Vision systémique Chap.1 Fonctions du langage

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Tiré ;de Langue
française, vision systémique
Application à; la langue française de la théorie
de M.A.K. Halliday et de R. Hasan
par Gilles Lemire
pitre 6
Chapitre 1
Fonctions du langage
1.2 Perspectives systémiques
Afin de présenter, par rapport aux fonctions du langage, des aspects envisagés selon
les orientations du courant systémique, le modèle fonctionnel qui suit dégage ses
principes des fondements mêmes du langage pour qu'en ressorte son organisation, et
plus particulièrement l'organisation de son système sémantique. Les fonctions du
langage forment ce qui peut être appelé la configuration des significations : si la
centration est faite sur la signification expérientielle, c'est de la fonction expérientielle
dont il s'agit, alors que l'analyse des plans interpersonnel et textuel renseigne elle aussi
sur des fonctions de même nom : les fonctions interpersonnelle et textuelle. Tout texte
ou fragment de texte peut servir à illustrer ces fondements du langage. Des
commentaires à propos de deux lignes d'un poème du XVIIe siècle (Halliday 1989 :
18) accompagnent ci-dessous la définition de ces fonctions.
1.2.1 La fonction expérientielle
La fonction expérientielle est le rôle de l'activité langagière qui rend possible la
construction des images mentales et la transposition de la réalité en idées. C'est la
façon de développer du sens à partir de ses expériences, à partir de ce qui se passe
autour de soi et en soi. Le texte est construit de structures dont l'unité qui a pour rôle
de supporter les représentations langagières de l'expérience est la proposition. Celle-ci
est l'unité grammaticale la plus signifiante (Halliday 1985 : 101), elle fonctionne avec
la représentation du PROCèS qui est l'expression d'un événement, d'une action, d'un
état ou d'un phénomène du monde réel. Au plan de la signification de la nature
expérientielle -- de l'expérience vécue --, chaque proposition contient un procès, un ou
plusieurs participants et des circonstances qui servent d'adjoints, ces derniers
complètent le sens qui s'ajoute aux éléments principaux de la structure textuelle. À
partir de ces quelques lignes tirées d'un poème, voici une démarche qui permet de
reconstruire la structure expérientielle du texte (Halliday 1989 : 18).
Ou laisse un baiser au fond de la coupe,
et je ne demanderai plus de vin
Le schéma sémantique, qui sert à la représentation du procès et de ce qui l'environne,
est potentiellement constitué de trois composantes : i) le procès lui-même; ii) les
participants au procès que l'on nomme l'acteur -- c'est souvent le sujet du verbe -- et le
but -- les compléments; iii) les circonstances associées au procès qu'on appelle aussi
les adjoints.
Pour construire la structure expérientielle de la première proposition énoncée à la
ligne du texte figurant ci-dessus, autant de cases qu'il y a de groupes la constituant
sont requises, soit cinq cases.
La première case comprend une marque de coordination : la conjonction Ou. Le
verbe, qui occupe la troisième case, est au mode impératif; ceci entraîne le fait que le
sujet n'est pas exprimé de façon explicite, mais il est connu en raison de la forme prise
par laisse : la deuxième case est laissée vide, elle lui est réservée. Le procès, laisse, est
une action et les participants sont l'acteur et l'objet : l'acteur Tu, qui n'est pas exprimé,
et l'objet, un baiser -- quatrième case qui représente le but. Et dans la dernière case, la
cinquième, une circonstance figure, elle apporte une précision à propos de l'endroit.
Toutes ces composantes fournissent le cadre de référence qui permet d'interpréter
l'expérience proposée par le texte. Le langage sert à représenter les objets et les
pensées abstraites, il fait référence aussi bien au monde extérieur qu'au monde
intérieur. Chaque expérience langagière peut être figurée dans une configuration de
nature semblable à celle qui est produite dans la figure 1.2.1a.
1.2.2 La fonction interpersonnelle
La fonction interpersonnelle apporte d'autres renseignements véhiculés par le texte.
Elle situe les observations au plan des interactions de nature sociale.
Les deux propositions du texte poétique cité plus haut contiennent des signaux de
deux types. D'abord, il s'agit d'un ordre dont les indices sont repérables dans la
première de ces propositions : les marques du verbe suggèrent le type d'ordre
particulier qui s'appelle la demande, tandis que la deuxième proposition véhicule le
sens général de l'offre. Plus précisément, il s'agit d'une sorte de promesse. La
participation du locuteur et de l'auditeur se trouve même incrustée dans l'énonciation
par la présence du Je et la suggestion de Tu qui est inscrit de façon implicite dans la
forme impérative du verbe. La signification du langage par sa fonction
interpersonnelle devient donc celle du langage en action alors que la fonction
expérientielle le présente comme réflexion. Sous l'angle de la grammaire, l'ensemble
d'éléments qu'il faut reconnaître sont analysables en tant que participants au procès.
1.2.3 La fonction textuelle
La signification du texte lui-même, compte tenu de ses caractéristiques particulières,
constitue une autre fonction essentielle du langage. La texture de la ligne du poème
que nous analysons témoigne d'un équilibre entre le sens et la grammaire, d'un
arrangement particulier de la structure thématique, du rythme par rapport à
l'information
-- après la traduction, ce texte poétique en vers ne contient plus le rythme et la
mélodie insufflés par le poète.
La composition balancée de la ligne contenant deux propositions suggère un
parallélisme au plan de l'organisation de la pensée : il y a la demande et puis vient la
promesse; et cela est renforcé au plan de la signification logique par une marque de
coordination liant les deux propositions -- il s'agit d'un autre apport de signification
venant de la fonction logique qui est aussi considérée comme une des principales
fonctions du langage. Par similarité, le balancement reflète l'organisation de la
construction de la ligne précédente que voici :
Ne me bois qu'avec tes yeux
Et je m'engagerai avec les miens.
