Les enfants se sont endormis

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théâtre
Les enfants se sont endormis
D’après La Mouette d’Anton Tchekhov
Adaptation et mise en scène Daniel Veronese
Spectacle en espagnol, surtitré en français
Durée : 1h30
à partir de 15 ans
Catégorie B
Contact secteur éducatif : Sonia Pérez / 03 84 58 67 56 / [email protected]
Réservations : Caroline Diet / 03 84 58 67 67 / [email protected]
Mardi 12 février à 19h30
mercredi 13 à 20h30
au granit
SOMMAIRE
Note d’intention du metteur en scène
p.2
Entretien avec Daniel Veronese
p.3
Biographie de Daniel Veronese
p.7
Revue de presse
p.8 à 10
1
« Avant, ma vie était joyeuse, comme celle des enfants. Je me réveillais en
chantant, je t’aimais et je rêvais de gloire.»
Note d’intention
Photo Catherine Vinay
Photo Alicia Rojo
« Après Les Trois Sœurs (ou Un hombre que se ahoga / Un homme qui se noie) en 2005 et Oncle
Vania (ou Espía a una mujer que se mata / Espionne une femme qui se tue) en 2006, c’est à La
Mouette que Daniel Veronese consacre le troisième volet de ses variations sur Tchekhov : Les Enfants
se sont endormis. Aussi énigmatique que les précédents, ce titre laisse planer une inquiétude.
Surtout le pire. Car de ce sommeil, certains ne se réveilleront peut-être pas.
Dans un décor unique, Daniel Veronese réunit dix comédiens virtuoses, fidèles pour la plupart à ses
mises en scène dans le circuit des théâtres indépendants de Buenos Aires. Il construit une version
«chorale» de La Mouette où tout le monde court après quelqu’un d’autre, qui court après quelqu’un
d’autre, et ainsi de suite. « C’est en cela que les Argentins ressemblent aux Russes… Nous voulons
tous quelque chose que nous n’avons pas », dit Veronese. Les péripéties, les rendez-vous amoureux
ratés s’enchaînent comme dans un feuilleton télévisé. Mais aucun écran ne vient s’interposer, ici,
entre le public et les acteurs. Bien au contraire, chez Veronese, tout tend à l’identification. Il
modernise Tchekhov, l’adapte au rythme de l’époque contemporaine, il condense le temps de la
représentation, rassemble les personnages dans un seul espace pour mieux révéler leurs solitudes.
Leurs allées et venues prennent alors l’allure d’une véritable déflagration, dont nul ne sortira
indemne.
Il semble que seule la morne habitude du quotidien, de l’ordinaire, du banal, puisse occulter ce qui
en nous bout en profondeur, la confusion et le désordre, l’isolement et l’incompréhension.
Savoir, éducation, humanité et capacité de sacrifice sont des valeurs presque inexistantes et niées au
sein de ce groupe de personnages singuliers. Ils se consument, se détruisent, préférant sans doute ne
pas chercher à se comprendre, ni à interférer dans le cours de l’histoire.
Une question traverse la pièce : comment éviter cet appauvrissement spirituel et permettre que
l’esprit se meuve plus librement ? Moi je tends encore à penser à la fonction bénéfique et saine –
pourquoi pas ? – de la création et à l’attitude de l’homme dans cette création. Une présentation du
problème sans la solution qui lui correspond, bien entendu. »
Daniel Veronese
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Distribution
Texte et mise en scène Daniel Veronese
D’après La Mouette d’Anton Tchekhov
Avec
Claudio Da Passano : Semion Semionovich Medvedenko
Maria Figueras : Nina Sarechnaia
Berta Gagliano : Polina Andreevna
Ana Garibaldi : Mascha
Lautaro Delgado : Konstantin Gavrilovich Treplev
Osmar Nuñez : Boris Alekseevich Trigorin
Maria Onetto : Irina Nikolaevna Arkadina
Marcelo D’andrea : Evguenii Serguevich Dorn
Roly Serrano : Piotr Nikolaevich Sorin
Marcelo Subiotto : Ilia Schamraev
Assistante mise en scène : Felicitas Luna
Scénographie : Alberto Negrín
Entretien avec Daniel Veronese
Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot pour le Festival d’Automne à Paris.
