le fait qu’il travaille le samedi. Il n’y a aucun lien de nécessité entre A et B, du moins dans ce que
réclame l’assertion formulée. Dès lors, je puis penser A sans penser B, et vice versa. Nous dirons
que, dans l’assertion, l’opérateur “et” est un opérateur dissociatif
, car A et B sont assertés
séparément et ne sont liés que par l’assertion. Le “et” doit donc porter sur des éléments dissociés.
Sans doute pouvons-nous aller jusqu’à dire que “et” est le signe de la dissociation. Qu’en
grammaire il porte le nom de “conjonction” ne doit pas nous surprendre, dans la mesure où,
précisément, “et” conjoint des éléments dissociés. La conception du “et” doit donc intégrer ces
deux possibilités, dont l’une réfère à des conditions portant sur les propositions et l’autre au
résultat de l’opération sur ces propositions.
En résumé, “et” conjoint des éléments dissociés. L’usage métaphorique du “et” portera
principalement sur le fait d’amener à considérer comme dissociés des éléments qui ne le sont pas.
Si je puis dire “cette robe est rouge et colorée”, c’est bien parce que je désire exprimer comme
devant être dissociés les deux rhèmes “est rouge” et “est colorée”, alors même qu’une chose ne
peut être rouge sans être colorée.
2 — “A pas sans B” ou “Si A alors B”. Là, je ne puis considérer un état des choses où A se
réalise sans que, ipso facto, B se réalise aussi. Par contre, je puis considérer un état des choses où
B se réalise sans que, pour cela, A se réalise : que quelqu’un travaille le dimanche n’impose pas,
dans l’assertion formulée, qu’il travaille aussi le samedi. Par contre, s’il travaille le samedi alors,
à coup sûr, il travaille aussi le dimanche. Nous dirons ici que l’opérateur “pas sans” est un
opérateur préscissif, c’est-à-dire que l’on peut préscinder B de A, mais non préscinder A de B.
Cet opérateur porte sur des propositions A et B hiérarchisées dans la chaîne assertive qui les lie.
Les notions de “dissociation”, “préscission “et “discrimination” que nous utilisons ici sont tirées en droite ligne de
ces remarques de Peirce :
Pour comprendre la logique, il faut avoir la notion la plus claire possible de ces trois catégories [Priméité, secondéité,
tiercéité] et affiner sa capacité à les reconnaître dans les différentes conceptions auxquelles la logique a à faire. Bien
qu’elles soient toutes trois ubiquistes, on peut y opérer toutefois certains types de séparation. Il y a trois types
distincts de séparation dans la pensée. Elles correspondent aux trois catégories. La séparation de Priméité, ou
séparation primale, appelée Dissociation, consiste dans le fait d’imaginer l’un des deux “séparands” sans l’autre. Elle
peut être complète ou incomplète. La séparation de Secondéité, ou séparation secondale, appelée Préscission,
consiste dans le fait de supposer un état de choses dans lequel l’un des éléments est présent sans l’autre, l’un étant
logiquement possible sans l’autre. Ainsi, nous ne pouvons imaginer un qualité des sens sans quelque degré de
vivacité. Mais nous supposons usuellement que la rougéité, telle qu’elle est dans les choses rouges, n’a pas de
vivacité ; et il serait sans doute impossible de démontrer que tout ce qui est rouge doit avoir un degré de vivacité. La
séparation de Tiercéité, ou séparation tertiale, appelée discrimination, consiste dans la représentation de l’un des deux
séparands celle de l’autre. Si A peut être préscindé de, c’est-à-dire supposé sans, B, alors, B peut, au moins, être
discriminé de A. (Syllabus 1903, trad. M.B.)