HISTOIRE
SEMESTRE 2 IEP TOULOUSE
Jacques CANTIER
HISTOIRE POLITIQUE DE LA FRANCE AU XXe
SIECLE
La France des lendemains de la Première
Guerre mondiale à la Libération
Chapitre 1 : La vie politique en France dans les années 20
Le 14 juillet 1919 est un moment d’apothéose de la fierté nationale avec la réunion de
Joffre, Pétain, Clemenceau, Poincaré et Barrès (illustration de François Flameng). On cherche
à faire oublier la défaite de 1870, la France retrouve son rang de première puissance d’Europe.
Le traité de Versailles rend l’Allemagne responsable de la guerre, et la France récupère
l’Alsace-Lorraine. Mais les observateurs s’interrogent sur la capacité de la France à tenir son
rang. Cette France est aussi en deuil.
I_ Une France en deuil : l’ombre de la Grande Guerre
Une culture du deuil s’établit en 1919 avec notamment la construction de monuments
aux morts, à l’initiative de communes, et avec une loi (27 octobre 1919) qui encadre la
pratique. On représente souvent le malheur de la guerre, et non pas la fierté de la victoire. Le
11 novembre est un moment privilégié dans cet esprit de deuil, avec en 1920 l’installation de
la tombe du soldat inconnu.
A_ Une puissance inquiète : le prix de la victoire
Après deux ans de recherche ,une commission présidée par Louis Marin établit un
bilan humain de la guerre : 1 380 000 morts (17% des combattants), 300 000 mutilés, 700 000
veuves, 760 000 orphelins. A la surmortalité, il faut ajouter l’effondrement des naissances (1,4
millions de déficit). En 1911, la population est de 39,6 millions d’habitants ; en 1921, elle est
tombée à 39,2 millions. La France apparaît comme un pays vieilli. Le nombre de cès est
toujours plus important que le nombre de naissances. Le prix de la victoire est donc
démographique, mais aussi économique : le budget du pays est de 5 milliards de francs en
1913 ; en 1920, la dette publique atteint 120 milliards de francs. La France rentre dans l’ère de
l’inflation, et c’est seulement en 1928 qu’on acceptera une dévaluation du franc. L’essentiel
des combats à lieu en France, avec une « zone rouge » de 500 km de long et 25 de large, zone
totalement inutilisable. D’où une baisse de 30% de la production industrielle.
Le traumatisme de la guerre conduit certains à une brutalisation des esprits, avec la
recherche de voies politiques radicales. Certains rejettent cette voie par des convictions
pacifistes (« plus jamais ça »), avec en particulier les œuvres de Jean Giono. C’est en réalité
l’Europe qui est en déclin, qui est abattue par cette guerre. Albert Demangeon publie Le
déclin de l’Europe : l’Europe sort affaiblie politiquement et économiquement, les Etats-Unis
étant les grands vainqueurs de la guerre. Cette idée du déclin est reprise par Paul Valéry, ou
par le mouvement surréaliste et le dadaïsme. Il organise notamment un procès fictif à
l’encontre de Maurice Barrès. 8,5 millions de Français ont été mobilisés, 7 millions sont
encore en vie après la guerre. Clemenceau dit qu’ « ils ont des droits sur nous ». La
démobilisation se fait dans des conditions difficiles : une prime modeste, un costume civil,
beaucoup se retrouvent au chômage.
B_ Un nouvel acteur politique : l’ancien combattant
Des associations d’anciens combattants se forment pour défendre leurs intérêts :
l’Union fédérale des combattants (UFC), plutôt proche du parti radical (850 000 adhérents), et
l’Union nationale des combattants (UNC), plus conservatrice, liée à la hiérarchie militaire et à
l’Eglise (850 000 adhérents). Ces associations prennent aussi position dans le débat politique,
soutenant la politique pacifiste de Briand. Le discours est moralisateur. A gauche on retrouve
l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) dans la mouvance du PCF, à
l’initiative d’Henry Barbusse (Le Feu). Les mouvements d’extrême droite s’appuient sur les
mouvements de droite : le Faisceau de Georges Valois, les Croix de feu du colonel de la
Roques. En 1940, Vichy fait fusionner ces organisations : la Légion française des combattants
(« les chevaliers du maréchal »).
