Dossier / Effets sociaux Une onde de choc qui accentue la fracture sociale Par Francine Aizicovici et Marie-Béatrice Baudet LE MONDE ECONOMIE, Edition du 06.01.09 C'est une litanie de mauvais chiffres. Le 3 décembre, l'Irlande annonçait un taux de chômage à 7,8 %, du jamais vu depuis 1998 ; le 5 décembre, on apprenait que l'économie américaine avait détruit 533 000 emplois rien que sur le mois de novembre, ce qui n'était pas arrivé depuis trente-quatre ans ! L'Espagne et la France ne sont pas en reste. La première devrait perdre, selon les prévisions de la Fédération des promoteurs de Madrid, 900 000 emplois dans le bâtiment d'ici à 2010 ; en France, les statisticiens sont obligés d'aller rechercher jusqu'en 1984 pour retrouver la même envolée du chômage (+ 64 000 personnes supplémentaires sur un mois) enregistrée en novembre. Le Bureau international du travail (BIT) et l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne s'y trompent pas. L'un comme l'autre estimaient en octobre que la crise risquait d'accroître entre 20 et 25 millions dans le monde, le nombre de personnes sans travail d'ici à 2010. Débutée à l'été 2007 avec la faillite de deux fonds d'investissement de la banque américaine Bear Stearns, la crise bancaire a commencé à contaminer l'économie réelle en 2008. Le marché du travail étant un indicateur conjoncturel décalé - les entreprises se mettent à réduire la voilure une fois qu'elles perçoivent un réel retournement de l'activité -, l'horizon de l'emploi s'est véritablement assombri à l'automne et devrait se noircir davantage en 2009. On sait par expérience comment les directeurs des ressources humaines (DRH) réagissent, en France ou ailleurs, lorsque le péril économique est là. Pour ajuster la force de travail à la baisse de la production, ils réduisent d'abord, en principe, les heures supplémentaires ; mettent fin ensuite aux missions d'intérim et aux contrats à durée déterminée (CDD) ; ont recours au chômage partiel ; puis enchaînent avec des plans sociaux. "Tout ce qu'ils appellent le "gras" disparaît, confirme Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, Ecole d'économie de Paris. Et la file d'attente pour les recrutements, quand ces derniers sont indispensables, se forme. Les demandeurs d'emploi les plus qualifiés et les plus récents aux Assedic passent devant les chômeurs de longue durée, souvent les plus fragiles." Un schéma classique, vécu par exemple lors de la récession de 1993. Pour autant, dans plusieurs pays, la crise actuelle semble innover, en faisant des emplois précaires (CDD, intérim) un amortisseur beaucoup plus important qu'à l'habitude, protégeant du coup davantage le "noyau dur" du salariat : les "insiders". "Ce phénomène est particulièrement sensible en France ou en Espagne, par exemple, où les politiques menées depuis plusieurs années ont conduit au développement d'un marché du travail plus flexible", constate M. Askenazy. Selon l'économiste, cela explique pourquoi le taux de chômage grimpe actuellement plus vite en France et en Espagne qu'en Allemagne, où la flexibilité est moindre. Au sein de l'Hexagone, deux embauches sur trois se font aujourd'hui en CDD. Une analyse partagée par Eric Heyer. Le directeur-adjoint à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) fait remarquer, s'appuyant sur les statistiques de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qu'après une légère baisse en août, le nombre d'heures supplémentaires est reparti à la hausse en septembre et en octobre, où il a atteint 46,8 millions pour ce seul mois. Depuis la loi travail, emploi et pouvoir d'achat (TEPA), votée en août 2007, les heures supplémentaires bénéficient, il est vrai, d'exonérations supplémentaires. "Ces chiffres montrent, insiste-t-il, que les DRH ont préféré garder leurs salariés (et les exonérations) pour se séparer des plus précaires, ce qui confirme l'existence de la concurrence entre temps de travail et emploi." Une réalité sur laquelle le syndicat des professionnels de l'intérim (Prisme) décidait d'alerter, annonçant à l'automne une baisse de 10 % du nombre d'intérimaires en mission, ce qui se