Comment penser l`organisation à l`international de la

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Comment penser l’organisation à l’international de la fonction RH ?
Par :
Fabien Blanchot, Vice-Président de l’université Paris Dauphine, membre de de la Commission
Internationale de l’ANDRH,
Jean-Louis Pailhoux, DRH Groupe Canon France, animateur de la Commission Internationale de
l’ANDRH.
Une dimension de la fabrique des politiques RH
Penser l’organisation à l’international de la fonction RH fait partie intégrante du processus de
définition d’une politique RH. Cela revient à traiter au moins trois questionnements :
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celui de la localisation et du degré de concentration / dispersion des activités RH : quelle
organisation spatiale des activités RH ? Quelle division du travail RH entre le siège et les filiales ?
celui du degré de centralisation / décentralisation des prises de décision RH : quel degré
d’autonomie des filiales pour quelle type de décision ? quel degré d’harmonisation /
homogénéisation des pratiques et des processus RH ?
celui de la coordination et du contrôle des entités RH : quelle animation du réseau ? quel type de
coordination dominant ? quel type de reporting ? quel niveau de participation des acteurs du
réseau RH à la préparation des décisions ?
La commission internationale de l’ANDRH1 s’est penchée au premier semestre 2016 sur les pratiques
d’entreprises en la matière. Ses travaux ont pris la forme de séances de témoignages de dirigeants RH
et de consultants impliqués dans des organisations internationales2. Ces témoignages ont notamment
permis de mieux comprendre l’organisation RH à l’international de deux multinationales dont la
maison mère est américaine (localisée aux Etats-Unis) et de trois multinationales dont la maison mère
est européenne (France, Suisse et Suède). Les effectifs de ces entreprises varient entre 2 500 et plus
de 40 0000 salariés et leur implantation à l’étranger couvre entre 20 et 200 pays à travers le monde.
Les secteurs concernés sont l’agro-alimentaire, l’armement, le conseil, la pharmacie et les
télécommunications.
Sans pouvoir prétendre à une représentativité du fonctionnement des quelques 100 000
multinationales dans le Monde (données CNUCED), les résultats obtenus permettent néanmoins de
tirer quatre constats clés.
Une diversité des approches
Tout d’abord, il ressort une diversité d’approches en matière d’organisation de la fonction RH à
l’international. Dans un monde globalisé, le modèle unique n’est toujours pas de mise. Non seulement
le rôle de la maison mère et des filiales varie d’une multinationale à l’autre, mais on constate aussi une
diversité des approches au sein de chaque entreprise, en fonction du profil des filiales et des domaines
1
La commission internationale de l’ANDRH est composée de 19 membres, DRH, Régional HR Directors, généralistes de la fonction RH,
universitaire responsable de programmes RH… qui interviennent tous dans des fonctions à environnement international : Isabelle Aba, Fabien
Blanchot, Romaric Chabert, Neda Dehiles, Bertrand Delamotte, Jean Dugas, Clémentine Fontanel, Eric Hurel, Mathilde Joannard Dottor, Yann
Landreau, Christophe Le Bars, Sandrine Leroy, Avra Navez, Jean Louis Pailhoux, Séverine Perrin, Gabriela Petitcollot, Sophie Salles Regaud,
Jérôme Savy, Sandrine Wery.
2 Merci à tous les intervenants qui ont bien voulu partager leurs « bonnes pratiques » dans le cadre de ces interviews et notamment à Eric
Hurel, Julie Fowler, Aymeric Brellman, Bertrand Delamotte, Jérôme Savy, Marie-Noëlle Lopez, Bénédicte de Saint Pierre…
RH. Dans les faits, chaque multinationale emprunte aux grandes conceptions idéales-typiques du
management des relations maison mère / filiales déjà décrites en 1969 par Perlmutter dans le
Columbia Journal of World Business puis par Heenan et Perlmutter en 1979 dans leur ouvrage
« Multinational Organization Development » :
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l’approche ethnocentrique, caractérisée par un mode de management centralisé et inspiré de la
culture de la maison mère,
L’approche polycentrique où la maison mère accorde une grande autonomie à ses filiales,
L’approche régiocentrique où le management des filiales s’opère sur une base régionale, le monde
étant découpé en zones géographiques multi-pays pilotées des sièges régionaux,
L’approche géocentrique, caractérisée par un fonctionnement coopératif entre les filiales et avec
la maison mère.
