Télécharger le Texte Complet - Revue Marocaine de Rhumatologie

publicité
50
Disponible en ligne sur
CAS CLINIQUE
www.smr.ma
Fasciite a éosinophile ou syndrome de Shulman : à propos
d’un cas et revue de la littérature.
Eosinophilic fasciitis or Shulman syndrome : report of a case and literature review.
Charaf Eddine Elkassimi, Livus Florescu, Damien Pourre.
Service Traumatologie et Orthopédie, Hopital Simone Veil, Eaubonne - France.
Rev Mar Rhum 2016; 38: 50-3
Résumé
Abstract
La fasciite à éosinophile est une maladie rare,
décrite par Shulman en 1974. Elle associe des
œdèmes des membres à une éosinophilie.
L’œdème laisse progressivement la place à une
induration sous-cutanée, touchant les avant-bras
et les jambes. Les mains et le visage sont en
général épargnés. Il n’y a pas de phénomène de
Raynaud ni de marqueur d’auto-immunité.
Eosinophilic fasciitis is a rare disease, described
Le diagnostic est évoqué par la clinique, conforté
par l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et
confirmé par l’histologie.
by Shulman in 1974. It combines edema members
to eosinophilia. Edema gradually gives way to a
subcutaneous induration, reaching forearms and
legs. The hands and face are usually spared. There
are no Raynaud’s phenomena or autoimmunity
marker.
Diagnosis is suggested by the clinic Clinica,
enhanced by Magnetic resonance imaging (MRI)
L’IRM montre un épaississement des fascias
superficiels et profonds, mieux visualisé après
injection de produit de contraste. Les stéroïdes
sont efficaces dans la majorité des cas. Des
immunosuppresseurs doivent être associés en
cas de cortico-résistance.
and confirmed by histology. The MRI shows a
Mots clés : Fasciite à éosinophiles, Histologie,
Key words :
Stéroïde.
Steroids.
thickening of the superficial and deep fascia, best
seen after contrast injection. Steroids are effective
in the majority of cases. Immunosuppressants
should be involved in cases of cortico-resistance.
Eosinophilic fasciitis, Histology,
La fasciite à éosinophiles (FE) est une maladie rare,
été décrit de nombreuses fois, confirmant la description
dont les deux premiers cas ont été décrits en 1974
de Shulman et identifiant une entité clinique nouvelle.
par Shulman [1]. Il s’agissait de deux hommes de 53
Le but de ce travail est de reprendre brièvement, à
et 19 ans, qui présentaient une induration sous-cutanée
l’occasion d’un cas clinique, les différents aspects qui
progressive, épargnant la face et les extrémités. Ces
caractérisent cette maladie, et de revoir les traitements
patients ne souffraient pas de phénomène de Raynaud
utilisés dans les publications les plus récentes.
et ne présentaient pas d’atteinte viscérale. Le bilan
biologique montrait une importante éosinophilie sans
OBSERVATION
marqueurs d’auto-immunité. Ce tableau a, depuis lors,
Il s’agit d’un patient âgé de 34 ans, en bon état général,
Correspondance à adresser à : Dr. C. Elkassimi
Email : [email protected]
Revue Marocaine de Rhumatologie
Fasciite a eosinophile ou syndrome de Shulman : à propos d’un cas et revue de la littérature.
51
qui présentait depuis mai 2013, un œdème isolé des
des membres a été effectuée (figure 2), qui montrait
deux chevilles. Le patient
était mis sous diurétiques
un épaississement avec prise de contraste des fascias
à faible dose sans efficacité. L’œdème progressait,
musculaires, sans signe d’atteinte musculaire ou osseuse.
