Un regain démocratique à suivre Pierre Zémor, ancien président de la Commission Nationale du Débat Public, membre de la Commission des sondages, publie, en conversations avec Patricia Martin, "Le défi de gouverner communication comprise" (L'Harmattan- Radio France) La communication est partie intégrante de la politique. D’abord, une démocratie n’est réellement représentative que par l’échange des idées et le débat public. Ensuite, gouverner avec l’opinion, c’est-à-dire en préservant la qualité du lien social, implique de partager l’information tout au long des processus de décisions et dans la conduite des politiques publiques. Enfin, les discours et les symboles parlent vrai aux citoyens tant qu’ils ne sont pas dissociés des actes ou pire viennent les contredire. A ne pas être menée communication comprise, l’action publique s’exonère des exigences de la parole authentique, qu’a su pratiquer, même brièvement, un Pierre Mendès France. Elle se dévoie dans les facilités de l’affichage ou des raccourcis médiatiques. Plutôt que d’inclure l’explication et l’écoute, de rendre compte et de dialoguer, l’exercice du pouvoir se satisfait trop d’effets d’annonces et s’inspire de la promotion publicitaire des promesses électorales de la conquête du pouvoir. Ces dérives des communications politiciennes, la com’ spectacle, brocardée mais fascinante, ont largement contribué au désintérêt pour la chose publique, ainsi qu’au rejet, moins apparent mais profond, des complices de cette démocratie au rabais, quelque peu fast food, que l’on dit d’opinion. Le délabrement du lien civique était tel qu’en avril 2002 les messages des partis de gouvernement, les énoncés des mesures attendues par le pays, comme les projets de réforme, s’avéraient inaudibles. En mai 2005, on a pu mesurer les conséquences d’avoir négligé durant des années de rendre compte de la délicate construction européenne. Après le silence accompagnant les travaux de la Convention chargée d’élaborer un traité, sa tardive exégèse s’est avéré un mode de communication méprisant pour nos concitoyens, en tous cas impuissant à les convaincre des intérêts en jeu. Aussi, la toute première des questions, qui se posait fin 2006 aux candidats à l’élection présidentielle et qu’on va, à un moindre degré, réitérer à l’occasion des législatives, porte sur l’aptitude des politiques à restaurer des relations de confiance avec les gens. La communication entre la politique et les citoyens peut-elle peu à peu se rétablir? Avec les records de participation aux scrutins, y compris du second tour en dépit des pronostics des politologues, avec des assistances nombreuses à des réunions locales depuis l’automne 2006, avec le foisonnement passionné des sites web consultés et des forums d’échange ou des blogs, avec des succès inattendus du livre politique et les tirages accrus de la presse écrite, avec les grandes affluences aux meetings de la campagne et simultanément des émissions politiques télévisées retrouvées et multipliées, dont les audiences ont culminé pour suivre, en famille, avec des amis, dans des cafés ou des salles ouvertes au public, le débat de deux heures quarante de l’entre deux tours… la démocratie revient de loin Les manifestations de vif intérêt pour cette campagne ont contredit, tant les hypothèses hâtives de dépolitisation, que les allégations d’un Jacques Séguéla ou d’un Thierry Saussez annonçant un recul de la démocratie dû à l’interdiction de la publicité commerciale en période électorale… La démocratie a paru mieux communicante. Se rapprochant des pays nordiques, où une meilleure implication dans la vie de la collectivité conduit les citoyens vers les urnes, nos concitoyens s’émancipent de l’héritage régalien d’une information transcendante, descendante et condescendante, octroyée par les pouvoirs, mais aussi, par mimétisme, pratiquée par les médias. La démocratie requiert une communication d’échange qui reconnaisse le citoyen comme un récepteur actif et accorde une place naturelle au débat contradictoire, qu’on sait essentiel à la recherche des vérités. Mettre en commun les données d’un dossier, dire les difficultés d’une décision ou les enjeux d’un choix élève le niveau du débat public. A Ségolène Royal revient le mérite d’avoir emprunté cette voie dite participative, qui s’ouvre nécessairement par la prise en considération des gens préoccupés de leurs difficultés