Alors l`accréditation ne changerait rien qu quotidien des patients

publicité
L'ACCRÉDITATION, MOTEUR OU
OUTIl POUR AMÉLIORER NOS
PRATIQUES?
L’accréditation, démarche obligatoire pour chaque établissement de santé, a-t-elle changé
quelque chose dans la prise en charge du quotidien des patients ?
A la lumière d’une autre démarche d’amélioration du soin qu’est la recherche en soins, il
semblerait que son caractère “artificiel soit un frein à la réalisation de son objectif.
A moins que l’accréditation vise autre chose que l’amélioration de la qualité des soins…
Emmanuel Digonnet
Infirmier psychiatrique
Association SERPSY1
Passée ma première surprise que l'on me demande un article sur ce que change l'accréditation
sur les pratiques soignantes, alors que je n'ai participé à aucun groupe qualité à l'hôpital
Esquirol, j'ai finalement trouvé l'idée très intéressante. En effet, infirmier dans le service du Dr
WINDISCH (secteur 10 de Paris), je bénéficie depuis 98 d'un détachement à temps partiel sur le
groupe de recherche en soins. Le leitmotiv de ce groupe, créé en 1992 est de contribuer au
développement d'une clinique infirmière qui enrichisse la compréhension et le traitement des
patients psychotiques, de créer un espace d'échange autour de nos pratiques qui vise à
transformer les manières de travailler, les manières de percevoir les patients, les situations de
soins. Idées qui seront à la base de la création de l'Association SERPSY qui souhaite associer à
cette démarche d'autres secteurs, d'autres professionnels.
Je trouvais donc intéressant de mettre en parallèle deux approches apparemment différentes
mais visant l'une et l'autre à l'amélioration de la qualité des soins. C'est donc à un article d'opinion que je me livrerai en croisant quelques points communs aux deux pratiques.
Une préoccupation commune : le client pour les uns, le patient pour les autres
Le souci des uns et des autres étant l'amélioration de la qualité des soins, cela passe
nécessairement par une modification des pratiques. Dans les deux cas, le premier travail est
l'analyse de ces pratiques, et il est intéressant de constater que nous nous heurtons aux mêmes
réticences, aux mêmes résistances.
Dans le cadre de l'accréditation, c'est le côté institutionnel qui fait peur: "quel est ce regard
inquisiteur que la Direction veut poser sur notre travail ? " (Qu’on le veuille ou non c'est l’œil
du Directeur qui plane derrière les accréditeurs). Dans le cadre du groupe de recherche, il s'agit
de notre légitimité à mettre le nez dans les affaires des autres. Dans les deux cas, l'analyse des
pratiques est perçue comme un jugement de valeur porté sur ces pratiques. Pourtant cette
première démarche est indispensable pour qui veut faire bouger les choses. On ne peut vouloir
1
Affiliée à la FASM Croix~Marine
modifier les soins sans analyser ceux qui sont dispensés.
Evaluer…et après ?
Mais si cette étape est indispensable, elle n'est pas suffisante.
Prenons un exemple, le questionnaire de satisfaction des patients réalisé en 2000 à l'hôpital
Esquirol dans le cadre de la démarche d’accréditation2.
L'un des axes de l'accréditation a été d'interroger des patients sur leur satisfaction des soins qui
leur sont prodigués. Un certain nombre de questionnaires ont été soumis par une enquêtrice, à
des patients ou leur famille (pour la pédo-psy) en intra comme en extrahospitalier. Il se trouve
que l'un des items de ce questionnaire concerne l'information des patients. Deux items plus
précisément les interrogent sur la qualité de l'information qui leur est donnée quant à la durée du
traitement et l'autre quant au traitement lui-même.
Or, en 1992, le groupe de recherche du secteur 10 se proposait déjà de réfléchir à cette question.
La démarche à l'époque était de proposer à tout un secteur de réfléchir autour d'un point que les
infirmiers avaient en commun quelque soit leur lieu d'exercice, la distribution de médicaments.
La première enquête concernait les patients et ce qu'ils connaissaient de leur traitement. La
seconde, les soignants et ce qu' ils disaient aux patients de leur traitement,
Ce travail constituait une première étape, l'analyse de l'existant, de la réalité institutionnelle,
avant de réfléchir sur l'intérêt et la manière de mieux informer les patients sur leur traitement
Ces travaux firent l'objet d'une publication3, d'un film. " Vivre en ville " (épuisé) qui a permit un
travail avec des groupes de patients. Ce travail est encore d'actualité dans notre secteur puisqu'il
est utilisé régulièrement dans le groupe "vie quotidienne".
L'enquête de satisfaction réalisée en 2000 dans le cadre de Î'accréditation montre que les
patients sont insatisfaits de l'information qui leur est donnée sur les effets de leur traitement.
