226
Pharmactuel Vol. 41 N° 4 Août - Septembre 2008
administrée. On entreprend la perfusion de cisplatine au
temps 0 et celle d’étoposide une heure plus tard. Cette der-
nière devait être administrée en 60 à 90 minutes. Environ
trois minutes après le début de l’administration d’étoposi-
de, la patiente commence à ressentir un malaise; elle a une
impression de serrement à la tête et elle éprouve de la dif-
ficulté à respirer. À ce moment, les infirmières remarquent
le faciès rouge de la dame et un pourcentage de saturation
en oxygène abaissé à 91 %. La perfusion d’étoposide est
immédiatement interrompue. Grâce au monitoring effec-
tué tout au long du traitement, il est possible de constater
que la tension artérielle de la patiente s’est subitement éle-
vée tout comme la fréquence cardiaque (tension artérielle
avant la réaction : 114/72 mmHg, pendant : 164/89 mmHg ;
fréquence cardiaque avant : 82 battements/minute, pendant
: 107 battements/minute). Une dose de 50 mg de diphenhy-
dramine est administrée par voie intraveineuse, après quoi
l’état de la patiente se stabilise rapidement. Enfin, trois
heures plus tard, la patiente, totalement remise, quitte la
clinique d’oncologie pour n’y revenir que le lendemain.
Le lendemain de sa première dose de chimiothérapie,
elle se présente de nouveau à la clinique externe d’oncolo-
gie pour recevoir sa seconde dose. Cette fois, une prémé-
dication plus agressive lui est administrée de façon à
prévenir une éventuelle réaction d’hypersensibilité. Ainsi,
elle reçoit la prescription suivante préalablement à sa chi-
miothérapie : granisétron 1 mg par voie orale, dexamétha-
sone 20 mg, diphenhydramine 50 mg et ranitidine
50 mg par voie intraveineuse. Une dose de lorazepam 1 mg
par voie sublinguale lui est également administrée pour
diminuer l’anxiété. Avec cette médication, aucune mani-
festation d’hypersensibilité ne survient pendant l’adminis-
tration des agents antinéoplasiques. On a donc convenu
que la patiente recevrait cette prémédication à chacun des
cycles subséquents, à l’exception du dexaméthasone, dont
la dose par voie intraveineuse serait diminuée à 10 mg au
lieu de 20 mg en raison d’un problème d’insomnie. De plus,
la perfusion d’étoposide est administrée en 90 minutes au
lieu des 60 minutes initialement prévues. Étant donné que
la dose d’étoposide n’a pu être complètement administrée
au jour 1, la patiente reçoit des comprimés d’étoposide
qu’elle devra prendre chez elle au jour 4, à raison de 200 mg
le matin et 150 mg l’après midi, afin de compléter son pre-
mier cycle de traitement. Il est important de mentionner
que la patiente n’a présenté aucune réaction d’hypersensi-
bilité après la prise d’étoposide par voie orale. Tous les
cycles subséquents (six au total) se sont achevés sans
qu’aucun autre incident ne se produise.
Analyse
Tout d’abord, le terme hypersensibilité se définit comme
étant une réaction inattendue à un médicament, dont les
signes et symptômes sont inhabituels en présence de cette
médication4. Parmi les médicaments qui auraient pu indui-
re la réaction d’hypersensibilité chez cette patiente, on sus-
pecte fortement l’étoposide. En effet, on remarque que
quatre médicaments ont été introduits peu de temps avant
le début de la réaction, soit le granisétron, la dexamétha-
sone, le cisplatine et l’étoposide. Il est essentiel de se rap-
peler que les difficultés respiratoires, les bouffées
vasomotrices ou congestives (flushing) et l’élévation de la
tension artérielle sont survenues quelques minutes après
le début de la perfusion d’étoposide. Pour ce qui est du
reste de la pharmacothérapie de la patiente, étant donné la
prise de ces médicaments depuis un certain temps déjà
sans qu’elle ne subisse d’effets indésirables de ce genre,
on peut se permettre de les exclure de la liste des sub-
stances suspectées. En outre, la littérature médicale ne
fait mention d’aucune réaction indésirable similaire consé-
cutive à la prise de ces produits5.
Dans le même ordre d’idées, il est raisonnable de croire
que le granisétron, pris oralement, n’est pas à l’origine de
la manifestation allergique survenue chez la patiente, car
aucune réaction semblable à celle subie par celle-ci n’est
citée dans la littérature médicale1,5. Toutefois, quelques rap-
ports de cas font mention de prurit ou d’éruption cutanée
(rash) à la suite de l’administration d’antagonistes des récep-
teurs sérotoninergiques 5-HT3par voie intraveineuse, mais
ceux-ci ne correspondent pas au cas de cette patiente6.
Par ailleurs, bien que quelques réactions d’hypersensibi-
lité soient rapportées avec l’administration de corticosté-
roïdes par voie intraveineuse (0,3 à 1 %), celles-ci ont
généralement lieu pendant ou immédiatement après l’in-
jection du produit, ce qui n’a pas été le cas pour Mme S.R.
lors de l’administration de la dexaméthasone1,5. De sur-
croît, un autre point permettant d’exclure la dexaméthaso-
ne comme source du problème est que celle-ci a été
administrée à une plus forte dose la seconde fois sans
qu’aucun effet indésirable ne se produise.
Pour sa part, le cisplatine, un agent analogue au plati-
num, se trouve parmi les antinéoplasiques occasionnant
fréquemment (5 à 14 %) des réactions de type anaphylac-
tique4,7,9,11,12. Dans la majorité des cas rapportés, la réaction
se manifeste dans les minutes qui suivent l’administration
du médicament aux patients ayant eu une exposition anté-
rieure au produit, soit généralement après quatre à six
cycles de chimiothérapie1,4,7,9,11,12. Ce scénario ne correspond
pas à celui de notre patiente, puisqu’elle en était à son pre-
mier traitement. Les symptômes possibles comportent,
entre autres, de l’œdème au visage, un bronchospasme, de
l’hypotension et de la tachycardie4. De plus, la plupart des
patients auront de nouvelles réactions lors de l’adminis-
tration subséquente du cisplatine, même avec l’utilisation
d’une prémédication composée de corticostéroïdes et
d’antihistaminiques1,4,7,9,11,12. Ce fait laisse présager une réac-
tion allergique de type I médiée par les immunoglobulines
E (IgE) (voir Tableau I)1,4,5. En fonction de ces données, il
semble peu probable que le cisplatine soit à l’origine de la
réaction d’hypersensibilité apparue subitement dans ce
cas. Toutefois, un détail attire notre attention : il semble
que le cisplatine ait été administré en moins d’une heure.