Dans les deux cas, il s'agit de couples d'actes d'énonciation qui coordonnent
également leur sens; demande et offre qui pourraient tout aussi bien être subordonnées
que coordonnées, car il est possible de les insérer dans la structure hypotactique << si
... alors >>. Cet autre aspect de l'organisation du système sémantique portant sur la
signification logique des propositions est pris en charge par la fonction logique; elle
rend compte de l'expression des relations logiques fondamentales. En grammaire, il
s'agit des différentes formes de parataxe -- coordination -- et d'hypotaxe -subordination.
En donnant les explications fournies par chacune des fonctions, l'interprétation de
cette ligne du poème a conduit vers la saisie de la signification de ce que le poète a
voulu dire. Le texte a la signification expérientielle suivante : vos baisers sont plus
désirables que le vin; à ceci s'ajoute ce qu'apporte la fonction interpersonnelle :
j'apprécie davantage vos baisers que le vin. En réinterprétant de la sorte cette
proposition et en lui associant celle qui précède, c'est une métaphore qui est énoncée à
la manière d'une déclaration d'amour.
Cette manière d'observer chaque phrase d'un texte rejoint la nature même de
l'approche fonctionnelle. Il est convenable de dire qu'une phrase dans un texte est
multifonctionnelle (Halliday 1989 : 23). Cependant la signification qui est portée par
chacune des fonctions ne peut pas être attachée à un segment auquel on n'attribue
qu'une fonction. Les significations associées aux fonctions sont tissées tout ensemble
comme le sont les fibres d'un tissu. Il faut considérer la texture dans sa totalité à partir
d'angles différents. Ce sont toutes ces perspectives qui vont contribuer à la saisie de
l'interprétation totale.
Exercices du chapitre 1
Section 1.1.1
Malinowski aurait décrit la situation suivante : -- contexte de la situation --... l'eau
chauffe, des carottes sont mises dans la marmite. 1) Une fois, quelqu'un a dit : << Je
vais manger des carottes. >>; et cela en pointant le doigt vers lui et en faisant un autre
geste, celui de porter des aliments à sa bouche. 2) Une autre fois, quelqu'un dit : <<
Les carottes cuisent. >>; et cela en pointant le doigt vers les carottes et en faisant des
gestes circulaires qu'il oriente vers la marmite. 3) En temps de sécheresse, un groupe
de personnes pointent leurs mains vers le ciel, elles les redescendent vers la terre en
pianotant de tous leurs doigts et en disant : << Esprits d'en haut, faites tomber l'eau du
ciel... >> Faites la liste des expressions qui se rattachent au contexte de la situation -fonction pragmatique -- et celles qui proviennent du contexte de la culture -- fonction
magique.
Imaginez deux contextes : l'un décrivant une action rattachée à la fonction
pragmatique et l'autre à la fonction magique. Associez une phrase pouvant convenir à
chacun des contextes que vous avez proposés.
Sections 1.1.2 et 1.1.3
Vous lisez chaque fragment de texte qui figure ci-dessous et vous décrivez à votre
façon le contexte de la situation ou le contexte de la culture. Puis vous expliquez
pourquoi vous rattacheriez chaque fragment à l'une ou l'autre des fonctions des cadres
théoriques réunis dans le tableau 1.1.3a.
Fragment 1 : Je me sens très heureux d'être en ta compagnie.
Fragment 2 : Je te donne pour nom Océanos.
Fragment 3 : Que la bénédiction du Seigneur repose sur vous tous !
Fragment 4 : Va chez le voisin et reviens avec Magali.
Fragment 5 : Magali est un nom propre.
Section 1.2.1
En observant le fragment de poème (Gilles Vigneault. Quand les bateaux s'en vont)
qui suit, essayez de décrire les constituants de ce texte et fabriquez une figure
semblable à la figure 1.2.1a
Au printemps de mon pays
tournent pluie et vent et neige.
Section 1.2.2
En observant le fragment de poème (Gilles Vigneault. Quand les bateaux s'en vont)
qui suit, essayez de décrire les constituants de ce texte et fabriquez une figure
semblable à la figure 1.2.2a
Je vais rallonger mon mât
Mets du plomb dans ta quille...
Lectures complémentaires
Fonctions du langage
CHARAUDEAU, P. << Ce que communiquer veut dire >> dans Sciences humaines,
numéro 51, juin 1995, p. 20-23.
JOURNET, N. << Les linguistiques de la communication >> dans Sciences humaines,
numéro 51, juin 1995, p. 18-19.
MARTINET, A. Éléments de linguistique, Paris, Armand Colin, 1967, p. 2-12.
MOUNIN, G. Clefs pour la linguistique, Paris, Seghers, 1968, p. 79-85.
Références
BRITTON, J. Language and Learning, Harmondsworth, Penguin, 1970.
BüHLER, K. Spraschtheorie : die Darstellungsfunktion der Sprache, Jena, Fischer,
1934.
HALLIDAY, M.A.K. An Introduction to Functional Grammar, London, Edward
Arnold, 1985.
HALLIDAY, M.A.K. & HASAN, R. Language, context and text : aspects of
language in a socio-semiotic perspective, Oxford, Oxford University Press, 1989.
JAKOBSON, R. Essais de linguistique générale, Paris, Éditions de Minuit, 1963.
MALINOWSKI, B. The problem of meaning in primitive languages, Supplement 1 in
C.K. Ogden & I.A. Richards (eds), The Meaning of Meaning, International Library of
Philosophy, Psychology and Scientific Method, London, Kegan Paul, 1923.
MORRIS, D. The Naked Ape, London, Jonathan Cape, 1967.
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