas de la Côte d'Ivoire, du Togo, de la Guinée-Bissau et du Niger. En Côte d'Ivoire, nous avons encore des difficultés. Même si nous avons des ressources économiques qui font que nous arrivons à payer certaines dépenses courantes essentielles, en particulier les salaires. Mais, il faut que les Ivoiriens comprennent que cet effort, qui est fait à l'égard des fonctionnaires, n'est pas fait proportionnellement à l'égard du reste de l'économie nationale. Le gâteau ne suffit pas pour tout le monde ! Aujourd'hui, nous avons une situation des finances publiques des plus difficiles, puisque nous avons, par exemple, des arriérés de paiement à l'intérieur, -il s'agit des entreprises auxquelles l'Etat doit et qu'il ne peut pas toujours payer entièrement et à temps-, qui affecte la croissance économique. Heureusement, effectivement, qu'il y a ce dynamisme naturel ! Ici donc, comme dans la plupart des Etats de notre Union, l'assainissement des finances publiques demeure la problématique essentielle. Dit ainsi, on dirait que les Etats sont les seuls à porter la responsabilité dans cette difficulté financière. Ce n'est pas l'avis des Chefs d'Etat qui, vous le savez, ont reproché à la Banque centrale de pratiquer une politique monétaire qui ne soutient pas les économies des Etats membres… Je ne sais pas trop techniquement ce que cela signifie. Je peux toutefois dire que cette manière de faire de la politique monétaire a été abandonnée, depuis longtemps dans les pays qui ont une monnaie sérieuse. C'est d'ailleurs pour cela que l'on a coutume, désormais, de dire que faire de la politique monétaire, c'est envoyer des messages. Par ailleurs, l'historique de l'intervention de la Banque centrale a montré que de 1975 à 1990, nous avons fait du financement direct ; que ce soit pour la commercialisation des produits agricoles, café, cacao et autres; le financement direct d'un certain nombre d'investissements fait par l'Etat, à travers l'article 15 des statuts de la Banque centrale qui permettait aux Etats de tirer sur la monnaie, pour financer des investissements sociaux : l'hydraulique villageoise en Côte d'Ivoire, par exemple, dans les années 80, a été financée par ce moyen ; dans d'autres pays aussi, comme le Niger, le Burkina Faso, etc. Financement direct encore de l'économie et de l'Etat en ce qui concerne les besoins de trésorerie des Etats et des banques, etc. Résultat de cette politique d'intervention direct: nous nous sommes retrouvés avec un endettement colossal de l'Etat et des banques dans le portefeuille de la Banque centrale, que ni les uns ni les autres ne pouvaient rembourser… Ne pouvait-il qu'en être ainsi si la Banque centrale, elle-même, n'a pas su encadrer ce financement ? C'est plutôt facile à dire. Il s'agissait de droits de tirage au titre de l'Article 15 des statuts de la BCEAO par exemple, avec, évidemment, l'engagement de rembourser. C'est cela l'encadrement. Car, ici comme ailleurs, droits et devoirs vont de pair. Mais, si les Etats ne remboursent pas, la Banque centrale n'a pas de bataillon pour les y contraindre. On s'est donc retrouvé avec un portefeuille très alourdi. Souvenez-vous, la crise du système bancaire est aussi intervenue à cette époque-là, à cause de cette politique d'intervention directe de la Banque centrale dans l'économie. Depuis lors, nous avons fait des réforme, et nous sommes passés aux mécanismes indirects, notamment, par le marché. Nous avons créé un marché de l'argent à court terme : c'est le marché monétaire dans lequel la Banque centrale est présente, pour permettre aux offres et demandes de se rencontrer. Sous mon impulsion, nous avons également mis en place un marché financier avec un compartiment de Bourse des valeurs. Ainsi, la banque centrale n'intervient désormais que pour ajuster les déséquilibres, faire l'appoint. En cas, par exemple, d'insuffisance des sommes mobilisées par rapport au volume recherché. A l'inverse, lorsque offres et demandes se rencontrent sur le marché et que l'on constate qu'il y a trop de liquidité sur le marché, susceptible de créer des perturbations, du genre sortie de devises, hausse des prix, etc., alors la Banque centrale intervient pour absorber le surplus. C'est ce que font, maintenant, toutes les banques centrales. Par ce mécanisme, la Banque centrale facilite la mise des ressources à la disposition des acteurs économiques demandeurs, y compris l'Etat. Aujourd'hui, c'est grâce à cette politique que les Etats financent leurs besoins de trésorerie. Ils font des interventions sur le marché, sous forme d'emprunts obligataires, par exemple, ou de bons de Trésor. Au total, la Banque centrale a changé sa forme d'intervention, mais elle est toujours présente dans le marché de l’argent de la zone. La Banque centrale vit une " ère de changement de génération ". En même temps que vous, est partie de l'institution la dernière génération des pionniers de l'africanisation. Cette mutation ne comporte-t-elle pas de risque ? Surtout dans un contexte économique qui présente des risques d'un nouvel affaiblissement de la monnaie. Je vous ai dit au départ que nous avons laissé une institution monétairement saine, financièrement saine et humainement solide. Ce dont nous sommes le plus fiers, du moins en ce qui me concerne, pour avoir participé à l'ensemble de cette politique, c'est la qualité des ressources humaines que nous avons laissées à la Banque centrale. Nous avons, dès les années 75, mis en place une politique de formation. Nous avons donc créé un centre de formation qui a formé des cadres d'une haute compétence. Tenez, une confidence : un d'entre eux est Président de la République du Bénin, Yayi Boni. Il fait partie de la troisième génération des jeunes cadres que nous avons formés. Beaucoup d'entre eux, sont des ministres éminents. Il y en a un qui est directeur du département Afrique au FMI, c'est Abdoulaye Bio Tchané; un autre est ministre d'Etat au Bénin, c'est Pascal Koupaki. Je peux en citer d'autres encore comme Jean-Baptiste Compaoré, ministre de l'Economie et des Finances, au Burkina Faso. D'autres, en Côte d'Ivoire, ont occupé des fonctions importantes : Alassane Ouattara, Kablan Duncan, Niamien N'Goran, Mme Viviane Zunon Kipré et Koné Tiémoko sont des pionniers et sont aujourd’hui retirés. Aman Ayayé, Yao Sahi... (Excusez du peu) font partie des jeunes que nous avons formés. Il y a de la ressource et des hommes de qualité. Donc, je ne suis pas inquiet et il n'y a pas à être inquiet. Il y a certes de la ressource humaine de qualité, mais la Banque vit un contexte marqué par l'aménagement de certains dispositifs de gestion. Notamment en ce qui concerne le compte d'opération et le taux de rémunération des dépôts. Ce sont des choses que vous avez négociées et qui mettent la Banque en présence de nouvelles exigences en matière de politique monétaire… Les nouvelles exigences de politiques monétaires, dont vous parlez, ont