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La folle histoire de la robe du Blanc-Bleu Belge
27/03/12
Qui aurait pu prévoir qu'étudier les gènes responsables d'une couleur de robe du Blanc-Bleu Belge mènerait
à la découverte d'un nouveau mécanisme créateur de variabilité génétique ? C'est pourtant ce qui est arrivé à
Carole Charlier et ses collègues de l'Unité Génomique animale. Les résultats de leur recherche ont été publiés
début février dans la revue Nature.
Elles font partie de nos paysages presque comme des meubles font partie d'une maison. Il suffit de sortir
des villes pour les voir paître dans les prés. Après plus de 10.000 ans de domestication, les vaches sont des
animaux tellement communs que, bien qu'elles aient un capital sympathie aux yeux des hommes, ceux-ci
passent souvent à côté d'elles en toute indifférence. Si l'on ne prête que peu d'attention aux bovins, les motifs
« vache », eux, suscitent un grand intérêt. En effet, la robe blanche à tache noire est à la mode et habille
bavoirs, peignoirs, coussins, coques de téléphone, parapluies, chaussures, poubelles et autres produits.
La robe des vaches n'intéresse cependant pas seulement les fashionista. Carole Charlier, chercheuse
qualifiée F.R.S.-FNRS et chef de projet à l'Unité de recherche Génomique animale du GIGA, et ses
collègues s'y intéressent également. « Cette étude découle d'un programme de recherche sur la variété bovine
Blanc-Bleu Belge visant à cartographier des caractères monogéniques simples, c'est-à-dire des caractères
déterminés par un seul gène, qui ont un effet agronomique important. Ces caractères peuvent être soit
des caractères de production soit des tares ou des maladies économiquement débilitantes », explique la
chercheuse. Ce type de caractère est habituellement récessif et nécessite donc deux copies de la mutation
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pour que l'individu présente le phénotype qui y est lié. « On peut trouver le gène et les mutations qui sont
responsables d'un phénotype par l'étude du génome entier grâce à des programmes d'analyses statistiques
qui permettent de localiser ces caractères », indique Carole Charlier. « Pour des maladies récessives, ce
type de programme est au point et nous voulions développer ce même type d'analyses pour des caractères
dominants », poursuit-elle. Or les Blanc-Bleu Belges présentent un phénotype dominant au niveau d'une
coloration particulière de leur robe. Celui-ci se traduit par des flancs colorés et une raie blanche sur la ligne
dorsale et est appelé « blanc-dos ». « Nous espérions ainsi pouvoir identifier de nouveaux gènes impliqués
dans la couleur du pelage des bovins car bien souvent ces gènes ont d'autres effets sur des caractères qui
sont plus importants. Par exemple, chez la souris certains gènes qui jouent un rôle dans la couleur de la robe
de ces rongeurs sont aussi associés à des effets sur la fertilité ou sur l'obésité », précise Carole Charlier.
Un premier round peu concluant
Pour trouver le gène qui contient la mutation responsable dudit phénotype, les chercheurs de l'Unité
Génomique animale, dirigée par Michel Georges, sont donc partis à la recherche d'un morceau de
chromosome ancestral, un segment de chromosome la mutation s'est produite à l'origine, commun à toutes
les vaches qui présentent ce phénotype. « Nous avons comparé le génome de bovins présentant le phénotype
« blanc-dos » et celui de bovins contrôles qui ne présentaient pas ce phénotype de robe. Et nous avons
trouvé une région commune aux vaches qui présentent le phénotype qui nous intéresse sur le chromosome
29 », révèle la scientifique. Malheureusement cette région était connue pour ne contenir qu'un seul gène,
sans intérêt pour cette recherche. En effet, ce dernier n'est pas exprimé au niveau des mélanocytes. « Nous
sommes restés bloqués à ce stade pendant près de deux ans », se souvient Carole Charlier.
C'est tout à fait par hasard que ce projet est remonté à la surface par la suite : « Keith Durkin, un post-
doctorant irlandais qui a rejoint notre laboratoire, travaillait sur un autre projet visant à établir un catalogue de
tous les variants structuraux au niveau du génome bovin », reprend la chercheuse. Les variants structuraux,
ou polymorphismes structuraux, sont tous types de variations que l'on peut observer au sein du génome
des individus d'une même espèce telles que des délétions, duplications, translocations, inversions, insertions
de fragments d'ADN. « Pour effectuer sa recherche Keith a utilisé les données produites par le laboratoire
au cours des dernières années. Ce sont des données de génotypage du génome entier effectuées à partir
du génome de 6000 à 7000 bovins de races différentes », indique Carole Charlier. Au sein de ces données,
le chercheur irlandais recherchait plus précisément des polymorphismes de type structuraux que l'on appelle
« copy-number variation », c'est-à-dire qui se traduisent par la délétion, duplication ou multiplication de sections
d'ADN.