Christilla Vasserot : Vous avez écrit et mis en scène plusieurs versions de pièces d’Ibsen et de
Tchekhov. Pourquoi avez-vous choisi ces deux auteurs ?
Daniel Veronese : D’abord, je choisis des auteurs qui me fascinent, qui écrivent mieux que moi.
Ensuite, je change les titres car je propose mes propres versions des pièces. Les enfants se sont
endormis n’est pas La mouette et Le développement de la civilisation à venir n’est pas Une maison de
poupée, même si mes versions suivent la même trame que les originaux. Il me semble que ces pièces
ont besoin d’être révisées pour être vues par le public d’aujourd’hui, qui a bien changé : il est habitué
à un autre rythme, il n’est pas surpris par les mêmes choses. Et moi, j’ai besoin d’éveiller l’intérêt du
spectateur tout au long de la pièce. Mais Ibsen et Tchekhov sont différents l’un de l’autre. Une
maison de poupée est un drame social. Tchekhov propose quant à lui un mélange de drame social,
humain, psychologique. Ibsen écrit pour son temps, Tchekhov écrit pour l’éternité. Les pièces de
Tchekhov sont inexplicables, insaisissables… En fin de compte, elles parlent de la condition humaine.
Une maison de poupée est une pièce baignée de la morale de l’époque. J’ai voulu conserver l’essence
de la lutte des sexes, qui est toujours en vigueur aujourd’hui : la situation a beau avoir changé depuis
la création d’Une maison de poupée, la volonté de l’homme s’impose toujours à celle de la femme, il
continue à y avoir quelqu’un de plus fort qui soumet quelqu’un de plus faible. Il y a certes plus de
liberté – ou plus d’hypocrisie – aujourd’hui, mais le pouvoir reste entre les mains de l’homme. En
revanche, je ne peux pas réduire La mouette à un seul sujet.
Malgré le fait qu’il y a un personnage principal, c’est une pièce chorale, ou du moins l’ai-je rendue
plus chorale. Ce sont dix personnages, dont quatre sont centraux : Arkadina, Nina, Treplev et
Trigorine. Mais dans mes pièces, les personnages secondaires ne sont pas vraiment secondaires.
Disons que cette pièce parle de la mésentente amoureuse. En dehors de Trigorine – qui n’est pas
vraiment intéressé par ce qui se passe au-delà de son corps et qui se trouve pris dans une angoisse
existentielle liée à l’art, à la création – tous courent après quelqu’un, et ce quelqu’un court à son tour
après quelqu’un d’autre, et ainsi de suite. C’est un peu comme Un homme qui se noie espionne une
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femme qui se tue, la phrase dont j’ai fait le titre de mes versions des Trois sœurs et Oncle Vania, une
phrase que je trouvais très tchekhovienne : pour moi, elle constitue une synthèse de ce qu’est
Tchekhov. Au bout du compte, les Russes et les Argentins, nous avons beaucoup de points communs,
par exemple le fait de ne pas résoudre les choses par les mots mais par l’action. Nous, les Argentins,
nous avons tous des grands-parents espagnols, ou italiens surtout. Mais nous avons aussi quelque
chose de russe, de rustique, d’affectivement rustique. « Nous nous reposerons », dit Sonia à la fin
d’Oncle Vania. Il y a une souffrance, une mélancolie, et c’est en cela que les Argentins ressemblent
aux Russes… Nous voulons tous quelque chose que nous n’avons pas.
Ch. V. : Au début de votre version d’Une maison de poupée, le spectateur peut entendre une
référence à un film d’Ingmar Bergman, dans une scène apparemment légère, comique, mais qui
détermine de façon tragique ce qui va se passer dans le spectacle. Quelle est la fonction de cette
intertextualité récurrente dans vos pièces ?
D.V. : Le fait d’introduire des textes qui ne correspondent pas à l’époque représentée permet de
jouer avec le temps, avec l’anachronisme des situations. C’est une façon d’attirer l’histoire vers le
présent. Par ailleurs, l’humour rend tout plus crédible et plus compréhensible. Dans les drames, je
cherche toujours des espaces d’humour. Dans Le développement de la civilisation à venir, le rire aussi
bien que la douleur accompagnent le couple Helmer. Nous avions vu la version télévisée des Scènes
de la vie conjugale et nous nous sommes approprié le film comme un hommage à
Bergman. Lorsque les personnages commentent le film, ils rient, comme s’ils venaient de voir une
comédie. Ils sont incapables d’imaginer, d’assumer que cela peut leur arriver à eux.
