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Notions : Histoire / Existence / Liberté /
Liens : Travail / Technique / Théorie et expérience
Introduction
Ce que nous apprend l’étude du travail humain, c’est que les relations nécessaires (déterminisme) ne constituent pas
l’histoire des hommes, mais que celle-ci ne survole pas non plus le réel, déterminé lui par ces lois. Les hommes ne
décident pas arbitrairement, sans raisons, de ce que sera leur avenir. Celui-ci est conditionné par le passé qui l’a
précédé.
« S'il n'y a pas d'histoire proprement dite tous les événements dérivent
nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes
par les quelles le système est régi
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, (…) il n'y a pas non plus d'histoire, dans le
vrai sens du mot, pour une suite d'événements qui seraient sans aucune liaison
entre eux. Ainsi, les registres d'une loterie publique pourraient offrir une suc-
cession de coups singuliers, quelquefois piquants pour la curiosité, mais ne consti-
tueraient pas une histoire : car les coups se succèdent sans s'enchaîner, sans que
les premiers exercent aucune influence sur ceux qui les suivent, à peu près
comme dans ces annales les prêtres de l'Antiquité avaient soin de consigner
les monstruosités et les prodiges à mesure qu'ils venaient à leur connaissance.
Tous ces événements merveilleux, sans liaison les uns avec les autres
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, ne peu-
vent former une histoire, dans le vrai sens du terme
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, quoiqu'ils se succèdent
suivant un certain ordre chronologique. »
COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances
et sur les caractères de la critique philosophique , CHAPITRE XX,§313, p461
1) Rappels sur le travail (Cf.Textes de Marx et Kojève).
L’homme est le seul être historique : il est le seul dont le devenir est un processus par lequel il se transforme conti-
nuellement en transformant le monde.
Dans le processus du travail :
Le besoin est déterminé nécessairement.
Le monde dans lequel ce besoin apparaît est tissé de relations nécessaires (lois de la Nature du droit de
l’économie — etc.)
L’objet qui pourra apporter satisfaction n’est tout d’abord que représenté ( imaginé), il n’est pas donné.
Le travail transforme le réel donné. Ce dernier « change de sens » : il est objet pour ma conscience, matière
pour mon action.
« On n'explique rien par l'homme, puisqu'il n'est pas une force, mais une fai-
blesse au cœur de l'être, un facteur cosmologique, mais le lieu tous les fac-
teurs cosmologiques, par une mutation qui n'est jamais finie, changent de
sens et deviennent histoire
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Pourtant : « Le déterminisme absolu, tel qu’on l’admet avec fondement, dans l’ordre des phénomènes physico-chimiques, n’exclut point la notion de l’indépendance
des causes, ni par suite celle de l’accidentel et du fortuit, et d’une part faite au hasard dans la succession des phénomènes ou des événements(…) quoique dans cha-
cune des séries qui se rencontrent fortuitement, parce qu’elles sont indépendantes les unes des autres, chaque fait soit nécessairement lié aux faits antécédents dans sa
propre série, et complètement déterminé par ses antécédents. » (Matérialisme, vitalisme, rationalisme, 1ère section, §6).
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La Raison, c’est « la faculté de saisir la raison des choses, ou l’ordre suivant lequel les faits, les lois, les rapports, objets de notre connaissance, s’enchaînent et pro-
viennent les uns des autres. » ( Essai sur les fondements de la connaissance )
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« La philosophie de l’histoire s’enquiert de la raison des événements plutôt que de la cause des événements. Car l’idée de cause implique celle d’une action, dune
force douée de son énergie propre ; et ce que la critique historique doit mettre en évidence, ce sont le plus souvent des résistances passives, des conditions de structure
ou de forme qui prévalent à la longue et dans l ‘ensemble des événements sur les causes proprement dites. » ( Considérations sur la marche des idées et des événe-
ments dans les temps modernes )
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M. Merleau-Ponty, Eloge de la philosophie, p. 52
Dans ce processus, l’objet visé (représenté) subit la contrainte des conditions réelles et s’y plie : l’objet cons-
truit diffère, en tant que réalisé, de celui qui n’était que visé.
En tant qu’êtres conscients et imaginants les hommes naissent dans un monde donné et dépassent ce donné pour en
faire un construit.
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2)Processus historique et contingence.
L’histoire n’est donc pas la succession de coups arbitraires ; elle n’est pas le lieu d’une liberté conçue comme « in-
dépendance rêvée à l’égard des lois de la Nature ».
