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Colloque n° 2 du Réseau Education Formation REF
Université de Genève, FPSE, samedi 20 septembre 2003 après-midi
Conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement
au fondement des pratiques éducatives et de recherche e
Francia Leutenegger, Thérèse Thévenaz-Christen, Etiennette Vellas, Edith Wegmuller
Texte de cadrage du colloque n° 2
Qu’il s’agisse de pratiques éducatives, de formation ou de pratiques de recherche
sur l’éducation, l’enseignement ou la formation, la réflexion s’organise actuellement
à travers des notions telles que socio-constructivisme, cognition située,
métacognition ou situation didactique, situation en contexte, voire pédagogie
différenciée, coopérative, de contrat ou de projet. Ces notions renvoient aux
modélisations théoriques conceptualisant les principes fondamentaux de
l’apprentissage et de l’enseignement. Prenons pour exemple la référence générale au
constructivisme :
La pédagogie, en tant que théorie-pratique se réfère aujourd'hui de manière
générale au constructivisme et à ses dérivés - dont le socioconstructivisme (Ducret,
J.-J., 2001; Vellas, 2003). Elle cherche toujours à répondre à cette question
essentielle posée à l'éducation par les théories constructivistes : comment permettre
et envisager le veloppement de l’homme, la transmission et l’appropriation des
savoirs et des compétences lorsqu'on présuppose une capacité d'auto-organisation
intellectuelle de chaque être humain. Cette question perdure depuis que des penseurs
de l'éducation ont pris conscience d'un homme contraint de construire son
intelligence et ses connaissances grâce à ses propres actions dans ses divers milieux.
La question est d'autant plus vive depuis que Piaget, Wallon, Vygotski, Bachelard,
ces figures tutélaires du constructivisme, et leurs successeurs, ont renforcé à travers
leurs diverses théories cette conception révolutionnaire de la formation de l'homme :
l’éducateur doit pouvoir trouver chez l’enfant son premier allié.
Ce regard sur l'activité nécessaire de l'enfant pour qu' il s'instruise et s'éduque a
été à la base des multiples recherches pédagogiques du mouvement de l'Éducation
nouvelle et des pédagogies actives du XXe siècle. Les propositions de mises en
activité des élèves, guidées tout au long du 20e siècle par une vision constructiviste
de l'homme, ont probablement entraîné les pires et les meilleures expériences
pédagogiques. Mais ce qui est remarquable c'est que toutes ces recherches
pédagogiques ont tenté de faire agir les élèves, non plus avec des connaissances
enseignées, puis exercées, mémorisées et restituées, mais avec des connaissances à
construire. Cette posture intellectuelle a entraîné et entraîne toujours chez les
dagogues, de nouvelles conceptions de la transmission et de l’appropriation des
connaissances et une recherche continue de nouvelles situations et contextes
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d'apprentissage. Elle a provoqué aussi de nouvelles conceptions des contenus
d'apprentissage eux-mêmes.
Pour les sciences de l'éducation, la référence générale au constructivisme est
qualifiée de complexe, voire ambiguë car les référents du constructivisme sont divers
et leurs cadres théoriques pas forcément convergents. Un travail de clarification,
d’emboîtement et d’articulation théoriques est aujourd'hui reconnu nécessaire
(Astolfi,1991) pour que le constructivisme puisse être une théorie mieux comprise et,
du même coup, être un repère plus cohérent pour la recherche pédagogique et la
praxis (Crahay, 1999).
