2. La vision néoclassique des biens publics à la Commission européenne et en
Angleterre, fondement d’un compromis original
2.1. Un appui sur des critères intrinsèques de non-rivalité et de non-exclusion
Plusieurs rapports sur la PAC et la notion de biens publics ont significativement influencé la
Commission européenne. Ils ont souvent été conduits par des auteurs provenant
d’organisations britanniques, comme l’Institute for European Environment Policy (Cooper,
Hart, Baldock, 2009 ; Baldock, Hart, Scheele, 2010) et la Country Land Association
(Buckwell, 1997 ; Buckwell, 2009). Dans ces rapports, les biens publics sont définis avant
tout selon des critères intrinsèques à ces biens, de non rivalité et de non exclusion. De même,
dans les entretiens conduits à Bruxelles et en Angleterre, ces critères, renvoyant à des
défaillances de marché, sont apparus comme fondamentaux pour délimiter la sphère des biens
publics.
La vision des biens publics adoptée rejoint celle généralement admise en économie néo-
classique. Ce sont des « biens de consommation collectifs dont tous bénéficient en commun,
c'est-à-dire dont la consommation par un individu ne diminue en rien la consommation d'un
autre individu » (critère de non rivalité selon Samuelson, 1954) et pour lesquels il est
impossible d’exclure « de la jouissance d’une marchandise ou d’un service quelconque, [un
agent qui] n’est pas prêt à payer au propriétaire le prix stipulé » (critère de non exclusion
selon Musgrave, 1959). Ces défaillances de marché écartent de l’allocation optimale des
ressources, obtenue grâce à l’équilibre des marchés. Elles empêchent de déterminer les
niveaux optimaux de consommation et de production, puisque « c'est dans l'intérêt propre de
chaque personne de donner un faux signal, de prétendre avoir moins d'intérêt dans une activité
de consommation collective donnée qu'il n'en a en réalité » (Samuelson, 1954). Elles posent le
problème du passager clandestin identifié par Musgrave, conduisant à une production sous-
optimale des biens publics. Dès lors, ces défaillances de marché impliquent une intervention
publique.
Ces caractéristiques techniques de non rivalité et de non exclusion délimitent strictement la
sphère des biens publics, dont la liste est relativement restreinte si on applique à la lettre cette
définition. De même, dans les rapports qui ont influencé la Commission européenne, il
apparaît une liste bien délimitée de biens publics (cf. figure 2, colonne 2).
Il faut noter néanmoins que ces biens publics ne correspondent pas toujours strictement à la
définition néoclassique, selon les critères de non rivalité et de non exclusion. Cet
élargissement de la liste des biens publics révèle la grande difficulté de considérer des enjeux
agricoles essentiels, à partir de cette définition restrictive proposée par l’économie néo-
classique. De nombreux auteurs ont ainsi pointé les limites de l’approche économique néo-
classique des biens publics pour repenser les politiques agricoles (par exemple, Marsh, 1992,
Massot-Marti, 2003 ; Freshwater, 2005).