Quand le processus analytique groupal est véritablement engagé,
la question ne se pose guère d’avoir à choisir entre
interventions/interprétations individuelles ou groupales. Dans le « bain »
transféro-contretransférentiel du groupe, ce qui est dit pour l’un peut faire
effetpour d’autres, et ce qui est dit à l’ensemble aura des effets
individuels.
On peut même parfois parler d’une indécidabilité de l’adresse de
l’interprétation, qui ne se révèle que d’être relevée par l’un ou l’autre, ou
par l’impact qu’elle a sur le groupe. De plus, même si sa place et sa
parole sont irréductibles à celles des patients, l’analyste n’en a pas le
monopole, tous les membres du groupe y participent : l’intervention
interprétative se construit au fil de l’élaboration groupale dans
l’échange associatif. Et, du fait du « setting » en face à face qui oblige
à considérer aussi les manifestations non verbales, la parole, bien que
privilégiée, n’en est pas le seul moyen d’expression.
2)
L’idée n’est pas nouvelle. Freud le rappelle dans l’ouvrage déjà
cité : « […] un individu à l’intérieur d’une masse connaît, sous l’influence
de celle-ci, une modification de son activité animique, qui va
souvent en profondeur. Son affectivité s’accroît extraordinairement,
son rendement intellectuel se restreint notablement, les deux processus
étant manifestement orientés vers une assimilation aux autres individus
de la masse […] ». Programme fort peu engageant !
Mais Freud cite aussi la fable des porcs-épics qu’il emprunte à
Schopenhauer : ils se blessent s’ils se rapprochent, ils prennent froid
s’ils s’éloignent. Ainsi pris entre vécu persécutif et angoisse d’abandon,
ils oscillent « ballottés entre les deux souffrances jusqu’à ce qu’ils
aient finalement trouvé une distance moyenne leur permettant de tenir
au mieux ». Cette distance moyenne est atteinte dans l’équilibre
homéostatique qui finit par s’instaurer dans tout groupe social durable,
dans toute institution, au prix du renoncement aux aspirations
individualistes, voire de l’éviction des sujets trop dissonants pour
l’harmonie d’ensemble.
Remarquons que le groupe thérapeutique peut aussi, si
l’on n’y prend garde, s’installer dans le discours socialisé des
convenances et perdre sa fonction d’analyse ; c’est évidemment la tâche
des analystes d’y veiller, et d’interpréter cette modalité de résistance
pour maintenir vivant le processus analytique.