Les choix que je fais sont-ils vraiment libres? · A. Apparemment le libre arbitre existe B. Pourtant on peut trouver des facteurs qui déterminent nos choix C. Mais n’y a-t-il pas une place pour la liberté malgré tout ? A. Apparemment le libre arbitre existe : La liberté de la volonté (le libre arbitre) est la capacité de faire des choix qui proviennent véritablement de nous-mêmes. C’est une faculté de déterminer par soi-même les règles de sa conduite (=l'autonomie) Le contraire = Etre impulsif, être esclave de ses désirs, agir sous l'emprise d'une maladie mentale, être encore un enfant, être dépendant d'une drogue, être endoctriné, être sous l'influence d'un groupe, … 1) Nous avons conscience de faire des choix Nous avons une conscience immédiate de notre capacité de contrôler ce que nous faisons. Nous avons le sentiment d'être à l'origine de nos actions. Nous avons aussi une conscience réflexive de notre pouvoir d'agir autrement. Nos actes ne sont pas de simples comportements automatiques, ils ne sont pas l'expression d'un instinct rigide. Nous avons une raison qui nous permet de réfléchir, de prendre du recul par rapport à la situation immédiate. 2) Le libre arbitre semble être une condition nécessaire de la responsabilité morale Considérer un individu comme étant responsable moralement, c'est le considérer comme un individu qui est à l'origine de ses actions, qui est capable de les contrôler et qui a ainsi un pouvoir d'agir autrement. Cf. l'article 122-1 du code pénal B. Pourtant on peut trouver des facteurs qui déterminent nos choix 1)notre sentiment de liberté n'est-il pas alors une illusion ? Nous avons conscience de notre action et de notre intention, mais ne sommesnous pas ignorant des causes qui nous déterminent ? Croire qu'un être humain est capable de libre arbitre n'est-ce pas surestimer, par orgueil, nos propres capacités ? La croyance au libre arbitre ne provient-elle pas du désir de faire de l'homme un être à part dans la nature ? On a prouvé qu’on a tendance à croire à la liberté, mais on n’a pas prouvé que la liberté existe. « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. » (Spinoza, Lettre 58 à Schuller) “L’homme n’est pas un empire dans un empire” (Spinoza) “dans un empire”: le monde, la nature. L’homme est soumis lui-même aux lois de la nature. 2) Quelles sont les causes qui peuvent déterminer ce que nous faisons et ce que nous sommes ? Dans une situation de nécessité, ce qui va se passer est déterminé à l’avance. Mais, est-ce que tout est déterminé à l’avance ? L’idée selon laquelle tout serait déterminé à l’avance est ambiguë. Il faut bien différencier deux notions : le sens commun et le sens philosophique. - le sens commun est celui d’un destin, d’une destinée. Ce lieu commun est l’idée que tout serait déterminé à l’avance par une volonté divine, par les astres, par les lignes de notre main, par un on-ne-sait-quoi, bref, c’est une idée qui exprime une croyance qui ne relève pas de la raison. C’est une croyance superstitieuse qui est fondée sur le désir de trouver un sens aux événements, et non pas sur des raisons valables. Il faut ainsi distinguer le destin du déterminisme. - le sens philosophique est celui du déterminisme qui est l’idée que tout ce qui arrive est déterminé à l’avance par les lois de la nature. Prenons l’exemple du stylo qui tombe au moment où je le lâche. Le fait qu’il tombe est déterminé à l’avance par le fait que je l’ai lâché. C’est une loi de la nature (ici, la gravité) qui explique la chute du stylo. Il ne faut absolument pas dire que c’était écrit, que c’était voulu, ou prévu. Certes, la chute du stylo était prévisible, mais dire que c’était écrit que le stylo allait tomber, c’est entretenir cette croyance au destin. Nous avons précisé la distinction entre le déterminisme et le destin. Le déterminisme est l’idée que tout est déterminé à l’avance par des lois de la nature. Nous avons tendance à refuser cette idée, à croire que tout n’est pas déterminé à l’avance. Pourquoi réagissons-nous ainsi ? pour défendre notre sentiment de liberté. En effet, si le déterminisme est vrai, cela signifie que nous n’avons pas de libre-arbitre, c’est-à-dire que nous n’avons pas la capacité de faire des choix. Or nous avons tous le sentiment de faire des choix, même dans les situations les plus ordinaires, lorsqu’il s’agit par exemple de choisir ce que nous allons manger à midi. Nous pensons être à l’origine par nos choix de ce que nous faisons, nous ne pensons pas que ce que nous faisons était déterminé à l’avance. Si à midi, j’ai pris une pomme au dessert, alors qu’il y avait également des bananes, et si on me demande pourquoi j’ai pris une pomme, j’expliquerais mon acte en disant que c’est ce que je voulais. Mais pourquoi est-ce une pomme que je voulais ? Je pourrais alors répondre que je préfère les pommes aux bananes. Mais dans ce cas, nous pouvons nous demander d’où vient cette préférence. Qu’est-ce qui fait que j’ai cette préférence ? N’y a-t-il pas une explication possible de cette préférence ? S’il y en a une, alors ne pourra-t-on pas dire que le fait d’avoir pris une pomme était déterminé à l’avance ? Le simple sentiment de faire des choix pourrait n’être qu’une illusion. Il est possible de croire que le choix de la pomme ne provient que de mon désir, mais ce désir lui-même pourrait très bien être expliqué par une préférence en faveur des pommes, qui ellemême pourrait être expliquée. Pouvons-nous alors prendre comme argument le fait qu’il semble y avoir