Il s’est passé quelque chose de similaire avec Les bonnes de Genet dans ma version d’Oncle Vania
(Espionne une femme qui se tue). J’aime faire ça, mais je ne veux pas non plus que cela devienne une
recette. Au départ, je voulais utiliser au début de la pièce un texte contemporain très connu, En
attendant Godot par exemple, je pensais à Beckett, ou à Pinter, je voulais que Serebriakov parle de
cette pièce et que soudain il entre dans Oncle Vania. Mais l’idée originale a changé quand nous avons
commencé à répéter, car un jeu théâtral s’est mis en place. À présent, je ne peux pas imaginer
Espionne une femme qui se tue sans Les bonnes. Dans ma version de La mouette (Les enfants se sont
endormis), il s’établit un jeu avec Hamlet. Treplev récite à sa mère des textes de Hamlet et sa mère
lui répond comme si elle était Gertrude. Quant à Nina, elle devient folle, comme Ophélie. Ce qui
m’intéresse aussi dans Hamlet, c’est la scène des comédiens qui représentent l’empoisonnement du
père, ou la scène dans laquelle la mère apparaît avec son nouvel époux. Mon idée est d’introduire
Shakespeare à un moment ou à un autre, mais tout doit être justifié, je ne veux pas tomber dans un
simple jeu esthétique entre les deux pièces. Mon intention n’est pas de détruire La mouette, qui est
une pièce que j’aime énormément. Je veux qu’il y ait une réminiscence de Hamlet, mais que ça n’aille
pas au-delà de ce que la pièce peut supporter. Cela me permet de justifier un peu la folie de Treplev
et de la mère, qui se défend en disant qu’elle n’est pas Gertrude, que cet homme n’a pas tué le père.
C’est la seule intertextualité.
Ch. V. : Les Trois sœurs, Oncle Vania, La Mouette… ou Un homme qui se noie, Espionne une femme
qui se tue, Les enfants se sont endormis… Y a-t-il une filiation entre vos trois versions de ces pièces
de Tchekhov ?
D. V. : Sincèrement, je sais peu de choses à propos de Les enfants se sont endormis. Pour l’instant,
j’ai juste écrit le texte, mais le travail de mise en scène n’a pas commencé. Mais je sais que cette
pièce est très différente de mes autres versions de Tchekhov, Un homme qui se noie et
Espionne une femme qui se tue. C’est toujours Tchekhov, mais les pièces sont différentes, donc les
versions que j’en propose également. La mouette a plus à voir avec Oncle Vania qu’avec Les trois
sœurs. Ce sont des pièces où les événements s’enchaînent, comme dans un feuilleton (sauf le respect
que je dois à Tchekhov). Dans un feuilleton, il se passe des choses à chaque seconde, c’est ce qui
capte l’attention des gens. Je veux que les spectateurs s’identifient et sentent que tout cela peut leur
arriver.
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CH. V. : Pourtant, en termes de durée, vos pièces n’ont rien à voir avec ces interminables
feuilletons. Elles sont plutôt courtes. Est-ce là une façon de capter l’attention du public ?
D. V. : Oui. Il y a quelque temps, j’ai dit en plaisantant qu’au bout d’une heure et demie je ferme la
porte, un point c’est tout, et la pièce finit là où elle finit. Ça ne se passe pas exactement comme ça,
bien sûr, mais il est vrai que j’aime conserver la fibre d’une pièce. Les pièces sont faites de fibre et de
graisse. Consciemment ou non, j’essaie de retirer tout ce qui est du domaine du paysage, de
l’ornement, les feuilles mortes, pour laisser la chair à vif, pour que les choses s’enchaînent de façon à
ce que le public passe d’un événement à un autre sans cesser d’être attentif. J’ai besoin de dépouiller
Tchekhov d’une certaine construction dramatique qui fut efficace et novatrice en son temps, mais si
Tchekhov écrivait aujourd’hui, il changerait probablement des tas de choses. Et moi, ce que je
cherche, c’est une approche plus directe du spectateur.
Ch. V. : Dans quel espace allez-vous monter Les Enfants se sont endormis ?