traduit par une "perte de 50 000 emplois" depuis le début de l'année. On connaît les premières victimes de ce grand nettoyage dans les missions d'intérim : les jeunes, vivier privilégié du travail temporaire. "Nous en voyons de plus en plus franchir les portes de nos missions locales, remarque Annie Jeanne, présidente de l'Association nationale des directeurs de missions locales (ANDML). En plus des jeunes qui cherchent à s'insérer et qui souffrent beaucoup en cette période de crise, nous voyons des moins de 25 ans qui étaient parvenus à une situation professionnelle quasiment stable grâce à l'enchaînement des missions d'intérim - ce qui leur permettait de payer un loyer, d'être autonome - et qui se retrouvent maintenant sans travail." Pour Philippe Askenazy, "aujourd'hui, le gouvernement devrait avoir plus peur des jeunes que des ouvriers. Et réfléchir à ce qui s'est passé en Grèce". Cette relative protection du noyau dur du salariat au détriment des actifs qui sont à la périphérie ne doit pas être une surprise. En septembre 1997, Henri Guaino, alors commissaire général du Plan, s'inquiétait déjà de cette structure du marché du travail français, évoquant le développement inquiétant du sous-emploi et de la précarité, estimant à l'époque que près de 7 millions de personnes étaient directement et indirectement touchées par les difficultés de l'emploi, la "gangrène du chômage". Douze ans plus tard, la situation a empiré. Conseiller spécial du président de la République, M. Guaino n'a pu que le constater. "Les salariés en situation précaire sont tellement nombreux que le nombre de chômeurs pourrait remonter rapidement en France jusqu'à 3 millions", insiste M. Askenazy. Une plaie sociale à laquelle pourrait s'ajouter le mécontentement des salariés en emploi dont le pouvoir d'achat s'érode en raison des restrictions de rémunération que vont imposer les DRH. Face à toutes ces menaces qui pourraient faire de 2009 l'année de la crise sociale, en France mais aussi dans d'autres pays de l'Union européenne, les gouvernements ont allumé des contre-feux (plans de relance, amplification du traitement social du chômage, etc.). Certains à l'instar de l'Espagne, décidant même de fermer leurs frontières, qu'ils avaient pourtant grandement ouvertes en période de croissance, aux travailleurs immigrés. ***** De "nouveaux pauvres" frappent aux portes des associations Francine Aizicovici LE MONDE ECONOMIE, 06.01.09 Mi-novembre, des associations d'aide aux plus démunis tiraient la sonnette d'alarme face à l'arrivée de nouvelles populations dans leurs centres : retraités, salariés, étudiants, petits patrons en faillite... Nombre d'entre eux iront sans doute rejoindre la cohorte des 7,9 millions de personnes pauvres en France (données 2006), celles dont le niveau de vie est inférieur à 880 euros par mois. Ce seuil de pauvreté monétaire correspond à la norme européenne qui l'établit à 60 % du niveau de vie médian. Le taux de pauvreté (13,2 % en 2006) est en progression depuis 2004, alors qu'il n'avait cessé de baisser jusque-là. Premiers publics touchés : les familles monoparentales (près d'un tiers d'entre elles) ; les couples ayant trois enfants ou plus (20 %) ainsi que les personnes seules (16,7 %). Par tranche d'âge, la pauvreté vise particulièrement les 18-24 ans, une population qui rencontre des difficultés d'insertion sur le marché du travail et n'est pas éligible au revenu minimum d'insertion (RMI). Un véritable retournement au regard des années 1970 : "Entre cette période et aujourd'hui, le taux de pauvreté des plus de 60 ans a été divisé par deux, tandis que celui des 20-30 ans a, lui, été multiplié par deux", souligne Julien Damon, professeur associé à Sciences Po et rapporteur général du Grenelle de l'insertion. Autre évolution : alors que pendant longtemps, la pauvreté était liée à l'inactivité (personnes âgées ou handicapées, mères de famille seules), elle s'est peu à peu rapprochée du salariat. Selon Jean-Luc Outin, chercheur au CNRSCentre d'économie de l'université Paris-I et membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, la France compte 1,7 million de