Ainsi, l’entreprise américaine du secteur de l’agro-alimentaire est organisée en business units globales,
européennes ou locales avec un modèle très centralisateur, où nombre de processus RH sont définis
en central et imposés aux 140 pays. Le « Learning & Development », les « HR planning », le processus
d’intégration dans les fusions-acquisitions, la gestion des talents, et la politique « Comp & Ben »
incluant les « job banding » sont 100% uniformisés. Les acteurs RH qui ont le plus de pouvoir sont
clairement les DRH de business units, les RH pays ayant essentiellement un rôle d’exécution. Toutefois
les « industrial relations », les « employee relations » et le « payroll processing » sont gérés localement
ou régionalement. Dans cette organisation, les politiques RH sont relativement sophistiquées et
formalisées (talent development, par exemple).
Dans l’entreprise américaine du secteur des télécoms, l’organisation RH est transfrontalière, sans
structure RH dédiée pays ou région. Il y a tout de même des « HR country managers » dont la mission
est d’assurer le déploiement local des politiques globales et de proposer, si besoin, des ajustements.
Dans ce groupe mondial, toutes les politiques sont globales à l’exception des domaines « benefits » et
« labor relations ». L’équipe « staffing » est localisée dans un pays de l’Est et gère la totalité du
recrutement pour les 60 pays hors US. Les entretiens se font pour la plupart en visio-conférence. Ce
fonctionnement global et dématérialisé est jugé plutôt satisfaisant, notamment par les clients de la
fonction RH qui considèrent qu’il y a une bonne réactivité.
L’entreprise pharmaceutique suisse, une ETI en forte croissance, combine approche globale et locale.
Le système de fixation des objectifs et d’évaluation de la performance est le même partout. Dans un
contexte où l’attraction et la fidélisation des talents (médecins, pharmaciens, profils internationaux)
sont clés, la politique « Comp & Ben » est aussi globale, à l’exception du volet « fringe benefits »
(éléments de rétribution périphériques). Pour faciliter la gestion des salaires au niveau international,
l’entreprise s’est dotée d’un outil de reporting commun. Le recrutement relève plutôt du local, tout
comme le plan de formation qui a toutefois tendance à devenir plus global avec le développement des
talent reviews depuis 4 ans. Chaque année, les filiales doivent établir une liste de talents locaux et
internationaux. Ceci a engendré un accroissement des départs en mobilité internationale et la mise en
place d’une nouvelle politique de mobilité Internationale.
La société française dans le domaine du conseil a élaboré sa politique de développement des talents à
l’international de manière concertée dans le cadre d’une équipe projet incluant des leaders pays, des
DRH pays et des directeurs fonctionnels. Toutefois, cette concertation n’a inclus que quelques « happy
fews ». Pour le déploiement de la politique, tous les acteurs RH ont été impliqués, mais leur latitude
d’action en matière de process et d’outils est à géométrie variable. Le « workforce planning » (GPEC)
est réalisé par pays, à partir d’un kit mis à disposition des filiales. Les processus de recrutement et
d’intégration sont les mêmes partout, issus d’un travail d’identification des bonnes pratiques au sein
du réseau. Enfin, les outils du « talent development » (entretiens d’appréciation, « talent reviews »,
etc) sont standards, « worlwide » et en mode SAAS, trois caractéristiques considérées comme des
facteurs clés de succès d’un « talent management » à l’international. Mais il est précisé que
l’homogénéité des pratiques a été facilitée par le fait que l’on partait quasiment d’une feuille blanche.