D.V. : Je travaille avec des scénographies très simples et presque télévisuelles. Mais à la télévision,
n’importe quelle scénographie fait bel effet, même si elle est en carton-pâte.
Au théâtre, au contraire, on voit bien que c’est un mensonge, et c’est ce qui me permet de pénétrer
plus facilement à l’intérieur de l’âme humaine : le spectateur voit bien que c’est du théâtre. Le
dépouillement me permet de concentrer l’attention du spectateur sur ce qu’il y a de plus
élémentaire, c’est-à-dire le jeu des comédiens. J’ai monté plusieurs pièces dans une même
scénographie, que parfois on m’avait prêtée, offerte, qui avait déjà été utilisée. J’aime le fait
d’habiter des espaces qui n’ont pas été conçus pour cette mise en scène en particulier. Les enfants se
sont endormis est une pièce qui a besoin d’espace, j’aimerais néanmoins récupérer quelque chose de
tout cela. Par exemple, il y a une scène de La mouette que j’ai éliminée : la représentation théâtrale
durant laquelle Treplev montre à sa mère ce qu’il a écrit. La difficulté était de représenter l’extérieur,
car dans ma pièce tout se passe à l’intérieur. Les personnages sortent, ils vont dans le parc où la
représentation a lieu. Au même moment, Paulina retient le docteur, elle le harcèle littéralement, et
lorsqu’ils se décident enfin à sortir, la mère est de retour, la représentation est terminée.
Nous nous rendons compte de ce qui s’est passé à l’extérieur à cause des réactions des personnages,
mais rien ne se déroule sous les yeux du public. Tout aura lieu dans un espace unique, avec deux
portes et un petit escalier, ce sera comme une maison qui a été modifiée, comme si on avait abattu
un mur. À Buenos Aires, je devrai m’adapter au théâtre où je vais monter le spectacle ; à
Paris, je crois que ce sera plus simple.
Dans la mesure où le théâtre me le permet, j’essaie toujours de faire en sorte que le public soit très
proche de la scène, que les comédiens se trouvent presque au milieu du public, que le public soit
presque sur scène. Ainsi, il peut voir la moindre expression du visage de l’acteur, il n’y a pas à
exagérer pour qu’on entende depuis le vingtième rang. Cela me donne beaucoup de liberté.
Enfermer les personnages dans un espace unique me permet d’oublier le passage du temps. Les
pièces se déroulent comme on pense, elles correspondent à une logique qui est celle de la pensée et
du sentiment.
Ch. V. : Le fait de travailler dans le circuit théâtral indépendant de Buenos Aires et dans le circuit
commercial détermine-t-il deux façons distinctes de travailler ?
D. V. : Ces pièces-là sont mises en scène dans le circuit indépendant, dans de petits théâtres, même
si Les enfants se sont endormis sera créée dans un théâtre municipal, plus grand. Mais à Buenos
Aires, ce ne sont pas les espaces qui définissent le public. Je travaille dans le circuit commercial
quand un producteur m’appelle pour que je monte telle ou telle pièce. D’abord, il faut qu’elle me
plaise. Ensuite, je choisis la distribution, ou la production en parle avec moi : il faut que ce soient des
comédiens avec qui j’aime travailler, des comédiens de théâtre en général. Mais je ne suis pas maître
de la production, ni du prix des entrées, ni du type de théâtre, ni du nombre de représentations par
semaine, ni de la durée durant laquelle le spectacle sera joué. Je suis un travailleur sous contrat.
Néanmoins, je travaille ou j’essaie de travailler de la même façon, car je ne sais pas m’y prendre
autrement. Je ne suis pas un metteur en scène autoritaire : dans le circuit commercial comme dans le
circuit indépendant, je tente de découvrir la pièce avec les acteurs. Les résultats sont différents car
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les acteurs auxquels on fait appel sont différents. Dans le cas du théâtre commercial, on travaille
avec des figures reconnues, célèbres. Le producteur s’inquiète du nombre de billets d’entrée qu’il va
vendre. C’est une question que nous ne nous posons jamais dans le théâtre indépendant. Ce qui nous
unit, c’est le goût du travail et le format du théâtre que nous pratiquons.