touchant les quatre membres et le tronc. Dès aout 2014,
Le reste du bilan biologique et radiologique était dans
il a été remplacé par un durcissement progressif de la
la norme. Une biopsie a été réalisée prenant en bloc
peau des membres, avec apparition d’une restriction de
la peau, l’aponévrose et le muscle, et qui a confirmé le
la mobilité articulaire et des douleurs des poignets et des
diagnostic de fasciite à éosinophiles (figure3). Le patient
chevilles. La formule sanguine simple était normale, de
a bénéficié d’une perfusion de solumédrol de 0,5g/jour
même que la fonction rénale. Un bilan immunologique
durant trois jours, puis de prednisone à la dose de 1
ne montrait pas de signes d’auto-immunité.
mg/kg/jour, avec un schéma dégressif. L’efficacité du
Lorsque le patient consultait en octobre 2014, on notait
traitement a été évaluée à trois mois et qui montrait une
une induration de la peau des bras et des jambes
réponse favorable.
surtout, avec un aspect en «peau d’orange» sur les bras.
(Figure1).
DISCUSSION
Il n’y avait pas d’atteinte du visage ni des mains. A
La fasciite à éosinophiles ou syndrome de Shulman est
l’anamnèse, on ne retrouvait pas de phénomène de
une maladie rare qui présente deux pics d’incidence
Raynaud, ni d’ulcères digitaux. Le bilan sanguin montrait
: entre 20 et 30 ans et entre 45 et 60 ans [2]. Des
une éosinophilie discrète (8%), associée à un syndrome
cas pédiatriques sont décrits [3], de même que des
inflammatoire discret (CRP à 17,3 mg/l). Le facteur
cas gériatriques. La grande majorité des maladies
antinucléaire (FAN) et les antinucléoprotéines étaient
surviennent de manière sporadique et il ne semble pas y
négatifs. Une imagerie par résonance magnétique
avoir, à quelques exceptions près, de cas familiaux [2].
Figure 1 : Induration de la peau de la cuisse droite.
Figure 2 : IRM coupe axiale T1injection montrant l’épaississement
des fascias musculaires sans signe inflammatoire des muscles.
Revue Marocaine de Rhumatologie
Figure 3 : Pièce opératoire prenant en bloc la peau, l’aponévrose
et le muscle.
52
C. Elkassimi et al.
CAS CLINIQUE
L’évolution de la Fasciite à éosinophiles s’effectue en
éosinophilie sanguine, associée à un œdème sensible et
général en deux étapes : Tout d’abord, durant une phase
douloureux des membres
inaugurale, les patients développent des symptômes
Le bilan biologique montre une éosinophilie dans 80-
aspécifiques à type d’œdèmes des membres, sensibles
à douloureux, symétriques, associés parfois à des
arthralgies. Progressivement, la phase d’état s’installe et
l’œdème disparaît, laissant la place à une induration
cutanée progressive non douloureuse [4].
90% des cas, parfois importante. Cette éosinophilie
a tendance à diminuer, voire à disparaître lorsque
l’induration cutanée apparaît [9]. La vitesse de
sédimentation est fréquemment élevée, de même
que le dosage des immunoglobulines montre une
L’atteinte cutanée est symétrique, touche préférentiellement
hypergammaglobulinémiele plus souvent polyclonale. Le
les avant-bras et les jambes. Selon les patients, ou
bilan immunologique est par contre normal, en l’absence
avec le temps, l’atteinte progresse jusqu’aux cuisses,
de marqueur d’auto-immunité. L’ imagerie par résonance
aux bras, voire au tronc. La rigidification des tissus
magnétique est d’une grande utilité pour confirmer le
profonds est associée à une diminution de la mobilité
diagnostic. Elle met en évidence un épaississement des
articulaire et à la survenue de syndromes du canal
fascias musculaires superficiels en T1, ainsi qu’en T2. Il
carpien [5]. L’atteinte articulaire est rarement sévère. On
existe un rehaussement des fascias après injection de
peut cependant trouver des arthrites franches, affectant
gadolinium [10]. Les fascias musculaires profonds sont
surtout les poignets et les chevilles [6].
