Colloque international sur: l'économie de la connaissance Vincent Calvez &Hadj Nekka
Novembre 2005
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Le management des savoirs : offrons plus de place à la
valorisation des comportements professionnels
Vincent Calvez
(Responsable de la recherche, Groupe ESSCA,
Angers, France)
&
Hadj Nekka
(Maître de Conférences-HDR, Université
d’Angers, France)
RESUME :
Dans le cadre du management des savoirs, les praticiens ne mettent pas
suffisamment l’accent sur l’importance des comportements professionnels valorisés et utilisés par
les organisations dans la préparation de leur avenir. Les savoirs comportementaux constituent un
avantage stratégique très profitable aux organisations qui savent les canaliser et les exploiter de
façon pertinente et concrète. Il s’agit a priori d’atouts simples n’exigeant aucune sophistication
technologique. Notre ambition ici est d’illustrer à travers un cas concret comment un comportement
tel que le sens de la responsabilité constitue un avantage stratégique et un savoir organisationnel
observable, gérable et transmissible aux membres d’une organisation.
Mots clés : Management des savoirs, compétences, expertise, savoirs comportementaux
INTRODUCTION
Certaines pistes de recherche sur les compétences, notamment celles emprunter par les
spécialistes des sciences de l’éducation, s’avèrent riches d’un point de vue conceptuel et permettent
à notre sens d’aborder la problématique de la gestion des savoir au-delà d’une approche strictement
rationnelle. L’activité de MS consiste à identifier et répertorier les ressources immatérielles
disponibles dans et autour de l’entreprise, rendre accessible les savoirs qui y sont associés et
partager les meilleures pratiques connues à travers les technologies de l’information et de la
communication. Il s’agit identifier les savoirs en les codifiant et les archivant dans des supports
papier ou électronique, les traitant par croisement, mise en forme, etc., les diffusant ou informant
de leur disponibilité, incitant et parfois en formant les salariés à l’accès, la création, le partage et
l’usage des savoirs en question. Comme il n'y pas de doute sur l’importance du comportement
organisationnel et de ses liens avec la performance (Hambrick, 1989), il est nécessaire de sortir le
MS des considérations purement techniques ou technologiques. Ceci est d'autant plus vrai, si l'on
admet que le comportement collectif constitue un élément de compétence ou d’incompétence
(Durand, 2000). Dans cette perspective, la notion de compétence devint centrale et "il convient
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donc d'approfondir l'étude empirique des manières dont la compétence est aujourd'hui prise en
compte, pour mieux cerner leurs conséquences sur les formes de la négociation collective".
(Paradeise et Lichtenberger, 2001). Les enjeux et avenues de solution précisés par la littérature
apparaissent d'envergure mais "Malgré des démarches fortement médiatisées, les retours
d'expérience d'organisations qualifiantes sont finalement assez peu convaincantes" (Gilbert et
Pigeyre, 2002). Face à ce type de constat, dans un premier temps, à l'aide de la littérature, nous
présenterons le cadre théorique du management de savoir et les notions qui lui sont associées. Nous
présenterons ensuite les données de terrain issues d'une entreprise nord-américaine à la fois
atypique et exceptionnellement rentable. Enfin, nous répondrons aux questions soulevées en
montrant que si la déresponsabilisation est un affaiblissement de la compétence collective, la
responsabilité est justement au cœur du développement des compétences dans les organisations.
I. LE CADRE THEORIQUE DU MANAGEMENT DES SAVOIRS : IMPORTANCE DE LA
DIMENSION COMPORTEMENTALE
Notre objectif consiste ici à montrer que les comportements occupent une place centrale dans
le domaine du MS. Cette piste s’avère même prometteuse dans la mesure où le domaine est
difficile à explorer et l’expression «management des savoirs» apparaît comme paradoxale
1
. En
outre, les postulats qui remettent en cause la pertinence de ce type de management sont solides
2
mais, il est de plus en plus admis que les savoirs doivent être gérés comme les ressources
matérielles. Dans ce qui suit, nous tenterons d'abord de mettre l’accent sur les comportements dans
le MS notamment à travers les différents types de savoirs, ensuite à partir des notions qui lui sont
associés telles que l’apprentissage et la compétence.