Nous ne sommes pas une compagnie car nous n’avons pas de subvention, nous n’avons pas de quoi
faire vivre une compagnie. Mais il y a une vingtaine d’acteurs avec lesquels j’ai l’habitude de
travailler. Dans Les enfants se sont endormis, il n’y a qu’une actrice avec qui je n’avais jamais
travaillé, une actrice du théâtre indépendant, et c’est par hasard si nous n’avions jamais coïncidé
jusque-là ; je la considère du niveau de tous les autres. Tous les comédiens qui travaillent dans cette
pièce sont issus du théâtre indépendant, sauf un, qui avait déjà travaillé avec moi dans une pièce
commerciale. Je n’imaginais personne d’autre pour jouer le rôle de Treplev.
J’aime changer de comédiens, parfois je me dis que nous devrions prendre des vacances car nous
travaillons ensemble depuis bien longtemps, mais en fait j’ai du mal. Une fois, quelqu’un est venu
voir les répétitions d’Oncle Vania, il était abasourdi de la confiance qui existait entre nous, comme si
nous parlions une autre langue, car ces comédiens comprennent immédiatement où je veux aller. Je
leur demande beaucoup, mais je crois que je sais agencer une bonne distribution. Généralement,
mes spectacles restent longtemps à l’affiche, ils partent en tournée, et les comédiens se débrouillent
tout seuls, ils savent parfaitement ce qu’ils ont à faire. Il ne s’agit pas d’un travail collectif mais
consensuel. Les acteurs ne sont pas obligés de faire des choses qu’ils ne peuvent pas faire, je peux
même changer la mise en scène si cela peut permettre que l’un d’entre eux se sente plus à l’aise.
J’ai besoin d’avoir la certitude que l’acteur s’est approprié ce que je lui demande, car une fois le
spectacle créé, c’est l’acteur qui le maintien en vie.
Ch. V. : La Mouette est une pièce qui se prête à parler de théâtre…
D. V. : Mon problème est que j’ai déjà beaucoup parlé de théâtre dans Oncle Vania (Espionne une
femme qui se tue) et dans Hedda Gabler (Tous les grands gouvernements ont évité le théâtre intime).
J’aime parler de théâtre, c’est un peu comme montrer une scénographie.
Mais dans La mouette, le théâtre est déjà présent en tant que thème. Dans ma version de la pièce, je
donnerai plus d’importance aux relations humaines, tout tournera autour du thème de l’amour – et
du manque d’amour.
Ch. V. : Pendant que les enfants sont endormis, il peut se passer le meilleur comme le pire…
D. V. : Oui, il peut y avoir de la tranquillité mais il peut aussi arriver un profond malheur : les enfants
se sont endormis au sens où ils ont cessé d’être vivants. Mes titres sont plutôt poétiques, ils
renvoient à des sensations, ils ne donnent pas d’explications, ils ouvrent des voies. Il n’y a pas
beaucoup d’enfants chez Tchekhov. Et quand il y en a, en général, ils sont malades, ou ils ne
bénéficient pas d’une enfance très généreuse. Dans La mouette, il y a aussi des enfants délaissés,
comme Treplev, ou les enfants de Macha, ou les enfants de Nina… Nina est morte en tant que fille et
en tant que mère. La pièce se clôt sur un malheur : quelqu’un se tue par amour, je crois que Treplev
se tue par amour, et non parce qu’il n’a pas triomphé. Cette scène finale est terrible. Je vais y
introduire une dernière rencontre entre Nina et Trigorine, que je conçois comme un être beaucoup
plus méprisable que dans la pièce originale. Il entre pour demander une canne à pêche et il voit Nina,
après l’avoir abandonnée, et il ne lui dit rien.
Mais nous verrons bien comment résoudre cela lorsque nous commencerons à monter la pièce, car
dans le fond nous travaillons dans une certaine inconscience. En fait, ce qui m’arrive, c’est que j’ai
besoin que la pièce de Tchekhov explose, comme si les personnages n’en pouvaient plus. Les pièces
de Tchekhov semblent très contenues mais elles renferment quelque chose qui vous détruit. Cette
retenue peut produire d’incroyables résultats quand les comédiens se lâchent. Et au théâtre, il arrive
un moment où j’ai besoin de lancer une ou deux grenades. C’est que d’une certaine façon le théâtre
nous permet d’exorciser.