été effectivement préparées. Soigneusement, d'ailleurs. D'abord par la formation des hommes. Et ce sont les jeunes générations qui, par la suite, ont conduit ces réflexions. Notamment les évolutions du dispositif de gestion des réserves que nous avons signé avec le Trésor français dans le cadre de l'aménagement monétaire qui existe entre nous et la France et auquel vous faites référence. Ces dispositions indiquent, depuis les années 60, que 65% de nos réserves de changes sont déposés auprès du Trésor français. Nous avons pensé, en ce qui nous concerne, que plus de 40 ans après, nous avons maintenant une connaissance certaine des mécanismes du marché des changes et que, au lieu de 35%, nous pourrions faire un partage équitable. Et c'est moi-même qui ai proposé que la partie gérée par les Africains, qui était jusque-là de 35%, passe à 50%. Je dois dire, au passage que, curieusement, je n'ai pas compris pourquoi certains Chefs d'Etat ont pensé que c'était une mauvaise chose. Probablement que tout ceci n'a pas été bien compris. Et si ce mécontentement traduisait une crainte liée à ce que leur Banque centrale se trouve en face de plus de responsabilité et au fait que les Etats soient eux contraints à plus de rigueur dans la gestion de leurs ressources ? Je considérais que nous étions, de plus en plus, en train de récupérer notre indépendance, en gérant nous-mêmes la moitié de nos réserves, comme les autres banques centrales le font. Les Français d'ailleurs n'y ont vu aucun inconvénient. Les 65% au moins déposés en compte d'opération, dans certaines circonstances, leur coûtaient cher en intérêts. Lorsqu'il y avait des fluctuations de changes, le Trésor français devait compenser. A cause du fait que le taux servi sur le compte d'opération était meilleur, on déposait parfois jusqu'à 90% des réserves. Cela aussi m'a été reproché. Une certaine année, la Banque centrale a engrangé près de 190 milliards de F CFA que nous avons mis en réserve et sur lesquels nous avons voulu financer des projets communautaires, la Banque régionale de solidarité (BRS) notamment. Cela aussi m'avait été reproché. Bref, pour en revenir à votre question, oui, ces évolutions ont été préparées par les cadres que nous avons formés. Et je n'ai aucune inquiétude sur leur capacité à gérer cela. Il faut leur faire confiance ; c'est important ! Il faut que les chefs d'Etat leur fassent confiance ; que les mécanismes institutionnels marchent ; que chacun reste à sa place. Les chefs d'Etat ne restent pas toujours à leur place ; ils avaient même fixé l'échéance de 2004 pour la création d'une zone monétaire unique ouestafricaine. C'est un grand projet ! D'abord, nous nous sommes occupés de l'aspect monétaire au sein de la CEDEAO. Moi-même, ayant été quelque fois président du Comité des Gouverneurs des Banques centrales de la CEDEAO, j'ai porté ce projet. Je l'ai porté assez loin, pour que nous puissions avoir une zone monétaire unique afin d’avoir une monnaie unique. Mais l'unicité monétaire n'est pas un chantier facile. Car cela ne se décrète pas, mais se construit. Et si l'on veut une monnaie solide, il faut respecter des étapes. Et l'étape qui est incontournable, c'est celle de l'harmonisation et de la convergence des politiques économiques, financières et des prix. Pendant longtemps, nos partenaires ont pensé qu'en exigeant que l'on emprunte ce chemin, les pays membres de la BCEAO, disons l'UEMOA, faisait du dilatoire ; alors même que notre conviction était qu'il ne fallait pas décréter la valeur d'une monnaie commune tant que les convergences n'ont pas été mises en place au niveau économique dans les pays et que les politiques économiques n'ont pas emprunté ce chemin. C'est ainsi que les autres pays ont essayé de créer une deuxième zone, en la décrétant. Je crois savoir, aujourd'hui, qu'ils sont revenus à l'approche première que j'ai évoquée tantôt ; à savoir qu'il ne peut avoir d'intégration monétaire sans convergence économique. Cela prend du temps certes, mais c'est indispensable. Résultat ? Ils en sont, maintenant, à construire des politiques de convergences et c'est tant mieux. La préoccupation du développement est revenue, chaque fois, dans vos propos. Devant les grands défis du développement, la première attitude qu'il faut avoir, c'est l'humilité. Car les problèmes sont nombreux et leur résolution revêt un caractère prioritaire. Oui ? tout est prioritaire ! Etant entendu que l'on ne peut pas tout faire, en même temps, il faut avoir une attitude d'humilité pour essayer de voir ce que l'on peut faire qui peut permettre d'avancer un peu plus et toucher le plus grand nombre, les plus pauvres. Cette humilité n'a pas toujours caractérisé les remèdes proposés aux problèmes du développement. Pour preuve, l'assainissement du secteur financier, prescrit à une certaine époque aux pays de l'UEMOA, s'est soldé par la disparition des institutions financières de développement. Il faut le reconnaître, relativement aux banques de développement dont on dit qu'elles ont échoué dans leur mission d'aider au développement de nos pays, les donneurs de leçon se sont trompés. Le diagnostic n'était pas tout à fait correct. Il fallait dire que les hommes qui ont conduit ces banques ont échoué et non les banques. C'est la gestion de ces banques qui a été calamiteuse. L'humilité eût voulu que l'on ne jetât pas le bébé avec l'eau du bain. Ce ne fut malheureusement pas le cas. La leçon que je tire de cette expérience est qu'il n'y a pas de panacée. Ce qui compte, c'est la qualité de la gestion, des hommes et des méthodes. La seule chose qui est différente, c'est que, quand on parle de développement, il s'agit d'actions à long terme. Et l'on ne peut pas financer des actions de long terme, avec des ressources de court terme. En outre, pour ce qui est du financement de la production agricole, les activités de ce secteur sont à moyen terme, et certaines parties ne sont pas financièrement rentables mais nécessaires pour que d'autres activités viennent s'y greffer. Evidemment, ce type d'activité ne saurait être financé avec des ressources empruntées, mais plutôt sur des ressources propres ou dons. Il faut donc combiner tout cela : ressources à long terme ; fonds de développement. L'ancien président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, a dit ceci, à un moment donné, avant de partir de l'institution : " Si les banques de développement n'avaient pas existé, il aurait fallu les inventer ". C'est dire que le concept de banque de développement n'est pas en cause. C'était leur administration, leur gestion qui avait été problématique. Je pense, moi, que le développement doit pouvoir partir de la base. C'est d'ailleurs ce que nous avons essayé dans l'Uemoa par la promotion des institutions de financement décentralisé, notamment les institutions de micro-crédits afin de permettre aux uns et aux autres de se fixer et de travailler. Mais