Interview INTERVIEW « Je reste un homme vivant » Bernard Giraudeau © Mordzinski pour les éd. Métailié Ironie de la vie ou comble de l’extrême, Bernard Giraudeau – comédien, metteur en scène, écrivain, marin – l’homme à vivre fort, à vivre vite, sur les planches des pontons et celles des théâtres, l’homme est, un jour, devenu patient. À l’occasion de son cancer, il a dû se poser et apprendre la lenteur. Échange sur sa perception des événements, de la maladie avec son cortège de souffrance, de la solitude, de l’expérience des limites et de cet unique voyage, celui que l’on fait seul, le chemin de la connaissance de soi-même. Une autre philosophie. Apprivoiser la douleur C’était le temps où l’enfant Bernard Giraudeau se postait,frêle et fort à la fois,debout, face au vent,sur les quais de La Rochelle.Scrutant l’invisible derrière l’horizon, humant l’air marin. C’était le temps où, « une voix comme un coup de fusil finissait toujours par me demander ce que je faisais,à quoi je pensais,ma mère,un copain,la voisine.Je répondais « Rien ». « A quoi penses-tu ? » « A rien.»1 L’enfance est douée pour ces moments où, parfois, on débranche et on ne pense à rien. Enfin, à rien de sérieux ou de contraignant. Où le rien n’est pas 1 2 3 rien, mais occupé par les rêveries et les songes. Quatre opérations en quelques années,plusieurs chimiothérapies… c’est pour retrouver ces états de pensées « à rien » issu de l’enfance que l’homme a cherché de l’aide ailleurs que dans les analgésies classiques. Une autre route pour pallier la douleur. « L’important dans l’hypnothérapie c’est de se distraire de ses pensées, chercher l’oubli aussi, visualiser, faire un petit voyage » dit-il. Parce qu’il supporte mal la morphine, que l’analgésie – si elle est nécessaire – n’est pas toujours la panacée,il s’est entraîné à l’auto-hypnose,s’est fabriqué des cassettes,enregistrant des voix, des musiques qui l’aident à se détendre, détendre un corps tendu, sur lequel l’esprit desserre son emprise. « J’utilise l’hypnothérapie sous forme d’auto-hypnose.J’ai enregistré avec ma propre voix des textes optimistes selon la méthode ériksonienne,qui en les écoutant, me font retrouver la paix. Lors de deux opérations, cette auto-hypnose m’a aidé à n’avoir pratiquement aucune douleur, en utilisant que deux di-antalvic et pas de morphine. La musique, celle de Manoukian, m’aide à retrouver la paix. » Il a trouvé de l’aide également avec l’auriculothérapie et le yoga nidra, même si parfois la douleur dépasse,déborde et donnerait envie d’en finir. « L’esprit est un point d’interrogation immense. En même temps, il est capable de trouver dans le corps les ressources pour faire en sorte d’alléger la douleur ». Trouver le bon équilibre entre « être dedans » – recentré sur soi, ses besoins, à l’écoute de son corps – et « être dehors » – disponible aux siens, ouvert aux plaisirs, même fugaces, de la vie : « Je reste un homme vivant ». Faire connaissance avec cet autre : le médecin C’était le temps où le jeune homme Bernard Giraudeau se saoulait d’escales, de rencontres inédites et de films dans les salles obscures. Faisant place au « hasard que j’aime comme la lumière »2,il surfe sur les mers du globe.S’étourdir de moments distendus.« J’étais en transit,il fallait que je mette les voiles,le tout était de savoir pour quel cap. Je ramais en lui tournant le dos, les avirons coincés dans les dames de nage.» écrit-il dans son roman.3 Jusqu’à ce qu’un autre cap, une autre région s’imposent à lui, à affronter de face celle-ci, quelque chose comme les 40e rugissants,quelque chose qui n’appelle plus les rêves mais qui s’apparente quand même à une extra-ordinaire aventure : accepter de confier son sort,son corps entre les rames – les mains – de ses médecins. Il parle des progrès de la médecine, se félicite de l’ouverture induite par internet – dans ses excès comme dans ses découvertes –. « La médecine d’aujourd’hui a beaucoup changé en 10 ans, les médecins aussi ».Il évoque également le rapprochement qui s’est opéré entre le médecin et la personne malade.Pour illustrer cette rencontre entre deux