« Hegel a été le premier à représenter exactement le rapport de la liberté et
de la nécessité. Pour lui, la liberté est l’intellection de la nécessité. “La nécessi-
n’est aveugle que dans la mesure elle n’est pas comprise.” La liber n’est
pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans
la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par même de les
mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées. Cela est vrai
aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent
l’existence physique et psychique de l’homme lui-même, deux classes de lois
que nous pouvons séparer tout au plus dans la représentation, mais non dans la
réalité. La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté
de décider en connaissance de cause. Donc, plus le jugement d’un homme est
libre sur une question déterminée, plus grande est la nécessité qui détermine la
teneur de ce jugement ; tandis que l’incertitude reposant sur l’ignorance, qui
choisit en apparence arbitrairement entre de nombreuses possibilités de déci-
sions diverses et contradictoires, ne manifeste précisément par que sa non-
liberté, sa soumission à l’objet qu’elle devrait justement se soumettre. La liber-
té consiste par conséquent dans l’empire sur nous-mêmes et sur la nature exté-
rieure, fondée sur la connaissance des nécessités naturelles.» (F. ENGELS,Anti
Dühring, ed.Sociales,1963, p.146)
En effet,
le réel tel qu’il est donné (tel qu’il a été construit par ceux qui ont précédé), et tel qu’il est déterminé, constitue
la matière dans laquelle les hommes doivent bien réaliser leurs projets,
ces projets eux-mêmes sont déterminés par les conditions de vie réelles des individus.
Le processus historique dépend « aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui gissent l’existence
physique et psychique de l’homme lui-même », et la liberté ne peut se réaliser dans ce processus que par la connais-
sance de ces lois :
« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement,
dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement
données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes
pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils sem-
blent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose
de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolu-
tionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leurs em-
pruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la
nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage
emprunté (…). C'est ainsi que le débutant qui apprend une nouvelle langue la
retraduit toujours dans sa langue maternelle, mais il ne réussit à s'assimi-
ler l'esprit de cette nouvelle langue et à s'en servir librement que quand il
arrive à la manier sans se rappeler sa langue maternelle, et qu'il parvient
même à oublier complètement cette dernière. » (K. MARX, Le 18 Brumaire de Louis
Bonaparte, p.13)
Ainsi l’histoire est le domaine se montre la contingence de l’existence humaine, non au sens d’une non-
détermination de cette existence (la contingence comprise comme opposée au nécessaire), mais au sens d’un proces-
sus non prévisible. Elle est le produit de rencontres imprévisibles entre séries causales indépendantes : complexité :
« Le déterminisme absolu, tel qu’on l’admet avec fondement, dans l’ordre des phénomènes physico-chimiques,
n’exclut point la notion de l’indépendance des causes, ni par suite celle de l’accidentel et du fortuit, et d’une part
faite au hasard dans la succession des phénomènes ou des événements (…) quoique dans chacune des séries qui se
rencontrent fortuitement, parce qu’elles sont indépendantes les unes des autres, chaque fait soit nécessairement lié
aux faits antécédents dans sa propre série, et complètement déterminé par ses antécédents. »
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Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme,1ère section, §6
« L’histoire se fait de telle façon que le résultat final se dégage toujours des
conflits d’un grand nombre de volontés individuelles, dont chacune à son tour
est faite telle qu’elle est par une foule de conditions particulières d’existence ;
il y a donc là d’innombrables forces qui se contrecarrent mutuellement (…)
d’où ressort une résultante l’événement historique qui peut être regar-
dée elle-même, à son tour, comme le produit d’une force agissant comme un
tout, de façon inconsciente et aveugle. Car, ce que veut chaque individu est
empêché par chaque autre et ce qui s’en dégage est quelque chose que per-
sonne n’a voulu. C’est ainsi que l’histoire jusqu’à nos jours se déroule à la façon
d’un processus de la nature et est soumise aussi, en substance, aux mêmes lois
de mouvement. Mais de ce que les diverses volontés dont chacune désire ce à
quoi la poussent sa constitution physique et les circonstances extérieures (…) —
ces volontés n’arrivent pas à ce qu’elles veulent, mais se fondent en une
moyenne générale, en une résultante commune, on n’a pas le droit de conclure
qu’elles sont égales à zéro. Au contraire, chacune contribue à la résul-
tante, et à ce titre, est incluse en elle. »
F.Engels, Lettre à Joseph Bloch, 21 sept. 1890,
in Marx Engels, Œuvres choisies, t.3, p.510
Le moteur du processus historique est la tension des hommes vers des avenirs représentés comme préférables.
Ainsi l’événement qui survient aurait pu être autre.
« La contingence de l'événement humain n'est plus maintenant un défaut dans la
logique de l'histoire, elle en devient la condition. Sans elle, il n'y a plus qu'un
fantôme d'histoire. Si l'on sait l'histoire va inéluctablement, les événe-
ments un à un n'ont plus d'importance ni de sens, l'avenir mûrit quoi qu'il ar-
rive, rien n'est vraiment en question dans le présent, puisque, quel qu'il soit, il
va vers le même avenir. Quiconque, au contraire, pense qu'il y a dans le présent
des préférables implique que l'avenir est contingent. L'histoire n'a pas de sens
si son sens est compris comme celui d'une rivière qui coule sous l'action de
causes toutes puissantes vers un océan elle disparaît.» (M. Merleau-Ponty, Eloge
de la philosophie, p. 61)
distinguer :
1) Fatalisme : il consiste à considérer que tous les phénomènes qui surviennent dans l’univers, y compris donc
dans l’existence humaine, sont programmés à l’avance, et marqués par une nécessité absolue.
