Vers un module multimédia d’aide à l’apprentissage : les
leçons de
CAMILLE
Maguy POTHIER, LRL, Clermont 2
Dans le cadre du projet Lingua CAMILLE, une équipe du Laboratoire de Recherche sur le
Langage (LRL, Clermont 2) a conçu, développé et mis sur le marché deux cédéroms de
français des affaires, destinés à des professionnels de niveau intermédiaire ou avancé :
À la
recherche d’un emploi
et
L’acte de vente
(1996). Parallèlement à la création et la mise au
point des logiciels, des évaluations (Chanier, 1996) ont été réalisées au Cavilam de Vichy,
d’une part pour rifier le fonctionnement correct des premières réalisations (évaluation
formative), d’autre part pour mesurer, dans le module 1, le gain de vocabulaire, et dans le
module 2, pour analyser les stratégies d’apprentissage déployées par les utilisateurs
(évaluation sommative). Cette dernière évaluation est actuellement en cours de traitement.
La structure des logiciels
Les deux logiciels sont conçus de la même manière : une série d’activités langagières
orientées vers la solution de problèmes et présentées dans 5 unités qui constituent une
suite relativement ordonnée ou contraignante ; par ailleurs, des ressources à disposition
des utilisateurs, soit par le biais d’hypermots, soit par recherche directe, pour des précisions
concernant la culture, les fonctions (actes de parole), la grammaire, le lexique.
Cette dernière ressource se divise en deux : un dictionnaire et quelques réseaux lexicaux
faisant apparaître les différences et ressemblances fines entre des synonymes. D’autres
potentialités sont proposées : une aide expliquant comment utiliser les fonctionnalités du
logiciel, un suivi présentant larchitecture générale du module et les résultats chiffrés des
activités effectuées par l’apprenant et enfin un bloc-notes.
Les expérimentations
Les résultats des expérimentations réalisées sont difficilement objectivables : le nombre de
sujets est insuffisant et il est difficile de savoir ce que l’on évalue vraiment : le logiciel ? les
stratégies d’enseignement ? les stratégies d’apprentissage ? Cependant, un certain nombre
d’éléments recueillis peuvent nous servir de base de réflexion et c’est dans cet esprit que
nous les proposons.
La méthodologie était différente dans les quatre évaluations et nous ne la détaillerons pas
ici, mais dans tous les cas, un questionnaire sur la perception de l’outil informatique était
rempli par les sujets. De manière très nette et majoritaire, l’ordinateur est perçu comme un
outil prestigieux et ludique, adapté à l’apprentissage et en particulier à l’apprentissage d’une
langue. Les sujets étaient généralement très contents de participer à l’évaluation d’un
logiciel et à un travail universitaire tout en perfectionnant leurs connaissances en français.
Pour certains, un peu en échec dans leur apprentissage, c’était une manière de se valoriser
et de restaurer leur image vis-à-vis d’eux-mêmes comme vis-à-vis des autres.
Nous allons prendre en compte ici l’expérimentation réalisée sur le module 1 et qui avait
pour but de mesurer le gain en vocabulaire des sujets. Il faut préciser que l’objectif de
CAMILLE n’est pas spécifiquement l’apprentissage de vocabulaire, mais le réinvestissement
de connaissances acquises en langue maternelle dans le cadre de la profession ou de la
formation.
Méthodologie de l’expérimentation du module 1
Le module 1
À la recherche d’un emploi,
a été expérimenté au Cavilam à Vichy en 1995 par
Nadia Ibrahim-Ouali (1995) avec un groupe de 12 personnes parties en deux groupes de
6, l’un travaillant sur le logiciel, l’autre sur une version papier et cassette audio.
L’expérimentation s’est déroulée sur 3 semaines à raison de trois après-midis par semaine,
c’est-à-dire 22 heures 30. Cela correspondait, d’après l’évaluation formative réalisée
auparavant, au temps nécessaire pour faire les activités du module dans leur totalité.
Le groupe papier (groupe 1) avait à sa disposition les textes des dialogues, les documents
écrits et l’enregistrement audio des dialogues. Ils n’avaient pas de vidéo, et pas non plus le
contenu des ressources (culture, fonctions, grammaire, lexique). En revanche, ils avaient à
leur disposition des dictionnaires (monolingues et bilingues selon leur choix) et le Quid.
Avant l’expérimentation, les sujets ont rempli un questionnaire les concernant (identité,
rapport aux langues étrangères et à l’ordinateur), ont répondu au questionnaire d’Oxford
(1990) sur leurs stratégies d’apprentissage et ont fait un test de vocabulaire portant sur les
domaines traités dans le module : formation, travail, expérience, licenciement, salaire, prise
de contact.
Ce test lexical a été repassé après l’expérimentation ainsi qu’un test plus général portant sur
l’ensemble des connaissances du module. Un post-questionnaire différent pour chacun des
deux groupes a également été rempli.