travailleurs pauvres (travailleurs appartenant à un ménage pauvre), soit 7 % des actifs. Un phénomène lié, dit-il, "en partie à la montée du temps partiel et de l'emploi instable". Des chercheurs, à l'instar de Serge Paugam, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), mettent cependant en question cet indicateur basé sur un seuil de pauvreté. Pour lui, cette définition ne permet pas de définir "un statut social" des pauvres. Il lui préfère le nombre de bénéficiaires des 9 minima sociaux existants (RMI, allocation adulte handicapé, etc.). Ceux-ci concernaient 3,3 millions de personnes en 2006 qui percevaient entre 450 et 700 euros par mois (pour une personne seule) et ont vu leur pouvoir d'achat stagner depuis dix ans. Jusqu'aux années 1980, la France a privilégié l'approche des aides ciblées pour lutter contre la pauvreté. Le minimum vieillesse apparaît en 1956 pour les retraités n'ayant pas acquis assez de droits ; l'allocation adulte handicapé en 1975 ; l'allocation de parent isolé (API) en 1976, face à la montée des divorces, etc. Puis, la forte hausse des demandeurs d'emploi conduit à une réforme de l'indemnisation du chômage (durée de versement des allocations raccourcie, etc.) et pousse en 1984 à la création de l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Cette année est aussi celle où apparaît "la première ligne budgétaire spécifique de lutte contre la pauvreté, observe M. Damon, pour prendre en charge ceux que l'on a nommés alors les "nouveaux pauvres"" : les victimes des plans de licenciements ou les jeunes qui ne parvenaient pas à s'intégrer sur le marché du travail. Ce cheminement aboutira à la prise de conscience de la nécessité d'une politique plus globale contre la pauvreté, qui donnera naissance au RMI, le 1er décembre 1988, destiné aux personnes âgées d'au moins 25 ans. Et dix ans plus tard, à la loi relative à la lutte contre les exclusions. Même s'ils sont insuffisants, la France se donne peu à peu des moyens ; en revanche elle ne se fixe pas un objectif chiffré de recul de la pauvreté avant 2007, quand le président de la République, Nicolas Sarkozy, a déclaré vouloir la réduire d'un tiers en cinq ans. En parallèle, le débat sur la "désincitation au travail" que provoqueraient les minima sociaux, thèse pourtant contredite par diverses études, n'a jamais cessé. Une des réponses à ces critiques sera la mesure d'"intéressement", qui permet de cumuler, pendant un temps, RMI, API ou ASS et revenus du travail, et préfigure le futur revenu de solidarité active (RSA). Le RSA permettra-t-il, lui, de réduire la pauvreté ? La question reste posée car d'une part, un certain nombre de bénéficiaires du RMI, que le RSA va remplacer, ne travailleront pas pour des raisons de santé ou d'âge, ou faute de trouver un emploi. D'autre part, "le RSA peut certes faire sortir de la pauvreté les quelque 3,5 millions de personnes pauvres qui sont tout juste en dessous du seuil si elles reprennent un emploi même très partiel, souligne M. Outin. Mais il risque, dans le même temps, d'encourager les entreprises à développer ce type d'emplois". POUR EN SAVOIR PLUS : LA RÉGULATION DES PAUVRES, de Serge Paugam et Nicolas Duvoux (PUF, coll. "Quadrige", 2008, 113 p., 10 €). L'EXCLUSION, de Julien Damon (PUF, coll. "Que sais-je ?", 2008, 126 p., 8 €). L'ECONOMIE DES INÉGALITÉS, de Thomas Piketty (La Découverte, coll. "Repères", 2008, 126 p., 8€). "MINIMA SOCIAUX, LE TEMPS DE LA RÉFORME", dossier de la revue Problèmes économiques (La Documentation française, 24 décembre, 48 p., 4,7 €). L'ECONOMIE FRANÇAISE 2009, Fondation nationale des sciences politiques et de l'Observatoire français des conjonctures économiques (La Découverte, coll. "Repères économie", 2008, 123 p., 8,5 €). ***** Anthony Atkinson "Des prestations solides atténuent l'érosion des revenus" Propos recueillis par Anne Rodier LE MONDE ECONOMIE, du 06.01.09 Comment la crise financière va-t-elle changer la répartition des revenus ? Les conséquences de la crise financière sur la répartition des revenus vont varier d'un pays à l'autre, en fonction des systèmes de protection sociale et des évolutions salariales récentes. