H. Merle et coll. J. Fr. Ophtalmol.
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masque de protection. À son arrivée à l’hôpital, Mr A.
se plaint d’une douleur oculaire gauche et d’une sen-
sation de corps étranger. Il ne signale aucun antécédent
ophtalmologique, médical ou chirurgical. On note un
larmoiement, un blépharospasme ainsi qu’une photo-
phobie intense gauche. L’examen montre au niveau de
l’œil gauche : une diminution de l’acuité visuelle à 8/
10
e
, une hyperhémie conjonctivale diffuse avec un cer-
cle périkératique et la présence dans le quadrant tem-
poral inférieur de la cornée d’une vingtaine de poils de
chenille plantés dans le stroma cornéen
(fig. 1)
. L’ins-
tillation de fluorescéine permet de visualiser de multi-
ples lésions épithéliales punctiformes dans ce même
quadrant cornéen, correspondant vraisemblablement à
des impacts de poils. Les poils pénètrent la cornée sur
environ un tiers de son épaisseur au maximum. Aucun
de ces poils ne transfixie la cornée et pénètre dans la
chambre antérieure. Il existe une discrète réaction in-
flammatoire de la chambre antérieure (Tyndall +). Le
cristallin est parfaitement transparent. Il n’existe pas de
hyalite. L’examen du pôle postérieur est normal. L’exa-
men biomicroscopique de l’œil droit est normal. La trop
petite taille des poils rend leur ablation impossible à la
pince. Nous réalisons un lavage abondant du globe ocu-
laire avec du sérum physiologique. Un traitement local
anti-inflammatoire cycloplégique et antibiotique est dé-
buté. Il associe de la déxaméthasone, de l’atropine à
1 % et de la rifamycine à raison de 6 instillations par
jour. Ce traitement est maintenu quinze jours. Progres-
sivement et spontanément, les poils vont tous se déta-
cher de la cornée. Celle-ci est restée parfaitement trans-
parente, sans l’apparition d’une inflammation stromale
autour du poil. Au bout de 15 jours, il n’existe plus de
poils dans la cornée. Aucune cicatrice épithéliale ou
stromale ne persiste et l’acuité visuelle est remontée à
10/10
e
. Le dernier contrôle clinique réalisé un an après
l’accident ne retrouve aucune anomalie.
DISCUSSION
Les chenilles doivent subir une série d’importantes trans-
formations avant de parvenir à l’état adulte. Elles ont un
corps cylindrique assez souvent orné de soies urticantes,
de soies barbelées ou de tubercules épineux. La tête
porte des pièces buccales broyeuses. Le thorax, composé
de trois segments, porte trois pattes qui sont utilisées
pour maintenir la nourriture plutôt que pour les dépla-
cements. L’abdomen, formé de dix ou onze segments,
porte plusieurs paires de fausses pattes, chacune étant
terminée par une ventouse armée de petites griffes. Ce
sont essentiellement ces fausses pattes qui servent à la
chenille pour se mouvoir. Autant les papillons sont des
insectes inoffensifs, autant les chenilles sont de redouta-
bles ravageuses des cultures puisqu’elles se nourrissent
presque toutes de végétaux. Dans notre observation, il
s’agit de la chenille du
Pseudosphinx tetrio
, papillon très
commun en Guadeloupe et en Martinique. Ce papillon
est peu attiré par les lumières. On le rencontre dans tou-
tes les Grandes Antilles et toute l’Amérique tropicale et
subtropicale. La chenille
(fig. 2)
, à coloration aposémati-
que, noire, jaune et orange est facile à trouver dans les
jardins sur les
Apocynaceae
, c’est à dire sur les Allaman-
das jaunes
(Allamanda cathartica)
(fig. 3)
et surtout sur
les frangipaniers. Elle peut mesurer plus de 12 centimè-
tres et se nourrit de feuilles. L’Allamanda jaune, tantôt
liane, tantôt arbuste, vient du Brésil. Il exhibe des fleurs
d’un jaune éclatant. Placé au pied d’un arbre ou d’une
treille, il peut grimper à plusieurs mètres. Ses adversaires
les plus redoutables sont les chenilles : en quelques jours,
elles dévorent entièrement le feuillage. Cette attaque
n’est cependant pas fatale pour la plante qui émet de
nouvelles feuilles très rapidement.
L’agent responsable des atteintes oculaires est le poil
urticariant. Il siège sur des zones spécifiques du corps
de la larve, appelées miroirs, constitués par des replis
du tégument dorsal et qui sont garnis de milliers de
poils. Ceux-ci se détachent facilement à l’ouverture des
miroirs, sous commande musculaire, véritable méca-
nisme de défense. Une chenille peut compter jusqu’à
près de 1 million de ces poils. Leur longueur est de 100
à 200 micromètres. Ils sont formés d’une enveloppe de
chitine. Les extrémités sont très effilées et le corps est
hérissé de pointes naissant obliquement, dirigées vers
l’extrémité distale [2]. Cette morphologie expliquerait
leur pénétration dans les tissus à la façon d’un harpon
[3]. De plus, les poils sont creux et contiennent une
toxine polypeptidique ayant une activité d’estérase, de
protéase et de phospholipase [4, 5]. Ainsi l’installation
d’une réaction inflammatoire peut être en rapport
avec : la toxine, l’action mécanique du poil et la des-
truction tissulaire par libération d’enzymes lysosomiaux.
Quand les poils d’une chenille pénètrent dans l’œil,
transportés par le vent ou lors d’un contact avec un de
ces animaux, il se produit une forte réaction inflamma-
toire. L’atteinte est presque toujours unilatérale comme
dans notre observation. Le début est brutal et associe
Figure 1 : Cornée de l’œil gauche. Poils de chenille de
Pseudosphinx
tetrio
fichés dans le quadrant temporal inférieur et multiples érosions
épithéliales.
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