Selon les ancrages ou les références disciplinaires, le point de vue conduit à se
focaliser sur certaines dimensions en laissant d’autres dans l’ombre. Ce point de vue
construit par les acteurs enseignants, formateurs, chercheurs est en même temps
une construction dans laquelle ils s’inscrivent. Selon leur place institutionnelle et les
lieux sociaux dans lesquels les acteurs agissent, en fonction des postures adoptées,
ils mobilisent, se référent ou effectuent des emprunts aux diverses modélisations
théoriques disponibles traitant de l’apprentissage et l’enseignement. Les conceptions
à l’œuvre constituent, selon nous, des connaissances en acte (Vergnaud, 1996), plus
ou moins explicitées, plus ou moins formalisées. Le colloque vise à cerner les
principes essentiels, des invariants, au cœur des conceptions de l’apprentissage et de
l’enseignement, c’est-à-dire à leurs fondements. Vaste sujet s’il en est, que le
colloque ne peut évidemment traiter dans toutes ses dimensions. Afin de resserrer le
propos, trois dimensions semblent particulièrement pertinentes :
1. la dimension disciplinaire : les conceptions sous-jacentes en jeu dans
l’apprentissage ou l’enseignement sont structurées par les disciplines,
systématiquement convoquées, dites de référence, des sciences de
l’éducation. L’anthropologie, l’ethnomédodologie, la psychologie sociale,
la psychologie cognitive et développementale, les didactiques disciplinaires
et comparées, chacune d’entre elles modélisant l’apprentissage et
l’enseignement. Parfois, le terme utilisé pour nommer une démarche permet
d’identifier l’origine de l’emprunt, c’est le cas du socio-constructivisme.
Que la référence soit immédiatement lisible dans le terme ou non, rien ne
transparaît des éléments effectivement empruntés, constituant des invariants
du point de vue construit.
2. la dimension situation” ou “contexte” : il s’agit de repérer comment la
situation ou le contexte éducatif dans lesquels l’acte éducatif ou
d’instruction se produit sont pris en compte. Dans certaines théorisations,
l’un ou l’autre des termes est pleinement conceptualisé, dans d’autres moins
ou pas du tout. Les termes de cognition située, situation didactique ou
pédagogie coopérative laissent entrevoir une nécessité de penser cette
dimension de l’enseignement et de l’apprentissage. Les éléments qui la
constituent et la manière de la penser, notamment par rapport aux pratiques
sociales scolaires ou non scolaires, permettent indubitablement de
contribuer à un éclairage de l’apprentissage et l’enseignement.
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3. la dimension du contenu : le contenu, objet de l’acte éducatif, de
l’apprentissage ou de l’enseignement, est présent ou pris en compte de
différentes manières : objet construit pour l’expérimentation ou objet du
monde appréhendé dans ses usages sociaux ou encore objet savoir. Dans
certaines théorisations, cette dimension est appréhendée en tant
qu’organisation sociale systématique et/ou systémique, historiquement
construite, dont l’appropriation est problématique, constituée de contraintes
de situations et d’obstacles dépendant de chaque organisation théorique. Sa
spécificité est alors un élément explicatif de l’apprentissage et de
l’enseignement. Objet de l’expérimentation, seules certaines de ses
caractéristiques décontextualisées participent à rendre compte de
l’apprentissage ou de l’enseignement. Ou encore, il est prétexte, révélateur
d’éléments transversaux en jeu.
La dimension disciplinaire
Il s’agit de repérer les influences disciplinaires dominantes, mais surtout
d’identifier la part empruntée et reconstruite pour rendre compte de la conception de
l’apprentissage et de l’enseignement en sciences de l’éducation. L’apprentissage en
contexte, la cognition située, la pédagogie de projet ou coopérative, une démarche
socio-constructiviste ou une situation didactique sont des constructions originales et
gitimes des sciences de l’éducation qui répondent probablement à des fonctions et
des questionnements différents. Ce sont elles qui sont à appréhender dans leurs
fondements, dans leur modélisation théorique. Ceci amène toutefois à questionner le
rapport aux différentes disciplines et la part empruntée essentiellement à l’une
d’elles ou à plusieurs d’entre elles. Dans les conceptions sous-jacentes, quelles
influences et quels emprunts sont-ils repérables et à quelle(s) fin(s) sont-ils
réinvestis ?