C'est même l'item parmi 19 autres qui a le plus fort score d'insatisfaction à 56 % (68,8 > 41,7)
alors que c'est un des items noté parmi les plus importants par les patients interrogés. Notons
que l'unité commune aux deux enquêtes réalise un score de 46,7 %.
La suite de ce questionnaire sera une nouvelle enquête de satisfaction à distance, pour mesurer
l'évolution de la satisfaction des patients après l'accréditation de l'établissement.
Nous avons là une différence importante entre les deux démarches. Dans le cas de
l'accréditation, il s'agit d'un travail "de commande "C'est-à-dire "nous devons mesurer le degré
de satisfaction des patients à un moment donné".
À ma connaissance, rien d'autre n'est proposé aux soignants que la mise à disposition des
résultats de cette enquête.
On espère que chaque acteur au vu des résultats de la première enquête aura fait le nécessaire
pour que cela aille mieux. Et comment pourrait-il en être autrement ? Je serai, je crois, le
premier à trouver totalement artificiel que ce questionnaire débouche sur des énoncés de
"bonnes pratiques "tant la démarche se trouve "déracinée "des acteurs d'un changement
possible. En effet, quelles que soient les qualités professionnelles et la bonne volonté de ceux
qui pensent et réalisent ces enquêtes, ils sont forcément extérieurs "à l'objet en travaillant pour
"l'accréditation "ou pour "la qualité ". Au contraire, la démarche de soignants à qui l'on donne
les moyens de leur mission tout en partageant le quotidien et les préoccupations des équipes sur
le terrain leur donne sans doute plus de légitimité et de reconnaissance pour proposer des
changements de pratiques à leurs pairs. C'est l'implication de toutes une équipe et de chacun de
ses membres sur l'objet de l'enquête, son intérêt pour les soins, et sa volonté de modifier les
Voir le compte rendu qui en est fait dans le n° 217 de la revue “Soins psychiatriques pages 27 à 31
“Psychose, psychotique, psychotropes ; quel rôle infirmier Editions Hospitalières, 1994, un nouveau livre sortira
aux Editions Masson en 2002
2
3
choses qui assure la seconde phase, à savoir la mise en place de changements. Par exemple, le
secteur 10. outre les ouvrages et outils cités. a confirmé depuis bientôt 10 ans l'intérêt de donner
du temps à des soignants pour la recherche en soins. Lieu de théorisation mais aussi d'impulsion
de ce que j'appellerai une "culture de réflexion critique " que l'on retrouve dans les séminaires,
les 1groupes mis en place avec les patients. les échanges entre les différentes composantes du
service. (N'allez pas pour autant croire que tout se passe comme dans le meilleur des mondes.
Beaucoup trouvent toujours le jardin du voisin mieux cultivé que le sien).
Alors l’accréditation ne changerait rien qu quotidien des patients ?
Si sans doute. Le premier point positif dans la démarche du groupe qualité d'Esquirol a été de
donner la parole aux patients sur leur satisfaction ou non des soins qu'ils reçoivent. Donner la
parole aux patients est une autre manière de changer les choses par le rapport soignant/soigné
que cela induit. C'est une première étape pour faire du sujet soigné un acteur de son soin. Etape
engagée à Esquirol depuis de nombreuses années puisque c'est là qu'est née une des premières
associations d'usagers et ex-usagers de la psychiatrie. Encore faut-il que cette parole qui lui est
donnée sur le plan institutionnel lui soit également reconnue dans le service qui le prend en
charge, dans l'unité où il est soigné au quotidien, au CMP qu'il fréquente... ce qui est loin d'être
le cas partout.
La plupart des professionnels qui ont participé aux différents groupes qualité et à qui j’ai posé la
question de ce qu'avait changé l'accréditation parlent de l'intérêt qu'ils ont, à rencontrer des
collègues d'autres services. Ces réunions ont été l'occasion de riches échanges autour de leurs
pratiques parfois fort disparates dans un même établissement et susceptibles de s'enrichir
mutuellement.
Par contre, du côté des patients, pas un de ceux avec qui j'ai évoqué la démarche qualité ou
I'accréditation n'avait la moindre idée de ce que cela représentait. Si je demandais (en dehors
d'une enquête rigoureuse) s'ils avaient l'impression que leurs conditions d'hospitalisation et de
soin s'étaient améliorées depuis un an, aucun ne m'a répondu affirmativement. Ce qui ne voulait
pas dite non plus qu'ils les trouvaient mauvaises, selon eux, elles n'avaient pas été modifiées tout
simplement.
Pour que l'accréditation dépasse son caractère obligatoire et change réellement quelque chose
dans les pratiques, il faudrait trouver une interface pour que chacun s'approprie par exemple les
résultats d'un questionnaire comme celui sur la satisfaction des patients. Ce qui permettrait au
sein de l'hôpital de jour ou du CMP où il exerce, que chacun décide de changer ce qui est insatisfaisant pour les patients.