Sur les milliers de variants de ce type décelés, Keith Durkin en a sélectionné certains, soit parce qu'ils avaient
une taille importante, soit parce qu'ils contenaient des gènes potentiellement impliqués dans des phénotypes
intéressants. « Parmi ces variants structuraux, l'un d'eux contenait le gène KIT connu pour engendrer un
phénotype de robe particulier lorsqu'il est muté », révèle la scientifique. « Et à partir de là, nous nous sommes
également rendu compte que le génome d'un certain nombre d'animaux de notre base de données contenait
ce gène dupliqué et qu'ils partageaient tous le phénotype de robe « blanc-dos » ! ».
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Une duplication qui donne du fil à retordre
Suite à ces travaux, les chercheurs se retrouvaient face à deux informations conflictuelles : la localisation
du gène responsable du phénotype « blanc-dos » des Blanc-Bleu Belges au niveau du chromosome 29 et
le fait que les animaux qui présentent ce phénotype ont en commun une duplication du gène KIT, gène du
chromosome 6. Il fallait donc réconcilier ces deux informations. « Nous avons alors émis l'hypothèse que
le morceau de chromosome dupliqué qui contenait ce gène était dupliqué non pas dans la région d'origine
mais s'était inséré ailleurs dans le génome et plus particulièrement à l'endroit où nous avions localisé le gène
responsable du phénotype », explique Carole Charlier. Ce type de mécanisme est connu et porte le nom de
translocation duplicative : au lieu de se dupliquer en tandem, soit à côté du segment de chromosome d'origine,
le segment dupliqué va s'insérer sur un autre chromosome.
Afin de vérifier cette hypothèse, Keith Durkin a poussé les analyses plus loin en utilisant une technique
permettant de mettre en évidence des segments chromosomiques précis à l'aide de sondes fluorescentes
(technique de FISH). « Il a ainsi pu montrer que le segment de chromosome dupliqué qui contenait le gène
KIT était effectivement inséré au niveau de la région du chromosome 29 que nous avions localisée lors de la
première étape de cette recherche », poursuit la scientifique. Mais comment ce fragment de chromosome
dupliqué s'était-il retrouvé là ? Quels processus avaient eu lieu entre l'excision au niveau du chromosome 6
et l'insertion au niveau du chromosome 29 ? L'étape suivante entreprise par les chercheurs du GIGA était de
répondre à ces questions. « Si le morceau du chromosome 6 s'était inséré de manière linéaire au niveau du
chromosome 29, on aurait observé : un bout de chromosome 29 suivi du bout de chromosome 6 dupliqué
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contenu entre deux point d'insertion, lui-même suivi du reste du chromosome 29 », décrit Carole Charlier. Mais
ce n'est pas exactement ce que les analyses par la technique du reséquençage du génome entier ont montré.
En effet, le schéma observé était quelque peu plus complexe. « La façon la plus parcimonieuse d'expliquer
la manière dont le segment du chromosome 6 s'était inséré au sein du chromosome 29 était qu'il avait formé
un intermédiaire circulaire entre ces deux évènements », révèle la chercheuse. Ainsi, après s'être excisé du
chromosome 6, le segment dupliqué se serait circularisé. Et, avant de s'insérer au niveau du chromosome
29, il se serait ensuite rouvert en un autre point, changeant alors l'ordre initial des parties le composant (voir
schéma).
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Du Blanc-Bleu Belge à la Brune Suisse en passant par le Yack du Tibet…
Parmi les bovins présentant le phénotype « blanc-dos », on compte également certains animaux de la race
Brune Suisse. « Nous avions appris que des chercheurs de l'université de Bern travaillaient sur la génétique
de la robe de cette race et nous les avons contactés pour collaborer avec eux. Nous désirions vérifier si ce
phénotype est issu du même mécanisme génétique chez la Brune Suisse », explique Carole Charlier. Aux
premiers abords, cela ne semblait cependant pas le cas : « les analyses qu'ils avaient déjà initiées avaient
permis de localiser la région du génome responsable de ce phénotype au niveau du chromosome 6, dans une
région proche du gène KIT », précise la scientifique. Ces résultats étaient donc à priori incompatibles avec
ceux obtenus pour le Blanc-Bleu Belge.
Mais il en aurait fallu plus pour décourager le groupe de recherche liégeois ! Une fois des échantillons d'ADN de
Brunes Suisses entre leurs mains, ceux-ci ont procédé aux mêmes analyses génétiques que celles effectuées
pour la race belge. « Ces analyses ont révélé que, chez les Brunes Suisses, une partie du morceau de
chromosome 6 dupliqué et inséré au niveau du chromosome 29 s'est excisée, circularisée, emportant un
fragment du chromosome 29, et est allée se réinsérer au niveau du chromosome 6 par un mécanisme de
recombinaison homologue », indique Carole Charlier (voir schéma).
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