
En février 1903, Keynes est admis, sous le patronage de Lytton Strachey et Leonard
Woolf, dans la «Société de conversation», connue aussi sous l’appellation «Les Apôtres»,
société secrète fondée en 1820 à Cambridge, destinée «à la poursuite de la vérité avec une
absolue dévotion et sans réserve, par un groupe d’amis intimes».Parmi les «Apôtres», on
compte le philosophe George Edward Moore, qui publie à l’automne 1903 les Principia
Ethica. Ce livre a exercé sur Keynes une influence profonde et durable. C’est à cette époque
que se sont précisées les conceptions éthiques et la philosophie politique qui demeureront
celles de Keynes jusqu’à la fin de sa vie. Keynes y écrit que la philosophie de Moore l’a aidé
à se libérer de l’utilitarisme benthamien, de la morale victorienne et de son sens du devoir,
tout en contribuant «à protéger l’ensemble d’entre nous de cette reductio ad absurdum finale
du benthamisme connue sous le nom de marxisme» (ibid., p. 446). Pour Keynes et ses amis,
qui se proclamaient non conformistes et même «immoralistes», la poursuite du beau et du
vrai, les relations d’amitié et d’amour, constituent les objectifs ultimes de l’humanité. Deux
ans après la publication de la Théorie générale, Keynes continue à se réclamer d’un
immoralisme dont Hayek, entre autres, fait la source de la perversité de sa vision économique:
«Maintenant, en ce qui me concerne, il est trop tard pour changer. Je demeure, et je
demeurerai toujours, un immoraliste» (JMK, X, p. 447).Beaud et Dostaler
Le groupe de Bloomsbury
Les convictions acquises à Eton et à Cambridge vont s’affermir au sein d’une communauté
plus informelle, à laquelle Keynes restera étroitement associé jusqu’à la fin de sa vie.
Cambridge lui plaisait .Il y réussit immédiatement et , en marque d’estime, on lui offrit
d’éditer l’Economic Journal , le périodique économique le plus influent de Grande Bretagne,
poste qu’il occupera pendant 33 ans.
Bloomsbury était encore plus agréable. C’était à la fois un quartier et un état d’esprit ; le
petit groupe d’intellectuels…Ce cercle enchanté ne connaît sans doute pas plus de 20 ou 30
personnes mais leur opinion donnait le ton à la vie artistique de l’Angleterre ; il comprenait
Léonard et Virginia Woolf , E.M. Forster , Clive Bell , Roger Fry , Lytton Stratchey. Si
Bloombury lui souriait, un poète devenait célèbre ; si Bloombury grimaçait , un peintre
devenait « un déclassé » .C’était un groupe à la fois idéaliste et cynique , courageux et
fragile ; avec un léger grain de folie comme en témoigne l’incident « dit du cuirassé » :
Virginia Woolf et quelques conspirateurs complices s’étaient déguisés en empereur
d’Abyssinie et avaient été escortés , avec, les honneurs , à bord des navires de la Navy.
Dans ce groupe , Keynes était le personnage central : conseilleur , arbitre. Il pouvait parler de
tous les sujets avec une complète assurance…(Heilbroner)