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont vu ces dernières années une forte augmentation des hauts revenus, les inégalités s'y sont donc davantage développées qu'en France ou qu'en Allemagne. Mais avec le séisme financier et la chute des bourses, les plus aisés ont perdu beaucoup d'argent. Tout comme les retraités affectés directement par la chute des taux d'intérêt anglais et américains. Le retrait de l'Etat du financement des pensions les avait en effet conduits à placer leurs épargnes, notamment dans l'immobilier. Ce qui n'est pas le cas en France où le niveau de vie des personnes âgées, qui vivent essentiellement de leurs pensions, a progressé. Les petits et moyens salaires, peu enclins à investir financièrement, sont-ils les gagnants de la crise par défaut ? Non. Ceux qui pourraient bénéficier de la crise, c'est la frange (1 %) des extrêmement riches sous réserve qu'ils aient su sauvegarder leurs liquidités à l'instar du multimilliardaire américain Warren Buffett, qui a pu acheter une partie de Goldman Sachs au plus fort de la crise. C'est ce qui s'est passé en tout cas à Singapour, lors de la crise asiatique de 1998. Alors que les hauts revenus y étaient restés quasiment inchangés durant la croissance des années 1990, ils ont largement profité du marasme économique d'alors. Il est toutefois encore trop tôt pour savoir s'il y aura une réelle modification en termes d'écart de salaire entre le haut et le bas de l'échelle. Quoi qu'il en soit, le scénario de 1929 ne devrait pas se reproduire car les hauts revenus salariaux ne devraient pas subir de fortes pertes, comme ce fut le cas en 1929, où ils avaient chuté de 25 % à 33 % dans certains pays. Les hauts revenus seront essentiellement affectés sur la part investie de leurs biens. Les riches de 1929 étaient des rentiers, ceux de 2008 tirent principalement leurs revenus de leurs salaires. Et ce, même si la part des salaires dans le revenu a sensiblement baissé au profit de la part du capital, au cours des deux dernières décennies, surtout en France et en Allemagne. Qui plus est, il ne s'agit pas d'une simple crise financière localisée, mais d'une crise économique globale. La dimension internationale doit être prise en compte. La concurrence des compétences, notamment dans les services et les hautes technologies, est de plus en plus rude. Tous les salaires sont en concurrence. Les cadres plus mobiles bénéficient de la globalisation, quand les employés moins qualifiés en souffrent. En France 169 000 suppressions d'emploi sont attendues au premier semestre 2009, ce qui ne manquera pas d'influencer l'évolution des salaires... Avant les salaires, le premier impact attendu est, en effet, sur l'emploi. Après la finance, les licenciements vont frapper et ont déjà commencé à le faire dans de nombreux secteurs : l'industrie, la construction, les services... La hausse du chômage et de la précarité est inéluctable. Mais contrairement aux années 1930, nous avons deux atouts : l'existence d'une couverture sociale qui limite l'impact sur le niveau de pauvreté et le fait qu'au sein des ménages il y ait souvent deux salaires. Il y a déjà en France 2 millions de ménages de travailleurs pauvres. Quels sont les leviers de la redistribution les plus efficaces pour affronter la crise ? Le meilleur levier est celui de l'impôt progressif qui, en s'adaptant à la diminution des revenus, soutient la demande. Mais également les allocations sociales. L'allocation chômage est une sorte de stabilisateur automatique, qui maintient le pouvoir d'achat et donc la demande. L'expérience des années 1970 l'a démontré : la hausse du chômage ne s'est pas accompagnée d'une forte hausse du taux de pauvreté car la politique sociale menée alors a joué à plein son rôle de filet de sécurité. Il est indispensable de combattre le chômage à la fois par les investissements et par les aides au retour à l'emploi, comme le revenu de solidarité active. CV Anthony Atkinson : 2008 : Anthony Barnes Atkinson est chercheur au Nuffield College d'Oxford depuis 2005. Il avait auparavant enseigné à l'université d'Essex, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à l'Ecole normale supérieure, à la London School of Economics. 