Série : La Grâce (les Secours de Dieu oubliés par l’homme).
Conférence : 6 - La grâce et l'Espérance.
Si petit soit-il, le secours apporte avec lui un réveil de l'espoir : la goutte d'eau
humectant les lèvres du fiévreux, le million versé à l'entreprise en faillite, le
sourire guetté par le voleur au banc des accusés sur le visage de son
défenseur, la sensation de réconfort ranimant le solitaire désespéré par la
lumière inattendue éclairant le raisonnement... dès qu'il y a secours, il y a
addition de vie avec la diminution de confiance; et le total donne l'espérance.
L'Espérance, on ne la trouve pas dans sa vie diminuée, mais ce qui nous reste
de vie diminuée est employé à s'appuyer sur le secours qui se propose comme
contenant la vie incapable de diminuer.
- le bateau avarié utilisant son reste d'équilibre à s'appuyer sur l'ancre
inamovible.
- le vieillard épuisé s'appuyant sur le bâton inébranlable.
- la conscience torturée appuyée sur le souvenir réconfortant.
- le pécheur désespéré utilisant ses dernières forces à s'appuyer sur
l'inébranlable bonté du prêtre.
L'espérance : une réapparition de raisons de vivre, étrangères à nos agonies et
néanmoins destinées à nos agonies, si nous savons trouver dans ces agonies
l'ultime courant vital qui nous détournera d'elles pour nous orienter vers
mieux que nous, plus complet que nous, plus puissant et plus certain que
nous, en matière de vie psychologique, morale, spirituelle, intellectuelle,
surnaturelle.
L'espérance présuppose une intelligence décentrée de son orgueil ou de ses
convictions trop orgueilleuses, pour apprécier l'intelligence du secours, que ce
secours soit un souvenir, une lecture, un ami, un ange ou Dieu.
L'espérance est une attitude riche; elle est riche de la vérité acquise sur nos
limites et riche de la certitude qu'elle voit s'avancer vers nous, bien au-delà de
nos limites. Elle évoque la légende du rossignol épuisé : conscient de son
impuissance à voler très haut, il utilise cette conscience avec intelligence et il
attend... traduisez : il espère... le passage d'un aigle sur le plumage duquel il
se hâte de se percher pour monter très haut, si haut qu'une fois l'aigle épuisé, à
son tour le petit rossignol s'élance à lui tout seul vers les altitudes... il avait su
espérer.
On saisit tout de suite le double mouvement de l'espérance : l'humilité
combinée avec l'audace.
- l'humilité ou sincère prise de conscience de son impuissance.
- l'audace ou utilisation intelligente de cette impuissance jusqu'à s'appuyer
fermement sur l'inébranlable et puissante vitalité supérieure d'un autre.
"Appuyé sur vos promesses, et sur les mérites de Jésus-Christ, votre Fils,
j'attends de vous, avec une ferme confiance, le paradis et les grâces
nécessaires pour y parvenir".
Dans cette déclaration, à l'exception de l'attente et de la confiance est mis en
cause tout ce qui caractérise Dieu : Sa fidélité, les mérites inimitables de Son
Fils. C'est la déclaration de l'homme s'adressant au Secours Exceptionnel,
l'affirmation de l'homme s'adressant à l'Amour exceptionnel. A la mesure où
animée par la vertu théologale de l'espérance, l'intelligence saisit l'inépuisable
contenu de cet "exceptionnel", son audace à s'appuyer devient exceptionnelle
par le ton que l'homme y mettra, la fréquence de ses recours, la persévérance
avec laquelle il attendra, la confiance avec laquelle il bousculera le mur
d'airain de la fatalité.
"Je Te regarde les dents serrées jusqu'à ce que Tu m'exauces", disait Claudel.
- l'audace de la demande.
- l'audace dans la répétition de la demande.
- l'audace de l'insistance dans la répétition.
- l'audace jaillissant vers le secours, les mains jointes ou tendues à la mesure
des écorchures d'impuissance qui en soulignent les énergies éteintes de nos
propres initiatives...