il faut reconnaître aussi que cela ne suffit pas à l'échelle macroéconomique. C'est conscient de cela que nous avons inventé ce que j'ai appelé la " BOAD des pauvres ", la Banque régionale de solidarité, la BRS. Pour limiter les dégâts causés par la disparition des banques de développement. La gestion de la monnaie nourrit bien des débats idéologiques. Et l'arrimage du franc CFA à l'euro n'est pas le moindre de ces débats. A ce sujet, la préoccupation qui a resurgi ces derniers mois est de savoir si dans l'état actuel de nos économies, il est encore raisonnable d'être arrimé à l'euro que certains chefs d'Etat européens jugent surévalués. Ce sont des débats qui s'apparentent, quelquefois, à celui sur le sexe des anges ! Je considère qu'il n'y a pas de régime monétaire ou de change idéal. Cela a toujours été ma position. A chaque régime de change, correspond une politique économique. Nous, nous avons un régime de change fixe arrimé à une monnaie forte. Oui, ça peut créer des problèmes ; mais cela a aussi des avantages. Aujourd'hui, c'est quoi l'inconvénient d'un euro fort, par conséquent d'un F CFA fort ? C'est que notre compétitivité est relativement menacée. Puisque nos produits qui sont libellés en euro coûtent plus chers pour le marché américain, par exemple. En même temps, puisque que nous avons des F CFA et donc des euros, le marché américain devient, pour nous, un marché intéressant: parce que le dollar a sa valeur amoindrie par rapport à l'euro donc, par ricochet, par rapport à notre monnaie, le franc CFA, lorsqu’il s’agit d’importer des états-unis ou des pays de la zone dollar. Cette situation, pour le moins artificielle, n'est pas celle que je souhaite pour nos économies. En revanche, je suis d'accord pour que notre compétitivité soit à chaque fois meilleure pour que l'on nous achète nos produits et que nous ne profitions pas d'une surévaluation de notre monnaie, pour bénéficier d'un pouvoir d'achat qui n'est pas mérité par notre travail. Et donc, pour ce faire, il faudra jouer sur tous les coûts des facteurs. Il n'y a pas que le facteur monétaire qui détermine la compétitivité, il faut mener des politiques économiques saines orientées vers le renforcement de notre compétitivité, en prenant en compte les autres coûts de production qui entrent dans la compétitivité. En faisant quoi, par exemple ? Jouons sur les coûts salariaux par exemple, qui sont relativement élevés en Afrique. … En Afrique ? Ah oui ! Même si les salaires nominaux sont relativement faibles ! Jouons sur les coûts des facteurs : énergie, eau, électricité, transport, fret, assurances, etc. Oui, des efforts doivent être faits sur la monnaie, soit, mais également sur les autres facteurs de production, afin de rétablir notre compétitivité. En 1994, par exemple, on a joué sur la valeur de la monnaie, sans que l'économie réelle n'en profite véritablement, tout simplement parce que les ajustements du secteur réel n'ont pas été faits ou suffisamment faits, à tout le moins. A défaut de pouvoir actuellement jouer sur les coûts des facteurs, sécuriser l'accès de nos produits au marché européen, en signant un accord particulier avec l'UE dans le cadre des APE -mettant en veilleuse la position communautaire sur la question-, pourrait-il être une solution ? C'est une position qui n'est pas la mienne ! Parce que moi, je suis un partisan de l'intégration. Je suis persuadé que c'est en allant ensemble que nous allons nous en sortir. Même si quelque part, ici et là, on pense que l'on a quelque avantage sur un point précis. C'est éphémère. Cela n'est pas conforme à ma vision des choses. Est-ce une erreur politique ? C'est un choix que je ne partage pas ! Je l'ai dit, je suis un partisan de l'intégration ; l'intégration régionale certes, mais aussi l'intégration à l'intérieur de la Côte d'Ivoire. C'est la philosophie de ma vie. C'est vrai qu'il faut se battre dur, pour faire triompher son point de vue et le faire partager à l'ensemble. Mais il faut éviter, autant que possible, dans ce monde où les uns et les autres se regroupent, de plus en plus, de faire cavalier seul. D'une manière générale, je n'approuve pas la pratique de faire cavalier seul. Le "cavalier seul" de la Côte d'Ivoire sur le front de l'APE raviverait-il le conflit de leadership, avec en toile de fond la contestation de la loi non écrite qui veut, par exemple, que le Gouverneur de la Banque soit choisi par la Côte d'Ivoire, au profit d'un système tournant ? Il y a deux choses. La première, c'est que les textes indiquent ce que vous venez de dire. A savoir que l'on doit choisir le Gouverneur de telle sorte que puissent venir à ce poste les ressortissants des différents pays. Mais cela, c'est dès le départ! Et c'est dès le départ aussi que l'on a choisi de mettre le siège de la Banque centrale au Sénégal, celui de la Boad à Lomé, par exemple. C'est là aussi qu'il a été convenu que le premier président de la Boad serait un Burkinabé, Pierre Claver Damiba et le vice gouverneur de la Bceao, un autre burkinabé en la personne de Charles Bila Kaboré. C'est dès le départ aussi, -les jeunes doivent le savoir-, que le Président Félix Houphouet Boigny, excédé à un moment donné, leur a dit: "Ecoutez, moi je ne suis demandeur de rien, si vous voulez continuer, faites-le…". Ce sont euxmêmes qui sont venus demander au Président Houphouet Boigny de désigner au poste de Gouverneur de la Bceao un Ivoirien. C'est ainsi que feu Abdoulaye Fadiga a été désigné Gouverneur. C'est une règle non écrite qui a tout son poids. Et qui, du reste, n'est pas exclusive à notre zone. La seconde, c'est que nulle part vous ne trouverez dans les textes de la Banque mondiale que le président de cette institution serait toujours un Américain. Tout comme il n'est écrit nulle part dans les textes du Fonds monétaire international (FMI) que son Directeur général doit être un Européen. Mais, c'est ce qui se fait. Tout simplement parce que ce sont des arrangements. On appelle cela des "gentlemen's agreements". Et ils sont respectés par tous, jusqu'à maintenant. Ceci dit, relativement à la BCEAO, il ne faut pas non plus exagérer, car là aussi le principe a jusque-là été respecté. Il faut aussi comprendre les gouvernants actuels dans leur volonté d'appliquer textuellement les règles. Mais, entre cette volonté d'application stricte des textes et l'engagement non écrit dont nous venons de parler, il y a toujours une marge de négociation et de discussion. Et je crois que le bon sens va prévaloir. Il faut se parler, négocier ; je suis persuadé qu'un accord, mutuellement satisfaisant, sera trouvé. Et que recommanderait de faire ce "bon sens" de votre point de vue ? Le bon sens voudrait que, aussi longtemps que l'on n'aura pas changé, que l'on ne se sera pas mis d'accord de manière consensuelle pour changer la règle non écrite, il faut l'appliquer. Et je crois que c'est ce que les chefs d'Etat vont