1. Repérage des comportements dans le domaine du management des savoirs
Les tentatives de définition du management des savoirs permettent de mettre l’accent sur
l’importance des comportements professionnels. Ainsi, on s’aperçoit que le MS reste avant tout un
état d’esprit. Nous avons la conviction ici que le MS déborde les technologies de l’information et
de la communication, son domaine peut être large et les questions qu'il pose sont plus ou moins
faciles à traiter
3
. Les technologies sont utiles pour traiter le savoir explicite alors que le savoir tacite
1
Comparativement aux ressources matérielles, les savoirs sont moins contrôlables. Alors comment parvenir à
gérer une chose aussi insaisissable que le savoir ?
2
Par exemple, les savoirs sont fortement associés à des individualités alors que le management évoque des
règles et procédés organisationnels. On peut aussi imaginer que ceux qui détiennent du savoir sont en
position de force et n’acceptent pas d’être dirigés, gérés, contraints dans des règles standards
3
Par exemple, la question du lieu d’invention d’un savoir donné pose le problème des droits de propriété.
Deux questions importantes apparaissent : celle du droit et celle de l’éthique. Si le premier point est facile à
traiter (le MS est aussi un management juridique), le second point reste délicat. Dans beaucoup d’activités de
création le plagiat est condamné sur une base éthique, il est difficile de trouver une situation équivalente dans
le monde de l’entreprise et on pourrait même trouver du talent à une entreprise capable de systématiquement
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est mieux révélé, mobilisé, partagé et utilisé par le management des hommes. Ainsi, l’aspect
humain est très important et soulève le principal obstacle du MS. Si le savoir est une forme de
pouvoir, l'aspect humain nous pousse à s'intéresser à la manière permettant d’obtenir des tenants du
savoir qu’ils le partagent ou l’abandonner, ou encore de se focaliser sur la question des
compensations qu’il faut donner en échange
4
. Sur ces questions relatives aux ressources humaines,
il n’y a pas vraiment de réponses convaincantes. Le savoir traduit un jeu politique (intrigues, ruses,
manœuvres, menaces, promesses, etc.) et le MS ne pourrait pas être une approche tout terrain car il
faut tenir compte de la culture, la structure et la stratégie de l’entreprise (Mbengue, 2004). Sans
rentrer dans une voie proposant une typologies des comportements dans ce domaine, on se limite
aux comportements des dirigeants
5
. Il est intéressant de constater que dans tous les programmes de
MS figure la prise de conscience ou la revendication du fait que l’information et le savoir sont des
ressources stratégiques et qu’il est impératif de disposer d’outils, de techniques et de méthodes
pour les gérer en tant que telles. Nous avons choisi ici de mettre en garde contre une approche
strictement technicienne du MS. Nous retenons avec Mbengue (2004) que le MS demeure un
processus à travers lequel les organisations tentent de faire fructifier leurs ressources immatérielles.
Autrement dit, il s’agit d’une démarche volontariste, souvent explicite et systématique, de
valorisation des ressources immatérielles de l’entreprise. Elle intègre des activités de création, de
recueil, d’organisation, de diffusion et d’exploitation de savoirs explicites et tacites utiles à
l’entreprise, ce qui exige en particulier de transformer des savoirs individuels en savoirs
organisationnels et d’importer des savoirs localisés à l’extérieur afin d’en faire un usage approprié
dans l’entreprise. Concrètement, le MS se traduit dans les entreprises par la nécessité de partager
des savoirs entre employés, services, filiales et même différentes organisations (concurrents,
clients, fournisseurs, institutions, etc.) dans le but d’établir les meilleures pratiques. Nous pensons
que la piste de recherche retenue ici contribue à mettre l'accent sur une certaine confusion qui
caractérise le domaine du MS
6
. En revanche, lorsqu'il s'agit de mettre l'accent sur les difficultés de
ce type de management, on évoque en priorité que les entreprises ont du mal à inculquer à leur
copier en toute l’égalité d’autres entreprises. A défaut d’avoir une réponse d’ordre éthique, on observe que
les savoirs explicites sont globalement protégés par les brevets et la loi et les savoirs tacites sont relativement
difficile à copier.