aussi anormaux dans la majorité des cas. L’ imagerie par
Plusieurs aspects de la maladie permettent d’orienter
résonance magnétique permet d’orienter la biopsie sur
le diagnostic et de différencier la fasciite à éosinophile
une zone atteinte [5,9] et le diagnostic formel repose sur
de la sclérose systémique. Tout d’abord, les patients
l’histologie. Il est important que la biopsie chirurgicale
présentent une induration cutanée qui épargne le visage
comprenne un fragment complet de la peau au muscle. La
et les extrémités, alors qu’elle affecte ces zones de
Fasciite à éosinophiles est caractérisée par la présence
manière caractéristique dans la sclérose systémique.
d’un infiltrat inflammatoire et par un épaississement des
Les patients souffrant de fasciite à éosinophile n’ont pas
fascias musculaires superficiels avec densification du
de phénomène de Raynaud et pas de sclérodactylie
collagène. Le muscle sous-jacent n’est en principe pas
; la capillaroscopie sous-unguéale est normale. Ils
atteint, bien que cela ait été décrit. Par contre, les fascias
ne présentent pas non plus les atteintes systémiques
profonds sont le plus souvent atteints, comme suggéré
retrouvées lors de la sclérose systémique [6].
par l’imagerie. Du côté cutané, l’inflammation diminue
L’aspect de l’induration cutanée est aussi relativement
vers la superficie, avec une atteinte en généralplus
caractéristique. En effet, il s’agit d’une infiltration
discrète de l’hypoderme, et parfois du derme.
inflammatoire et d’un épaississement des fascias
Etant donné la rareté de la maladie, il n’existe pas
musculaires. Les tissus sous-cutanés profonds sont moins
d’étude contrôlée permettant d’orienter la prise en charge
touchés, et dans la grande majorité des cas, ni le muscle,
thérapeutique. Il existe par contre un grand nombre
ni le derme superficiel ne sont affectés. Ceci donne un
de cas rapportés et quelques revues systématiques de
aspect particulier à la peau, décrite comme «en peau
cas, rapportant les traitements utilisés et leur efficacité
d’orange».
[11,12].
Lorsque les membres supérieurs sont surélevés, la
Les stéroïdes constituent le traitement de référence
vidange veineuse laisse la place à un sillon entre les
pour cette pathologie. La grande majorité des patients
tissus sous-cutanés indurés (signe du canyon). Ce signe
décrits ont reçu, dès le diagnostic, des stéroïdes à dose
est spécifique de la Fasciite à éosinophiles [7,8].
relativement élevée, de l’ordre de 0,5 à 1 mg/kg/jour.
Il n’existe pas de critères de diagnostic publiés, la clinique
L’effet est immédiat sur le plan biologique avec disparition
oriente le diagnostic. Il faut y penser en présence d’une
de
l’éosinophilie
et
du
syndrome
inflammatoire.
Revue Marocaine de Rhumatologie
Fasciite a eosinophile ou syndrome de Shulman : à propos d’un cas et revue de la littérature.
L’évolution de l’atteinte des fascias prend beaucoup plus
Déclaration d’intérêt
de temps et est très variable d’un patient à l’autre (trois
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
53
à cinq semaines ou aucun effet après plusieurs mois).
Ainsi, après deux à trois mois de traitement par stéroïdes
Références
seuls, et en l’absence d’amélioration sur le plan cutané,
1. Grados D, Martinez-Morillo M, Tejera B, Olive A. A comment
divers immunosuppresseurs ou immunomodulateurs ont
on «from diagnosis to remission: Place of MRI in eosinophilic
été utilisés, comme le méthotrexate, la ciclosporine,
l’azathioprine, l’hydroxychloroquine. Il n’existe pas de
recommandations, plusieurs auteurs associent dès le
début de la prise en charge, un immunosuppresseur et
des stéroïdes. Il n’est pas possible de comparer pour
l’instant l’efficacité de ces différentes substances.
fasciitis». ClinRheumatol 2011;30: 441-2.