L'intérêt du patient : un souci quotidien qui ne se décrète pas.
Récemment, passant sur un trottoir de l'hôpital, je longeais une unité. L'ensemble des rideaux
venait d'être envoyé à la lingerie pour s'y refaire une fraîcheur sans être remplacés dans l'attente
de leur retour. Le regard des passants plongeait sans aucune pudeur dans chacune des chambres,
dans chacun des lits.
Il faut aussi que d'un autre côté la prise en compte des besoins des usagers ne soit pas qu'une
vitrine mais soit suivi d'effet sur le terrain. Ainsi, dès le second trimestre 2000, dans le cadre
d'une activité vie quotidienne avec des patients hospitalisés au long cours, les infirmiers
s'inquiétaient des difficultés du passage à l'Euro plus d'un an avant son arrivée effective. La
"Direction de la Clientèle "saisie du problème trouvait l'inquiétude légitime, le service de la
communication promettait de se pencher sur le problème... mais les infirmiers n'ont dû compter
que sur eux-mêmes et leur propre réseau pour préparer quelques patients à ne toucher que quatre
cent et quelques euros d'A.A.H.
De même, le circuit de cette lettre adressée à la Commission Départementale des
Hospitalisations en Psychiatrie. J'accompagnais ce patient en HO dans sa démarche de
contestation de son hospitalisation et celui-ci ne pouvant fournir les trois francs du timbre, il
envoyait l'enveloppe dûment libellée à la CDHP (Commission Départementale des
Hospitalisations en Psychiatrie) aux bons soins du Directeur. Qu'elle ne fut pas ma surprise (et
ma colère) de voir revenir la lettre, ouverte, quelques jours plus tard, avec mention "à classer au
dossier de Monsieur X "' sans qu'elle n'ait franchi la porte de l'hôpital. Sans doute un peu trop
énervé dans mon investigation, je n'ai pu trouver le service "accrédité "qui avait ainsi
outrepassé son droit et bafoué celui du "client".
Alors, pour ou contre ?
Si l'on s'en réfère au sens du terme lui-même, la question ne se pose pas, être accrédité, c'est être
crédible, il ne serait donc pas question de donner des garanties aux usagers sur~la qualité du
service qu'ils vont trouver dans un établissement accrédité, il leur serait juste demandé de nous
faire confiance... ce que nous répétons depuis des générations aux patients qui nous demandent
des comptes sur les soins que nous prodiguons!
Au final, pour répondre à la question qui m'est posée, je ne crois pas que l'accréditation change
quoi que ce soit à la qualité des soins, au bout de la chaîne du soin, c'est-à-dire au lit du patient.
Il manque à la démarche malgré toute sa rigueur un "lien naturel "avec ce qui fait le quotidien
du soin.
Les réalisations des "cellules qualité "(notamment à Esquirol), doivent plus aux qualités
humaines et professionnelles de ceux qui les composent qu'à la démarche d'accréditation
elle-même. Mais un établissement aurait-il donné les mêmes moyens pour que ces qualités
individuelles s'investissent à l'amélioration de la qualité des soins sans l'obligation de
l'accréditation ? C'est le choix d'un secteur en 1992 en dégageant un équivalent temps plein
infirmier pour cela.
Ce que l'on peut attendre de l'accréditation, c'est que cette recherche de la qualité fasse "école de
soin... de qualité ", c’est-à-dire que le leitmotiv des soignants, des techniques, des administratifs
soit "est-ce que j'accepterais que ma mère, mon fils soient hospitalisés ici?"
Pour finir, rappelons que ni l'accréditation, ni la recherche en soins, ni l'investissement des
soignants ne suffisent à améliorer la prise en charge de la maladie mentale, quand 95 % des
patients sont hospitalisés dans des unités fermées, que des patients ne sortent de la chambre
d'isolement que lorsqu'il y a besoin de la place pour un autre, (et cette fois je m'appuie sur les
résultats d'une autre enquête en cours), quand des patients vont régulièrement dormir dans un
autre service faute de place dans celui où ils sont hospitalises...
Si l'accréditation n'a pas (pas encore ?) modifié les pratiques quotidiennes, les restrictions
budgétaires y concourent dans un autre sens.
N'oublions pas non plus que des patients se Voient encore confisquer par le Trésor Public, pour
payer le forfait hospitalier, leur maigre pécule hebdomadaire envoyé par leur tuteur d'autres ne
peuvent sortir de l'hôpital faute de ressources suffisantes pour un hébergement décent, d'autres
encore, plus nombreux qu'avant, ne sortent qu'avec un sursis digne des mises à l'épreuve des
droits commun5 que constitue le recours aux sorties d'essai sous HO.
Et pourtant je suis optimiste, la prise en charge des patients en psychiatrie dans cet
établissement me parait beaucoup plus humaine qu'il y a vingt ans.
Téléchargement