Le Monde 2 14 juin 2008
Gros Vert et petit Violet
jp gène
L'artichaut verdâtre et plein de foin, laborieusement effeuillé, laissait
l'assiette triste.
Le petit violet, sa version jeune et tendre, fait, lui, le bonheur du
palais.
Artichaut ! Artichaut ! C'est pour Monsieur et pour Madame / Réchauffer le cœur et l'âme / C'est avoir le cul
chaud " ! Ce n'est, hélas !, pas sur ces mots des crieurs de Paris que j'ai fait sa connaissance. Avec son
inévitable vinaigrette, II m'apparut d'un vert tristounet dans l'assiette. Il fallait se taper toutes les feuilles avant
d'accéder à la seule partie comestible à mes yeux, ce fond caché sous le foin dont quelques brins finissaient
toujours par se glisser sous la langue. Un jour, dans une honorable pension de famille, j'ai vu un couple d'Anglais
un peu demeurés lutter pour avaler ces fonds avec le foin sous les yeux ébahis de l'assistance entièrement
française qui se garda bien de les avertir.
C'était toujours du gros camus de Bretagne, rond comme un bedeau, cuit à la Cocotte-minute avant d'être
laborieusement effeuillé, encore tiède. Les jours de fête apparaissaient les « cœurs d'artichaut » en conserve
garnis de jambon haché, d'un œuf poché, de champignons ou de crevettes mayonnaise. Régulièrement les
adhérents de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et du Crédit agricole en déversaient
des tonnes sur les routes de Bretagne ou dans la cour des préfectures.
Quand j'appris qu'il descendait du chardon, mon cœur lorrain ne fit qu'un tour. Comment l'emblème de ma
province, si fière de ses épines et de ses fleurs bleues, pouvait-il avoir engendun tel morceau dont par ailleurs
on ne trouvait nulle trace dans nos campagnes ? Plus tard, on essaya de me le faire passer avec de la truffe ou
du foie gras mais il ne fit que passer. Bref, entre l'artichaut et moi, c'était plutôt à hue et à dia. Jusqu'à la
révélation du petit violet sur le marché du cours Saleya à Nice.
Avec de longues tiges, il se présentait en bouquet à cinq ou six têtes, les feuilles brillantes, d'un vert violacé,
avec parfois des épines à leurs extrémités. Une sorte de retour aux origines, à la fleur du chardon qui aurait
fructifié sans prendre trop d'embonpoint. Au goût, c'était un autre monde. Jeune et tendre, il croquait tout cru
sous la dent avec un filet d'huile d'olive ou une larme de tapenade. Et, miracle, son foin n'avait pas encore
poussé ! Je suis tombé amoureux du petit violet et n'eus de cesse de le manger « à la barigoule » (champignon
en provençal), une recette dont le nom roulait dans la bouche.
Cette préparation nécessite un hachis de champignons, jambon, lard et persil dont on farcit l'artichaut
préalablement blanchi. Soigneusement ficelé et bardé, il est mis à braiser au vin blanc et à l'huile d'olive. On
rencontre rarement cette barigoule dans les règles au restaurant. La mienne n'a d'ailleurs rien à voir mais j'ai
gardé le nom. Le Petit violet débarrassé de ses premières feuilles, je le coupe aux deux tiers, ne gardant que le
fond proprement tourné et citronné. Quelques oignons et lardons dans une cocotte, l'artichaut, coupé en deux,
jeté dans l'huile chaude, c'est une affaire de quelques minutes. Plus ils sont frais, plus ils sautent vite et plus ils
sont bons. Profitez-en,
C'est la saison.
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