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Daniel Veronese
Daniel Veronese (Buenos Aires, 1955) auteur, metteur en scène, scénographe, a commencé sa
carrière comme acteur et marionnettiste. Membre fondateur du Periférico de Objetos, groupe phare
du nouveau théâtre argentin, créé, en 1989, avec Ana Alvarado et Emilio García Wehbi, il mène un
travail d’expérimentation sur l’intégration des acteurs et des objets dans El Hombre de Arena (1982),
Máquina Hamlet (1995), Zooedipous (1998), El Suicidio. Apócrifo1 (2002), Manifiesto de niños (2005).
Indépendamment du groupe, il réalise de nombreux spectacles comme auteur et metteur en scène
fondant son travail sur les acteurs et la recherche de synthèse dans une économie des effets :
Mujeres Soñaron Caballos (2001), Un hombre que se ahoga, adaptation des Trois soeurs, de
Tchekhov (2004), Espía a una mujer que se mata, adaptation de Oncle Vania, de Tchekhov (2006), El
desarrollo de la civilización venidera, adaptation de Maison de poupée, d’Ibsen et Todos los grandes
gobiernos evitaron el teatro intimo, adaptation de Hedda Gabler, d’Ibsen (2009).
En 2011, il retrouve le théâtre de Tchekhov pour la troisième fois avec la création de Les enfants se
sont endormis, une version de La Mouette.
Plus de vingt textes de Veronese sont publiés, qu'il a mis en scène pour la plupart, parmi lesquels : La
noche devora a sus hijos, Mujeres soñaron caballos, Open house, La forma que se despliega, Teatro
para pajaros. Ces pièces sont traduites en français, italien, allemand, portugais.
Parallèlement à ses créations dans le circuit théâtral indépendant qui tournent dans le monde entier,
il dirige aussi des spectacles dans le circuit commercial, argentin et étranger.
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Revue de presse
29/09 | 07:00 | Philippe Chevilley Les enfants se sont endormis de Daniel Veronese
Cry for me, Argentina
Aux saluts, les dix comédiens argentins ont les larmes aux yeux. Submergés par cette lecture
intemporelle de « La Mouette », signée Daniel Veronese, metteur en scène invité du Festival
d'automne (1). Le public, lui aussi, est bouleversé par ce moment d'émotion partagée. Le Théâtre de
la Bastille est devenu un lieu singulier, mix de datcha russe et de ferme de la pampa.
Dix héros
Veronese est parvenu à fusionner les âmes russes et latines. Et la force de frappe de la pièce de
Tchekhov s'en trouve décuplée. Selon l'homme de théâtre, Russes et Argentins ont beaucoup en
commun : une « rusticité affective », la souffrance et la mélancolie. Il y a tout ça dans son adaptation
au titre énigmatique « Les Enfants se dont endormis ». Un bal d'amour et de douleur somnambule
qui se joue à toute allure, avec des douleurs folles et des silences aigus. Pas de seconds rôles, les dix
personnages sont également les héros de ce huis clos existentiel qui se joue uniquement en intérieur
-exit le lac, les arbres, le romantisme... Les comédiens sont tous très justes, très proches ; leur phrasé
et leur gestuelle moderne préservent avec subtilité le mystère tchéckhovien.
Le cœur brisé, mais l'âme réjouie, le spectateur, une fois dehors, a du mal à retrouver ses repères.
Cette « Mouette » d'exception l'a fait s'envoler bien loin des oiseaux de nuit de la rue de la Roquette.
Rue89
Théâtre et Balagan
Par Jean-Pierre Thibaudat | Journaliste | 24/09/2011 | 13H11
Veronese achète clés en main «La Mouette» deTchekhov
C’est avec une force cinglante que l’argentin Daniel Veronese [1] se réapproprie la plus célèbre pièce
d’Anton Tchekhov [2] « La Mouette » sous le titre « Les Enfants se sont endormis ».