faire. Mais il faut négocier. Dans ces choses-là, il n'y a pas de diktat! C'est une affaire communautaire, personne n'a à dicter quoi que ce soit à qui que ce soit. C'est cela la caractéristique de notre Union. Discuter pour se comprendre. Et l'on y arrive toujours. On ne dicte pas. D'autant plus que c'est une question qui nécessite l'unanimité! S'il y a un seul qui n'est pas d'accord, ça ne marche pas! Donc, on ne peut rien imposer. Si l'on a la volonté de rester ensemble, il faut alors discuter. Il faut discuter pour faire prévaloir un certain nombre de choses. Je crois que le bon sens prévaudra au dernier moment. Ceci dit, rien n'est immuable. Si l'on veut changer… rien n'empêche de faire un nouveau partage des responsabilités! Il faudra alors mettre dans la cagnotte toutes les institutions communautaires. Il n'y a pas que la Bceao, il y a aussi la Boad, la Commission de l'Uemoa et bien d'autres institutions que nous avons créées, sous mon mandat et qui ne faisaient pas partie du gâteau à l'époque. Elles sont là aujourd'hui. Certes, la Banque centrale est importante. D'ailleurs c'est parce qu'elle est importante, qu'il faut s'asseoir et discuter entre responsables. Moi, je crois que l'on y arrivera sans être obligé de s'offrir un inutile conflit de leadership. Un certain nombre de responsabilités, d'exigences même, accompagnent l'exercice du leadership régional. La Côte d'Ivoire incarnerait-elle moins le rêve communautaire ? Le leadership à ses exigences ! Mais dans notre Union, il y a un leader naturel qui est la Côte d'Ivoire, il n'y a aucun doute là-dessus. C'est le pays qui, jusqu'à présent, possède l'économie la plus forte, en termes de production intérieure brute (PIB) ; c'est aussi le pays qui, jusque dans un passé très récent, disposait de plus d'infrastructures ; son tissu industriel est l'un des plus denses, il regorgeait de cadres de valeurs, etc. Mais ce leadership naturel ne saurait cependant être imposé aux autres. Il faut plutôt qu'il soit consenti et accepté par les autres. C'est important. Plus on est grand, plus il faut donner de la valeur et des rôles à ceux qui sont relativement petits. Et c'est en ce moment-là que l'on gagne le respect de l'autre. Parce que, finalement, chacun est libre. Il y a des pays qui doivent assurer un leadership, la Côte d'Ivoire est de ces pays-là. Elle a donc plus de responsabilités que les autres et elle doit les assumer sans rien imposer à qui que ce soit. Au contraire, en faisant en sorte que ce leadership continue d'être accepté par les autres. Aujourd'hui, Blaise Compaoré assume cette responsabilité, comme pour dire qu'il n'y a pas que les indicateurs économiques qui justifient un leadership. Entre économiste et monétariste, qui est le mieux outillé pour diriger une Banque centrale comme la nôtre? Vous savez, la Banque centrale, c'est aussi une entreprise de 4000 personnes réparties sur un espace de huit pays. C'est un réseau d'agences, ce sont des hommes et des femmes compétents. J'aime à dire, sans sourciller, que les compétences techniques sont déjà là; parce que nous avons formé des gens. On ne demandera pas au Gouverneur de la Banque centrale d'être le meilleur monétariste -je ne sais même pas s'il y en a, tout est relatif. On ne lui demandera pas non plus d'être un prix Nobel en économie. Ce qui est attendu de lui, c'est de faire marcher l'institution, d'avoir une vision et des idées claires, de savoir où il va, en matière de politique monétaire. Et d'avoir des idées de ce qu'il faut pour que la monnaie et l'économie aillent de pair. Il devra avoir suffisamment de personnalité pour faire tourner la machine et ne pas céder à tous les caprices des responsables des gouvernements. Il doit donc avoir la capacité, la force et le courage de dire non lorsqu'il le faut. Sans langue de bois, que pensez-vous du candidat officiel de la Côte d'Ivoire au poste de Gouverneur? Et qui est le candidat officiel de la Côte d'Ivoire? Vous ne le connaissez pas? Non, personne ne m'a parlé de candidat officiel de la Côte d'Ivoire. Il s'agit du ministre d'Etat Bohoun Bouabré… Bon, je l'apprends avec vous. Mais, c'est quand même curieux, il s'agit tout de même de ma succession… Oui, il s'agit bien de ma succession. Mais ce n'est pas le lieu de m'étendre sur cet aspect de la question. Cela vous pose-t-il un problème de principe? Ecoutez, je ne sais pas si c'est à moi que ça pose un problème de principe. Moi, j'ai déjà tourné la page. Ce que j'ai dit aux chefs d'Etat, sur le sujet, c'est pour revenir à ce que vous avez dit - de ne pas donner l'impression aux Ivoiriens que, parce qu'ils ont très bien géré la Banque, alors on va sanctionner la Côte d'Ivoire, en lui retirant le poste de Gouverneur de la Banque. Ce qui du reste ne serait pas juste. Parce que, dites-moi, Abdoulaye Fadiga a fondé la Banque! N'est-ce pas? Nous, nous avons eu la chance d'être avec lui. Ouattara a continué, parce qu'il était avec nous. On était ensemble, auprès de Fadiga. Je ne vais pas m'en vanter ; mais à gauche ou à droite de Fadiga, il y avait Ouattara ou Banny, Banny ou Ouattara. Certes, il y avait bien d'autres! Je pense à Lamine Diabaté, qui vient de nous quitter. Je pense à Patrice Kouamé, Daniel Kablan Duncan, N'Goran Niamien et bien d'autres. Tous ces gens-là, pour ne parler que des Ivoiriens, ont participé à la gestion de cette institution. Et ils ont laissé à la communauté de l'Union monétaire ouest-africaine, une institution solide, crédible, respectée de par le monde. Au 200ème anniversaire de la Banque de France, nous étions deux gouverneurs d'Afrique noire : mon ami, le Gouverneur de la Reserve Bank d'Afrique du Sud et moimême. Et j'étais assis à côté de Alan Greenspan alors Gouverneur de la Banque centrale américaine. Y a-t-il meilleure reconnaissance que celle-là ? Ne donnons pas, nous-mêmes, l'impression à la Côte d'Ivoire que l'on va la sanctionner pour cela. En outre, il se trouve que dans nos problèmes ivoiro-ivoiriens, le seul point sur lequel, de droite à gauche, du nord au sud, d'est en ouest en passant par le Centre, tous les Ivoiriens sont d'accord, c'est qu'il faut que le poste de Gouverneur reste à la Côte d'Ivoire. Dans ces conditions-là, il me semble facile que les Ivoiriens eux-mêmes se mettent ensemble pour décider qui envoyer occuper le poste. Vous militerez pour un produit maison? J'ai déjà indiqué, à qui de droit mon point de vue sur la question. Interview réalisée par Louis S. Amédé, Michèle Pépé et Michel Koffi Suite et fin de l’interview avec l’ancien gouverneur de la BCEAO et ex-Premier ministre. L’homme politique se livre et se délivre. Vous avez été Premier ministre pendant un peu moins de 2 ans … 15 mois exactement. Vous étiez venu pour former un tandem avec le Président Gbagbo, dans le cadre de ce que vous-même qualifiez de compromis dynamique. Mais, en cours de route, le duo a semblé tourner au duel. Qu’est-ce qui explique cela? D’abord, il n’y a pas eu de duel. Parce que je n’ai pas voulu de duel. J’ose espérer que Gbagbo n’a pas, lui non plus, voulu de duel. Mon action, je l’ai placée sous le sceau de la solidarité. Et j’ai pensé que la meilleure image, pour rendre cette solidarité-là, c’est le vélo-tandem. Le terme tandem, parce que je n’ai pas voulu entrer dans les jeux de duel et d’opposition, qui caractérisaient l’ambiance lorsque j’arrivais. L’atmosphère d’opposition frontale, d’affrontement, où les uns et les autres ne se parlaient même pas, n’était pas de nature à nous permettre de faire avancer la cause de la Côte d’Ivoire. D’ailleurs, c’est votre journal, Fraternité Matin, qui avait le premier parlé de duel en titrant: “Banny-Gbagbo: duel ou duo?”