Université Libre de Bruxelles
Faculté des sciences sociales et politiques
Département de sciences politiques
Le rapport à l’Histoire dans la pensée politique des libéraux et des communautariens
Etude au travers de deux figures paradigmatiques : Kant et Taylor
Mémoire présenté par Martin DELEIXHE en vue de l’obtention du Master de sciences
politiques à finalité approfondie
Directrice : Justine LACROIX
Assesseur : Jean-Marc FERRY
Année académique 2008-2009
1
Remerciements
Avant toute chose, mes remerciements vont à Madame Lacroix, tant pour m’avoir fait
découvrir des questions et des thématiques nouvelles que pour m’avoir accompagné avec
patience et ouverture d’esprit tout au long de ce travail et de mes autres démarches
académiques.
Je suis également redevable à Mr Ferry de m’avoir communiqué sa passion de la
philosophie. C’est en suivant ses cours que j’ai découvert que, loin d’être une austère
discipline académique, elle était une façon d’interroger le monde. Mme Pelabay a également
toute ma gratitude pour avoir partagé patiemment avec moi sa connaissance approfondie de
Charles Taylor.
Je voudrais ensuite remercier mes parents de m’avoir toujours encouragé, que ce soit
par leur affection inconditionnelle ou par leur respect de mes choix. Merci à Thib de
commenter la politique avec l’analyse littéraire comme outil. Ce mélange improbable offre de
belles intuitions. Merci à Gus d’être toujours prêt à abandonner physique et chimie pour
échanger avec son grand frère. Ces moments sont précieux.
Détailler toutes les formes de soutien que m’a apporté Caro n’aurait aucun sens. C’est
pour l’entièreté de ce qu’elle fait et de ce qu’elle est que je la remercie.
Merci encore à Matthieu et Julien d’avoir enduré patiemment mes monologues sur
Taylor ainsi qu’à Alice, Antoine, Damien, Fred, Gilles, Olivier, Pauline, Tarek d’entretenir
les ponts entre Liège et la capitale.
Enfin, je voudrais terminer par une énorme embrassade de la joyeuse bande du 55 et
de ses satellites sans qui Bruxelles ne serait jamais devenu ma maison.
2
« - Mais, s’écria-t-il, qu’as-tu à faire d’être Polonais ?
Délectable destin en vérité le destin des Polonais, jusqu’à
ce jour ! Tu n’en es pas écœuré, de ta polonité ? Tu n’es pas
saturé du Martyre ? Tu n’en as pas ton saoul, des séculaires
Supplices et Tourment ? Et aujourd’hui, une fois de plus, on
vous fait la peau ! Tu y tiens donc tellement, à cette peau-
? Tu n’as pas envie de devenir quelque chose d’Autre, de
Nouveau ? Tu n’imagines pas d’autre vocation pour vos
Garçons que de répéter inlassablement les rengaines des
Pères ? […]
- Tais-toi, criai-je, épargne moi la suite de ta semonce ! Tu
voudrais que je me dresse, moi, contre le Père et la Patrie,
en un tel moment de notre Histoire ? N’y compte pas !
- Au diable le Père et la Patrie, grommela-t-il. Le Fils, ah le
fils, c’est autre chose, tout s’éclaire. Qu’as-tu à faire de
la Patrie ? La Filistrie n’est-ce pas mieux ? Echange la
Patrie contre la Filistrie et tu verras ! »1
Witold GOMBROWICZ
1
GOMBROWICZ, Witold, Trans-Atlantique, Editions Denoël, Paris, 1976, pp. 107-108.
3
1. Introduction
1.1. Une métaphore à la portée insoupçonnée
Lorsque Charles Taylor présente, non sans ironie, le débat entre libéraux et
communautariens comme l'opposition de deux « teams »
1
de philosophes, il n'a probablement
pas conscience de la portée de sa métaphore. Alors que l’intention apparente est de souligner
le fait que les auteurs de chaque « team » partagent un « air de famille »
2
qui ne renie pas pour
autant la singularité de leurs œuvres personnelles, les significations suggérées par l’image
dépassent ce seul constat. Si la philosophie était un sport d'équipe (comme semble le suggérer
la terminologie employée), on serait alors en mesure d'y découvrir tous les ingrédients d'une
dynamique collective. En jouant à tirer le fil de la métaphore, on cherchera pêle-mêle une
stratégie propre à chaque camp, des rôles prédéfinis au sein de l'équipe, un objectif commun
ou encore un terrain d'affrontement. Mais, comme toute métaphore, celle-ci a ses limites et
s’essouffle rapidement. Elle n’est finalement qu’une figure de style et pas un instrument
heuristique. Ce n’est d’ailleurs pas tellement une surprise. La transposition de l'univers feutré
des débats académiques dans l'image de l'empoignade viril d'un match de hockey sur glace
(restons dans l’univers canadien de Taylor pour l’exemple) se paie forcément par des
imprécisions ou des contresens. Les auteurs communautariens ne se sont pas concertés afin de
coordonner leurs critiques à l’encontre de Rawls, pas plus qu’ils n’ont choisi chacun
d’endosser un rôle spécifique. L’image fantaisiste de McIntyre assurant la défense par ses
positions conservatrices tandis que Taylor et Walzer passeraient à l’offensive en relevant les
contradictions internes du libéralisme est sans fondement. La convergence des points de vue
de ces auteurs est bien plus le fruit de la résurgence conjoncturelle de la thématique
communautaire que d’une volonté partagée.