Enfin, la filiale française du groupe suédois, spécialisée dans le domaine de l’armement, a sa propre
structure RH mais est soumise à double normalisation qui limite grandement son autonomie : celle en
provenance de sa maison mère suédoise et celle en provenance de la « Business Area » française à
laquelle elle est rattachée. Le DRH de la société française reporte au VP RH de la « Business Area ». Les
recrutements de CDI sont centralisés : ils doivent être validés par la maison mère qui va jusqu’à la
présélection des candidats. La politique « Comp & Ben » est également très contraignante. Par
exemple, la filiale française n’a pas pu renouveler son accord d’intéressement (en plus de son accord
de participation) car la maison mère considère qu’il ne peut y avoir qu’un seul dispositif de variable.
Le « reporting » est rythmé par les périodes de congés des suédois, auxquelles les français doivent
s’adapter. En ce qui concerne les questions de formation, de temps de travail, de gestion des congés
et de recrutement des intérimaires, la maison mère laisse une grande latitude d’action, mais la
« Business Area » prend alors le relais. La mobilité internationale n’est pas un enjeu, parce que les
profils de compétence de la filiale française sont assez spécifiques et peu transférables aux entités non
françaises du groupe. Et la veille sociale est prise en charge par la Business Area. Les contraintes
imposées peuvent parfois faire grincer des dents, mais le modèle très social de la maison mère et son
approche pragmatique des problèmes rend acceptable l’ensemble. Le DRH de la filiale se déplace
parfois en Suède, pour participer aux réunions relatives aux thématiques dont il est le représentant
pour la Business Area. En revanche, le VP RH Monde du groupe ne se déplace jamais dans la filiale,
parce que, selon le témoin, elle ne représente qu’un centième des effectifs et 3% du CA du groupe et
qu’elle dépend de la Business Area dont le VP RH se rend chaque mois en Suède. Principal challenge
pour le DRH local ? Faire comprendre les spécificités locales, en particulier les impératifs français en
matière de dialogue social.
Des choix distincts en raison de contextes différents
La diversité inter-firmes s’explique largement par les différences de contexte. Trois facteurs
apparaissent particulièrement différenciants.
Tout d’abord, il y a l’influence de la culture ou mentalité du centre : si toutes les maisons mères
entendent jouer un rôle clé, certaines adoptent davantage une approche « rouleau compresseur » que
d’autres, encastrées dans une culture où les processus formalisés sont valorisés et où la croyance est
forte dans l’universalité des bonnes pratiques et la disparition des frontières nationales, comme le
défend l’américain Thomas Friedman dans son ouvrage « The World is flat ». Inversement, s’il y
conviction que les différences subsistent dans notre monde globalisé, comme a essayé de le montrer
Pankaj Ghemawat dans son ouvrage « Redefining Global Strategy », et s’il y a sensibilité à l’intelligence
collective, alors la maison mère adoptera une approche plus coopérative.
Ensuite, il y a l’influence du profil des filiales : quand les filiales étrangères sont de taille réduite et
représentent un poids très limité dans l’ensemble, le modèle de la maison mère a tendance à s’imposer
de lui-même, du fait de la faible sophistication des pratiques RH en vigueur dans le réseau, ou parce
que le rapport de force est en faveur du centre. Les filiales peuvent même trouver satisfaction à
pouvoir s’appuyer sur les compétences du centre. Dans l’entreprise pharmaceutique suisse, où les
filiales sont de taille très diverses (de quelques collaborateurs dans un pays de l’Est à près de 500
collaborateurs aux US), il ne peut pas y avoir de RH partout de sorte que le central doit non seulement
penser la stratégie mais aussi traiter des sujets très opérationnels, comme le licenciement d’un
collaborateur dans une petit filiale nordique. Mais quand les filiales sont puissantes, la domination
s’efface au profit d’une co-construction des politiques et dispositifs RH. De même, si une maison mère
souhaite maintenir l’esprit entrepreneurial des start-ups qu’elle acquiert à l’international, elle peut
avoir intérêt à les isoler de son propre modèle RH et à leur conférer une grande autonomie.