Une pièce de Tchekhov relue par Shakespeare
La pièce est là, on en reconnaît la trame et bien des répliques célèbres mais elle semble cependant
comme neuve. Non seulement Veronese ravale sa façade noircie par les ans (les chromos «samovar»
et tout le folklore russe y afférant) mais il s’invite à table. Il biffe des répliques, en écrit d’autres,
exaspère les situations de la pièce et en prolonge des lignes de forces souterraines comme cette
parenté entre « La Mouette » et « Hamlet » (déjà pointée par Antoine Vitez [3]) qui le conduit à
inoculer quelques centimètres-cubes de Shakespeare dans le corps de cette « Mouette » non plus
enfermée dans la cage du répertoire mais volant de ses propres ailes. Ce travail magistral tombe à pic
dans une France vérolée par les affaires en général et en particulier, dans le microcosme du monde
des arts et lettres, par des affaires de plagiat où ceux qui seraient censées être exemplaires
(présentateur de journaux télévisés, responsables de grands journaux ou revues) se vautrent dans
des conduites éhontées de fuite et brandissent des épouvantails comme « l’intertextualité » ou un
copier-coller « provisoire ».
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Loin des plagiaires, un as de la vraie intertextualité
Que tous ces freluquets viennent prendre une leçon de savoir écrire en venant voir ce spectacle que
Véronèse présente au Théâtre de La Bastille dans le cadre du Festival d’Automne.
Celui-ci ou le prochain « Le Développement de la civilisation à venir » d’après « Une maison de
poupée » d’Ibsen (où Bergman remplace Shakespeare). En voici de l’intertextualité et de la plus belle
sorte ! Veronese invite Shakespeare chez Tchekhov et s’invite tout autant. Une pièce écrite à trois.
Veronese est très à l’aise dans ces pièces de Tchekhov où l’on bavarde à l’infini, où l’on agit peu (mais
violemment), où l’on vit les uns sur les autres dans un pays que l’on sait cependant immense. Il en va
de même en Argentine, suggère-t-il. Sibérie rime avec Patagonie. D’un pays, l’autre Veronese voit le
fil rouge d’une « souffrance » et d’une « mélancolie » partagées (« Les Argentins ressemblent aux
Russes… Nous voulons tous quelque chose que nous n’avons pas »).
Un abonnement longue durée au théâtre de Tchekhov
Il faudrait ici suivre ligne à ligne le script du spectacle pour rendre compte du travail accompli. C’est
là l’affaire d’un article de revue et non d’un blog Veronese achète clés en main «La Mouette» de
Tchekhov et plus sûrement d’un mémoire universitaire. Nul doute que des étudiants vont se
précipiter pour disséquer par le menu cette relation particulière entre le Russe Tchekhov et
l’Argentin Daniel Veronese déjà à l’œuvre dans « Un hombre que se ahoga » d’après « Les Trois
Sœurs » » et « Espia a una mujer que se mata » d’après « Oncle Vania » (où il invitait « Les Bonnes »
de Jean Genet).
Contentons-nous de quelques exemples. Au début de la pièce, un jeune homme, Treplev, doit
montrer la pièce qu’il vient d’écrire à Irina Arkadina sa mère (actrice célèbre mais un peu sur le
retour), à son compagnon Trigorine (écrivain connu mais pas gloire nationale) et à toute la
maisonnée tenue par Piotr, le frère de l’actrice chez qui cette dernière est venue en villégiature.
Il y a là Dorn le médecin, Chamraev l’intendant du domaine et son épouse Paulina, Macha sa fille,
Medvedenko l’instituteur. La pièce de Treplev doit être jouée par Nina. La jeune fille a une amourette
avec Treplev mais lui est fou d’elle.
Nina habite de l’autre côté du lac. C’est dehors, dans le parc du domaine donnant sur le lac que
Tchekhov situe l’action du premier acte, devant une sommaire estrade de théâtre amateur. Et la
pièce est jouée, du moins le début, car Treplev, excédé par les réflexions de sa mère, interrompt le
spectacle.
« Aujourd’hui, Tchekhov écrirait autrement »
Veronese renverse cette situation. Dans sa version, la pièce n’est pas jouée, simplement la
représentation est évoquée. Et tout (jusqu’à la fin) se passe en intérieur, dans le coin d’un salon
sommaire (canapé-lit, table et chaises) avec une porte et une fenêtre donnant sur l’extérieur (le
théâtre, le lac) et une autre porte donnant hors champ sur les autres pièces de la maison.
