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Monsieur Pierre-Yves Emeraud
Infirmier D.S.P.
Membre de l’ARTAAS
SMPR Maison d’arrêt de Varces
BP 15
38763 VARCES
Réf : conf/Emeraud.
Contribution à la conférence de consensus des 22 et
23/11/01 à Paris dans le champ d’intervention :
« Psychothérapie de groupe des auteurs d’agressions
sexuelles : modalités, indications, objectifs,
difficultés, limites »
Pour exprimer notre point de vue au sujet des
psychothérapies de groupes des auteurs d’agressions sexuelles,
nous nous appuierons sur une expérience d’animation de groupe
poursuivie sur 3 ans avec des auteurs d’agressions sexuelles
dans le quartier tention de la maison d’arrêt de Varces
(38), ceci dans une position de co-thérapeute, celle de
thérapeute principal étant occupée par la psychologue de notre
service.
Nous nous intéressons ici exclusivement, avec pour enjeux
principal la modification de la problématique des sujets
inculpés ou condamnés pour agression sexuelle, aux techniques
de travail de groupe d’inspiration analytique.
I Modalités
Le regroupement d’auteurs présumés (puisque pour certains
d’entre eux ils ne sont pas encore jugés) d’agressions
sexuelles se conçoit du fait de leurs conditions de détention
ils sont déjà séparés du reste de la population pénale.
Ainsi ce pourquoi ils peuvent faire groupe est déjà inscrit
dans leurs conditions de vie au quotidien dans le cadre du
fonctionnement pénitentiaire.
Les techniques de groupes sont diverses : groupe de parole
d’orientation psychanalytique, psychodrame . Les dispositifs
peuvent eux aussi être variés.
Il peut s’agir de groupes « ouverts », les
participants y arrivent et en partent en fonction de
leur évolution ou de leur parcours pénitentiaire. Le
groupe assure une continuité. La dynamique autour de
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la séparation, du souvenir, peut s’y déployer et s’y
travailler.
Les départs non annoncés, traumatiques peuvent
susciter une parole sur la rupture, la coupure, la
difficulté du travail de deuil. Les arrivées de
« nouveaux » dans le groupe remettront au travail la
dynamique fraternelle d’acceptation de l’étranger.
Les groupes peuvent au contraire être « fermés ».
La composition du groupe ne change pas et celui-ci
fonctionne sous forme de session définie par une
durée de temps ou un nombre fini de séances. Sera
alors mobilisée la dimension de cohésion du groupe,
la sécurité y sera plus grande, la confiance pourra
s’y déployer de manière plus intense mais le spectre
de « la fin du groupe » devra être apprivoisé et non
nié afin de permettre que la pensée de la
paration puisse s’y déployer. La perte devra être
anticipée afin de la rendre supportable. Il s’agira
donc de passer de la rupture, de la coupure, de
l’abandon à la séparation qui nécessite
obligatoirement un travail de deuil.
Dans notre expérience il s’est agit d’un groupe semi-
ouvert de 6 patients. En 3 ans (143 séances), sur les 16
tenus adressés par les psychiatres : 12 ont participé au
groupe de façon inégale dans la durée, de la plus courte (4
ances) à la plus longue (104 séances).
Quelque soit la technique utilisée ou le dispositif mis en
place, nous insistons sur l’importance fondamentale d’un cadre
rigoureux. Le cadre est constitué des références théorico-
cliniques des thérapeutes et de leur expression dans la
alité du dispositif thérapeutique. Ce dispositif doit donc
être en cohérence avec ces références quelles qu’elles soient.
Plus les thérapeutes seront sûrs et à l’aise avec leur
référence théoriques et cliniques, plus ils pourront supporter
ce que le groupe met en jeu chez les participants et en eux-
mes. Le cadre doit assurer des fonctions de contenance
ici tout peut se dire »), de continuité (les séances se
tiendront régulièrement chaque semaine, le même jour, la même
heure), de fiabilité, de délimitation, de stabilité et de
maintien de la vie psychique. « Les séances se
poursuivront quelque soit les attaques dont elles seront
l’objet. Nous continuerons à penser et à parler ensemble ».