. J’ai dit : non ! Ni duel, ni duo, mais tandem, solidarité. J’ai préféré le vélo à l’épée, mais également à la chanson. Certains ont dit que c’était de la communication. Oui, c’était de la communication, je le leur concède. Et la preuve, c’est que vous l’avez retenue. C’était une image forte, n’est-ce pas ? Image forte ? Soit ! Mais cela n’a pas empêché de vous suspecter. Certains ont même dit: « Ça y est! Banny s’est complètement vendu à Gbagbo!». Pour tout vous dire, ce type d’insinuation m’était vraiment égal! Tout comme m’était encore plus égal celles-ci: “Si Banny propose à Gbagbo le tandem, c’est pour le blaguer”. Il s’agissait, avec cette image de faire comprendre aux Ivoiriens qu’une résolution a été votée, la résolution 1633. Dans celle-ci, sur les 17 ou 20 millions d’Ivoiriens, il y a deux dont les noms ont été cités dans le document. Laurent Gbagbo qui demeurait Chef de l’Etat et un Premier ministre acceptable par tous et pour tous qu’il fallait chercher et trouver. Il sera trouvé en la personne de Charles Konan Banny. En somme, de cette résolution, il en découlait que ces deux Ivoiriens avaient en charge de mener la Côte d’Ivoire à la sortie de crise. Le tandem était donc ma façon de traduire cette co-responsabilité qui, implicitement, nous imposait la solidarité dans les efforts de sortie de la crise. Le résultat du tandem, c’est qu’il n’a pas résisté au-delà de 15 mois? Vous parlez du résultat ? C’est à croire que les Ivoiriens ne savent pas lire les évènements. Gbagbo et Soro sont ensemble aujourd’hui, c’est tout de même le résultat de mon action. Même si vous n’aimez pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court vite. Avant de venir ici, je regardais les journaux, j’ai vu les titres. Avant que j’initie, en février 2006, ce que l’on a appelé la réunion des “4 grands”, à Yamoussoukro, Soro était-il à Abidjan? Soro avait-il mis les pieds à Yamoussoukro? Mais aujourd’hui, où est Soro? A Abidjan, Yamoussoukro, Gagnoa. Et Gbagbo ? Pour la première fois, depuis le déclenchement de la crise, il est allé à Bouaké, Ferké, etc. N’est-ce pas une bonne chose pour la Côte d’Ivoire que cette évolution? Qui a fait venir Soro à Abidjan? Qui a permis à Soro de présider, pour la première fois, le Conseil de gouvernement? Il faut savoir lire les choses. Il faut savoir analyser et comprendre les choses. Si les Ivoiriens faisaient cette analyse, il y a longtemps que l’on serait sorti de cette crise. A l’analyse, dès la sortie de Marcoussis, Soro Guillaume aurait dû être nommé Premier ministre. Oui ou non? Vous qui êtes des observateurs de la vie publique, vous n’avez pas pensé à cela? En tout cas, on l’aurait fait que l’on aurait su très tôt, si l’on sortirait de la crise ou pas! Dès la sortie de Marcoussis - je crois qu’il a eu le poste de ministre de la Défense, ce qui n’a pu se faire, puisque, à Accra, cela a été changé– Soro a toujours été cohérent avec sa logique de partage du pouvoir. Il a souvent déclaré : “Il y a une rébellion. Je contrôle une partie du pays. Le Président Gbagbo contrôle une autre partie du pays. C’est nous deux. Lui, il est Président, j’ai accepté; il faut que je sois Premier ministre”. Moi Banny, je me demande pourquoi on n’a pas accepté cela depuis longtemps. Alors, si cela survient 5 ans après maints efforts dont les miens, il faut s’en réjouir! Sans compter – je n’ai pas envie de dévoiler des choses, ici– que c’est une solution que j’ai moi-même préconisée. Je l’ai fait tout simplement parce que c’est la Côte d’Ivoire qui m’intéresse! Il y a des gens qui ne sont intéressés que par les postes. Moi, c’est la Côte d’Ivoire mon centre d’intérêt. Les postes, je les ai occupés déjà, et pas des moindres. Avoir un poste n’est donc ma priorité. Mais on a senti des tensions, à la fin de votre mandat… Mais sur quoi? Sur quoi? Avec la rébellion et avec le Chef de l’Etat. Sous ma primature, je ne les appelais pas rebelles. D’ailleurs, j’ai fait en sorte que le mot rébellion disparaisse quasiment du vocabulaire politique. Grâce à mon action. Quant au Président Gbagbo, sur quoi y a-t-il eu des tensions? Sur les déchets toxiques, par exemple… Ah! Attendez, attendez… Sur quoi y a-t-il eu des tensions? Allez plus loin. Est-ce sur le processus de sortie de crise? Sur la résolution 1721 ? Le Président a pensé que… …Vous vouliez le délester de son pouvoir… Voilà ! Mais cela c’est ce qui était dans son esprit. Evidemment, je ne peux lui contester le droit de croire ce qu’il veut croire. Mais alors, ma question est celle-ci : avec quoi lui aurais-je arraché le pouvoir? Avec les mains nues? Avec l’aide de la France et de l’ONU. Voilà, c’est ça. Je vais être très sévère avec vous. Ce discours, c’était dans certains journaux… Je m’arrête-là, sinon je vais dire des choses désagréables. Vaut mieux pas. Toujours sur la question des tensions. Dans la mouvance du dialogue direct, certains ont voulu vous pousser à la démission, pour anticiper… Qui, certains ? Par exemple, l’un des porte-parole des Forces nouvelles, M. Lobognon, avait dit que si Banny ne démissionne pas, on s’en va… C’est qui ce Monsieur? Je n’ai pas l’honneur de le connaître. M. Alain Lobognon était alors responsable à la Communication des Forces nouvelles. Je ne le connais pas! Ce que je sais, c’est que ce Monsieur et d’autres dans son genre, qui s’expriment avec autant d’arrogance, de mépris et d’irrespect, ont pris devant les Ivoiriens une responsabilité historique. C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui! Et, c’est pour cela qu’il vaut mieux que l’on sorte vite de cette situation, pour rebâtir le pays. C’est tout! Et c’est le plus important. Si tant est que vous aviez conseillé que, dès la sortie de Marcoussis, Soro Guillaume soit Premier ministre, pourquoi avez-vous accepté ce poste? J’ai accepté parce que je me sentais la capacité d’amener la Côte d’Ivoire à la sortie de crise. Je me sens la capacité d’unir les Ivoiriens. Ce que je n’ai pas pu faire dans le cadre de ma mission, en tant que Premier ministre, je continue d’y travailler. Unir les Ivoiriens devrait être notre préoccupation à tous. Vous ne regrettez rien? Mais non ! Qu’ai-je à