Place de la chimiothérapie orale – Oral chemotherapy

La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008 | 483
DOSSIER THÉMATIQUE
Quelles chimiothérapies
pour quels patients âgés ?
Place de la chimiothérapie
orale
Oral chemotherapy
Frédérique Rousseau*
* UPCOG Marseille, service d’on-
cologie médicale, institut Paoli-
Calmettes, Marseille.
Le clinicien oncologue dispose de plus en plus
d’antinéoplasiques oraux en remplacement
des formes intraveineuses, que ce soit pour
des molécules anciennes ou nouvelles. La chimio-
thérapie orale a en effet bénéficié d’un développe-
ment important au cours des vingt dernières années
dans le traitement des tumeurs solides ainsi qu’en
hématologie. Le moindre coût a été l’un des moteurs
de ce développement. En effet, le traitement oral
élimine les coûts liés à l’administration intravei-
neuse, aux dispositifs d’accès veineux directs et
aux complications qu’ils induisent. Même si cette
voie semble préférée par les patients (1) dans la
mesure où l’effi cacité des traitements est main-
tenue, l’utilisation des chimiothérapies orales en
cancérologie soulève des questions d’ordre à la
fois pharmacologique et général au premier rang
desquelles la compliance.
Chez le sujet âgé, ces problématiques ne diffèrent
pas par rapport aux sujets plus jeunes, mais pren-
nent une acuité toute particulière compte tenu des
caractéristiques de cette population.
Problèmes posés
par la chimiothérapie orale
Compliance
Si les formes orales permettent d’espacer les visites
à l’hôpital, elles posent de nouveaux problèmes
pour ces traitements extrêmement actifs. La
non-compliance au traitement et son impact sur
l’effi cacité clinique et la toxicité n’ont été que très
peu étudiés et documentés (moins de 10 articles
portent spécifiquement sur ce sujet dans le Journal
of Clinical Oncology, dans les vingt dernières années).
Par ailleurs, aucun modèle de relation dose-effet
n’est disponible pour comprendre l’effet d’une non-
observance sur l’efficacité et la toxicité, comme cela
a pu être largement documenté pour d’autres molé-
cules comme les antirétroviraux et les anticholesté-
rolémiants.
Dans une population générale, les facteurs associés à
la non-compliance sont le niveau socio-économique
bas, l’institutionnalisation, et la posologie journalière
du traitement (2). Les sujets âgés, outre qu’ils cumu-
lent parfois ces trois facteurs, peuvent présenter
aussi des troubles cognitifs, même mineurs, souvent
sous-diagnostiqués, qui vont interférer avec la bonne
prise des médicaments.
Pour éviter les problèmes de compliance chez le
sujet âgé, il sera primordial de s’assurer de la bonne
distribution des médicaments au domicile, soit par
le patient lui-même s’il en est capable, soit par son
aidant naturel, soit par les soignants au domicile.
Le choix du schéma d’administration en une ou
deux prises par jour sera important. Certains condi-
tionnements (blister) peuvent être une source de
difficultés pour les patients âgés (3) et doivent être
évités.
Les mesures capables d’améliorer la compliance sont
la formation des patients, un support psychologique
au domicile et des exercices pratiques de prise de
comprimés (4).
Absorption
L’âge induit des modifications du tractus gastro-
intestinal qui peuvent interférer avec l’absorption,
comme la réduction de l’acidité gastrique (le plus
souvent associée à une infection par Helicobacter
pylori), le ralentissement de la vidange gastrique,
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Résumé
La chimiothérapie orale s’est développée au cours des vingt dernières années. Les molécules disponibles sont
soit des principes actifs anciens existant sous forme orale (méthotrexate, cyclophosphamide, chloraminophène),
soit des molécules disponibles par voie intraveineuse développées récemment sous forme orale (vinorelbine,
capécitabine), soit des molécules développées exclusivement sous forme orale (témozolomide). La chimiothérapie
orale paraît attractive chez le sujet âgé, car elle peut permettre d’éviter la mise en place d’un abord veineux et
les complications associées, elle diminue aussi le nombre et la durée des passages à l’hôpital. Cette voie, souvent
préférée par les patients pourvu que l’efficacité des traitements soit maintenue, pose le problème, en particulier
chez les sujets âgés, de l’absorption, des interactions médicamenteuses liées à la polymédication souvent présente
dans cette population, et de la compliance au traitement, qui est mal connue. Les molécules les plus utilisées en
oncologie sont revues, ainsi que l’existence de données pharmacologiques spécifiques à la population des plus
de 70 ans.