Résultats et commentaires
Le groupe 1 a travaillé sur le contenu de
A la recherche d’un emploi
pendant un temps
moyen de 16h 30 alors que le groupe logiciel (groupe 2) a passé 19h 50, ce qui peut
s’expliquer par deux facteurs. D’abord, et cela est nettement ressorti dans les
post-questionnaires, le groupe papier a trouvé le matériel ennuyeux et inintéressant ; il faut
dire que le matériel avait été conçu pour l’ordinateur et que nous avons tiré sur papier des
pages peu attrayantes. Ensuite, ce groupe n’avait pas à sa disposition les fonctionnalités du
logiciel (ressources et possibilité de s’enregistrer) ce qui limitait son travail aux activités
elles-mêmes. Le groupe a rempli son contrat honnêtement mais sans plaisir. Dans le
post-questionnaire, la perception que les sujets ont de leurs progrès est faible.
À l’inverse, le groupe logiciel a trouvé le matériel intéressant, enrichissant et pratique, a
aimé faire cette expérimentation et a eu l’impression de progresser, en pariculier à l’écrit.
Le gain de vocabulaire réalisé par exercice a été de 0,33 dans le groupe 1 et de 0,24 dans le
groupe 2, ce que l’on peut expliquer par de nombreuses raisons. Tout d’abord, le groupe 1 a
travaillé comme il en avait l’habitude, sur support papier, en prenant de nombreuses notes
et en surlignant copieusement les documents ; de plus, il s’est concentré par obligation sur
l’écrit. Le groupe 2, lui, s’est trouvé confronté à une nouvelle culture d’apprentissage, a dû,
dans un premier temps, apprivoiser l’ordinateur, comprendre l’organisation du logiciel,
puis faire des choix face à une offre très diversifiée et non linéaire. De plus, le groupe 2 n’a
pris aucune note sur papier et n’a pas utilisé le bloc-notes du logiciel.
Une autre raison peut expliquer cette différence d’acquisition : les sujets appartenant au
groupe 1 étaient plus faibles en vocabulaire que ceux du groupe 2 et ont acquis le
vocabulaire de base qui leur manquait. Les étudiants les plus forts, majoritairement dans le
groupe 2, qui possédaient ce vocabulaire de base ont moins progressé et un seul étudiant
du groupe 1 n’a fait aucun progrès, c’était celui qui avait eu le meilleur résultat de son
groupe au pré-test . Cependant, les étudiants du groupe 2 les plus faibles au pré-test ont
presque aussi bien progressé que ceux du groupe 1 et ce sont les sujets qui ont passé le
plus de temps sur le logiciel qui ont progressé le plus. Pour les deux groupes, on a relevé
une difficulté à distinguer des unités proches et à acquérir les collocations.
La conclusion que nous sommes tentée de tirer rejoint les positions de Louis Porcher
(1991) : les nouveaux apprenants sont des gens pressés qui savent ce qu’ils veulent
apprendre et dont les choix ne semblent pas aléatoires. En effet, choisir un vocabulaire de
base plutôt qu’un vocabulaire pointu peut fort bien relever de stratégies d’efficacité
immédiate et de représentations qui ne sont pas celles des spécialistes que nous sommes.
Mais la non maîtrise des collocations semble plus handicapante pour des apprenants appelés
à échanger en français.
Projet
L’analyse des données nous a fait prendre conscience du fait que les sujets avaient une
bonne perception de l’ordinateur, et qu’ils surestimaient leurs acquisitions à l’aide de ce
média alors que le groupe travaillant sur papier sous-estimait ses acquisitions, perceptions
contredites par les résultats. Il semble important de ne pas négliger ces facteurs : si les
apprenants prennent plaisir à travailler avec l’ordinateur et ont l’impression de progresser,
pourquoi ne pas se servir de ces éléments positifs pour les aider à apprendre ? C’est le sens
de notre projet (Pothier, 1998) qui voudrait utiliser au mieux les potentialités du multimédia,
compenser ses insuffisances et mettre en place un dispositif qui permette à l’utilisateur
d’acquérir des connaissances et pas simplement de “ surfer ” sur elles.
Références bibliographiques
CHANIER Thierry (1996) : Évaluation as part of a project life : The hypermedia Camille
project ”,
Journal of the Association for Learning Technology (ALT-J),
vol 4, 3. pp 54-68.
IBRAHIM-OUALI Nadia (1995) :
Apprentissage lexical en français langue étrangère et
matériel utilisé (papier/:hypermédia)
, moire de DEA alisé sous la direction de Thierry
Chanier (non publié).
OXFORD Rebecca (1990) :
Language Learning Strategies. What every teacher should know
,
Heinle & Heinle Publishers, Boston, Massachussetts.
PORCHER Louis (1991) : Sociologie des auto-apprentissages ”, Les auto-apprentissages
,
Les Cahiers de l’Asdiflen° 2
, Actes des 6es rencontres de septembre 1990
POTHIER Maguy (1998) : “ Didactique des langues et environnements hypermédias : quelles
tâches pour optimiser l’apprentissage autonome ? ”,
Études de Linguistique Appliquée
110, avril-juin.
Logiciels
CHANIER T., POTHIER M., & LOTIN P. (1996)
: À la recherche d’un emploi. L’acte de vente
Deux cédéroms de “ CAMILLE Travailler en France ”, Paris, CLÉ International-Nathan.
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