II_ Une République confortée ? Forces et faiblesses du
parlementarisme à la française
A_ Les institutions et leur pratique
Malgré la personnalisation du pouvoir par la poursuite de la guerre, les institutions
parlementaires ont continué de fonctionner, ce qui prouve la supériorité des régimes
républicains. Ses institutions sont acceptées par tous, ce qui va quelque peu les scléroser dans
les décennies suivantes. Les textes de 1875 montrent un certain équilibre théorique entre les
pouvoirs : le Président de la République est élu pour 7ans par le Parlement, nomme les
ministres, est le chef des armées, de la diplomatie et dispose du droit de dissolution. Les
députés sont élus pour 4 ans au suffrage universel masculin, les sénateurs pour 9ans au
suffrage indirect. La crise politique de 1877, liée à la première cohabitation, pose la question
de savoir si le Gouvernement doit représenter les idées du Président de la République ou du
Parlement. Mac Mahon nomme un Gouvernement monarchiste, et dissout la Chambre des
députés pour que les Français confirment son choix. Sa défaite conduit au renforcement du
parlementarisme. En 1879, le nouveau président de la république Jules Grévy annonce son
renoncement au droit de dissolution. La suprématie du Président du Conseil s’établit dans les
faits : il est en charge d’un département ministériel et représente le Gouvernement. C’est au
milieu des années 30 que la fonction devient uniquement la présidence du Gouvernement.
Tous les parlementaires peuvent interpeller les membres du Gouvernement sur leur politique :
si le débat est défavorable au Gouvernement, la tradition veut que la question de confiance
soit posée, avec des résultats aléatoires, sans discipline de vote, surtout fonction des talents
oratoires du Président du Conseil. Michel Winock parle de « parlementarisme de
délibération ». Entre 1871 et 1919, 60 gouvernements se succèdent. Pendant la période de
guerre, il y a un équilibrage en faveur de l’exécutif. La majorité de la classe politique
préfère retourner à la pratique de l’avant-guerre, les réformes n’aboutissent pas.
B_ Le paysage politique au lendemain de la Première Guerre mondiale
Le clivage droite / gauche remonte à août 1789, au début des travaux de l’Assemblée
constituante, avec la question du veto royal. Cette division va devenir le facteur de distinction
le plus admis en France, puis dans d’autres pays. Beau de Lomenie fait une enquête en 1930
afin de connaître la conception de ce clivage. Le philosophe Alain (radical), lui répond que se
poser la question de la persistance du clivage, c’est déjà se placer à droite. Au XIXe siècle,
c’est la question du régime qui entretient le clivage, avec trois courant dans la droite
française : les légitimistes, contre-révolutionnaire, pour la monarchie absolue ; la « droite
réaliste », orléaniste, droite libérale pour une monarchie parlementaire ; la droite bonapartiste,
restaurée par Napoléon III, pour le césarisme démocratique, favorable à un exécutif fort
légitimé par le plébiscite. La gauche est alors républicaine, refusant la monarchie et l’empire,
avec une distinction entre les partisans de la république démocratique, et ceux de la
république sociale. Lorsque la république sera acquise, c’est la question religieuse qui
entretiendra le clivage : la droite favorable à l’Eglise et la gauche pour la laïcité. Dans l’entre
deux guerres, c’est la question de l’intervention de l’Etat en matière économique et sociale qui
entretient le clivage : question des politiques économiques, de la redistribution des richesses,
de la propriété,… Pour la gauche, l’ennemi est désormais le grand capitaliste, les « 200
familles » ; à droite, l’ennemi est le communisme.
1) Les gauches en France : radicaux, socialistes et communistes
Le parti républicain, radical et radical socialiste va jouer un rôle essentiel dans
l’histoire de la IIIe République et dans l’entre deux guerres. Le parti est fondé en juin 1901,
rassemblant toutes les forces qui se réclamaient du radicalisme. Ce terme apparaît dès le
milieu du XIXe siècle, désignant sous la IIde République un républicain de gauche. Sous le
IInd Empire, ils souhaitent renverser le régime ; au début de la IIIe République, ils s’opposent
aux républicains conservateurs. Les parlementaires se réclament du radicalisme : 78 sénateurs,
200 députés, un millier d’élus locaux sont présents au congrès de juin 1901. Il y a aussi des
représentants du GOF, de la Ligue de l’enseignement, de la Ligue des droits de l’Homme, de
200 journaux locaux, de la Société d’encouragement à l’agriculture (créée par Gambetta en
1880) dirigée par Henry Queuille. Ces forces s’unissent dans un parti politique, dont la force
est d’être déjà très enraciné dans le vie politique française, avec 250 000 membres dans
l’entre deux guerres (revendiqués). L’origine fédérale du parti explique qu’il restera toujours
décentralisé : les comités locaux entendent garder leur autonomie, d’où quelques problèmes
d’investiture. Les parlementaires n’ont pas de discipline de vote. On peut distinguer plusieurs
niveaux de cette doctrine. Au niveau théorique, Léon Bourgeois et Fernand Buisson sont des
philosophes adhérents au radicalisme . Il y a plusieurs thèmes : la foi dans la raison, se
présentant comme les héritiers du rationalisme et du positivisme, la confiance dans le progrès.