Mots-clés
Chimiothérapie orale
Sujets âgés
Highlights
There has been an increasing
trend over the past twenty
years toward the use of oral
chemotherapy in the treatment
of a variety of malignancies.
Since oral therapy can elimi-
nate charges for items such as
administration and nursing,
central intravenous catheter,
and infusion pump costs, and
costs related to adverse effects
of intravenous administration
such as line sepsis. This route
seems very attractive for the
elderly cancer patients. More
than 90% of patients prefer an
oral agent, provided efficacy
was maintained. Factors that
must be considered in choosing
oral chemotherapy include
limitations of saturability of
absorption, patient compli-
ance and the pharmacokinetic
and pharmacodynamic changes
which occur in older patients.
Interpatient variability and age
related changes in drug meta-
bolism are discussed. Careful
attention to the physio logic
changes with age, and dose
adjustments necessary for
end organ dysfunction (renal,
hepatic) are needed to ensure
the safe administration of oral
chemotherapy.
Keywords
Oral chemotherapy
Elderly cancer patients
la diminution de la motilité gastrique et des flux
sanguins splanchniques. Par ailleurs, on s’attend
à retrouver chez le sujet âgé la même variabilité
d’absorption que celle observée dans la popula-
tion générale. Enfin, le nombre des comédications,
souvent important chez le sujet âgé, peut interférer
dans l’absorption des médicaments de chimiothé-
rapies orales en modifiant la capacité de fixation,
l’adsorption, le pH et la compétition pour les sites
de fixation.
Comédications
Les patients âgés ambulatoires ont trois fois plus
de comédications que les patients plus jeunes (5).
Environ 90 % des patients âgés ont au moins une
comédication et la moyenne est de 4 comédica-
tions. Ce problème est source de toxicité et d’ia-
trogénie (6). En effet, l’augmentation du nombre
de médicaments pris par le patient est susceptible
d’induire des interactions médicamenteuses, en
particulier quand il s’agit de molécules impliquées
dans le système du cytochrome P450 (7, 8).
Médicaments
de chimiothérapie orale
Les médicaments de chimiothérapie orale sont
soit des principes actifs anciens utilisés par voie
orale (par exemple, le cyclophosphamide ou l’éto-
poside), soit des produits bien connus par voie
intraveineuse pour lesquels une forme orale a été
développée récemment (5-FU et capécitabine),
soit des molécules disponibles par voie intravei-
neuse développées récemment sous forme orale
(vinorelbine), soit des formes exclusivement orales
(témozolomide).
Vinorelbine
C’est un vinca-alcaloïde semi-synthétique présen-
tant une activité dans le traitement du cancer bron-
chique non à petites cellules métastatique ainsi que
dans le cancer du sein métastatique. Il a aussi une
activité dans le cancer ovarien avancé (9, 10). La
forme orale de la vinorelbine a été développée à la
suite de la forme intraveineuse, une bioéquivalence
a été démontrée entre les doses de 30 mg/m2 par
voie intraveineuse et 80 mg/m2 par voie orale (11).