Néanmoins, par delà tous ses défauts, la métaphore sportive conserve un mérite sur
lequel insiste Taylor : celui de rendre compte du caractère « complexe et
multidimensionnel »
3
de l'opposition. La pratique d’un sport, à l’instar de la pratique de la
philosophie, fait appel à des qualités diverses, à la fois individuelles et collectives. Pour
1
TAYLOR, Charles, « Quiproquos et malentendus : le débat communautariens - libéraux », in BERTEN, André,
DA SILVEIRA, Pablo, POURTOIS, Hervé (dir.), Libéraux et communautariens, Presses Universitaires de
France, Paris, 1997, p. 87.
2
BERTEN, André, DA SILVEIRA, Pablo, POURTOIS, Hervé, « Introduction générale», in BERTEN, André,
DA SILVEIRA, Pablo, POURTOIS, Hervé (dir.), Libéraux et communautariens, Presses Universitaires de
France, Paris, 1997, p. 6.
3
TAYLOR, Charles, « Quiproquos et malentendus : le débat communautariens - libéraux », loc. cit., p. 119.
4
rendre compte de cette multiplicité au sein du débat, tentons de résumer brièvement les
grandes lignes qui la structurent.
1.2. Un débat multidimensionnel et complexe
Le débat entre libéraux et communautariens, que l’on peut faire remonter au dialogue
que Sandel ouvre avec Rawls en 1982
4
, naît d’un désaccord central. À la conviction
rawlsienne que l’agent moral est capable de se décentrer et d’adopter une position réflexive et
critique quant à ses propres fins, est opposée la conception communautarienne d’un agent
moral plongé dans une culture épaisse de significations partagées et d’orientations
normatives
5
. Ce nœud central est décliné sous de multiples formes. Il est abordé sous l’angle
de la philosophie morale (on cherche à savoir si les structures politiques doivent être
gouvernées selon des principes de justice ou orientées vers certaines valeurs identifiées
comme des Biens
6
), de la problématique de la motivation (les principes de justice seraient
trop froids et abstraits pour dicter la conduite des agents moraux au contraire des conceptions
partagées du Bien
7
), par le biais de l’anthropologie (l’individu est conçu comme
« désencombré »
8
manipulant une raison « désengagée»
9
, typique d’un « moi ponctuel »
10
ou
à l’inverse l’individu serait toujours immergé dans une communauté) ou encore de la
sociologie (face à la neutralité revendiquée de l’Etat, on rétorque par la mise en évidence de la
violence symbolique exercée par la culture majoritaire à travers les institutions étatiques à
l’encontre des cultures minoritaires
11
).
On perçoit, malgré leur présentation schématique, que les arguments avancés de part et
d’autre sont variés et situés sur des plans différents. Au vu de la diversité des thèmes abordés,
on peut affirmer que « le débat libéraux-communautariens correspond en fait à un ensemble
4
LACROIX, Justine, Communautarisme versus libéralisme : quel modèle d’intégration politique ?, Editions de
l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2003, p. 9.
5
TAYLOR, Charles, Les sources du moi : la formation de l’identité moderne, Editions du Seuil, Paris, 1998, p.
57.
6
SANDEL, Michael, « The Procedural Republic and the Unencumbered Self », Political Theory, 12/1, 1984, pp.
82-83.
7
ABIZADEH, Arash, « Does Liberal Democracy Presuppose a Cultural Nation? Four Arguments », American
Political Science Review, 96/3, 2002, pp. 495-497.
8
SANDEL, Michael, « The Procedural Republic and the Unencumbered Self », loc. cit., pp. 81-96.
9
TAYLOR, Charles, Les sources du moi : la formation de l’identité moderne, op. cit., p. 193.
10
Ibid., p. 211.
11
KYMLICKA, W., La citoyenneté multiculturelle, La Découverte, Paris, 2001, p. 15.
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