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sans moralité parce que le jugement moral est impuissant sur
lui : il sait ce qu’il doit faire mais ne le fait pas, faute de mo-
bile. Si donc la norme du jugement est déjà conçue par Kant
comme purement objective, la subjectivité à laquelle corres-
pond la croyance religieuse demeure « pathologique » et non
pratique
.
La croyance en Dieu, jusqu’ici, ne peut encore être
pensée comme pure croyance morale ou foi rationnelle. L’idée
d’une foi purement rationnelle, purement morale, est en effet
inconcevable tant que le sentiment moral reste pathologique et
que la vraie nature du respect n’est pas comprise. C’est en ef-
fet un sentiment produit par la raison sur la sensibilité : un
sentiment qui n’est pas d’origine sensible mais qui est fondé a
priori, un sentiment non pathologique, non psychologique.
Quand l’analyse a délivré la moralité du pathologique, la foi
peut prendre un nouveau sens : il devient possible de ne pas
confondre le mobile moral avec la crainte du châtiment et
l’espoir d’une récompense. Une religion qui fonde l’obéissance
à la loi sur ce genre de passions est une superstition. La thèse
kantienne de la liberté comme autonomie est le refus de su-
bordonner la morale à une croyance religieuse. Elle aurait été
impossible sans la théorie du mobile moral : la morale ne dé-
pend pas de la théologie en effet parce que la raison détermine
la volonté sans avoir recours à la crainte d’un châtiment ou à
l’espoir d’une récompense, c’est-à-dire sans mobile patholo-
gique ni soumission à quelque puissance tutélaire. Il n’y a ni
hétéronomie anthropologique (subordination de mes décisions
à mes appétits et mes passions, c’est-à-dire à la nature en
moi), ni hétéronomie théologique (soumission à un maître qui
Rappelons que selon l’usage scolastique Kant appelle pathologique –
en grec, subi, passif, relatif au patient et non à l’agent – ce qui relève
des passions, de la nature en nous telle que nous la subissons tous,
et non de la volonté libre ; pathologique alors s’oppose à pratique.
Kant ne veut pas dire que le rapport de l’homme au pathologique en
lui se réduit à l’esclavage : on peut aimer librement le bon vin et jouir
agréablement de la santé, sans remords ni mauvaise conscience,
même si l’on est « kantien ».