P. 4/32
CRISE REVOLUTIONNAIRE EN GUINEE
Un peuple entier en grève générale illimitée, des centaines de milliers de manifestants, 59 morts et des centaines de blessés sous
le feu de la répression, un pays au bord de l’insurrection, un pouvoir qui cède (en apparence)…
Non, ce n’est pas en Amérique du Sud, mais en Afrique ; ce n’est ni en Bolivie ni au Mexique : en Guinée.
C’était du 10 au 29 janvier. La presse l’a pratiquement ignoré (trois courts articles dans Le Monde), la radio complètement (sauf
Radio France International).
Pourtant la Guinée ne manque pas d’intérêt journalistique. Epargné par les conflits qui ont ravagé ses voisins (Libéria, Sierra
Léone), c’est le pays le plus corrompu d’Afrique occidentale, sa population est l’une des plus pauvres du continent et son
Président, l’un des satrapes les plus cyniques qu’il ait produit. Mais son prolétariat semble aussi actuellement l’un des plus
combatifs et organisés. Ceci explique peut-être cela.
QU’EST-CE QUE LA GUINEE ?
Aujourd’hui c’est le premier exportateur de bauxite, avec deux
tiers de la production mondiale, un tiers de ses réserves, et un
sous-sol également riche en diamants, or, fer et uranium. Sa
richesse par habitant dépasse celle des deux pays les plus
industrialisés d’Afrique de l’Ouest, le Nigeria et la Côte
d’Ivoire. Avec vingt-deux fleuves, dont le Niger et le Sénégal,
elle pourrait être le château d’eau du sous-continent et le
fournir en électricité.
En 1958, c’était le pays de Sékou Touré, le seul de “ l’Empire
français ” à avoir dit Non à “ l’Union française ” de De Gaulle
et choisi l’indépendance.
Avant cette date, la colonisation intéressée par ses ressources
minières avait porté la Guinée à la pointe de la modernisation,
avec des investissements massifs dans l’éducation, la santé, la
formation, dont par exemple, l’un des tout premiers grands
hôpitaux d’Afrique.
A partir de la rupture et de l’isolement entretenu par
l’ex-métropole, Sékou Touré, formé à l’école du “ socialisme ”
stalinien, “ dans un seul pays ”, a imposé à celui-ci, grand
comme la moitié de la France, un marasme économique qui l’a
conduit à l’agonie, sous un régime de dictature bureaucratique
impitoyable.
Le régime politique
A la mort de Sékou Touré, en 1984, Lansana Conté, un ancien
sergent formé dans l’armée coloniale, s’adjuge le pouvoir
après élimination de ses rivaux. Formellement, le régime
politique est une démocratie présidentielle. L’actuel “ mandat ”
du général-président, “ réélu ” à coup de trucages depuis
23 ans, s’achève en 2010. Les partis “ d’opposition ” sont
tolérés (il y en a 14 !) mais Lansana Conté est “ seul
responsable devant le peuple ”, et seul détenteur du pouvoir,
“ donné par Dieu ”.
Il s’appuie sur la corruption, les clans familiaux (qui se livrent
une guerre sans merci pour obtenir l’appui de l’une de ses trois
femmes), les rivalités ethniques qu’il attise (par exemple, entre
malinkés et soussous). Tout “ ministre ” qui tente d’assainir la
gestion est immédiatement démis manu militari. L’un d’eux a
attendu d’être en mission à Londres pour démissionner. Un
autre, pas plus tard que le 18 janvier, ne dût son salut qu’à la
fuite devant l’invasion de son bureau par les “ bérets rouges ”.
A ceux qui invoquent la justice, il répond, comme Ubu-roi :
“ La justice, c’est moi ” et traite la Banque centrale comme
son porte-monnaie.
L’armée est évidemment son plus solide appui. Elle participe,
inégalement mais à tous les niveaux, des privilèges de la caste
dirigeante et des cliques qui l’entourent. On se doute que sous
un tel régime, l’économie ne peut être qu’une économie de
pillage.
Une économie de pillage
Pillage par les compagnies internationales, en premier lieu
celles de l’aluminium, qui exploitent la bauxite et les autres
ressources avec le concours juteux d’une oligarchie constituée
à partir du pouvoir, et par une politique de privatisations qui a
touché, depuis une quinzaine d’années non seulement les
mines mais les banques, les télécommunications,
l’enseignement, et dont une mission du FMI demandait
en 2004 l’accélération. Pillage des ressources agricoles pour
l’exportation alors que les terres, fertiles, pourraient nourrir la
population.
Pillage par les prébendes sur les importations aux frontières,
pour les produits essentiels : carburants, riz et autres denrées
vitales, et via les trafics d’armes à destination des pays voisins,
Liberia, Sierra Leone et Côte d’Ivoire.
Le Monde du 17 janvier présentait un portrait significatif d’un
de ces prédateurs, Mamadou Sylla, “ patron d’un holding actif
dans l’import-export ”, dont la libération par le Président a été
à l’origine de la grève :
“ L’immeuble où il réside à Conakry compte cinq
étages : le rez-de-chaussée pour les invités et
courtisans ; un étage pour chacune de ses trois
femmes ; enfin le dernier pour lui seul. ” Après avoir
financé “ la campagne du référendum qui allait
permettre au président de se succéder à lui-même (…),
il a remporté un nombre incalculable de marchés
publics, sans appel d’offres ou sans avoir fait la
meilleure offre. ”
Pendant ce temps le salaire mensuel d’un fonctionnaire (20 €)
lui permet d’acheter un sac de riz, pour nourrir sa famille
pendant deux semaines…ou de payer le transport à son lieu de
travail. Avec une inflation à 40 % l’an, un litre d’essence coûte
près d’1 € et il vaut mieux acheter le matin, le prix d’une
denrée pouvant doubler dans la journée. Toutes les
infrastructures, routes, eau, électricité, téléphone, sont à