Cours stratification sociale/ Fabrice Plomb
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SU P P O R T D E CO U R S
S T R A T I F I C A T I O N S O C I A LE
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Cours stratification sociale/ Fabrice Plomb
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LE S O R I G I N E S D E L A S T R A T I F I C A T I O N S O C I A L E
MA R X & WE B E R
Sciences sociales et historicité
L’analyse des divisions sociales, est redevable des premiers auteurs qui ont créé des concepts pour
rendre compte de ce qu’ils observaient à leur époque. Ces concepts offrent des manières de lire les
différences sociales qui sont toujours valables aujourd’hui même si d’autres dimensions sont également
à prendre en compte dans les sociétés actuelles du fait qu’elles ne sont plus les mêmes qu’il y a 150 ans.
Marx (1813-1883) et Weber (1864-1920) que nous allons aborder ne sont pas tout à fait contemporains
mais tous deux essayent de trouver des clefs de compréhension des divisions sociales qu’ils observent.
Tous deux ont à comprendre le changement considérable qui est en œuvre : le passage d’une société
d’ordres à une société moderne caractérisée par l’autonomisation croissante de l’économie. C’est un défi
de penser ces changements et d’essayer de comprendre les nouvelles divisions sociales qui se donnent à
voir. Les concepts qu’ils forgent disent sur quoi s’appuient les différences et les divisions internes à la
société. Autrement dit, quels sont les éléments objectifs qui font des relations entre les groupes sociaux
des relations de domination et qui rendent les chances des individus face à la vie inégales. Je rappelle
donc qu’en faisant l’analyse de la stratification sociale, nous faisons deux choses :
Essayer de comprendre les logiques sociales qui font qu’il y a des groupes différents dans la
société, essayer de rendre compte de ces groupes sociaux, de la logique des divisions
Et la deuxième chose, comprendre pourquoi ces divisions donnent lieu à des inégalités face à la vie
en général.
Ce qui est nouveau dans la pensée de ces deux auteurs, c’est qu’ils peuvent penser la société comme
étant faite par l’homme. Elle n’est plus une donnée naturelle où la place de chacun dans la société aurait
sa justification religieuse. Ce sont les êtres humains qui font l’histoire, donc ils peuvent également en
changer le cours. La société, avec les révolutions, ne se présente plus comme un ordre naturel ou divin.
Les inégalités de droit (l’aristocratie, etc.) fondées et légitimées par un ordre politique établi
disparaissent ou sont remises en question. D’une part donc les inégalités deviennent inacceptables dans
une société qui affirme l’égalité de tous politiquement. D’autre part, on peut mettre en évidence le
caractère historique, changeant des sociétés et essayer ainsi de comprendre la dynamique des
changements.
Marx (1813-1883)
Marx développe sa pensée dans un contexte il peut voir à la fois des groupes sociaux qui sont des
survivances du passé les propriétaires terriens qui vivent de leurs rentes, les paysans, les artisans en
corporations et des groupes sociaux relativement nouveaux : les entrepreneurs capitalistes, tout un
ensemble de travailleurs paupérisés et tout en bas, un ensemble composé de vagabonds, mendiants,
délinquants, etc. Il a à faire à un tableau assez complexe qu’il est difficile de comprendre et de classifier
à partir de critères uniques.
On peut diviser l’approche de Marx en deux axes :
1. le premier axe est celui où il essaye de faire une sorte de sociologie des groupes sociaux
en recensant ceux-ci et en essayant de comprendre leurs fondements.
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2. le deuxième axe ou moment de son analyse est celui où il tranche dans la réalité observée
pour désigner les groupes sociaux qu’il perçoit comme pouvant devenir des sujets
historiques et changer ou abolir les inégalités : la lutte des classes entre prolétariat et
bourgeois. Il croit en la capacité du prolétariat d’abolir la société de classes.
Nous allons entrer dans les propositions de Marx en essayant de comprendre l’articulation de ces deux
axes.
Les classes sociales ou l’origine économique des divisions sociales
Le concept de classe est certainement l’héritage le plus important que la sociologie doit à Marx. Même si
ce n’est pas lui qui l’a inventé, le sens qu’il donne à ce concept est très particulier et c’est ce sens-
qu’on continue de mobiliser aujourd’hui pour rendre compte des inégalités économiques existantes.
L’idée de classe chez Marx lui sert donc à montrer que de nouvelles inégalités existent dans la société
qu’il observe et qui sont propres aux rapports qui s’établissent dans le processus de production entre les
capitalistes et les travailleurs. La classe est donc un rapport, une notion relationnelle. Les classes
n’existent pas en tant que telles mais dans les rapports qu’entretiennent des groupes sociaux
particuliers : les rapports de production.