individus, il aime à lire une lettre adressée par un patient au Dr Patrick Chauvin: « Parce que, mon bon Docteur, je ne peux pas croire que tes connaissances suffiront à me soulager ou à me rassurer, prends moi par la main, mais ne la serres pas trop, j’ai déjà tant de mal à ne pas me recroqueviller. C’est déjà tellement d’amour une main, juste posée sur mon corps.Après c’est de l’exagération d’aide, et ça m’étouffe. Il te faut encore apprendre,apprendre le geste, le bon dont le malade a besoin. Surtout ne pas en rajouter et souvent te taire. Faire silence pour ouvrir le temps et l’espace pour la parole de celui qui souffre seul dans sa douleur. Et moi aussi, malade, il me faut apprendre ne pas me contenter de tes soins compétents. Il faut voir en un éclair ce que la maladie,qui me plie, cherche à me dire, où elle me convie, vers quels horizons, jusque là inexplorés, vers quelles nouvelles contrées de mon existence. Il me faudra apprendre à demander de l’aide au delà de tes compétences techniques. Les Dames de nage, éditions Métailié, 2007. Idem. Idem. © Springer 2008 - Oncomagazine - trimestriel novembre 2008 - Vol. 2 - n° 4 1 Interview 2 Il te faudra apprendre à chercher des réponses ailleurs que dans tes livres,dans ton expérience d’homme. A nous deux de faire silence pour entendre audelà des maux du corps ce qui appelle sa vérité. »4 Solitaire et solidaire C’est le temps où, afin d’avancer, et après la passion, la colère, la fureur, la fuite, on accepte, on s’accepte.« Aucun voyage,aucune fuite ne me révèlerait à moi-même.La solution était en moi et je ne savais pas comment y entrer. J’ai toujours voulu comprendre,toujours,et l’atroce vérité pour un acharné de l’explication est qu’il n’y a rien à comprendre.Quand on a compris cela et surtout accepté, quel soulagement.»5 4 5 6 2e Forum ARTuR, 20 mars 2008. Les Dames de nage, éditions Métailié, 2007. L’exil et le royaume, Albert Camus. Si la maladie peut être une traversée du désert,une épreuve de la solitude,elle peut aussi être le prélude à des rencontres.« Finalement, la vraie solitude,celle qui vous tord le ventre,c’est la solitude dans la souffrance, ou devant la mort ;c’est une solitude imposée,une solitude sociale ». « La maladie élimine les scories de la vie. L’intérêt de cette vie sur terre réside dans les rencontres ». Comme Jonas, l’exil dans la maladie n’est pas tout à fait un exil, on peut être « solitaire et solidaire »6.Et le mettre en pratique, à l’institut Gustave Roussy auprès des enfants et des adolescents. Ou au sein de l’association A.R.Tu.R qu’il parraine.Puisque « la mémoire ne me sert à rien, puisqu’elle est fiction et ne me rend que ce qu’elle veut bien me rendre », et que demain est un autre jour, « je vis au présent ». Ici et maintenant. Propos recueillis par Stéphanie Honoré L’hypnose est un état de conscience modifiée, entre la veille et le sommeil, un état d’hyper-concentration, d’hyper-vigilance, où le patient garde un réel contrôle de l’expérience. Un hypnothérapeute est un thérapeute qui utilise l’hypnose à des fins thérapeutiques, et pratique l’hypnose clinique. (À ne pas confondre avec l’hypnotiseur !) L’auriculothérapie est une réflexothérapie tégumentaire qui utilise le pavillon de l’oreille comme zone réflexe. Reconnue par l’OMS depuis 1987, confirmée et standardisée depuis 1990, elle est, en France, essentiellement pratiquée par des médecins et des chirurgiens dentistes. A.R.Tu.R. (Association pour la Recherche sur les Tumeurs du Rein) est une association Loi 1901 créée en 2005 par Arnaud Méjean, urologue,Bernard Escudier,cancérologue et Michel Gravé,avocat,pour soutenir et développer la recherche sur les tumeurs du rein et leur prise en charge clinique, mais aussi pour améliorer l’information des patients et de leur famille. Bernard Giraudeau est le parrain de cette association qui a organisé, pour la deuxième année en mars 2008, son Forum Patients. Pour tout renseignement sur l’association, contacter Catherine Cornuault : [email protected] et http://artur-rein.org Vol. 2 - n° 4 - trimestriel novembre 2008 - Oncomagazine - © Springer 2008