La morale radicale se finit aussi comme une morale de la solidarité, qui doit se manifester
dans le vie politique intérieure (impôt sur le revenu), mais aussi au niveau international,
contre la guerre, favorable à des solutions d’arbitrage pacifiques, d’où leur ralliement à la
SDN. Dans les années 20, c’est le philosophe Alain qui va compléter cette doctrine radicale,
professeur à Henry IV (Eléments d’une doctrine radicale, 1925 ; Le Citoyen contre les
pouvoirs, 1926), apparaissant plus pessimiste que ses confrères : il s’agit de défendre la
République contre les menaces, mais aussi défendre les citoyens contre les institutions qui
entravent ses libertés (la justice, l’Eglise, l’armée,…), le rôle du parti radical étant de
contrôler le régime politique et d’assurer la démocratie, la République devant trouver un
équilibre entre l’obéissance et la résistance. Le radicalisme des militants est plus simple,
résumé en un slogan du parti, « l’action laïque contre le cléricalisme, l’action démocratique
contre la dictature, l’action sociale contre la misère ». Ils se reconnaissent dans la république
démocratique et laïque, se reconnaissant dans des petits propriétaires indépendants, hostiles au
grand capital, mais refusant l’idée de la lutte des classes, au non du le principe de
solidarisme : ce sont les classes moyennes, les professions libérales, les propriétaires
exploitants agricoles, les commerçants, artisans, les petits industriels, les fonctionnaires,
milieu hétérogène, à mi-chemin entre la bourgeoisie et le prolétariat, « un parti de
propriétaires qui travaillent, et de travailleurs qui possèdent ». Herriot le définit comme le
parti des « Français moyens ». Le politologue Thibaudet le présente comme le parti de la
province. Deux bastions peuvent être distingués : Lyon et la vallée du Rhône, qui s’organise
autour de la figure d’Edouard Herriot ; Toulouse et tout le Sud-Ouest, avec la dépêche de
Toulouse, qui tire à près de 350 000 exemplaires, dirigé par les frères Sarraut (Maurice et
Albert).
A gauche du parti radical, c'est le parti socialiste, fondé en 1905, la SFIO- PSU,
formée par trois grandes familles: les anarcho-syndicalistes, les marxistes avec Jules Guesdes,
les réformistes (possibilistes) qui ont renoncé à la solution révolutionnaire, et exercent la
gestion de municipalités. Jean Jaurès réussit à réunir ces différentes familles, assassiné en
juillet 1914, ce qui conduit les socialistes à participer à l'Union sacrée. Cette ligne va poser un
problème durant le conflit puisqu'un courant d'opposition interne apparaît. Deuxième conflit
au sein du PS, celui issu de la révolution bolchevique, avec la question de la reconstruction de
l'Internationale socialiste. Une première Internationale avait été crée par Marx en 1864,
jusqu'en 1876, échouant face à l'opposition anarchiste. Une deuxième Internationale est mise
en place en 1889 lors du congrès de Paris, dont Jaurès avait voulu se servir pour éviter la
guerre, mais qui échoue avec les unions sacrées. En 1920, Lénine fonde la troisième
Internationale, posant 21 conditions pour les PS voulant y participer, les contraignant à faire
un choix. C'est un modèle de parti très centralisé est insurectionnel qui est défini par ces
conditions: obligation d'une organisation clandestine, amenée à passer à l'action lors de la
phase révolutionnaire; pratique de l'épuration; les décisions de l'Internationale ont autorité sur
les partis;... En décembre 1920, le congrès de Tours doit trancher cette question, avec deux
lignes opposées: le discours de l'adhésion avec Marcel Cachin, qui revient d'URSS,
expliquant que pour la première fois la question sociale est devenue une réalité en Russie, et
estimant que les Français n'ont pas à se méfier de la discipline bolchevique; le discours de
Léon Blum est hostile à l'adhésion, n'hétant pas hostile à la révolution ni à la dictature du
prolétariat, mais refusant une structure trop centralisée, où le débat est impossible, et contraire
au socialisme français, refusant des décisions prises par un état-major clandestin (« Dictature
d'un parti, oui, dictature du prolétariat, oui, dictature de quelques individus connus ou
inconnus, non. »). D'où une scission interne: un vote majoritaire se prononce pour l'adhésion,
fondant un nouveau parti, la SFIC ou PCF; une minorité restant à la SFIO, rejoignant la
deuxième Internationale refondée en 1922. La scission est de même syndicale, entre la CGTU
proche du PC, et la CGT avec la SFIO. En 1921, ceux qui sont restés à la SFIO sont dans une