Veronese zappe le moment de la représentation mais fait rentrer le théâtre (via Shakespeare) par la
fenêtre en mettant dans la bouche de Treplev des citations de « Hamlet » (pièce où il est question de
théâtre) et dans celle d’Irina Arkadina des répliques de la Gertrud, la mère d’Hamlet (rôle qu’elle a pu
jouer). Tout au long de la pièce Veronese va souvent opérer par accélération : il coupe dans les
répliques, il précipite les situations et comme tout se passe dans les quelques mètres carrés, cela
favorise une nervosité scénique qui muscle la représentation.
Veronese est aussi persuadé que Tchekhov écrirait autrement aujourd’hui et il se fait le script de ce
Tchekhov-là en poussant à l’extrême des situations qui restent allusives ou feutrées dans la pièce
vieille de plus d’un siècle. Nina est follement amoureuse de l’écrivain Trigorine, lequel n’est pas
insensible aux charmes de la prime jeunesse. Elle lui signifie cet amour en le renvoyant à l’un de ses
livres, page 121 lignes 11 et 12 (« Si tu as besoin de ma vie, viens et prends-la »).
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Chez Tchekhov, Trigorine va en cachette consulter le livre et on l’entend lire la phrase comme en
aparté. Chez Veronese, il la dit à voix haute devant Irina Arkadina (laquelle connaît les faiblesses de
son faible bonhomme) et devant Paulina.
De même chez Tchekhov, l’acte trois s’achève par un « baiser prolongé » (traduction Antoine Vitez)
entre Trigorine et Nina, seuls dans le salon. Chez Veronese, ce baiser est vu par un Treplev,
abasourdi, et par Irina Arkadina qui arrache Nina des bras de Trigorine et entraîne ce dernier, lequel
obéi, piteux, comme un enfant pris en faute. Une scène incandescente – qui doit aussi beaucoup aux
acteurs (familiers du metteur en scène), qu’il faudrait tous citer comme on dit. Plus que jamais elle
engendrera en miroir inversé la poignante dernière scène du spectacle.
Et les enfants dans tout ça ?
Veronese a donné à sa pièce ce titre qui peut sembler étrange : « Les Enfants se sont endormis ».
Sauf erreur de ma part, ce n’est pas une réplique de « La Mouette », ni même d’une autre pièce de
Tchekhov, pas plus que de Shakespeare.
C’est une expression que connaissent bien des parents d’enfants en bas âge (il y a d’ailleurs un forum
sur Internet qui porte ce titre). Dans la pièce il y a bien des enfants, ceux de Macha qu’elle délaisse,
l’enfant que Nina a eu avec Trigorine et qui est mort. Et Treplev, que sa mère considère comme un
enfant et lui-même qui réagit comme un enfant. On peut aussi penser que Veronese songe à cette
part d’enfance enfouie, endormie au fond des personnages, et même au fond de chacun de nous, et
comme oubliée.
Le soir où j’ai vu le spectacle, il y avait dans la salle une jeune femme enceinte. Elle s’était assise sur
le côté, en bout de rang, pour allonger ses jambes et laisser son corps s’alanguir, sans doute aussi
pour pouvoir partir en cas de contractions intempestives (l’accouchement, à l’évidence, étant
proche). Dans le brouhaha de la salle, elle regardait la scène où les acteurs étaient déjà en place, les
mains croisées sur son ventre qu’elle protégeait d’un imperméable, le futur enfant bien au chaud. Et
ainsi tout au long du spectacle. Epanouie, sereine, elle n’avait d’yeux que pour les acteurs argentins,
Tchekhov, l’histoire d’une drôle de mouette.
Et, dans son ventre, hypnotisé par le spectacle de Veronese, son enfant, sans doute, s’est endormi.
Liens
[1] theatre-video.net | Daniel Veronese - Vidéos de théâtre sur theatre-video.net - des vidéos de
spectacles, des entretiens et des rencontres avec des auteurs, des metteurs en scène et des
comédiens | http://bit.ly/nbPKIp
[2] fr.wikipedia.org | Anton Tchekhov - Wikipédia | http://bit.ly/nfONPW
[3] fr.wikipedia.org | Antoine Vitez - Wikipédia | http://bit.ly/lc6WzQ
[4] theatre-bastille.com | Théâtre de la bastille | http://bit.ly/i4GNKI
[5] festival-automne.com | THE PARIS AUTUMN FESTIVAL -THEATRE - DANCE - MUSIC - CINEMA ARTS | http://bit.ly/foVv8Y
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