regretter? Peut-être d’être venu trop tôt dans le marigot politique? Non, non, non…Aujourd’hui, avec le recul, aviez-vous une vision suffisamment nette de la situation en Côte d’Ivoire au moment où vous preniez fonction? Oui, oui ! Oui, je suis désolé. Je suis plongé dans la politique depuis l’âge de 16 ans! Vous semblez oublier que j’appartiens à une famille où l’on a toujours fait de la politique. Admettons donc que vous aviez une vision suffisamment nette de la situation intérieure. Quelles étaient donc vos orientations stratégiques pour la sortie de crise? Faire en sorte que les gens s’entendent. C’est important. D’abord qu’ils soient sincères, qu’ils s’entendent. Parce que le reste est tout simplement de la technique. Si l’on s’entend sur le fait qu’il faut une identification juste, transparente, qui n’exclut personne; si l’on s’entend sur une liste électorale propre. Souvenez-vous que quand je venais, il n’y avait pas de président de la Commission électorale indépendante! Vous avez oublié ça déjà? Quid de Mambé. La Commission n’était même pas constituée! Quelqu’un a-t-il remis cela en cause? Mais c’est parce que, pendant cette période, ça a bien marché entre Gbagbo et moi! A quel moment l’entente cordiale entre le Chef de l’Etat et vous s’est effritée? Soyez positif. Je vous dis que la Côte d’Ivoire a déraillé, sortons-la de là. Ça a bien marché entre Gbagbo et moi à un moment donné. Il y a des choses que nous avons faites ensemble, parce nous nous sommes expliqué. Ça a bien marché. Mais la différence entre le Président Gbagbo et moi, c’est que lui, il a un fauteuil à défendre. Ce qui n’était pas mon cas. Et, je peux comprendre qu’à un moment donné, cela lui vienne à l’esprit que Banny veut prendre sa place. Encore que cette place n’est pas destinée à quelqu’un à vie! Nous sommes en République, n’est-ce pas? Mais, moi, je ne suis pas un putschiste! Ce n’est pas dans mes méthodes. Tout comme je n’avance pas camouflé. Le jour où je voudrais être candidat, je dirais aux Ivoiriens: je suis candidat! Je ne me camouflerais pas! Je suis un homme d’honneur. En tout cas, aussi longtemps que la confiance a été là entre nous, nous avons fait ensemble de bonnes choses, fondées sur la compréhension et l’entente! Quel a été le point nodal de la rupture de la confiance et pour quel motif principalement ? Je viens de vous le dire! La 1721 a été interprétée par certains comme une tentative de Banny de dépouiller Gbagbo de son pouvoir. Mais ça, c’est leur lecture des choses, leur opinion. C’est leur affaire! Cette lecture a pu être motivée par le discours retentissant que vous avez prononcé à Yamoussoukro. Discours dans lequel vous déclariez : «J’assume pleinement et entièrement mes fonctions». Oui, sur la 1721. Et alors, qu’est-ce que vous avez contre cela? C’est le programme qui m’était confié, je voulais le mener à terme. Soit ! Qu’est-ce qui vous a alors manqué dans l’application de ce programme? Il m’a manqué le temps! Et il m’a manqué les moyens! C’est ce que j’expliquais au Président Gbagbo. Je ne voulais pas du pouvoir, je demandais plutôt les moyens pour mener à bien ma mission. Les moyens, je les lui demandais, parce que nous étions dans un régime présidentiel et qui plus est, la Constitution était toujours en vigueur! Le Président de la République est détenteur du pouvoir. Il est chef suprême des Armées, chef de la Magistrature, etc. Dans ce contexte, le Président délègue une partie de ses pouvoirs. S’il te donne les moyens, tu agis; s’il ne te les donne pas, tu n’agis pas. En plus, s’il n’y a plus la confiance, ça ne marche pas. Il a manqué la confiance, à un moment donné, entre Gbagbo et moi. Il l’a dit, donc les Ivoiriens doivent le savoir. Qu’avez-vous retenu de l’affaire des déchets toxiques? Non, ce n’est pas une bonne affaire. Ce sont les Ivoiriens qui doivent avoir retenu quelque chose. Moi, j’ai fait mon travail. Je n’ai rien à redire. La gestion de l’affaire des déchets toxiques n’a-t-elle pas constitué un élément déclencheur de l’opposition… Posez la question aux Ivoiriens qui sont morts, à leurs parents. Moi, j’ai fait mon travail au moment où il fallait le faire. Quelle a été votre conviction dans cette affaire? Il n’y a pas de conviction à avoir. Quelle conviction voulez-vous que nous ayons? Il y a un acte criminel qui a été commis, et j’ai agi en tant que chef du gouvernement. Comme je devais le faire ; et les institutions de la République devaient prendre le relais. Je suis parti, c’est terminé pour moi. J’ai tourné la page, je regarde l’avenir. Que pensez-vous de la gestion actuelle de ce dossier? Ça ne m’intéresse pas. Vous ne pouvez pas dire cela? Je ne suis pas là pour juger les uns et les autres. J’ai vécu suffisamment ce drame… D’abord, pour avoir du respect pour ceux qui en ont souffert, y compris moi-même, peutêtre. Déchets toxiques, réunification du pays, désarmement, entrave à la circulation, racket, etc., tout cela constitue aujourd’hui et, malheureusement, les marques déposées de la Côte d’Ivoire. Et je dis que cette Côte d’Ivoire-là ne me plaît pas! Ce qui m’intéresse, comprenez-le, une bonne fois pour toutes, c’est de faire en sorte que l’on sorte de tout cela, pour nettoyer la Côte d’Ivoire, pour qu’elle soit propre. Et l’on peut le faire, mais ensemble. Regrettez-vous d’avoir donné votre démission au Président Gbagbo, à cette occasion? Quelle démission? Celle de votre gouvernement, à Yamoussoukro. J’ai fait une interview à la télévision. Ou bien vous ne lisez pas ou vous n’écoutez pas? Et c’est dommage. Ou alors, voulez-vous que je rebondisse là-dessus? Il faut que vous rebondissiez là-dessus. Je suis allé à la Télévision. Certains m’ont reproché d’avoir donné ma démission au Président Gbagbo. J’ai dit et je me cite : “Si j’avais à le refaire, je le referais. Mais, je dois reconnaître que c’est peut-être un manque d’expérience politique”. Mais aussi, j’ai interrogé en ces termes : “Que l’on me dise entre les mains de qui aurais-je dû remettre ma démission?”. Comme en Côte d’Ivoire, on a beaucoup d’humour, quand j’ai posé cette question à quelqu’un, il m’a dit: “Il faut leur demander qui dort au Palais. La personne qui dort au Palais s’appelle comment?” J’ai dit : “C’est Gbagbo”. Il m’a répondu: “Bon, voilà!”