jld/2004-2005/histoire
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2)Processus historique et contingence.
L’histoire n’est donc pas la succession de coups arbitraires ; elle n’est pas le lieu d’une liberté conçue comme « in-
dépendance rêvée à l’égard des lois de la Nature ».
« Hegel a été le premier à représenter exactement le rapport de la liberté et
de la nécessité. Pour lui, la liberté est l’intellection de la nécessité. “La nécessi-
té n’est aveugle que dans la mesure où elle n’est pas comprise.” La liberté n’est
pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans
la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les
mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées. Cela est vrai
aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent
l’existence physique et psychique de l’homme lui-même, — deux classes de lois
que nous pouvons séparer tout au plus dans la représentation, mais non dans la
réalité. La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté
de décider en connaissance de cause. Donc, plus le jugement d’un homme est
libre sur une question déterminée, plus grande est la nécessité qui détermine la
teneur de ce jugement ; tandis que l’incertitude reposant sur l’ignorance, qui
choisit en apparence arbitrairement entre de nombreuses possibilités de déci-
sions diverses et contradictoires, ne manifeste précisément par là que sa non-
liberté, sa soumission à l’objet qu’elle devrait justement se soumettre. La liber-
té consiste par conséquent dans l’empire sur nous-mêmes et sur la nature exté-
rieure, fondée sur la connaissance des nécessités naturelles.» (F. ENGELS,Anti
Dühring, ed.Sociales,1963, p.146)
En effet,
le réel tel qu’il est donné (tel qu’il a été construit par ceux qui ont précédé), et tel qu’il est déterminé, constitue
la matière dans laquelle les hommes doivent bien réaliser leurs projets,
ces projets eux-mêmes sont déterminés par les conditions de vie réelles des individus.
Le processus historique dépend « aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent l’existence
physique et psychique de l’homme lui-même », et la liberté ne peut se réaliser dans ce processus que par la connais-
sance de ces lois :
« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement,
dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement
données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes
pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils sem-
blent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose
de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolu-
tionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leurs em-
pruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la
nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage
emprunté (…). C'est ainsi que le débutant qui apprend une nouvelle langue la
retraduit toujours dans sa langue maternelle, mais il ne réussit à s'assimi-
ler l'esprit de cette nouvelle langue et à s'en servir librement que quand il
arrive à la manier sans se rappeler sa langue maternelle, et qu'il parvient
même à oublier complètement cette dernière. » (K. MARX, Le 18 Brumaire de Louis
Bonaparte, p.13)
Ainsi l’histoire est le domaine où se montre la contingence de l’existence humaine, non au sens d’une non-
détermination de cette existence (la contingence comprise comme opposée au nécessaire), mais au sens d’un proces-
sus non prévisible. Elle est le produit de rencontres imprévisibles entre séries causales indépendantes : complexité :
« Le déterminisme absolu, tel qu’on l’admet avec fondement, dans l’ordre des phénomènes physico-chimiques,
n’exclut point la notion de l’indépendance des causes, ni par suite celle de l’accidentel et du fortuit, et d’une part
faite au hasard dans la succession des phénomènes ou des événements (…) quoique dans chacune des séries qui se
rencontrent fortuitement, parce qu’elles sont indépendantes les unes des autres, chaque fait soit nécessairement lié
aux faits antécédents dans sa propre série, et complètement déterminé par ses antécédents. »