situation difficile, avec 35 000 militants (100 000 pour le PC), perdant l'Humanité au profit du
PC, la SFIO gardant tout de même la majorité du groupe parlementaire (sur 68 députés, 55
restent SFIO), et certaines personnalités restent à la SFIO: Jules Guesdes, Jean Longuet,
Renaudel; les dirigeants du partis deviennent Paul Faure et Léon Blum. Faure s'emploie à
réorganiser les structures locales du parti. Blum rédige en 1919 le programme de la SFIO, Le
Populaire, nouveau journal, diffusant ses idées. Dès 1920, on assiste à une rapide reprise des
effectifs: à partir de 1922, un certain nombre de militants reviennent à la SFIO (Ludovic-
Oscard Frossard), avec 140 000 militants (niveau de 1914, le parti social démocrate allemand
en affichant un million). Il est très représenté dans le Nord, le centre, le midi méditerranéen,
sa base constituée d'ouvriers, enseignants, petits fonctionnaires, le PC privant le PS d'une
partie de sa base populaire, l'obligeant à s'ouvrir aux classes moyennes; un sondage du
Populaire présente la composition de la SFIO: 19% d'agriculteurs, 15% d'ouvriers, 26% de
fonctionnaires, 18% de professions libérales. Cette évolution pose un problème de ligne pour
la PS: son objectif reste la révolution, se présentant dans la droite ligne du marxisme. Les
socialistes entrent au Gouvernement avec le Cartel des gauches; la question de la participation
devenant centrale, Blum présente les deux objectifs: la conquête du pouvoir (objectif à long
terme) dans le cadre d'une crise révolutionnaire, mais les conditions n'étant pas réunies;
l'exercice du pouvoir, permettant une série de réformes concrètes sans attendre la révolution.
Ils acceptent donc le jeu des institutions, mais seulement lorsque les réformes sont possibles,
devant devenir avant tout la force principale de gauche, ce qui ne sera atteint qu'en 1936.
Plus de 200 000 militants ont rejoint le PC, qui garde aussi l'Humanité. Il bénéficie du
ralliement de nombreux intellectuels: Anatole France, Henry Barbusse (Le Feu). Certains
surréalistes rapprochent du PC comme André Breton ou Louis Aragon. Son fonctionnement
restera assez proche de celui de la SFIO. Les choses changent en 1923 avec la reprise par la
troisième Internationale, rappelant à la SFIC les 21 conditions, exigeant une épuration du
parti. Face à ces exigences, Frossard, membre de la Ligue des droits de l'Homme et franc-
maçon, quitte le PC pour la SFIO. On rappelle aussi au PC l'obligation de soumission à
l'Internationale, Fried étant envoyé surveiller le PCF. On parle de « bolchevisation » de la
SFIC, centralisation avec comme unité de base la cellule, puis les sous-rayons, les rayons et la
direction centrale. Il faut aussi former de nouveaux militants et dirigeants, avec la création de
l'école de cadres Bobigny. La formation plus poussée conduit à l'école internationale de
Moscou, qui forme les cadres de l'Internationale. De nouveaux cadres prennent donc la place
des anciens SFIO dans les années 20: Maurice Thorez, qui entre militant SFIO en 1917, et
devient secrétaire général en 1930; Jacques Duclos, membre de l'ARAC, d'origine paysanne,
battant Blum aux législatives de 1928; Jacques Doriot, formé à Bobigny, un des meneurs
d'Hommes du PC, chargé de la question coloniale (condamnant la guerre du Rif). En 1926, le
PC adopte la tactique de la lutte classe contre classe, reposant sur une analyse mondiale, qui
doit mener les communistes à lutter contre la menace fasciste, mais aussi contre les socio-
traitres (partis de gauche modérée), qui suppose qu'on refuse toute alliance électorale avec les
autres partis de gauche, refusant tout désistement au second tour des élections, comme le
décrit Ferrat. D'où l'effondrement parlementaire du groupe communiste: 25 députés en 1924,
14 en 1928 et 10 en 1932. De même pour le nombre de militants: 30 000 en 1931. C'est dans
les régions industrielles que le PC va disposer des meilleures implantations: bassin parisien,
Nord, Est, arrondissements populaires de Paris et banlieues Est (en 1924, 1/3 des voix PC
vient du département de la Seine). Le PC s'appuit sur la CGTU et sur un réseau associatif très
dense dans les banlieues: clubs sportfs, troupes de théâtre, avec la victoire aux municipales
dans de nombreuses municipalités de banlieue. D'où la créations de colonies de vacances, de
bureaux d'aide médicale et pour l'emploi; c'est la création d'une contre-société. On trouve
aussi un communisme rural, attendant les réformes agraires et le partage des terres.
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