Comme le montrent de multiples travaux, la psychologie a été l’un des terrains
privilégiés d’emprunts des sciences de l’éducation et tout particulièrement pour ce
qui concerne l’apprentissage et l’enseignement. Quel(s) modèle(s) ou quels éléments
des modèles de l’enseignement et de l’apprentissage ont-ils été empruntés ? A-t-on
puisé dans l’interactionisme logique piagétien (Piaget, 1936 ; 1937 ; Brun, 1996 ;
Bronckart, 1985) aujourd’hui souvent nommé constructivisme ou dans
l’interactionisme social, socio constructivisme pour certains, deux modèles qui
peuvent légitimement être considérés comme dominants aujourd’hui ?
Epistémologiquement, la cognition, l’apprentissage, est l’objet même de la
psychologie, car il s’agit de rendre compte des processus en jeu dans la construction
des connaissances : l’apprenant, le sujet dans ses rapports avec l’objet ou au
monde. Pour Piaget, le sujet, l’enfant épistémique, qu’il se trouve à l’école ou
ailleurs, reste un sujet-enfant qui se développe en interaction constante avec les
objets du monde extérieur. Il construit des instruments sémiotiques, des symboles
progressivement abstraits. Le développement, élément interne au sujet, précède et
permet l’apprentissage. Le moteur de cette construction est fondamentalement
cognitivo-logique. De ce point de vue, l’autre ou les autres ou la signification
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sociale de l’objet ne sont pas intégrés dans ce système explicatif puisque le
développement passe par une construction autonome du sujet en interaction avec le
monde. Léducation constitue-t-elle alors un élément neutre ? Le développement
relève-t-il d’un déterminisme naturaliste, sultat de l’apprentissage de notions
logico-mathématiques et scientifiques, secondairement de valeurs ? Dans cette
perspective, le pôle enseignement reste un élément neutre, en quelque sorte un point
aveugle, c’est le pôle apprentissage qui domine, en tant que processus endogène.
L’interactionisme logique a été réinterpré(Brun, 1996 ; Vergnaud, 1996 ; Saada-
Robert & Brun, 1996 ) donnant une place explicative aux conditions
d’expérimentation ou d’appropriation des savoirs (Grossen, Liengme Bessire &
Perret-Clermont, 1997).
Pour Vygotski (Schneuwly & Bronckart, 1985), le développement n’est pas le
produit de processus endogènes, mais consiste en une intégration d œuvres de la
culture (au sens de Meyerson (1948/1995)), le langage, les connaissances
conceptuelles et techniques, les savoirs disciplinaires, les arts). Une telle intégration
est possible à travers un processus d’appropriation dans des contextes
communicatifs, sous l’influence des autres et des outils culturels médiateurs des
œuvres de la culture. De ce point de vue, l’apprentissage précède le développement
par ingration d’outils sociaux culturels réorganisant fondamentalement les
fonctions psychiques. L’éducation, plus particulièrement l’éducation formelle et
scolaire, portant sur les connaissances conceptuelles, disciplinaires, c’est-à-dire
l’enseignement, occupe dès lors une fonction explicative dans le modèle. Elle permet
le développement du sujet-élève. Les pôles “ apprentissage ” et enseignement
sont convoqués, au me titre que l’objet. Selon les auteurs, l’interaction sociale
prend le dessus, la négociation intersubjective étant étudiée avec une indifférence à
de la spécificité de l’objet.
L’anthropologie et l’éthnométhodologie priorise l’apprenticeship mis en
contraste, voire en opposition avec le learning. Le learning réfère au monde scolaire,
aux savoirs décontextualisés, aux formes scolaires de transmission de connaissance
qui seraient passives. De ce point de vue, l’accent est porté sur l’activité, car c’est
dans l’activité même que les connaissances sont mobilisées, l’activité ne se
distinguant pas de la connaissance elle-même. L’expérience, le concret, la
composante personnelle et la matérialité des éléments constitutifs de l’activité
deviennent des éléments déterminants de l’apprentissage. Il se conçoit alors comme
une acculturation progressive de l’apprenant par ajustement et par adaptation à des
normes, à des valeurs, par modification des modalités de participation à l’activité.