2005: Directeur du Nuffield College d'Oxford depuis 1994. 1997-2001 : Il est membre du Conseil d'analyse économique. Il a créé l'indice Atkinson, instrument de mesure de l'inégalité des revenus. QUESTIONS-RÉPONSES : Exclusion LE MONDE ECONOMIE, du 06.01.09 Quelles sont les prévisions en matière de chômage sur le plan mondial ? Le Bureau international du travail (BIT) avait, dès la fin du mois d'octobre 2008, estimé que la crise économique et financière risquait d'accroître de 20 millions au moins le nombre de chômeurs dans le monde dès la fin de l'année 2009 et ainsi atteindre le seuil historique de 210 millions. Les prévisions de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) rendues publiques le 23 décembre 2008 ne sont guère plus optimistes : 20 à 25 millions de demandeurs d'emploi supplémentaires pourraient être enregistrés d'ici à 2010, dont 8 à 10 millions au sein des trente pays que regroupe l'OCDE. La zone euro devrait connaître la plus forte hausse du chômage, dont le taux s'établirait à 9 % en 2010 contre 7,4 % en 2008. Quels changements apportera la nouvelle convention d'assurance- chômage si elle est signée ? Actuellement seuls 48 % des demandeurs d'emploi perçoivent des allocations Assedic, taux que les syndicats voulaient augmenter grâce à la nouvelle convention, qui devrait entrer en vigueur en janvier. Celle-ci prévoit notamment d'unifier les quatre filières d'indemnisation actuelles. La durée d'affiliation ouvrant droit à des allocations est réduite à 4 mois sur une période de référence de 28 mois. Auparavant, il fallait, par exemple, avoir cotisé au moins 6 mois au cours des 22 derniers mois pour être indemnisé 7 mois ; ou bien avoir cotisé au moins 16 mois au cours des 26 derniers mois pour être indemnisé 23 mois. Dans le nouveau système, un jour cotisé égale un jour indemnisé, pour une durée maximale de 24 mois. Si le chômeur retrouve un emploi, il devra alors avoir travaillé 6 mois sur une période de 12 mois pour pouvoir de nouveau bénéficier d'une indemnisation. Les plus de 50 ans seront toujours indemnisés pendant 36 mois au plus, mais à condition d'avoir travaillé 36 mois au lieu de 27 auparavant. L'ensemble de ces mesures permettrait, selon l'Unedic, d'indemniser 70 000 à 98 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. Le Medef et la CFDT évoquent, eux, les chiffres de 200 000 à 300 000. De plus, les dispositions qui limitaient l'indemnisation des salariés saisonniers sont abrogées. Combien y a-t-il de SDF en France ? Selon des statistiques publiées en janvier 2007 par l'Insee, 14 600 personnes dormaient "dehors ou dans un lieu non prévu pour l'habitation". Celles-ci ne constituent donc qu'une partie de la population SDF dont l'Insee avait estimé le nombre à environ 86 000 en 2001, sur la base d'une enquête menée auprès de personnes se rendant dans des lieux de distribution de repas chauds. D'autres estimations provenant d'associations d'aide aux SDF établissent leur nombre entre 100 000 et 400 000. ***** La fragilité des petits entrepreneurs du monde rural Bruno-Serge Leroy LE MONDE ECONOMIE, du 06.01.09 AURILLAC CORRESPONDANT Le sac à pain est pendu au volet. Des gouttes de glace s'accrochent au portail de la maison. Quand la porte s'ouvre, Danièle Deveize affiche un large sourire : "Entrez vite vous réchauffer avec un café", lance-t-elle à ses visiteurs. En ce début d'après-midi, Ydes, dans le nord du Cantal, est plongé dans un brouillard diffus. Thomas Tignon et William Loveluck embrassent leur hôtesse, puis s'installent autour de la table de la cuisine. Les deux hommes sont conseillers à l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), spécialisée dans le financement et la création de microentreprises par des demandeurs d'emploi et des allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI). Mme Deveize a déjà fait appel à leurs services à deux reprises. "La première fois que j'ai rencontré un conseiller de l'ADIE, nous avons beaucoup discuté. Enfin, il m'a surtout écoutée", explique-t-elle. Le