Sa neurotoxicité est inférieure à celle des autres
vinca-alcaloïdes, et sa toxicité dose limitante est
hématologique. Son profil de toxicité en fait une
molécule utile chez le sujet âgé. La vinorelbine est
excrétée majoritairement dans la voie biliaire puis
éliminée dans les fèces, et son élimination urinaire
est faible (environ 11 %). Une modification des doses
est à prévoir en cas d’hyperbilirubinémie supérieure
à 3,0 mg/dl. Aucune différence de pharmacociné-
tique n’a été observée chez les plus de 65 ans par
rapport aux plus jeunes (12). Une évaluation bayé-
sienne de la pharmacocinétique chez les plus de
65 ans a montré une corrélation entre l’âge et la
clairance totale du médicament, avec une diminu-
tion de celle-ci avec l’âge et, par conséquent, une
baisse du taux de neutrophiles (13). Cependant,
cette modification de la clairance ne semble pas
associée à des manifestations cliniques, et une
adaptation posologique en fonction de l’âge n’est
pas recommandée.
Étoposide
Létoposide est un inhibiteur des topoisomé-
rases II. Il est utilisé dans les lymphomes non
hodgkiniens, dans les cancers bronchiques et les
tumeurs germinales ; il a en outre démontré une
activité dans de nombreuses autres pathologies
cancéreuses (14-18). Il est généralement admi-
nistré par voie intraveineuse, mais la voie orale
est largement utilisée. Son absorption montre
une très grande variabilité interindividuelle : elle
est estimée à 50 % mais peut varier entre 25 %
et 75 % (19, 20). L’étoposide présente une phar-
macocinétique d’élimination bi- ou triphasique,
avec une demi-vie initiale de 0,6-2 heures et une
demi-vie terminale de 5,3-10,8 heures. L’altéra-
tion de la fonction rénale diminue la clairance de
l’étoposide, mais il n’y a pas de données définitives
concernant l’adaptation posologique en fonction de
la clairance de la créatinine. Il existe une corréla-
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DOSSIER THÉMATIQUE
tion entre les concentrations libres d’étoposide et
l’âge, ainsi qu’entre cette concentration d’étoposide
libre et les taux de leucocytes et de neutrophiles.
Un statut fonctionnel altéré semble exposer les
sujets âgés à un risque supérieur de toxicité limi-
tante de grade 4 muqueuse et hématologique (21).
Lélimination de l’étoposide utilise en partie la voie
du cytochrome P450 ; cependant, les adaptations
posologiques en fonction des perturbations du bilan
hépatique restent controversées. Il est important
de rappeler qu’une molécule inductrice comme le
kétoconazole augmente de 44 % la biodisponibilité
de l’étoposide oral. La pharmacocinétique de l’éto-
poside par voie orale des patients présentant des
perturbations du bilan hépatique ne diffère pas de
celle des patients présentant une fonction hépatique
non perturbée (22).
Les variabilités de l’absorption de ce médicament,
ainsi que son excrétion via le cytochrome P450 inci-
tent à la plus grande prudence dans son utilisation
chez le sujet âgé.
Agents alkylants
Les agents alkylants interagissent directement avec
l’ADN. Ces interactions modifient les propriétés
chimiques et enzymatiques, avec, pour conséquence,
une inhibition de la transcription et de la réplication
aboutissant à la mort cellulaire. Ils sont largement
utilisés en association par voie intraveineuse dans de
nombreuses indications en hématologie et en onco-
logie (23). Ces agents peuvent être utiles au sujet
âgé, car ils sont disponibles sous forme orale (chlo-
rambucil, melphalan, cyclophosphamide, lomustine).
Ils ont peu de toxicité aiguë. Malheureusement, il n’y
a pas eu d’étude de pharmacocinétique spécifique
au sujet âgé.