- c'est cela l'espérance, et c'est pour cela qu'elle est intelligente et irrésistible.
A qui s'adresse-t-elle ? au Vivant par excellence sous son aspect d'entr'aide
affectueuse et pnière, réservée à la vie plénière.
- que va-t-elle alors en recevoir ? une intervention selon sa plénitude de vie
et de sagesse.
- le noyé implorait une corde pour atteindre le rivage; le sauveteur lui envoie
un bateau qui va le recueillir pour l'éloigner du rivage, en une merveilleuse
aventure inattendue.
Quand Dieu écoute les appels au secours, sa réponse est délicieuse; elle
contient ce que nous attendions AVEC souvent en plus, un supplément de
puissance qui dépasse ce que nous attendions :
- nous espérions la guérison, nous obtenons le statu quo, mais avec une
intelligence sublime de l'épreuve qui déconcerte notre entourage par
l'exemplaire attitude que nous lui proposons.
- nous espérions le salut temporel de nos affaires, nous l'obtenons avec cette
surajoute jusqu'alors ignorée : le besoin d'y faire participer les autres par plus
de justice et de libéralité.
- nous espérons le pardon de nos péchés; il nous est accordé, augmenté d'un
besoin incoercible de rattraper le temps perdu par la perfection et par le
sacrifice.
C'est payant l'espérance, cela dépasse la question posée par une réponse
plénière, cela dépasse l'insistance par un esprit de décision sans retour; cela
enrichit la vie des secours de Dieu se promenant dans notre existence avec la
même aisance avec laquelle Il passait dans le jardin de l'Eden, en y laissant
l'éblouissement de ce qu'Il avait créé.
C'est beau l'espérance; elle fait chanter le malheur, au lieu de le remplacer par
l'égoïsme du réussi. Aussi donne-t-elle un regard d'une étrange acuité : elle
voit, pour voir au-delà de ce qui est vu. Et ce regard réaliste et supérieur se
sent délivré de la fatalité et de l'obsession.
Telle est l'espérance. Et qu'est-ce donc que la grâce actuelle ? toute grâce
actuelle est un secours proportionné à notre impuissance dans un cas
déterminé, et gratuitement reçu de la libéralité du Sauveur.
Il y a donc, dans toute grâce, un point d'appui se proposant à un genre
d'impuissance déterminée :
- point d'appui de la lumière proposée à nos doutes.
- point d'appui de la délicatesse proposée à nos sensualités.
- point d'appui de la fermeté proposée à nos hésitations.
- point d'appui de la confiance proposée à nos rechutes.
Toute grâce actuelle invite notre intelligence à la penser dans le secret du
recueillement pour en comprendre l'irrésistible secours qu'elle nous apporte
dans un cas déterminé.
Notre catholicisme laïcisé se détourne de la grâce actuelle; il la classe au
musée des superstitions, l'analyse dans le laboratoire clinique de la
psychanalyse, la décolore en la situant dans l'émotion sensible ou
l'imagination exaspérée...
... sur son gibet de malheur, le bon larron n'aurait jamais entrevu le paradis si,
au lieu de lui faire deviner le Sauveur, la grâce, ultime secours de son agonie,
s'était présene à son intelligence comme un délire interne provoquée par
l'agonie.
- il y a une intelligence falsifiée des forces intimes qui les utilise à détruire
l'espérance, cette résurrection des puissances secourues par le voisinage de
Son Amour, et à durcir jusqu'au suicide la science matérialiste de la vie.