4
Il s’agit là d’une difficulté majeure notamment dans certaines cultures nationales.
5
Le rôle des dirigeants est important pour augmenter les chances de réussite des programmes de MS, il faut
disposer d’un leader responsable du programme, avoir le soutien de la DG, établir un lien entre les savoirs et
la performance de l’entreprise, établir un système de reconnaissance et de récompense du savoir, une forte
volonté et une feuille de route stricte, bâtir une culture favorisant l’innovation, l’apprentissage et le partage
du savoir, infrastructure technologique minimale, posséder des processus appuyés par des spécialistes de la
gestion documentaire et travaillant en collaboration avec les fournisseurs et les utilisateurs des savoirs.
6
L'aspect humain n'occupe pas le devant de la scène seul dans la mesure l'on reconnaît deux éléments
importants à savoir la codification des savoirs explicites et l’interaction pour l’acquisition des savoirs tacites
à travers le transfert d’expérience et la pratique. Ainsi, on parle du dualité technologie de
l’information/gestion des personnes qui reste substantielle. D’un côté, la technologie permet de codifier,
d’archiver et diffuser les savoirs explicites et de l’autre la gestion des personnes concerne les individus ayant
des savoirs personnels tacites, des aptitudes, des préférences, etc.
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personnel la culture du partage du savoir (Skyrme,1999). En effet, le savoir est une forme de
pouvoir, ce qui peut expliquer pourquoi son détenteur puisse être réticent à le partager. Mais il peut
y avoir d’autres raisons à cette réticence, par exemple il est difficile pour une personne
d’abandonner un savoir maîtrisé et le risque d’investir dans un savoir qui lui est étranger. La
dimension comportementale reste fondamentale comme l'indique les autres défis à relever avancés
par Skyrme (1999) tels que trouver du temps à consacrer au MS, le défis de l’introversion,
focalisation trop forte sur des micro-processus plutôt que d’être dans le cadre plus général et plus
chaotique du processus de création de savoirs, la difficulté à parvenir d’inscrire les démarches de
MS dans la durée, faire collaborer toutes les fonctions de l’entreprise et faire reconnaître et
rémunérer les savoirs. Nous terminons notre propos en disant que la dimension comportementale
peut justifier par elle même le succès du vocable «knowledge management». C'est cette dimension
qui conduit à penser que ce qui se faisait antérieurement n’était pas tout à fait du MS, et son
évolution marque la spécificité du MS. Bien entendu, ceci n'enlève rien au fait que les chercheurs
doivent préciser en quoi les pratiques actuelles sont différentes des pratiques antérieures et qu'elles
sont davantage orientées vers le management des savoirs.
2. Les différents types de savoir et importance des comportements
Dans ce qui suit, il est important de commencer par préciser que nous pouvons attribuer des
contenus proches aux savoirs et aux compétences. Pour cela, il suffit de s'inscrire dans la lignée des
travaux de recherche sur l’éducation qui indiquent trois dimensions clés de l’apprentissage
individuel, à savoir la connaissance (le savoir), la pratique (le savoir-faire) et les attitudes (le savoir
être). C'est à travers ce positionnement que Durand (2000) a proposé une reconstruction d’un
modèle de la compétence autour de trois dimensions génériques (savoir, savoir-faire, savoir être).
Ces dimensions constituent les trois axes génériques de son référentiel de la compétence
7
. L’espace
des compétences ainsi délimité fait apparaître, autour de l’axe des connaissances, les formes plutôt
explicites de compétence, alors que c’est autour de l’axe du savoir-faire et des attitudes que l’on
peut s’attendre à trouver le plus d’éléments tacites. Précisons que la troisième dimension (savoir
être), celle des attitudes a énégligée dans la littérature (Durand, 2000). Cette dimension combine
différentes sous-dimensions telles que le comportement, la culture ou l’identité, mais aussi cette
idée de volonté, c’est-à-dire d’engagement et de motivation. La difficulté rencontrée pour définir
les savoirs
8
est que ceux-ci ont vocation à se matérialiser dans éléments tangibles (Mbengue, 2004),
7
En effet, l'objet de recherche actuellement et même depuis longtemps c'est l'interaction entre les dimension
constitutives. Les grecs ont exploré les interactions entre ces trois éléments, c'est qui a été également fait dans
des travaux assez récents.