quotidiennes et inquiets de l’avenir de leurs enfants. Cette volonté de rénover les modes de la communication politique, en réduisant la place de la propagande au bénéfice de l’écoute de la société et du dialogue avec les gens, a paru sincère, sauf aux cyniques et aux politiciens blasés. Une journaliste, à la fois sérieuse et captivée par les analyses people des coulisses politiciennes, a qualifié cette démarche “ d’infra politique ”. Ce dédain du dialogue avec le peuple ignore l’article 4 de notre Constitution qui dispose : “ Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ”. Un candidat a pour tâche de structurer des opinions dans une masse latente de points de vue, à la manière d’un aimant dont la présence crée un champ magnétique et oriente, selon des lignes de force, les parcelles éparpillées de limaille de fer. Par son prisme déformant, la démocratie d’opinion tend à confondre les deux directions opposées de la communication, la pédagogie et la démagogie. Elle tend à bousculer la vulnérabilité de la première, qui demande du temps, de la relation, de l’écoute, de la discussion. Elle favorise plutôt l’information réductrice et la propagande univoque de la seconde. Elle anoblit la com’. Deux mots encore en ce qui concerne la forme. Tout en profitant de l’incitation de Ségolène Royal au débat public, Nicolas Sarkozy, avec un naturel confinant à l’authenticité, a usé d’un langage direct, en prenant souvent le risque d’une langue crue. Il serait imprudent de juger artificiel ce style de rupture, déjà confirmé dans l’exercice du pouvoir. Ce discours symbolique est, pour l’instant, le fidèle reflet de l’action immédiate du Président de la République. Et quant au contenu, on ne peut se référer à ces pseudo marketings, qui se glorifient a posteriori de n’importe quel résultat. Ils ignorent les mécanismes des arbitrages collectifs entre l’offre des partis politiques et la demande des citoyens. La co-production du politique se fait dans les débats d’une campagne, quand elle parvient à régénérer la démocratie. Cela a peu à voir avec la promotion de produits bien référencés sur les rayons d’un magasin. Les compromis réussis, tant de la part de François Mitterrand que de Nicolas Sarkozy, ont été les fruits portés à maturité de longues démarches, qu’il serait bien superficiel de réduire au lancement d’une marque à l’occasion d’une campagne présidentielle. Chacun a unifié, l’un la gauche, puis l’autre la droite, autour de systèmes respectifs de valeurs, en donnant du sens et en indiquant clairement un cap. Cette lente élaboration du contenu, qui confère la présomption de cohérence, a manqué à la communication de Ségolène Royal. La séduction de la forme n’a pas embrayé sur la conviction du fond. Faute de message stratégique actualisé, à gauche ou au centre, on n’a pas pu parler vrai. Si elle s’est avérée capable de faire évoluer des mœurs de communication politique, Ségolène Royal n’a eu, ni le temps, ni les moyens d’obtenir le soutien de son parti vers une social-démocratie moderne et pas seulement nostalgique. Dans une précipitation, trop improvisée pour être convaincante, elle a tendu une main vers François Bayrou, dont la propre construction cherchait ses fondations. Elle n’a pas préparé sa troisième gauche, quelque peu effervescente, à converger, assez naturellement, avec cette deuxième gauche, qui avait été stoppée sur le chemin social démocrate et surtout sur la voie de réconcilier la classe politique avec la société civile. Des analyses rapides, menées à l’aune du zapping médiatique, négligent le sérieux, et l’intérêt intime du citoyen pour n’y voir que des pulsions de consommateur ou des versatilités d’intentions de vote. Celles-ci sont fictives car mesurées au mauvais moment. Quels tours joue aux sondeurs l’inconscient d’une personne appelée dans l’immédiat à se projeter vers un acte d’intérêt civique, en principe secret et éloigné de ses préoccupations personnelles actuelles. Dans l’année qui précède, en 1994 sur Balladur et Chirac ou sur Delors, fin 2001 sur Chevènement, les sondeurs recueillent des réponses qui vagabondent à coté des questions. Ils mesurent d’abord des préférences de candidatures, sans engagement quant à un scrutin lointain. On n’enregistre pas des commandes d’achat en faisant visiter le laboratoire de recherche et développement d’une entreprise… Dans la phase suivante, de mi-janvier