Ce qui sous-entend que les thérapeutes resteront contre vents
et marées garants de ce cadre. Dans notre expérience nous
avons dû, tout au long de la première année, lutter contre les
attaques à notre cadre de la part du fonctionnement
nitentiaire (salle occupée, arrivée des détenus en retard
aux séances, irruption intempestive d’un surveillant au milieu
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de la séance, convocation d’un participant au groupe à un
autre rendez-vous : avocat, procureur, expert etc).
Le cadre thérapeutique, grâce à ses qualités de permanence
et d’indestructibilité, permet au sujet de faire l’expérience
que penser ne le détruit pas et que parler ne détruit pas les
autres. Un cadre solide mais suffisamment souple, vivant,
aura des effets structurants pour les patients, il sera le
garant de la sécurité de chaque membre du groupe et du groupe
en tant qu’objet d’investissement. Cette sécurité de base
assurée permettra qu’advienne une parole adressée à l’autre,
reconnu dans sa qualité d’altérité. L’interlocuteur sera perçu
comme moins dangereux pour la vie psychique du sujet.
L’échange sera possible. Le sujet trouvera ou retrouvera alors
sa qualité de sujet psychique.
Dans le groupe le mécanisme de transfert se trouve
diffracté sur l’ensemble des participants et non centré sur le
seul thérapeute. Cette diffraction permet de rendre le
transfert supportable, non submergeant pour la psyché du
sujet. Il pourra peu à peu ressentir, éprouver et penser ce
qu’il vit dans le groupe. Le travail de contre transfert et de
l’inter transfert est fondamental. Il est donc indispensable
de travailler dans des dispositifs en co-thérapie. La mise en
commun des éprouvés, des ressentis, des pensées des différents
thérapeutes, leur confrontation permet au vivant de prendre le
pas sur l’emprise mortifère. Le travail en co-thérapie s’il
est une garantie pour le travail psychothérapeutique, il est
aussi une garantie pour le thérapeute afin qu’il puisse vivre
ce que le sujet place en lui par identification projective
sans en être détruit. Si le cadre doit être indestructible, il
va de soi que celui qui en est le garant doit posséder la même
qualité. La mise en groupe doit permettre au sujet d’aborder
de manière tolérable la rencontre duelle à l’autre. Ces deux
approches ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre.
Pour certains sujets, elles pourront être menées de front,
pour d’autres ce n’est qu’après un travail préalable en groupe
que la rencontre duelle pourra être envisagée.
II Indications
Dans notre expérience 16 AAS nous avaient été adressés par
les trois psychiatres du service intervenant sur le quartier
tention. Nous avons pris le temps de les recevoir
individuellement sur plusieurs entretiens (2 à 3 entretiens).
Nous avons confirmé l’indication pour douze d’entre eux et
avons demandé à ceux-ci un engagement écrit pour favoriser une
participation très régulière aux séances. Les conditions de
tention rendaient trop difficile la participation de trois
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d’entre eux et un quatrième recherchait avant tout un bénéfice
judiciaire de sa participation sans que nous ressentions plus
de motivation de sa part.
Du côté de la technique : le travail de groupe et/ou le
suivi individuel.
Quand nous posons la question de l’indication vers un
travail de groupe ou non pour un détenu AAS nous nous
la posons le plus souvent en la comparant au bénéfice
attendu de celui d’un travail individuel. Il est donc
important de revenir sur la problématique dans laquelle
sont enfermés le plus souvent les AAS rencontrés en
prison.
