
de l'activité médicale et de l'utilisation qui est attendue de l'outil : diminuer la mortalité,
maîtriser les dépenses de santé, limiter la survenue d'incidents, fournir une meilleure
information du patient qui pourrait alors faire des choix plus efficients, améliorer la
performance des établissements de santé… Autrement dit, les outils d'amélioration de la
qualité des soins sont bien des construits sociaux, reposant sur une représentation parmi
d'autres de la réalité (ici l'activité médicale) et lui donnant sens, tout en proposant diverses
façons d'agir sur elle
. Il convient donc, si l'on veut comprendre les mutations dont ils seraient
porteurs, de rapporter ces outils à leurs conditions sociales de production et à l'identité de
leurs promoteurs.
L'amélioration de la qualité des soins pourrait conduire, par des voies diverses, à la fois à
l'introduction de nouveaux jugements sur la qualité des soins et à la transformation des
pratiques médicales et organisationnelles. Le constat de ces bouleversements potentiels
nous conduit à formuler le projet général de notre travail en ces termes : il s'agit de
prendre la mesure des changements dont le paradigme de la qualité des soins peut être
porteur, à la fois quant à l'exécution et l'organisation du travail médical et quant aux
rapports qui lient les médecins aux pouvoirs publics et aux usagers de la médecine.
Pour mener à bien ce projet, nous proposons d'inscrire le développement des
préoccupations pour l'amélioration de la qualité des soins dans un processus plus général de
rationalisation des activités médicales. Le fait que l'ambition d'améliorer la qualité des soins
passe par des exigences de normalisation et de transparence, nous autorise en effet à
l'interpréter comme une composante d'une entreprise de rationalisation. Nous ne voulons pas
dire par là que les activités médicales ne seraient pas rationnelles. L'histoire de la médecine
est, de fait, marquée par des vagues de rationalisation. La médecine cherche à fonder
rationnellement (sur la science, en particulier sur la méthode expérimentale) son action sur les
corps et elle se dote pour cela d'instruments de diagnostic (depuis le stéthoscope jusqu'à
l'imagerie médicale) et d'instruments de classification des maladies dans des nosographies et
des tableaux cliniques. Le mouvement de spécialisation de la médecine ou l'intégration des
progrès techniques peuvent également être considérés comme des formes de rationalisations.
Dans tous les cas, l'activité médicale se trouve décomposée, classifiée et les processus de
décision simplifiés.
Il s'agit plutôt ici de poser l'hypothèse selon laquelle la rationalisation dont il est
question avec l'apparition d'outils d'amélioration de la qualité est d'un autre ordre et
comporte une dimension d'inédit. Ces outils partagent avec d'autres, comme les outils de
codage des activités médicales hospitalières dans des "groupes homogènes de malades",
associant à chaque prise en charge type un coût de référence, ou l'informatisation des dossiers
de soins, mais également, à un niveau plus macro-économique, les mouvements de
restructurations de l'offre de soins (regroupements d'établissements de soins et/ou
fonctionnement en réseau), le souci de la mesure, de la transparence et de l'efficience.
Autrement dit, l'apparition de ces outils n'est pas dictée par la seule évolution des savoirs
scientifiques mais également par des exigences de productivité, d'efficience, de performance,
de standardisation de la production, propres aux activités industrielles et par des exigences
d'adéquation fine avec une "demande", propres à une représentation "marchande" de l'activité
médicale
. En ce sens, les activités médicales seraient engagées dans le même type de "grande
Comme l'ont bien montré à propos des outils statistiques Alain Desrosières dans La politique des grands
nombres. Histoire de la raison statistique. Paris : La Découverte, 1993 et Laurent Thévenot, par exemple dans
"Statistique et politique. La normalité du collectif", Politix, 1994, n°25, p. 5-20.
Les dimensions multiples de cette rationalisation de l'activité médicale sont traitées dans les articles réunis dans
le numéro spécial de Sociologie du travail (n°1, 2000) consacré à "Les acteurs de la santé publique et les
réformes", et sont présentées de façon synthétique par Catherine Paradeise, en introduction de ce numéro