Ce dédain du dialogue avec le peuple ignore l’article 4 de notre Constitution qui
dispose : “ Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ”. Un
candidat a pour tâche de structurer des opinions dans une masse latente de points de vue, à la manière
d’un aimant dont la présence crée un champ magnétique et oriente, selon des lignes de force, les
parcelles éparpillées de limaille de fer. Par son prisme déformant, la démocratie d’opinion tend à
confondre les deux directions opposées de la communication, la pédagogie et la démagogie. Elle
tend à bousculer la vulnérabilité de la première, qui demande du temps, de la relation, de l’écoute, de
la discussion. Elle favorise plutôt l’information réductrice et la propagande univoque de la seconde.
Elle anoblit la com’.
Deux mots encore en ce qui concerne la forme. Tout en profitant de l’incitation de Ségolène
Royal au débat public, Nicolas Sarkozy, avec un naturel confinant à l’authenticité, a usé d’un
langage direct, en prenant souvent le risque d’une langue crue. Il serait imprudent de juger artificiel
ce style de rupture, déjà confirmé dans l’exercice du pouvoir. Ce discours symbolique est, pour
l’instant, le fidèle reflet de l’action immédiate du Président de la République.
Et quant au contenu, on ne peut se référer à ces pseudo marketings, qui se glorifient a
posteriori de n’importe quel résultat. Ils ignorent les mécanismes des arbitrages collectifs entre
l’offre des partis politiques et la demande des citoyens. La co-production du politique se fait dans les
débats d’une campagne, quand elle parvient à régénérer la démocratie. Cela a peu à voir avec la
promotion de produits bien référencés sur les rayons d’un magasin. Les compromis réussis, tant de la
part de François Mitterrand que de Nicolas Sarkozy, ont été les fruits portés à maturité de longues
démarches, qu’il serait bien superficiel de réduire au lancement d’une marque à l’occasion d’une
campagne présidentielle. Chacun a unifié, l’un la gauche, puis l’autre la droite, autour de systèmes
respectifs de valeurs, en donnant du sens et en indiquant clairement un cap.
Cette lente élaboration du contenu, qui confère la présomption de cohérence, a manqué à la
communication de Ségolène Royal. La séduction de la forme n’a pas embrayé sur la conviction du
fond. Faute de message stratégique actualisé, à gauche ou au centre, on n’a pas pu parler vrai. Si elle
s’est avérée capable de faire évoluer des mœurs de communication politique, Ségolène Royal n’a
eu, ni le temps, ni les moyens d’obtenir le soutien de son parti vers une social-démocratie moderne et
pas seulement nostalgique. Dans une précipitation, trop improvisée pour être convaincante, elle a
tendu une main vers François Bayrou, dont la propre construction cherchait ses fondations. Elle n’a
pas préparé sa troisième gauche, quelque peu effervescente, à converger, assez naturellement, avec
cette deuxième gauche, qui avait été stoppée sur le chemin social démocrate et surtout sur la voie de
réconcilier la classe politique avec la société civile.
Des analyses rapides, menées à l’aune du zapping médiatique, négligent le sérieux, et
l’intérêt intime du citoyen pour n’y voir que des pulsions de consommateur ou des versatilités
d’intentions de vote. Celles-ci sont fictives car mesurées au mauvais moment. Quels tours joue aux
sondeurs l’inconscient d’une personne appelée dans l’immédiat à se projeter vers un acte d’intérêt
civique, en principe secret et éloigné de ses préoccupations personnelles actuelles. Dans l’année qui
précède, en 1994 sur Balladur et Chirac ou sur Delors, fin 2001 sur Chevènement, les sondeurs
recueillent des réponses qui vagabondent à coté des questions. Ils mesurent d’abord des préférences
de candidatures, sans engagement quant à un scrutin lointain. On n’enregistre pas des commandes
d’achat en faisant visiter le laboratoire de recherche et développement d’une entreprise…
Dans la phase suivante, de mi-janvier à mi-mars 2007, on a ouvert le catalogue des offres
politiques annoncées, mais encore dans les ateliers de finition. Dans un monde complexe et sauvage,
la métaphore du marketing nous invite à des facilités simplistes, encouragées par les formes
réductrices de la médiatisation, qui généralement profitent aux extrêmes. Car il est ardu de pratiquer
l’explication et le dialogue, dans les registres mendésien de vérité ou rocardien de "dire la
complexité des choses et faire appel à la lucidité des gens".
Nicolas Sarkozy, depuis janvier sur le modèle "superman", a fait un autre pari : les Français,
même profondément déçus et méfiants des promesses, attendent encore du pouvoir politique qu’il
roule pour eux. Sans la patience de consulter, le candidat s’est très vite inscrit dans la tradition d’une
communication à écoute réduite et à information forte, qui marche surtout dans les dernières lignes
droites. Il a ignoré les envies du sur mesure pour imposer le prêt à porter.
Il a ainsi fait apparaître que Ségolène Royal ne pouvait pas disposer du temps suffisant pour
élaborer des réponses aux espoirs de la société civile vers une meilleure construction de
l’intelligence politique collective. Elle s’est essayée à contourner les obstacles des idées reçues