à mi-mars 2007, on a ouvert le catalogue des offres politiques annoncées, mais encore dans les ateliers de finition. Dans un monde complexe et sauvage, la métaphore du marketing nous invite à des facilités simplistes, encouragées par les formes réductrices de la médiatisation, qui généralement profitent aux extrêmes. Car il est ardu de pratiquer l’explication et le dialogue, dans les registres mendésien de vérité ou rocardien de "dire la complexité des choses et faire appel à la lucidité des gens". Nicolas Sarkozy, depuis janvier sur le modèle "superman", a fait un autre pari : les Français, même profondément déçus et méfiants des promesses, attendent encore du pouvoir politique qu’il roule pour eux. Sans la patience de consulter, le candidat s’est très vite inscrit dans la tradition d’une communication à écoute réduite et à information forte, qui marche surtout dans les dernières lignes droites. Il a ignoré les envies du sur mesure pour imposer le prêt à porter. Il a ainsi fait apparaître que Ségolène Royal ne pouvait pas disposer du temps suffisant pour élaborer des réponses aux espoirs de la société civile vers une meilleure construction de l’intelligence politique collective. Elle s’est essayée à contourner les obstacles des idées reçues politiciennes. Elle a trouvé peu de soutiens, autres que maladroits, pour rétablir la confiance avec le peuple de gauche, dont les contours et les valeurs échappaient de plus en plus aux politologues. Elle a peu convaincu les médias, mal disposés à sortir du monopole d’animer le débat public et par conséquent à rendre compte des liens participatifs qu’elle s’efforçait de nouer avec les citoyens. A son corps défendant, elle avait poussé son parti, conjointement avec les médias, à plus de transparence dans la mise au point de ses propositions. Menée sur la place publique, la désignation de sa candidate par le PS a été l’occasion de confrontations d’idées, qui n’ont été ennuyeuses que pour quelques initiés et pour les amateurs frustrés de pugilats. Dans la phase des cinq dernières semaines de la campagne, lorsque les candidats, retenus et disposant de temps de parole réputés égaux, sont officiellement en vitrine, les électeurs, en situation de se prononcer, sortent progressivement d’hésitations bien naturelles. On peut parler de véritables intentions de vote. Pour la compréhension des mouvements d’opinions, un parler vrai des médias sur les sondages, mériterait plus de pédagogie et d’humilité du commentaire sur ces "instantanés photographiques" flous qu’il convient de retoucher. Le flot abondant des prédictions de scores caricature la compétition et ne respecte, ni les arguments encore à venir des candidats, ni la réflexion qui mûrit chez chaque électeur. On en vient alors aux figures électorales imposées et à la publicité comparative entre des systèmes de valeurs et des grandes orientations qui relèvent de la présidence de la République, avec des postures et styles qu’il n’est plus temps de modifier. Face à l’assurance prudente émanant de son futur vainqueur, la candidate socialiste a poursuivi avec bravoure… sa démonstration pour concilier efficacité, solidarité et vaincre la défiance des citoyens. La bonne qualité de la relation établie dans la campagne de Ségolène Royal appelait a fortiori une authenticité du fond, donc la crédibilité d’un projet. La communication ne peux se satisfaire de modalités de forme qui ignore le fond. Ces huit derniers mois ont montré qu’associer les citoyens conduisait à amender la communication et les comportements politiques. La presse écrite comme numérique et les médias audiovisuels ont fait de très louables efforts pour rendre compte de toutes les formes du débat public ou pour en renouveler la qualité. Les journalistes savent d’ailleurs que, placés dans le même bateau, ils ne peuvent que profiter d’une réconciliation des gens avec la politique. Ces évolutions seront-elles durables ou éphémères? Le prochain épisode des législatives et les premiers pas du gouvernement seront décisifs pour que les quelques progrès enregistrés ne soient pas vite ternis par les démons des jeux politiciens. Les nouveaux élus auront-ils à cœur de modifier l’usage des institutions pour que la politique, trop professionnalisée et repliée sur elle-même, soit plus ouverte à la société civile, qu’elle parle autrement avec les citoyens et les fasse plus participer ?