Beaucoup de catholiques sont désolants... ils n'espèrent plus. Je m'explique :
ils espèrent trop dans les secours qu'ils produisent avec le raisonnement, les
confrontations, les discussions et les dialogues, mais dans tout cela le vrai
secours, non pas produit avec fatuité, mais le secours imploré avec
intelligence, le secours prié d'être davantage secours que nos secours
inventés; en un mot : le secours absolu, dominateur de la situation, le secours
qui s'exprime par un cri suppliant, non par une explication vaniteuse, le
secours ébranlé par un visage mouillé de larmes, le vrai secours... celui qui
arrive d'en haut, comme en pleine bataille de Clotilde... ce secours là, qui
remue des armées ou des flottes comme à Lépante... cette tornade d'espérance
déracinant l'obstacle peut seule le rendre efficace. Mais combien cette
espérance est-elle peu actualisée dans notre catholicisme moderne où tout est
remis en cause, même les vertus théologales ?
Le catholicisme ne sait plus espérer comme il faut, car il croit comme il ne
faut pas. Or, la Foi est la base d'envol de l'espérance.
Et pourtant, il faut nous rappeler que toute grâce actuelle est une invitation à
s'appuyer sans hésiter sur cette intervention de Dieu pour ressusciter nos vrais
courages un peu trop démolis par nos prétentions.
Quel sens donner à cette phrase apparemment anodine ? un sens presque
terrible. La réflexion suivante n'est pas de moi, elle est d'un homme
atrocement éprouvé dans ses joies familiales, la voici : "le catholicisme
commence quand les non-sens apparaissent... je suis affolé de voir autour de
moi la naïveté des piétés faciles et des apostolats bien pensés qui s'imaginent
être catholiques..." et il ajoutait : "je plains l'Eglise d'être si riches en valeurs
catholiques si astucieusement désarmées devant les profondeurs".
Quiconque n'éprouve pas le besoin du geste instinctif pour celui qui tombe :
se raccrocher à n'importe quoi ou à n'importe qui représentant un secours de
qualité étranger à sa chute...celui-là, privé du vertige de son impuissance
ignorée ou ignorante, satisfait de sa petite perfection et de sa facile piété, à
l'abri de toute surprise parce que à l'abri de tout risque volontaire, fossilisé
dans une activité de commande le dispensant de s'affirmer et de vouloir... en
un mot : dispensé d'implorer, de chercher, de crier, de supplier; dispensé
d'espérer, donc dispensé de s'appuyer sur la seule Promesse de Dieu et les
seules mérites de Jésus-Christ... celui-là n'est pas le catholique tel que Dieu le
voudrait.
L'espérance nous a été donnée pour les états de vie réservée aux enfants de
l'Amour, ceux, nous dit Saint Paul, qui espèrent contre toute espérance, qui
résistent jusqu'au sang, dit l'Apôtre, pas ceux qui reculent en possession
lamentable, en concessions expliquées, en chantant des cantiques émouvants.
L'Apôtre est formel : l'espérance est un secours à utiliser quand manquent
tous les autres secours. Que répondre alors aux croyants qui fabriquent si bien
et en facilité des catholicismes qui n'ont aucun besoin d'appui sur le libre
secours de Dieu, qu'ils ne récitent jamais leur acte d'espérance, préférant
compter sur le "social"...
Il y a une manière d'ignorer agréablement le drame de son cas personnel
connu jusqu'au devoir de l'espérance, c'est de ne s'occuper que des cas
collectifs et sociaux, absorbé par le seul aspect tangible et matériel de la
situation, mais incapable d'en comprendre efficacement le vrai drame dans
lequel il faudrait introduire l'espérance, puisque soi-même ignorant de son
propre drame, mais au contraire pleinement satisfait de son catholicisme, on
ne voit pas la nécessité de l'espérance.
Il faut le dire tout net : le catholicisme est un drame bienheureux, mais un
drame; ou alors il n'a pas commencé d'être une vie de résurrection ou
d'ascension. Or, un drame se caractérise par des appels au secours face à la
gravité de la situation : gravité de la partie qu'on joue, des décisions à
prendre, des moyens à vouloir, des prises de conscience à consentir, des
améliorations à acquérir, des luttes à décider, des refus à opposer, des
affirmations à vouloir... et tout cela pour déboucher sur des étendues
spirituelles si vastes, des profondeurs si vertigineuses, des pressentiments si
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