Ils sont en fait en grande souffrance du fait même de
toute activité psychique et c’est bien pour cela qu’à
l’extérieur l’acte ou plus exactement le recours à
l’acte vient résoudre les tensions suscitées par une
activité psychique insupportable. Penser est source de
danger, toute attention sur le vécu intérieur est
perçue comme une intrusion car elle vient attaquer les
aménagements défensifs mis en place. Dans les deux cas,
c’est la place de l’autre qui est en question : l’autre
comme sujet et/ou l’autre comme thérapeute. Le risque
c’est bien qu’au fil des entretiens en face à face la
parole se « dévitalise », le discours « ronronne »
comme s’il venait s’échouer sur le thérapeute sans
rebondissement possible. C’est là que le travail de
groupe, sans annuler forcément le suivi individuel peut
pallier à ces difficultés. En effet, le groupe, par son
fondement même, constitue un tiers entre l’individu et
l’autre quelque soit celui-ci (soignant ou soigné), il
est donc en soi une médiation à la relation. Il permet
ainsi de surseoir à la relation directe à l’autre en
s’instituant comme tiers : tiers comme protecteur du
risque de fusion à l’autre d’une part et tiers comme
favorisant un lien à l’autre d’autre part.
La relation duelle suscite des difficultés
particulières qui se traduisent soit par une inhibition
massive, soit par un envahissement par la parole qui
semble alors tourner à vide. Le groupe rend possible la
parole mais aussi le silence qui, dilué dans celui-ci
devient plus supportable que dans une relation duelle.
Dans celle-ci la dynamique transférentielle se situe
souvent dans la dimension du transfert passionnel
(Roussillon, 1990). Le thérapeute soumis corps et âme
au sujet éprouvera la plus grande difficulté à trouver
une distance suffisamment symboligène. Il pourra se
sentir comme « vampirisé » par le patient. Le mécanisme
d’identification projective massivement employé par ces
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sujets vise à assurer l’emprise sur la psyché du
thérapeute et ainsi lui dénier sa qualité d’autre
semblable et pourtant différent. C’est ainsi que les
prises en charge individuelles peuvent se solder par
des passages à l’acte du patient ou du thérapeute. Le
patient ne souhaitera plus participer à ces entretiens
car il aura « tout dit », le thérapeute ne lui parle
pas suffisamment, ne l’aide pas suffisamment, ne le
comprend pas et de toute façon comme le comprendrait-il
lui qui n’a pas connu la même vie, qui n’a jamais été
maltraité etc. Du côté du thérapeute, la violence
contre le sujet ne cède la place qu’au désespoir de ne
pouvoir exister auprès de son patient sans se sentir
happé, vampirisé, ou dénié dans sa qualité de soignant
et même dans sa qualité d’humain.
Du côté du choix des participants.
Compte tenu des spécificités du travail de groupe
crit ci-dessus par rapport au suivi individuel chacun
comprend aisément que celui-là peuttre adapté à de
nombreux AAS, volontaires aux soins, que ce soit en
complément de celui-ci ou à sa place. Cependant, il est
fondamental que le sujet reste référencié
individuellement à un thérapeute près duquel il pourra
poser et reprendre ce qu’il vit dans le groupe. S’il
est important de bien apprécier la pertinence d’une
indication au travail de groupe pour tel sujet, y
compris en passant au préalable par une succession
d’entretiens préliminaires il ne faut pas perdre de vue
que le style et le profil du groupe peuvent aussi
s’adapter aux caractéristiques de tels groupes de
sujets. Les « exigences » à l’entrée comme les
« objectifs » à la sortie peuvent différer selon les
groupes. Ainsi entre le groupe de parole de soutien ne
reconnaissant pas ou minimisant largement les faits qui
leur sont reprochés et un groupe de parole « fermé » ou
« semi-fermé » exigeant de la part des participants un
minimum de reconnaissance de leur responsabilité, le
processus psychothérapeutique risque de ne pas être de
me ampleur. De manière générale nous pouvons
reprendre les cinq indicateurs significatifs de bonne
ponse à une prise en charge de type psychothérapique
repérés dans le rapport de recherche sur les AAS de
C. Balier, A. Ciavaldini, M. Girard-khayat (novembre
96) comme des indications favorables à une implication
elle dans un travail de groupe des sujets concernés
me si c’est à leur propre rythme (ce que le groupe
permet). Ces indicateurs sont les suivants :
- le fait que le sujet reconnaisse totalement le
lit ou le crime qui lui est reproché,
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