Témozolomide
Le témozolomide (Temodal®) est un agent alky-
lant, une imidazotétrazine de deuxième généra-
tion. C’est l’analogue méthylé du mitozolomide. Il
est actuellement autorisé dans le traitement des
gliomes malins et du mélanome malin (24, 25). Son
absorption est rapide et complète après la prise
orale ; le pic de concentration plasmatique est
atteint en une heure. La prise alimentaire diminue
la vitesse et le taux d’absorption du médicament
(une prise alimentaire concomitante retarde le pic
de 2,25 heures, la concentration maximale, de 32 %
et l’aire sous la courbe (ASC), de 9 %. La fraction
du médicament liée aux protéines plasmatiques
est faible, d’environ 15 %. La pharmacocinétique
du témozolomide correspond à un modèle avec
un seul compartiment. La clairance du témozo-
lomide augmente avec la surface cutanée ; les
autres facteurs comme l’âge, le sexe, la clairance
de la créatinine ou les comédications ont montré
peu d’impact sur la pharmacocinétique (26). Les
patients dont le bilan hépatique est modérément
perturbé présentent une pharmacocinétique super-
posable à celle des patients sans perturbation. Il n’y
a pas de données concernant les patients présentant
une insuffisance hépatique sévère. Bien que les
études de pharmacocinétique n’aient pas montré
de différences significatives pour les sujets âgés, les
données cliniques montrent chez les plus de 70 ans
une augmentation de l’incidence des neutropénies
et des thrombopénies de grade 4 par rapport aux
sujets plus jeunes. La distribution du témozolomide
se fait dans tous les tissus, et même dans le liquide
céphalorachidien (27).
Capécitabine
La capécitabine est une fluoropyrimidine orale. Elle
est métabolisée par la carboxyestérase, la cytidine
deaminase et la thymidine phosphorylase intra-
tumorale en 5-FU. La capécitabine est utilisée pour
son activité dans les carcinomes mammaires en situa-
tion métastatique et les tumeurs colorectales (28).
À la dose recommandée de 1 250 mg/ m
2
x 2/j
pendant 14 jours tous les 21 jours, elle est mieux
tolérée que le 5-FU administré selon le schéma de
la Mayo Clinic (425 mg/m
2
J1-J5). Chez les patientes
âgées de plus de 70 ans et traitées pour un cancer
du sein, la dose peut être réduite à 1 000 mg/m
2
,
et présenter ainsi une efficacité superposable et
des toxicités inférieures (30). La toxicité observée
chez les patientes postménopausées est modérée.
Le syndrome mains-pieds est observé dans 40 %
des cas. La pharmacologie de la capécitabine nest
pas significativement affectée par l’âge, le sexe,
la surface corporelle ou les perturbations du bilan
hépatique (30, 31). La capécitabine est contre-
indiquée chez les patients présentant une clairance
de la créatinine sévèrement abaissée (inférieure
à 30 ml/mn). Ses doses doivent être adaptées
en cas de clairance de la créatinine située entre
30 et 50 ml/ mn (32).
L’administration de la capécitabine en même temps
qu’une prise alimentaire affecte significativement
à la fois l’ASC et le pic plasmatique.
Chez le sujet âgé, l’adaptation en fonction de la
clairance de la créatinine et une dose de départ de
1 000 mg/m2 x 2/24 h doivent être la règle.
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Place de la chimiothérapie orale
DOSSIER THÉMATIQUE
Quelles chimiothérapies
pour quels patients âgés ?
Conclusion
Comme on peut le voir, la chimiothérapie orale chez
le sujet âgé reste encore un domaine imparfaite-
ment exploré. Les données prospectives concernant
les patients âgés de plus de 70 ans sont encore peu
nombreuses, ainsi que celles qui concernent le
quatrième âge : la plus grande prudence reste donc de
mise lors de la prescription de chimiothérapie orale.
Malgré certains inconvénients, la chimiothérapie orale
se prête cependant tout à fait à la population des
patients âgés, puisqu’elle peut diminuer les temps de
passage à l’hôpital et les agressions liées à la mise en
place des dispositifs d’accès veineux direct. Cepen-
dant, pour ces patients potentiellement fragiles et
isolés, une présence moindre à l’hôpital ne signifie
pas moins de soins, et il nous appartient de repenser
la prise en charge des sujets âgés en chimiothérapie
orale avec un encadrement infirmier, une coordination
ville, hôpital et pharmacien – hôpital de qualité – qui
sont le garant d’une meilleure qualité des soins sans
augmentation de leur coût si l’on prend en compte
l’ensemble de ceux qu’induisent les transports, les
hospitalisations et leurs complications.
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Références bibliographiques
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