Interview 1
© Springer 2008 - Oncomagazine - trimestriel novembre 2008 - Vol. 2 - n° 4
INTERVIEW
« Je reste un homme vivant »
Ironie de la vie ou comble de l’extrême,
Bernard Giraudeau – comédien, metteur
en scène, écrivain, marin – l’homme à
vivre fort, à vivre vite, sur les planches
des pontons et celles des théâtres,
l’homme est, un jour, devenu patient.À
l’occasion de son cancer, il a dû se poser
et apprendre la lenteur. Échange sur sa
perception des événements, de la
maladie avec son cortège de souffrance,
de la solitude, de l’expérience des limites
et de cet unique voyage, celui que l’on fait
seul, le chemin de la connaissance de
soi-même. Une autre philosophie.
Apprivoiser la douleur
C’était le temps où l’enfant Bernard
Giraudeau se postait,frêle et fort à la fois,debout,
face au vent,sur les quais de La Rochelle.Scrutant
l’invisible derrière l’horizon, humant l’air marin.
C’était le temps où, « une voix comme un coup
de fusil finissait toujours par me demander ce que
je faisais,à quoi je pensais,ma mère,un copain,la
voisine.Je répondais « Rien ».
« A quoi penses-tu ? » « A rien.»
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L’enfance est
douée pour ces moments où, parfois, on
débranche et on ne pense à rien.Enfin, à rien de
sérieux ou de contraignant. Où le rien n’est pas
rien, mais occupé par les rêveries et les songes.
Quatre opérations en quelques années,plusieurs
chimiothérapies… c’est pour retrouver ces états
de pensées « à rien » issu de l’enfance que
l’homme a cherché de l’aide ailleurs que dans les
analgésies classiques. Une autre route pour
pallier la douleur. « L’important dans l’hypno-
thérapie c’est de se distraire de ses pensées,
chercher l’oubli aussi, visualiser, faire un petit
voyage » dit-il. Parce qu’il supporte mal la
morphine,que l’analgésie – si elle est nécessaire
– n’est pas toujours la panacée,il s’est entraîné à
l’auto-hypnose,s’est fabriqué des cassettes,enre-
gistrant des voix, des musiques qui l’aident à se
détendre, détendre un corps tendu, sur lequel
l’esprit desserre son emprise. « J’utilise l’hypno-
thérapie sous forme d’auto-hypnose.J’ai enre-
gistré avec ma propre voix des textes
optimistes selon la méthode ériksonienne,qui
en les écoutant,me font retrouver la paix.Lors
de deux opérations, cette auto-hypnose m’a
aidé à n’avoir pratiquement aucune douleur,
en utilisant que deux di-antalvic et pas de
morphine. La musique, celle de Manoukian,
m’aide à retrouver la paix.»
Il a trouvé de l’aide également avec l’auricu-
lothérapie et le yoga nidra, même si parfois la
douleur dépasse,déborde et donnerait envie d’en
finir. « L’esprit est un point d’interrogation
immense. En même temps, il est capable de
trouver dans le corps les ressources pour faire
en sorte d’alléger la douleur ». Trouver le bon
équilibre entre « être dedans » – recentré sur soi,
ses besoins, à l’écoute de son corps – et « être
dehors » – disponible aux siens, ouvert aux
plaisirs, même fugaces, de la vie : « Je reste un
homme vivant ».
Faire connaissance avec cet autre :
le médecin
C’était le temps où le jeune homme Bernard
Giraudeau se saoulait d’escales, de rencontres
inédites et de films dans les salles obscures.
Faisant place au « hasard que j’aime comme la
lumière »
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,il surfe sur les mers du globe.S’étourdir
de moments distendus.« J’étais en transit,il fallait
que je mette les voiles,le tout était de savoir pour
quel cap. Je ramais en lui tournant le dos, les
avirons coincés dans les dames de nage.» écrit-il
dans son roman.
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Jusqu’à ce qu’un autre cap,une autre région
s’imposent à lui, à affronter de face celle-ci,
quelque chose comme les 40
e
rugissants,quelque
chose qui n’appelle plus les rêves mais qui s’ap-
parente quand même à une extra-ordinaire
aventure :accepter de confier son sort,son corps
entre les rames – les mains – de ses médecins. Il
parle des progrès de la médecine, se félicite de
l’ouverture induite par internet – dans ses excès
comme dans ses découvertes –. « La médecine
d’aujourd’hui a beaucoup changé en 10 ans,
les médecins aussi ».Il évoque également le rap-
prochement qui s’est opéré entre le médecin et
la personne malade.Pour illustrer cette rencontre
entre deux individus, il aime à lire une lettre
adressée par un patient au Dr Patrick Chauvin:
« Parce que,mon bon Docteur, je ne peux pas
croire que tes connaissances suffiront à me
soulager ou à me rassurer, prends moi par la
main, mais ne la serres pas trop, j’ai déjà tant
de mal à ne pas me recroqueviller.
C’est déjà tellement d’amour une main, juste
posée sur mon corps.Après c’est de l’exagéra-
tion d’aide,et ça m’étouffe.
Il te faut encore apprendre,apprendre le geste,
le bon dont le malade a besoin.
Surtout ne pas en rajouter et souvent te taire.
Faire silence pour ouvrir le temps et l’espace
pour la parole de celui qui souffre seul dans sa
douleur.
Et moi aussi, malade, il me faut apprendre ne
pas me contenter de tes soins compétents. Il
faut voir en un éclair ce que la maladie,qui me
plie,cherche à me dire,où elle me convie,vers
quels horizons, jusque là inexplorés, vers
quelles nouvelles contrées de mon existence.
Il me faudra apprendre à demander de l’aide
au delà de tes compétences techniques.
Bernard Giraudeau
© Mordzinski pour les éd.Métailié
1
Les Dames de nage,éditions Métailié,2007.
2
Idem.
3
Idem.