des événements que nous ne pouvons pas expliquer? Par exemple, nous ne savons pas, au moment où nous jetons le dé, sur quelle face il va tomber. Est-ce que cela prouve que le déterminisme est faux ? Toute la question est de savoir si le hasard est véritablement dans le réel lui-même, et dans ce cas nous pouvons parler d’un hasard objectif : ce serait la nature elle-même qui serait indéterminée. Mais nous pouvons aussi penser que le hasard n’est que l’effet de notre ignorance : si nous ne savons pas sur quelle face le dé va tomber, c’est peut-être parce que nous ignorons le détail de tout ce qui se passe (et le moindre petit changement pourra changer le résultat final). Dans ce cas, nous parlerons simplement d’un hasard subjectif : si nous employons les probabilités, les statistiques pour rendre compte de certains phénomènes, c’est parce que ces phénomènes sont tellement complexes que nous ignorons les causes et les lois précises qui déterminent ce qui se passe. Au fond, ne faudrait-il pas penser qu’il doit y avoir une explication possible pour toute chose ? Cela ne semble pas rationnel d’accepter qu’un événement ne puisse pas être expliqué. Toute la science est d’ailleurs fondée sur cette idée qu’il faut essayer de trouver une explication. Or si le déterminisme est faux, cela signifie qu’il y a des événements qui surviennent sans explication possible, sans qu’on puisse déterminer ce qui les fait arriver à l’existence, ils surgiraient de nulle part, par pur hasard, comme par magie. Est-ce vraiment rationnel ? Le déterminisme social Le déterminisme social correspond à une idée que l'on retrouve souvent dans les sciences sociales, et qui repose sur l'argument suivant : 1) Tout individu est largement déterminé (dans ce qu'il est, dans ce qu'il fait, dans ses choix, ses croyances, ses désirs) par la place sociale qu'il occupe. 2) La place sociale d'un individu est largement déterminé par des mécanismes sociaux de reproduction de la hiérarchie sociale. Concl. : Tout individu est largement déterminé (dans ce qu'il est, dans ce qu'il fait, dans ses choix, ses croyances, ses désirs) par des mécanismes sociaux. – Critique du 1) : La complexité des interactions sociales qui façonnent un individu rend impossible tout modèle simple et linéraire de la relation entre la place sociale et les caractéristiques d'un individu. – Critique du 2) : La reproduction sociale existe certes, mais les théories de la reproduction sociale ne permettent pas de penser le changement, la contestation de l'ordre social, la critique, les résistances. La liberté de la volonté signifie-t-elle vraiment l'absence totale de facteurs qui détermineraient l'être humain ? Ne se trouve-t-elle pas plutôt dans la connaissance de ces facteurs ? Ne faut-il pas en effet connaître les facteurs qui nous déterminent pour pouvoir nous en libérer ? C – Mais n’y a-t-il pas une place pour la liberté malgré tout ? 1. Le déterminisme n’est pas un fatalisme Le déterminisme n'est pas un fatalisme qui nous condamnerait à l'impuissance. Dans les sciences physiques, c'est bien la connaissance des lois de la nature qui permet d'agir sur la nature. De même, la connaissance des facteurs qui déterminent l'être humain devrait permettre d'agir sur ces facteurs. Mais dans le cas du déterminisme psychique ou du déterminisme social, l'individu semble pouvoir par lui-même bénéficier de la connaissance des facteurs psychiques ou sociaux qui le déterminent pour s'efforcer de s'en libérer. La cure psychanalytique cherche à faire en sorte que l'individu se libère de l'emprise de son passé et des pulsions qu'il refoule ; la sociologie qui décrypte les mécanismes de reproduction sociale vise bien l'émancipation par l'individu de la domination qui s'exerce sur lui. La liberté est une libération par la raison (Spinoza) : Selon Spinoza, se croire libre en échappant au déterminisme par la volonté est une illusion : « les hommes se croient libres simplement parce qu’ils ignorent les causes qui les déterminent à agir. On pourrait dire, pour simplifier la pensée de Spinoza, que dans un monde déterminé le seul moyen d’être libre est d’acquérir une connaissance des déterminations qui pèsent sur nous afin de ne pas en être l’esclave : - ne pas s’y opposer absurdement - apprendre au contraire à se mouvoir dans ces déterminations. Les contraintes étant ce qu’elles sont, l’homme qui les reconnaît et peut organiser son action en fonction d’elles est en effet plus libre que celui qui persiste à désirer l’impossible, et qui se débat vainement contre la nécessité. Ainsi pour Spinoza, la liberté réside essentiellement dans la connaissance adéquate de soi et du monde. 2. Il faut croire à la liberté pour être libre Appliquer le déterminisme au niveau de l'individu n'est-il pas une forme de mauvaise foi ? « On peut juger un homme en disant qu'il est de mauvaise foi. Si nous avons défini la situation de l'homme comme un choix libre, sans excuses et sans secours, tout homme qui se réfugie derrière l'excuse de ses passions, tout homme qui invente un déterminisme est un homme de mauvaise foi. Les uns qui se cacheront, par l'esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches; les autres qui essaieront de montrer que leur existence était nécessaire, alors qu'elle est la contingence même de l'apparition de l'homme sur la terre, je les appellerai des salauds. Mais les lâches ou salauds ne peuvent être jugés que sur le plan de la stricte authenticité. » (Sartre, L'existentialisme est un humanisme)