8
Selon Mbengue (2004), les savoirs se définissent d’abord par contraste (par opposition à ce qu ’ils ne sont
pas). Ils s’opposent aux ressources matérielles (terre, installation, etc.), sont de l’information et de la
connaissance, peuvent se traduire par des brevets et des droits de propriété mais pas uniquement, peuvent être
décrits comme des ressources immatérielles humaine (savoir-faire individuels), organisationnelle (structures,
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ce qui a conduit à notre sens à un manque d’attention apporté à des définitions claires et
opérationnelles du concept de compétence
9
. Les distinctions principales proposées dans la
littérature pour décrire différentes dimensions de la compétence peuvent nous aider à mettre
l'accent sur l'importance des comportements dans le domaine du MS.
Si l'on commence par la dualité savoir explicite/savoir tacite
10
, on s'aperçoit que sa remise
en cause par Von Krogh et Roos (1995) permet sans aucune ambiguïté de mettre l'accent sur
l'importance des comportements dans le MS. Ces auteurs en suggérant le concept d’autopoeisis,
avancent que la connaissance ne peut être transmise et reconnue que dans l’interaction
11
, cette
distinction est renforcée par la dualité tangible/intangible dans la mesure le côté intangible des
processus organisationnels et de la culture sont une piste féconde pour caractériser le contenu
stratégique du concept de compétence. En outre, la dualité cognitif/comportemental est clairement
illustrative en indiquant que la théorie de la compétence s’est préoccupée des capacités cognitives
telles que le savoir, le savoir-faire, les brevets ou les technologies que des questions de
comportement des individus ou des groupes, sans parler de la culture et de l’identité d’une
organisation. Pour surmonter cette vision restrictive, il est nécessaire d’avoir une lecture à la fois
stratégique et RH de la notion de compétence. Quelques auteurs ont dépassé le seul volet cognitif
de la compétence en suggérant de considérer la culture comme une ressource (Barney, 1986b, Fiol,
1991 et Leonard-Barton, 1992). La dimension comportementale se précise aussi à travers la
distinction entre compétences positives et compétences négatives. Des études empiriques indiquent
que des compétences clés peuvent être des rigidités clés, c’est-à-dire des compétences négatives,
face à des changements qui rendent obsolètes tout ou partie des accumulations d’expériences
passées (Leonard-Barton, 1992). Une théorie basée sur la compétence doit reconnaître la valeur des
différentes compétences constitutives du portefeuille de l’entreprise. Une autre dualité a trait à la
dualité compétence détenue de façon intentionnelle ou au contraire contingente. Ici il faut
distinguer entre la rente et l’avantage concurrentiel qui lui résulte d’une intention ou une stratégie
délibérée. Nous rejoignons Sanchez, Heene et Thomas (1996) pour considérer l’intention
stratégique comme un élément constitutif du concept de compétence. Même si cette position est
critiquée par certains, leur arguments nous paraît fragile et rend le concept de compétence floue.
L’idée d’intention nous nous paraît incompatible avec le fait que la compétence de l’entreprise soit
un processus fait d’expérimentation, d’apprentissage et de désapprentissage. Enfin, la distinction
mode de gestion et les routines), technologique (brevets, procédés, publications scientifiques) et commerciale
(image institutionnelle, réputation, la marque).
9
Ce manque est frappant dans la théorie de l’entreprise fondée sur les ressources (Durand, 2000).
10
Il s’agit de notions fréquemment identifiées dans la littérature. Le savoir tacite est enfouis dans les routines
et les processus formels et informels de l’organisation
11
La connaissance est inévitablement pour une bonne part tacite, à un degré qui varie selon les capacités
d’énonciation, d’écoute et d’interprétation des uns et des autres (Von Krogh et Roos, 1995).
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