Il consiste donc à poser un destin i-e une fin posée à l’avance et vers laquelle convergent tous les phénomènes
sans qu’il puisse en être différemment, et donc sans que l’homme puisse rien y faire.
Leibniz nomme ceci l’argument paresseux (Théodicée) : à quoi bon agir puisque ce qui est écrit arrivera
quoique je fasse.
2) Déterminisme : Il pose une autre affirmation : certaines conditions initiales étant données, leurs consé-
quences sont nécessaires.
Dès lors, connaissant les lois de ce déterminisme, il est pensable qu’en modifiant les conditions ini-
tiales, on puisse modifier les conséquences : « La liaison des causes et des effets, bien loin de cau-
ser une fatalité insupportable, fournit plutôt un moyen de la lever. »
Leibniz, Essais de Théodicée, 1ère Partie, §55
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« L'homme, interprète et ministre de la nature, n'étend ses connaissances et
son action qu'à mesure qu'il découvre l'ordre naturel des choses, soit par l'ob-
servation, soit par la réflexion; il ne sait et ne peut rien de plus.
La main seule et l'entendement abandonné à lui-même n'ont qu'un pouvoir très
limité; ce sont les instruments et les autres genres de secours qui font presque
tout, secours et instrument non moins nécessaires à l'esprit qu'à la main; et de
même que les instruments de la main excitent ou règlent son mouvement, les
instruments de l'esprit l'aident à saisir la vérité ou à éviter l'erreur.
La science et la puissance humaine se correspondent dans tous les points
et vont au même but; c'est l'ignorance nous sommes de la cause qui nous
prive de l'effet; car on ne peut vaincre la nature qu'en lui obéissant et ce qui
était principe, effet ou cause dans la théorie, devient règle, but ou moyen
dans la pratique
F. Bacon, Novum organum, P.U.F., p.101
3)Opacité de l’histoire. Le choix et l’action.
Si « les hommes font l’histoire », et se font par et dans l’histoire, néanmoins ils ne savent pas l’histoire qu’ils font.
En effet, ils n’ont pas une connaissance claire et exhaustive de la réalité donnée. Par conséquent ils n’ont pas non
plus une conscience claire de ce qui les détermine à souhaiter et à imaginer tel but ou objectif : « Les hommes se
croient libres parce qu’ils ont conscience de leurs désirs et ignorent les causes qui les déterminent. » (Spinoza)
Et ils n’ont pas une claire connaissance de la contrainte du réel qui déterminera des effets de leur pratique (praxis :
relation dialectique entre l’homme et la nature par laquelle l’homme se transforme lui-même en transformant la na-
ture par son travail) différents de ceux envisagés :
L’histoire est donc le domaine de l’action, dans lequel se révèle notre « faculté d’agir, de déclencher des proces-
sus sans précédent, dont l’issus demeure incertaine et imprévisible ». Ainsi, « on déclenche des processus dont
l’issue est imprévisible, de sorte que l’incertitude plus que la fragilité devient la caractéristique essentielle
des affaires humaines ».
Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne,
Calmann-Lévy, coll. Agora, p.296
L’existence historique, c’est donc cela : le dépassement (présent) d’un donné (hérité d’un passé) vers un avenir re-
présenté. Mais cette existence historique ne se déroule pas dans la pure clard’une conscience indépendante et
transparente à elle-même : la réalité même de ce processus (transformation par la pratique humaine du monde et de
l’homme agissant lui-même) , et sa complexité en constituent l’opacité essentielle.
« Par opposition à la fabrication dans laquelle la lumière permettant de juger le
produit fini vient de l’image, du modèle perçu d’avance par l’artisan, la lumière
qui éclaire les processus de l’action, et par conséquent tous les processus histo-
riques, n’apparaît qu’à la fin, bien souvent lorsque tous les participants sont
morts. L’action ne se révèle pleinement qu’au conteur, à l’historien qui regarde
en arrière et sans aucun doute connaît le fond du problème bien mieux que les
participants. Tous les récits écrits par les acteurs eux-mêmes, bien qu’en de
rares cas ils puissent exposer de façon très digne de foi des intentions, des
buts, des motifs, ne sont aux mains de l’historien que d’utiles documents et
n’atteignent jamais à la signification ni à la véracité du récit de l’historien. Ce
que dit le narrateur est nécessairement caché à l’acteur, du moins tant qu’il est
engagé dans l’action et dans ses conséquences, car pour lui le sens de son acte
ne réside pas dans l’histoire qui suit. Même si les histoires sont les résultats
inévitables de l’action, ce n’est pas l’acteur, c’est le narrateur qui voit et qui
“fait” l’histoire. » (H. Arendt, Condition de l’homme moderne, pp.250-251).
Problème de la connaissance historique.
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