Enfin, il y a l’influence du secteur et de la stratégie des firmes. Il n’est guère étonnant que les
recrutements s’opèrent à distance dans une entreprise de télécoms. Même si l’adage veut que les
cordonniers soient les plus mal chaussés, la maîtrise et la promotion des réseaux de
télécommunications rendent plus acceptables, en interne comme en externe, ce type de pratique. Par
ailleurs, l’adoption d’une stratégie compétitivité-coût peut inciter à une standardisation des
procédures RH, donc à une plus grande homogénéité des pratiques, et à une concentration plus forte
des RH, dans une perspective d’efficience. C’est moins probable lorsque l’entreprise a une stratégie
d’innovation ou une stratégie compétitivité-qualité.
Une logique combinatoire pour une meilleure performance et régulation
La diversité intra-firme est le reflet des limites de chaque grande logique organisationnelle face à la
complexité des situations et des revendications légitimes de chacune des composantes d’une
multinationale.
D’une part, comme l’on montré Bartlett et Ghoshal dès la fin des années 80 dans leur ouvrage
« Managing accross Borders », chacun des modèles classiques d’organisation à l’international
comporte des avantages et des limites : plus ou moins grande adaptabilité aux contextes locaux, plus
ou moins bonne exploitation des économies d’échelle, de la culture de la maison mère, des
compétences du siège et des compétences des filiales. Dans ces conditions, une logique combinatoire
permet de bénéficier des avantages de l’adaptation locale, des effets d’échelle ou de la diffusion des
compétences du siège et des filiales. Concrètement, chaque politique, décision, projet, activité ou
process RH s’inscrit dans une logique singulière guidée par le pragmatisme. Cela explique le constat,
au sein d’une même multinationale, d’approches pour partie centralisées et pour partie
décentralisées, directives dans certains domaines et coopératives dans d’autres, concentrant certaines
activités RH tout en dispersant d’autres, etc.
D’autre part, la régulation de contrôle (ce qui est imposé du siège), en référence à la théorie de la
régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud, peut être contestée par des acteurs locaux défenseurs
d’une régulation autonome et convaincus du besoin d’une approche différente de celle promue par le
centre. Il en résulte une régulation conjointe, créatrice d’un fonctionnement singulier entre chaque
filiale étrangère et sa maison mère. A cet égard, un témoin évoque le flou qui existe entre ce qui relève
des pays et du central. Un autre précise qu’une approche « rouleau compresseur » (régulation de
contrôle), notamment à la suite de F&A, engendre de nombreux départs. Et un troisième souligne que
même si on ne peut globalement pas être hors norme et hors process dans sa multinationale, il y a
néanmoins des marges de manœuvre en matière de négociation avec le centre.
Des acteurs et des outils pour accompagner l’animation de la fonction au niveau international
Les multinationales, même les plus aguerries, s’appuient sur des dispositifs et des compétences
externes pour fortifier l’organisation à l’international de leur fonction RH.
Comme dispositif, on peut citer ce site de veille sociale européenne et internationale axé sur les
relations sociales (évolutions règlementaires, relations syndicales etc.) Les abonnés à ce service sont
des multinationales qui ont une politique sociale d’ensemble, incluant la définition de valeurs sociales
groupe. Les directeurs relations sociales des maisons mères y puisent des informations permettant un
meilleur échange avec leurs correspondants filiales. Ces derniers bénéficient aussi d’un fil
d’information qui favorise le développement d’une communauté de pratiques.
En matière de compétences, il y a le recours à des consultants, notamment pour des opérations de
team building à l’international et d’accompagnement de changements. C’est par exemple ce qu’a fait
une multinationale de restauration, comme suite à la forte croissance interne et externe de son
business à l’international.
Nous allions oublier un cinquième et dernier constat, que le lecteur aura sans doute déjà fait : s’il est
un domaine dans lequel il y a homogénéisation, c’est bien celui du vocabulaire RH qui, comme dans
les autres champs du management, est de plus en plus anglo-saxon !
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