Qu’est-ce que cela signifie ? Marx voir poindre dans la société une économie qui prend de plus en plus
d’ampleur et qui voit s’opposer ceux qui ont la propriété des moyens de production et ceux qui n’ont pas
cette propriété. Les moyens de production correspondent aux locaux, usines, machines, etc. dans
lesquels investissent les capitalistes afin de produire quelque chose pour en tirer un profit. Pour Marx, la
détention (vs non détention) des moyens de production est le critère déterminant dans la définition des
positions de chacun dans la division du travail. Les ouvriers ne peuvent offrir que leur force de travail et
se soumettre aux décisions de ceux qui détiennent le capital : ils ont accès aux biens nécessaires à leur
(sur)vie en se soumettant. En revanche, les propriétaires n’ont pas besoin de leur travail pour s’assurer
une vie décente, il leur suffit d’exploiter le travail des ouvriers en investissant leur capital dans
l’organisation rationnelle de la production.
Marx affirme donc le rôle essentiel des relations économiques et de la position des individus dans les
rapports de production dans l’élaboration des différences sociales et des inégalités. L’apparition des
classes est donc liée au développement du capitalisme, c’est-à-dire d’un mode de production orienté sur
le calcul, la prévision et le profit. En investissant leur capital, les entrepreneurs capitalistes entendent
multiplier dans un futur organisé leur mise de départ. Mais si ces propriétaires des moyens de production
ont un avantage certain, en quoi consiste exactement l’exploitation du prolétariat.
Pour Marx, l’exploitation est l’appropriation par les capitalistes de la plus-value. Ce qu’il appelle la
plus-value est la différence entre le salaire payé aux ouvriers et le profit réalisé. Marx nous dit que le
salaire versé aux ouvriers correspond au minimum nécessaire à la reproduction de leur famille, à leur
maintien physique et moral. En revanche, les produits sont vendus au prix du travail effectué par les
ouvriers, au prix de la force de travail qu’ils ont investi pour créer les marchandises. Les capitalistes
usent de références différentes pour le prix du travail des ouvriers et celui du produit vendu. Il exploite
donc la force de travail des ouvriers en les payant selon un minimum vital et s’approprie la plus-value, la
valeur-travail des marchandises.
En fin de compte, les classes sociales sont des collectivités qui occupent des positions semblables dans
cette division du travail et qui ont des intérêts communs.
La vision de l’histoire
Marx explique le changement et l’émergence de la société de classe en opposant la société féodale
pré-moderne et la société capitaliste moderne. Le passage de l’une à l’autre est le fait de la montée de la
bourgeoisie. Au cours du XVIIIème siècle, des marchands sont devenus des capitalistes en investissant
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leur capital accumulé dans le but de faire du profit au travers des mécanismes de marché (produire plus
à meilleur marché). Cette bourgeoisie nouvelle, en s’enrichissant va s’affranchir des contraintes de la
société féodale, organisée hiérarchiquement autour de l’aristocratie. Elle remet ainsi en question l’ordre
politique et religieux qui justifiait jusque-là les inégalités entre groupes sociaux et va petit à petit
imposer comme seul critère de différenciation l’exploitation brute et nue à travers le calcul et l’égoïsme.
Marx fait de l’émergence de la bourgeoisie le moteur d’une loi historique implacable, celle de la
bipolarisation inéluctable de la société entre deux classes : le prolétariat et la bourgeoisie. Certes,
l’auteur reconnaît-il l’existence d’autres groupes sociaux, mais pour lui, ils sont destinés à se fondre
dans cette opposition fondamentale. Ainsi en est-il des petits artisans et commerçants qui n’ont pas assez
de capital pour rivaliser avec les entrepreneurs capitalistes et vont sombrer dans le prolétariat. Ils sont
dans une position contradictoire qui à n’est pas tenable à moyen terme. Il en est de même de classes
secondaires comme les paysans ou les propriétaires terriens qui sont des survivances de la société
féodale. Les paysans n’auront d’autre choix que de s’intégrer aux rapports de production dominants.
Quant aux propriétaires terriens, leur pouvoir va s’amenuiser face au profit généré par les capitalistes.
Si la bourgeoisie est à l’origine de l’écroulement des inégalités propres à la société féodale, Marx voit
dans le prolétariat le sujet historique à même de changer la société dans son ensemble. C’est pour lui la
seule classe susceptible de mobiliser les milieux populaires autour d’une action révolutionnaire destinée
à abolir la société de classe. Il voit en elle une sorte de classe universelle, qui concentre tous les défauts
de la société et qui cumule dénuement complet, conditions de vie précaires et une situation de
domination à tous les niveaux. En d’autres termes, en luttant pour se libérer, elle sera en mesure de
libérer toutes les classes et d’abolir les divisions dans la société.
Classe en soi et classe pour soi
Si le prolétariat est l’acteur rêvé du changement, rien ne permet qu’il forme un groupe qui a conscience
d’exister et qui est susceptible de se mobiliser. Comment les classes sociales s’organisent-elles et se
mobilisent-elles ? Pour rendre compte des moyens de mobilisation collective d’un groupe social donné,
Marx utilise une distinction conceptuelle qui aujourd’hui encore fondamentale pour penser le
changement social.
Ainsi la classe en soi est un agrégat d’individus qui partagent de fait la même position dans la division
du travail. Ils se reconnaissent des similarités mais ne développent pas d’identité collective et ne
s’identifient pas au terme de classe qui n’est alors pas employé. La classe pour soi est un groupe qui a
conscience d’appartenir à un même destin, qui développe le sens de la communauté, une véritable
conscience de classe liée à la confrontation prolongée aux mêmes rapports de production et à une
domination quotidienne.