L’apprenant devient un membre à part entière d’une communauté. Dans cette
approche, le pôle enseignement, en tant que système institutionnellement et
socialement investi de l’acculturation à des objets de savoirs définis de manière
externe à la classe tend à disparaître aux profits d’objets de régulation de l’activité,
de la régulation entre pairs, entre membre d’une communauté agissante. Cette
approche se référant à la connaissance située indique clairement que le contexte, la
situation dans laquelle l’activité est produite devient un facteur explicatif décisif de
l’apprentissage.
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Le colloque s'intéressera ainsi à divers éclairages disciplinaires, mais également à
leurs articulations et leurs intégrations dans de nouveaux cadres de référence, quand
ceux-ci sont proposés pour penser les situations et de manière plus générale les
conditions d'apprentissage (Jonnaert et Vander Borght, 1999, Fabre, 1999).
Les notions de situation et de contexte
Selon les approches et les positions épistémologiques, comment et avec quelles
fonctions les différents modèles convoqués rendent-ils compte du contexte ou de la
situation d’apprentissage ou d’enseignement, voire de développement ? En effet,
différentes approches ont systématiquement recours au concept de situation ”, mais
ce terme commun ou pseudo-commun pourrait masquer des fonctions théoriques
différentes, répondant à des questionnements propres. L’un des buts du colloque est
d’éclairer ces questionnements respectifs.
A ce titre, la fonction de la situation dans la cognition située
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relève, semble-t-il,
fondamentalement d’une nécessité d’explication scientifique de l’apprentissage qui
aille au-delà du sujet-apprenant en tant qu’individu. L’orientation des recherches sur
la construction des connaissances vers les aspects fonctionnels de cette construction
(et plus seulement structuraux) rencontre en effet un obstacle de taille : on ne peut
plus tout expliquer en termes de processus endogènes au sujet, comme le faisaient
par exemple les études de psychologie génétique jusque dans les années 1970.
Notamment les études microgénétiques, qui se sont intéressées aux mécanismes de
modification des connaissances des sujets, ont fait appel à une explication prenant en
compte des éléments externes : la situation en tant que cadre ou contexte de la
cognition du sujet. En 1902 déjà, Dewey affirmait : all activity takes place in a
medium, a situation, and with reference to its conditions (1902/1990, pp. 208-209).
A la suite de Dewey, les approches de cognition située s’intéressent au sujet
apprenant, en contexte, en tant que constructeur de ses connaissances (voir en
particulier Allal, 2001 ; Allal et al, 2001). La situation est alors pensée dans un
rapport interactif avec le sujet. L’étude des interactions sujet-situation permet ainsi
de sortir de l’impasse d’un constructivisme radical mais aussi de relier apprentissage
et développement, dans la mesure où ce sont les mécanismes de cette construction
qui sont étudiés (Saada-Robert & Brun, 1996).
Si dans un certain nombre de travaux de la cognition située, le mouvement
explicatif va de l’interne (du sujet) vers l’externe (la situation), le concept de
situation, propre également aux approches didactiques, procèdent, semble-t-il, d’un
mouvement inverse : de l’extérieur vers les sujets-apprenants. En effet, les approches
didactiques sont marquées par une attention prioritaire à la situation (voir en
particulier Brousseau, 1998) pensée, dans le cadre des thodes d’ingénierie,
comme l’ensemble des conditions à unir pour qu’un apprentissage spécifique soit
possible. Les approches par "enseignement stratégique" (Tardif, 1992) ont également
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Cognition située ”, “ apprentissage en situation ( situated learning ”) ou apprentissage en contexte (Allal,
2000) recouvrent plusieurs acceptions (Baeriswyl & Thévenaz, 2001) qui rendent compte à des degrés divers et selon
des accents différents, du rapport entre l’individu ou le groupe apprenant, les partenaires sociaux et les contenus
d’apprentissage.
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