parcours de Mme Deveize ressemble à celui de beaucoup de créateurs soutenus par l'ADIE, qui n'ont pas accès aux banques compte tenu de la faiblesse de leurs revenus. "Ils sont très attachés au fait que nous les considérons comme des clients", soulignent les deux conseillers. Mme Deveize n'imaginait pourtant pas devoir un jour devenir elle-même un des "clients" de l'ADIE qui, en 2007, étaient à 47 % allocataires des minima sociaux, à 38 % des demandeurs d'emploi, et à 9 % des travailleurs indépendants. Grâce à leur projet et au soutien de l'ADIE, 61 % ont pu sortir des dispositifs d'aides sociales. Coiffeuse en région parisienne, Mme Deveize a fait le tour de France en compagnonnage. Veuve avec trois enfants, elle a été contrainte de cesser son activité, pour des raisons de santé liées à une maladie professionnelle. "C'est là que les ennuis ont commencé. Je me suis retrouvée interdit bancaire à la Banque de France." Fuyant la région parisienne, elle s'installe à Ydes où elle refait sa vie, rencontre un compagnon. Mme Deveize découvre l'ADIE sur Internet en cherchant des solutions pour renouer avec son activité professionnelle. Le deuxième rendez-vous avec l'association sera l'occasion de signer son premier microcrédit qui lui permet de lancer son activité de "relooking". Quelques mois plus tard, nouvelle demande de la coiffeuse "pour créer un site Internet et financer une campagne de publicité". Au total, 2 800 euros, qu'elle rembourse tous les mois. "Nous cherchons toujours à nous adapter aux besoins de nos clients, à flexibiliser au maximum le système", précise Thomas Tignon, responsable du programme "Pilote Adie de développement économique" (Padre), qui fait le choix de s'intéresser aux territoires essentiellement ruraux et oubliés par le développement économique. "Nous sommes partis d'un constat, explique-t-il. Si dans les villes, nous disposons de locaux pour accueillir les clients, il est très souvent difficile, voire impossible pour certains habitants des campagnes de se déplacer. Ils échappent à l'oeil de l'Etat en zone rurale. Ils sont invisibles." Danièle Deveize confirme : "Heureusement que les deux conseillers sont venus à Ydes avec leur "bureau mobile", je n'aurais pas pu aller à Aurillac pour les rencontrer." Sans voiture et avec de rares moyens de transports publics, les déplacements sont difficiles voire impossibles, lorsque l'on ne dispose pas de ressources suffisantes. L'ADIE a décidé de créer un bureau mobile, une sorte de camping-car, disposant de chaises, d'une table, et d'un chauffage. Le véhicule a commencé ce matin-là sa tournée par Champs-sur-Tarentaine. Il ira à Murat puis Riom-ès-Montagnes, ou encore à Egliseneuved'Entraigues, dans le sud du Puy-de-Dôme, pour s'installer au milieu des étals sur le marché : "Il y a les curieux qui demandent des explications, les clients qui viennent nous saluer et passer un moment à discuter, ou rembourser leur prêt", explique M. Loveluck. M. Tignon a participé au déploiement de l'association dans des secteurs où la densité de population est faible, comme le plateau de Millevaches en Limousin et, depuis janvier 2008, dans une zone comprenant le nord du Cantal et le sud du Puy-de-Dôme. Sur ce territoire, le programme est considéré comme pilote. Mis en place pour trois ans, il devrait permettre d'atteindre "l'objectif de cent ou de deux cents personnes soutenues financièrement chaque année dans le département du Cantal", précise M. Tignon. Fin 2008, les conseillers ont déjà aidé une cinquantaine de projets à voir le jour sur ce secteur. "L'ADIE est plutôt axée sur la création d'entreprises, commente M. Loveluck, mais sur le nord du Cantal, nous avons beaucoup de cas de maintien ou de développement d'activité." L'association finance essentiellement des projets d'artisans, de commerçants et de quelques agriculteurs. Danièle Deveiz est devenue une véritable ambassadrice de l'ADIE : "Quand je coupe les cheveux à mes clientes, je leur explique comment j'ai pu m'en sortir grâce à l'association", raconte-t-elle, faisant glisser l'adresse de l'une d'elles aux deux conseillers, sur la large table de la cuisine.