C’est donc d’une confrontation prolongée à la classe dominante capitaliste que la conscience de classe
peut prendre forme. Marx va cependant exprimer la nécesside réveiller cette conscience de classe et il
va s’y employer à travers ses activités politiques qui réunissent au départ surtout des intellectuels. Pour
lui, les idées n’ont un impact sur la vie sociale que dans la mesure où elles entrent dans la conscience et
l’action des classes sociales.
En conclusion, Marx nous aide à entrer dans l’analyse de la stratification sociale en pointant les relations
économiques comme l’un des critères ou l’une des clefs d’organisation des différences sociales. D’autre
part, les classes sociales que les rapports de production contribuent à construire sont au fondement des
conflits qui opposent les groupes sociaux composant la société.
Max Weber (1864-1920)
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Weber n’a pas étrès systématique dans son analyse des divisions sociales de la société. Et pourtant, sa
pensée est restée très importante pour aborder aujourd’hui encore la question de la stratification sociale.
Je m’appuie en particulier sur John Scott (1996) pour reconstituer sa pensée sur ce thème.
Trois remarques préalables sont nécessaires avant d’aborder la manière dont Weber traite de la
stratification sociale pour dresser un premier portrait conceptuel de l’auteur :
1. Weber affirme que la distribution du pouvoir à l’intérieur de la société est inégale et qu’elle se
fait au travers de trois critères : le status, la classe et le parti.
2. Pour Weber, le pouvoir est la capacité, la chance dont bénéficie chaque individu pour réaliser
son destin personnel, ce qu’il souhaite faire de sa vie. C’est donc un potentiel, des ressources
que les individus peuvent mobiliser dans leurs actions concrètes. Ce potentiel est déterminé et
limité par des aspects contingents (des événements particuliers) mais surtout par des éléments
structurels qui contraignent et enserrent le pouvoir d’action des individus. Tout le monde n’a
donc pas le même accès dans la socté à l’ensemble des possibles.
3. Le pouvoir est ainsi structuré dans des rapports sociaux stables, réguliers et qui se répètent au
quotidien. Weber parle alors de structures de domination pour désigner des rapports sociaux qui
mettent au prise des individus dominés et des individus dominants de façon durable (p.ex.
capitalistes et prolétaires dans l’exemple de Marx qui sont pris dans des rapports de production
dans lesquels ce sont toujours les capitalistes qui sortent gagnants).
En résumé, on peut dire que pour Weber, la stratification s’explique par une distribution inégale du
pouvoir. La distribution est fonction de structures de domination stables à l’intérieur de la société que
l’on peut approcher au travers de trois critères : la situation de classe, la situation statutaire et la situation
de commandement. Nous allons développer tour à tour ces trois composants des divisions sociales qui
cvorrespondent également à des sphères d’activités différentes dans la société (l’ordre économique,
l’ordre social et l’ordre politique).
La situation de classe
Pour Weber, contrairement à Marx, la situation de classe n’est qu’une dimension de la stratification
sociale parmi d’autres. Cette situation de classe correspond à la situation occupée par les individus sur le
marché. Le pouvoir que les individus sont en mesure d’exercer dans le monde du travail ou sur le
marché des capitaux est dépendant des types de biens et de services (force de travail p.ex.) qu’ils
possèdent et qu’ils peuvent apporter sur le marché dans le but de générer un revenu. Autrement dit, c’est
la propriété (ou l’absence de propriété) qui détermine les situations de classe, c’est-à-dire les
opportunités d’exercer un pouvoir dans la sphère économique (qui prend la forme du marché dans la
société capitaliste du XIXème siècle). Ces situations de classes constituent ainsi un déterminant
important des chances des individus face à la vie. Le degré de pouvoir que l’on est en mesure d’exercer
sur le marché donne lieu en effet à des conditions de vie et des expériences différentes. Les gens
occupent des situations de classes similaires lorsqu’ils ont les mêmes habilités et les mêmes ressources
pour atteindre leurs buts économiques (ils ont les mêmes “ chances typiques ”).
A l’objection que les situations de classe ainsi définies existaient déjà dans toute société où la propriété
est inégalement répartie, Weber répond que c’est uniquement dans la société capitaliste que le marché et
la sphère économique a pris tant d’ampleur dans la détermination de la vie et des chances de vie des
individus. L’économie de marché contraint les individus à générer un revenu au travers d’un réseau
d’échange de contrat se distribue le pouvoir économique. Ceux qui ont des propriétés ont un avantage
certain dans ces transactions.
La différenciation des situations de classe est à considérer d’une part selon le type de possession dont on
tire des bénéfices : selon cette première distinction, on trouve d’un côté les rentiers (classes possédantes)
qui possèdent des terres, des gens, des minerais, des navires, des maisons, etc. et de l’autre, les
entrepreneurs qui mettent leur capital au travail pour produire de nouvelles richesses (classes
d’acquisition). A ce premier critère de différenciation des situations de classe, Weber ajoute celui du
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