Devoir 1 : Faut-il apprendre à penser
Un des objectifs, et non le moindre, de l’enseignement de la philosophie en classe de terminale
est de permettre à chaque élève d'accéder à l'exercice autonome de la réflexion. Mais, ajoutent les
auteurs du programme, cette finalité est commune à toutes les disciplines de l'école. En ce sens,
l’enseignement de la philosophie s’inscrit dans une continuité. Il s’agit moins pour l’école de dispenser
des savoirs qu’il faudrait se contenter d’accumuler en vue d’un usage futur, que de former des esprits à
la pensée. Mais ce qui pourrait sembler une intention louable ne demande-t-il pas, cependant, à être
interrogé ? Faut-il apprendre à penser ? L’être humain se distingue des autres animaux par la nécessité
de l’éducation. Sans éducation le petit homme est démuni, voué à une mort probable, et, s’il survit,
privé de ce qui semble caractériser d’autre part les humains à savoir le langage, signe d’une pensée
cohérente. Car l’autre signe distinctif de l’humanité semble bien cette pensée réflexive et rationnelle.
Si l’on ne peut dénier une certaine forme primitive de pensée aux autres animaux, il n’est pas
cependant nécessaire de se livrer à de longues analyses pour montrer que l’homme se caractérise par
une forme de pensée qu’il est le seul à posséder, condition de son accès à des savoirs élaborés et d’une
manière plus générale à l’ensemble des faits culturels. Aussi l’homme n’apparaît-il pas
paradoxalement comme le seul être qui ait, par l’éducation, à devenir ce qu’il est ? Mais dès lors se
pose un redoutable problème : l’apprentissage de la pensée n’est-il pas contraire à l’émergence d’une
véritable pensée ? Car ce qui distingue l’homme de l’animal n’est-ce pas moins le fait de penser que le
fait de pouvoir penser librement, de penser par lui-même ? Le problème prend des allures de
paradoxes : au fond, comment peut-on apprendre à penser par soi-même ?
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Au sens le plus large, la pensée désigne toutes les opérations de notre esprit. Nous pensons,
lorsque nous éprouvons un sentiment ou même lorsque nous sommes affectés par une sensation, nous
pensons lorsque nous rêvons, nous pensons bien sûr, lorsque nous réfléchissons. Or il apparaît évident
que les pensées qui concernent nos sensations ou nos sentiments ne sont liés à aucun apprentissage
précis. Des études récentes montrent ainsi que le fœtus rêve. Quiconque a été en contact avec un
nourrisson, sait bien qu’il peut éprouver bien-être ou malaise, réagir à des sensations (couleurs ou sons
par exemples), par autant de signes qui manifestent l’existence d’une pensée. La pensée qui est définie
par Descartes, dans les réponses aux secondes objections des Méditations métaphysiques, comme
toutes les opérations de la volonté, de l’entendement, de l’imagination et des sens, apparaît dès
lors comme le processus ininterrompu des états de notre esprit. En ce sens, tout être humain pense
indépendamment de tout apprentissage.
La question semble donc plutôt porter sur le degré le plus élevé de la pensée. La pensée
conceptuelle et réflexive est une fonction propre à l’homme par laquelle il s’oppose à l’animal. C’est la
faculté intellectuelle qui produit des connaissances. Penser, en ce sens plus restreint, c’est produire des
idées, des jugements. La pensée est l’activité de l’esprit qui nous permet de comprendre et d’expliquer.
Or il semble bien que cette capacité n’apparaisse que tard. L’homme dans sa première enfance semble
incapable de mettre en œuvre une telle pensée. Les études du psychologue Jean Piaget ont montré que
la pensée abstraite est le dernier stade d’un processus qui en comporte cinq. Les facultés d’abstraction
ne se réalisent pleinement qu’à partir de onze ans. La pensée conceptuelle apparaît donc comme
l’aboutissement d’un long processus. Mais la question reste posée de savoir si ce développement est lié
à un apprentissage ou si à l’inverse il se fait de manière naturelle à l’instar de la croissance physique.
Le cas des enfants sauvages semble pouvoir nous aider à répondre à cette question. Ces récits
souvent à l’origine de mythes fondateurs (tel par exemple celui de la fondation de Rome) ont attiré
l’attention et parfois provoqué une certaine fascination. La raison en est sans doute dans les questions
qu’ils suscitent sur la frontière entre l’homme et l’animal. Ces enfants abandonnés dès leur naissance
ont survécu sans pouvoir recevoir aucune éducation. Lucien Malson dans Les enfants sauvages relate
un certain nombre de cas dont le plus célèbre est celui de Victor qui fut découvert dans l’Aveyron et
pris en charge par le médecin Itard. La description très précise qu’en fait Itard et surtout l’échec de ses
tentatives d’éducation semble bien montrer la complexité de la question. Dépourvu de mémoire,
incapable d’une attention soutenue, ainsi que de toute possibilité de jugement Victor apparaissait