. En y réfléchissant, je me suis dit: “Ah! Peut-être qu’ils auraient voulu que je donne ma démission à ceux qui m’ont désigné”. Mais au fond, qui m’a désigné, dans le cadre d’une résolution des Nations unies? Est-ce Obasanjo? Est-ce le président du Conseil de sécurité? Est-ce le Secrétaire général de l’ONU? Est-ce le Représentant spécial du Secrétaire général, c’est-à-dire M. Schori? Parce qu’il faut être concret! Je veux démissionner, il faut bien que je m’adresse à quelqu’un. Les gens, de manière superficielle - parce que, finalement, ils n’ont pas réfléchi à la question -, et passionnelle, ils disent : “Les Nations unies”. Donc Schori, alors? Moi, Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire, ancien Gouverneur de la Bceao, me voyez-vous aller donner ma démission à un fonctionnaire? Je ne l’aurais pas fait. Kofi Annan? Je l’ai appelé. Qu’est-ce qu’il vous a dit? Ce n’est pas cela la question. Vous imaginez bien que je ne vais tout de même pas vous dire tout ce qu’il m’a dit. Je l’ai appelé, il n’était pas là. J’ai eu le secrétaire général adjoint, Guehenno Jean-Marie. Evidemment, ils ont regretté. Mais à qui aurais-je dû remettre cette démission? A Obasanjo? A Sassou Nguesso qui assurait la présidence de l’UA? C’est à l’un des deux que j’aurais pu la donner. Eux aussi, je les ai avertis. Donc, la vraie question, - et il y en a une de vraie -, dans le cadre d’une telle résolution, alors que la Côte d’Ivoire n’est pas sous mandat, est : “A qui est-ce qu’un Premier ministre comme ci-dessus indiqué devrait s’adresser lorsqu’il s’agit de démissionner ?”. Vous savez, je suis un homme de rigueur! Parce qu’il y a des gens qui parlent au hasard. La Côte d’Ivoire n’étant pas sous mandat, il n’y avait aucune raison pour que le Premier ministre aille remettre sa démission, dans un pays qui est encore souverain, à un fonctionnaire international! Moi, je réfléchis avant d’agir. Je le dis avec humilité. Si je me suis trompé, excusez-moi; mais si j’avais à le refaire, je le referais. Cela veut dire que je ne me suis pas aussi trompé que ça, que j’ai réfléchi avant d’agir. Vous parlez de la résolution 1721 ? Au terme du Dialogue direct… La 1633 d’abord, la 1721 après. Avant même la signature de l’Accord de Ouaga, la Communauté internationale s’est pratiquement alignée. A ce moment-là, vous êtes-vous senti trahi, lâché par la France, l’ONU, la CEDEAO, etc.? Chacun prend ses responsabilités. J’ai pris les miennes. Je considère que les mêmes qui ont pris et signé la 1721, ont changé d’avis. Là, je veux être gentil avec eux. Mais, ne dit-on pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis? Je considère qu’ils ont changé d’avis. S’ils ont changé d’avis, pourquoi voulez-vous que je m’entête? La seule chose que j’ai dite, c’est que moi, on ne m’humilie pas! Donc, personne ne m’a demandé de partir. Qui m’a demandé de partir ? Pensez-vous que je n’aurais pas pu faire de la résistance?! Pensez-vous vraiment que je n’aurais pas pu faire de la résistance? Certains ont pensé que vous vouliez la faire… Oui ! Mais pour quoi faire? Cela aurait-il arrangé la Côte d’Ivoire? Alors même que je viens de vous dire, et je le pense depuis longtemps, que dès Marcoussis, on aurait dû confier à Gbagbo et Soro, les deux belligérants, la responsabilité de normaliser la Côte d’Ivoire! Parce que c’est de cela qu’il s’agit : la responsabilité de normaliser la Côte d’Ivoire ! Ils ont cette responsabilité. Et vous croyez que moi, je vais, pour des questions d’honneur ou de fauteuil, contribuer à faire souffrir davantage les populations? Pensezvous que c’est rien d’avoir été 15 ans durant Gouverneur de la Bceao? Par rapport à un poste de Premier ministre en Côte d’Ivoire… Le plus important, c’est l’avenir du pays. Tout ce que je fais, c’est pour l’avenir du pays. Avant la signature de l’Accord de Ouaga, vous avez rencontré le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré. Que vous êtes-vous dit ou que lui avez-vous dit? Je ne vous le dirai pas ! Mais il m’a expliqué les conditions dans lesquelles il a été approché. Une seule chose que je vais vous dire, je le pense encore, je le pensais bien avant l’Accord de Ouaga : pourquoi le Président Blaise Compaoré n’est-il pas intervenu plus tôt dans le dossier ? Le Président Compaoré sait que j’ai toujours pensé et souhaité, quand j’étais gouverneur, qu’il intervienne dans le conflit ivoirien. Donc, pour vous, Ouaga offre les meilleures chances d’aller à la paix? Blaise Comaporé est facilitateur, d’abord, en tant que Président du Burkina; ensuite, en tant que Président en exercice de l’Union économique monétaire ouest-africaine, UEMOA; enfin en tant que Président de la CEDEAO. En ces trois qualités, mais surtout par rapport à la première, le Président du Burkina Faso, un pays important pour la Côte d’Ivoire, est l’homme indiqué pour aider les Ivoiriens à sortir de la situation. Il sait de quoi je parle. Il y a aussi Laurent Gbagbo, Président de la République de Côte d’Ivoire, qui a subi les coups de boutoir, qui a résisté et qui a accepté, après moult hésitations, encouragé par certaines personnes dont Charles Konan Banny, de faire des efforts supplémentaires. Et puis, il y a Soro Guillaume. Ces trois personnalités ont la responsabilité de faire sortir la Côte d’Ivoire de cette situation le plus tôt, le mieux possible. Parce que le pays est fatigué. Chacun d’entre les trois a les moyens d’imposer la normalisation du pays. Gbagbo est chef suprême des armées, Soro est ou était commandant suprême des FAFN. Ils ont le pouvoir d’imposer le désarmement s’ils le souhaitent véritablement. Ils sont obligés vis-à-vis du pays de le faire. La combinaison Compaoré, Gbagbo et Soro est donc la meilleure pour sortir le pays de la crise. Ils doivent le faire. Quelle pourrait être la contribution de “l’union sacrée” à laquelle vous appelez depuis quelques semaines? Il s’agit de se mettre d’accord ; c’est une proposition pour que les uns et les autres s’entendent ! Il s’agit de s’entendre pour sortir de la crise. Ce n’est pas une recette miracle ! Les Ivoiriens vont-ils, enfin, comprendre, par votre intermédiaire, que nous n’avons aucune chance de nous en sortir, si l’on ne s’entend pas ? L’idée de l’union sacrée paraît amusante aujourd’hui, mais on gagnerait à la scruter en profondeur. Car c’est écrit au fronton de la République: Union, discipline, travail ! Donc l’union est et doit être sacrée pour nous ! Moi, j’avais 17 ou 18 ans quand on allait à l’Indépendance. On ne s’est pas fait la guerre ! Maintenant si nous devons bafouer tout cela, honte à nous ! Honte aux générations qui ont bafoué cette union. Maintenant, s’il y en a un qui estime qu’il faut replacer cette valeur dans l’esprit des Ivoiriens, il ne faut pas la tourner en dérision ! Chacun sera face à l’histoire, chacun devra assumer. Pourquoi seulement Blaise Compaoré, Laurent Gbagbo et Soro Guillaume? Et pourquoi pas aussi les présidents Ouattara du RDR et Bédié du PDCI? Pendant que nous y sommes, pourquoi vous ne me citez pas aussi Anaky? Pourquoi vous ne me… Je parle de la situation dans laquelle la Côte d’Ivoire s’est retrouvée, à moins que vous vouliez me dire que MM. Ouattara et Bédié y avaient quelque responsabilité . L’Accord de Ouaga a suscité débat, parce que les belligérants se sont dit: c’est entre nous, c’est notre responsabilité. Résultat, les autres se sont sentis exclus. C’est leur responsabilité à Gbagbo et Soro de sortir la Côte d’Ivoire de cette impasse. Après, c’est notre responsabilité, à chacun d’entre nous, d’occuper l’espace