2. Khanna D, Verity A, Grossman JM, Eosinophilic fasciitis with
multiple myeloma : A new haematological association. Ann
Rheum Dis 2002;61:1111-2.
3. Chun JH, Lee KH, Sung MS, Park CJ. Two cases of eosinophilic
fasciitis. Ann Dermatol 2011;23:81-4.
4. Allen JA, Peterson A, Sufit R, et al. Post-epidemic eosinophilia-
Dans la revue de D. Lebeaux, 12 sur les 32 patients
myalgia syndrome associated with L-tryptophan. Arthritis
suivis au long cours, tous ont reçu des stéroïdes, pour
Rheum 2011;63:3633-9.
une durée moyenne de 45,7 mois, 44% des patients
ont aussi reçu un traitement de seconde ligne, à savoir
le méthotrexate dans 86% des cas, l’azathioprine dans
14% des cas et l’hydroxychloroquine dans 6% des cas.
94% des cas traités par stéroïdes seuls, ont obtenu une
rémission complète des symptômes, contre seulement
36% des cas qui étaient sous immunosuppresseurs [13].
Ces auteurs montrent aussi que l’utilisation de hautes
doses de stéroïdes comme traitement d’induction (SoluMedrol 0,5 g à 1 g/jour durant trois jours) semble être
associée à la rémission complète.
La revue de la littérature et notre cas traité, montre que
le pronostic de la fasciite à éosinophile est en général
bon, si le diagnostic était précoce et le traitement était
bien conduit.
CONCLUSION
La fasciite à éosinophile (ou le syndrome de Shulman) est
une maladie rare. Elle peut être invalidante, mais répond
en général bien à un traitement de corticostéroides
seuls ou en association avec des immunosuppresseurs
5. Messeguer A. Potential implication of aniline derivatives in the
Toxic Oil Syndrome (TOS). ChemBiol Interact 2011;192:13641.
6. Ruiz-Mendez MV. Contribution of denaturing and
deodorization processes of oils to toxic oil syndrome.
ChemBiolInteract 2011;192:142-4. Revue Médicale Suisse –
www.revmed.ch – 18 avril 2012 Adresses
7. Shulman LE. Diffuse fasciitiswithhypergammaglobulinemiaand
eosinophilia. A new syndrome. J Rheumatol1974;1(Suppl.
1):46.
8. Clements, PJ, Lachenbruch PA, Seibold JR, et al. Skin
thickness score in systemic sclerosis: An assessment of
interobserver variability in 3 independent studies. J Rheumatol
1993;20:1892-6.
9. Poliak N, Orange JS, Pawel BR, Weiss PF. Eosinophilicfasciitis
mimicking angioedema and treatment response to
infliximab in a pediatric patient. Ann AllergyAsthmaImmunol
2011;106:444-5.
10. Rosenfeld K, Stodell MA. Eosinophilic fasciitis in a father and
son.Ann Rheum Dis 1994;53:281.
11. Lakhanpal S, Ginsburg WW, Michet CJ, Doyle JA, Moore
SB. Eosinophilic fasciitis : Clinical spectrum andtherapeutic
response in 52 cases. SeminArthritisRheum1988;17:221-31.
12. Endo Y, Tamura A, Matsushima Y, et al. Eosinophilic fasciitis
au besoin. Le fait que certains aspects de cette maladie
: Report of two cases and a systematic review of the literature
soient proches d’autres pathologies inflammatoires plus
dealing with clinical variables that predict outcome. Clin
fréquentes laisse penser que la Fasciite à éosinophiles
est probablement sous-diagnostiquée. Il est important
d’y songer car le pronostic et la réponse au traitement
sont meilleurs que pour la sclérose systémique.
Revue Marocaine de Rhumatologie
Rheumatol 2007;26:1445-51.
13. Lebeaux D, Frances C, Barete S, et al. Eosinophilic fasciitis
(Shulman disease) : New insights into the therapeutic
management from a series of 34 patients. Rheumatology
(Oxford) 2012;51:557-61.
Téléchargement