qui lui convient pour remettre le pays sur les rails du développement. Et s’il vous était demandé, dans un contexte post-crise, de revenir à la Primature afin de mettre à profit votre expérience d’économiste. Qui va me proposer? Pourquoi vouliez-vous que l’on me propose? Moi, je ne serais jamais en position pour proposer ? Cette question, telle que formulée, ne me convient pas. Posée de la sorte, cela sous-entend, a priori, que vous avez déjà réparti les rôles. C’est parce que vous aimez trop répartir les rôles qu’il y a problème. Pourquoi ne dites-vous pas: si vous deviez assumer des responsabilités, etc. Vous, vous avez décidé qu’il y a déjà quelqu’un qui est président... Non, je ne suis pas d’accord, avec cette prédisposition d’esprit. Vous n’êtes pas des démocrates ! Vous ne considérez pas assez le peuple de Côte d’Ivoire ! Vous l’aviez dit, vous n’êtes candidat à rien ! Je ne me mets jamais en position pré-établie ! Après Bédié, Ouattara, parlant d’âge, tous les autres sont mes cadets! Pourquoi voulez-vous que ce soit à moi que l’on demande toujours? Qu’ont-ils de plus que moi, les autres? Gbagbo est Président. Soit il est réélu, soit c’est quelqu’un d’autre parmi les nombreux candidats déclarés. Reformulons la question alors. Et si vous devriez assumer des responsabilités de premier plan, à l’avenir, dans un contexte de post-crise ? Ecoutez, pensez-vous vraiment que, dans l’esprit des Ivoiriens, on va construire la Côte d’Ivoire de demain sans que, d’une manière ou d’une autre, Charles Konan Banny ne dise un mot ? Y a-t-il quelqu’un en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, qui le pense, vraiment? Pensezvous que l’on parlera de l’avenir de la Côte d’Ivoire de 2008, 2009...2012, si Dieu nous prête longue vie, sans que Charles Konan Banny, qui a tout de même une certaine expérience et qui est un cadre confirmé de ce pays, qui n’a pas été un piètre Premier ministre, y prenne part? On ne construira pas la Côte d’Ivoire de demain, sans que Charles Konan Banny dise un mot ou soit partie prenante ! Il faut se le tenir pour dit et que cela soit clair pour tous. Ma différence, c’est que tout ceci doit se dérouler de manière démocratique et paisible. Parce que la paix, c’est l’autre nom du développement et c’est le développement qui m’intéresse avant tout. Qu’attendez-vous alors pour vous jeter totalement dans l’arène politique? C’est quoi “totalement”? Moi, je ne me jette pas ! Et puis, en quoi faisant? En créant, par exemple, un parti politique ? Je dis non ! Ce n’est pas la façon la plus efficace. J’ai été membre du Comité directeur du PDCI. Pendant longtemps, Conseiller économique et social du PDCI. Pendant longtemps… Vous manquez de culture, mes amis ! Le secrétaire général du PDCI, Pr. Alphonse Djédjé Mady, disait que vous n’étiez pas du PDCI. Il ne savait donc pas ce qu’il racontait, alors? C’est vous qui le dites ! En attendant, vous avez décidé de proposer… Oui, de proposer l’union des responsables pour délivrer les Ivoiriens qui sont pris en otage par la crise. Seriez-vous leur porte-flambeau? Dans ces conditions, Yamoussoukro vous servirait-elle de base arrière pour construire votre ambition présidentielle ? Ça veut dire quoi ça, base arrière? Où allez-vous chercher ces choses? Je vais vous dire une chose : n’ayant peur de personne, si j’avais envie de dire ce que vous dites-là, je le dirais. Et sans équivoque. Ce que je n’apprécie pas, c’est que l’on tente de me faire dire ou faire ce que je n’ai pas dit. Pour en revenir à “l’union sacrée”, je n’ai pas cette prétention d’être le porte-flambeau de qui que ce soit. Je pense que c’est ce qu’il faut faire pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise. Comprenez donc que la Côte d’Ivoire a besoin d’autre chose que de la course effrénée au pouvoir! Si j’ai accepté de donner cette interview à Fraternité Matin, la première véritable depuis que je suis parti de la Primature en même temps que j’ai fais mes adieux officiels à la BCEAO, ce n’est pas pour tomber dans la médiocrité ambiante. Je veux que nous passions des messages positifs, des messages différents! Je suis un homme politique, je ne suis pas un politicien. Et surtout un homme de missions. Maintenant, le niveau de mon engagement politique, c’est différent. Après Charles Konan Banny, le Gouverneur, Charles Konan Banny, le Premier ministre, voici donc Charles Konan Banny, le pacificateur ou l’unioniste? Vous n’aviez rien suivi du tout de mon action, alors ! Car, entre Charles Konan Banny, Premier ministre, qui est en face de vous et appelle à l’union sacrée au chevet de la patrie et Charles Konan Banny, Premier ministre, pendant 15 mois et Gouverneur pendant 15 ans, c’est la même et seule personne. Je vous l’ai dit tantôt, je suis et j’ai toujours été un politique –pas un politicien. C’est à l’âge de 17 ans que j’ai été plongé dans la politique. C’est vous dire que les prétentions de nos politiciens, moi, j’en sais quelquefois un peu plus qu’eux. Qu’il s’agisse du Gouverneur, du Premier ministre ou du citoyen, mes actions ont toujours été guidées par le souci de l’intérêt général. Passons à une autre question qui fâche. La Lettre du continent a annoncé que vous avez amassé un trésor de guerre? Et vous, qu’en pensez-vous ? On sait que vous avez fait publier un communiqué, mais nous voudrions avoir votre version des faits, puisqu’elle a répondu au même communiqué. La justice suit son cours ! Sont-ce donc des allégations mensongères? J’ai répondu dans le communiqué ! Et je vous dis que ma version ne servira à rien. Laissons la justice suivre son cours ! La seule chose que je puis vous dire, c’est que j’aurais pu ne pas en parler du tout. Les Ivoiriens qui ont beaucoup d’humour, sont même fâchés que je porte plainte. Mais je leur explique que ces allégations insidieuses étaient de nature à toucher à mon honneur. Or, on ne touche pas à mon honneur ! Car, ma vie, je l’ai construite sur l’honneur et dans l’honneur. Vous ne voulez pas créer de parti politique, votre domaine d’activité ayant été la finance, il y a là un champ où vous pourriez faire quelque chose pour les populations. Je suis un homme multidimensionnel; je suis un homme qui ambitionne de s’accomplir totalement. J’ai plusieurs expériences que je veux mettre à la disposition de la Côte d’Ivoire. A un moment de sa vie, il n’y a pas de découpage à faire dans les domaines d’intervention! J’assume toutes les responsabilités que je prendrai et je mets à la disposition de mon pays toutes les expériences que j’ai acquises. Maintenant, si je veux quitter le domaine de l’action publique, je pourrais m’occuper de l’Art, être mécène... Ou peut-être de sport... Au Comité olympique international... (Rire). Pour le moment, la Côte d’Ivoire va mal. Et je veux m’occuper prioritairement de la Côte d’Ivoire. Evidemment pas tout seul ! Interview réalisée par Louis. S. Amédé, Michèle Pépé et Michel Koffi