Dossier Accompagner les exclus
"Je cherche un
travail charmant"
Intervenir en qualité de psychologue clinicienne dans un centre de formation proposant des
stages de réinsertion pour un public ayant un bas niveau de qualification confronte
inévitablement au déterminisme social et au devenir du sujet face à ce déterminisme.
Hélène de la Vaissière
Psychologue clinicienne
,ai animé il y a deux ou
trois ans une session
aups de « Érémistes »
dans une petite ville de
la banlieue lyonnaise,
anciennement très indus
trialisée et actuellement
entrement aantie. Il
s'est lé, au cours des heures
passées avec le groupe, que tous
les participants avaient fréquen
la même classe de perfectionne-
ment quinze ans auparavant. Ils
s'interpellaient sur ces anes
passées ensemble... et j'assistais
aux retrouvailles... Leur plaisir
n'avait d'équivalent que mon
malaise,
C'est le conte (compte) de trente
années de vie'. Non l'enfance
n'était pas la rue, mais l'amour
de sa mère, ses absences à
l'école pour cet amour, pourquoi
l'école ? Elle n'a jamais fait
l'homme. Le père travaille, il a
même une bonne place à ce qu'on
dit et il n'a été qu'un an à l'école
coranique. Ce fut donc les
voyages en Algérie avec la mère,
se replonger avec elle dans la
chaleur du village, et puis l'âge
de prendre conscience
le collège, la voie parallèle, la
classe de perfectionnement, un
autre chemin... les chahuts, l'es-
sai de maîtriser cette langue
étrange, étrangère, de calculer,
l'information qu'un individu peut
exercer sur la défiance ou le dis-
crédit qui le caractérisent... L'in-
dividu dispose d'une marge d'au-
tonomie de la définition de soi ».
Toute intervention auprès d'une
personne en rupture sociale va
donc se situer à la fois sur un
registre social (connaissances des
mesures d'insertion) et sur un
registre clinique, aide à la
comphension de son histoire
personnelle.
C'est en permettant à la personne
privée d'emploi de repérer quelle
place prend sa nouvelle réali
sociale dans son fonctionnement
psychique et quel sens prend la
confrontation de cette alité avec
son histoire que nous pouvons
l'aider à réanager des espaces
psychiques qui lui permettent
d'investir différemment le champ
social, de recréer des liens sociaux
professionnels ou non.
« Je cherche un travail charmant »
est un clin d'oeil à cette femme
interrogée par un journaliste, « au
20 h », au sujet de la mise en place
des zones franches. Elle débutait
un stage d'insertion et parlait ainsi
de son avenir professionnel : « le
travail est comme le prince char-
mant... » On peut traduire que le
travail tenait une place privilége
dans sa psyché ; même irréali-
sable, avec une connotation inces-
tueuse, il était représentable. Pour
certains, il ne l'est pas ou plus.
Dans le champ des représentations
préconscientes, le psychologue a
un le à jouer et met en regard les
repsentations de soi/les rep-
sentations sociales, l'image de
soi/l'image sociale.
L'organisme de formation où j'in-
terviens accueille des adultes
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LE J O U RNAL DES PSYCHO LOGUE S - AV RIL 97 - N° 146
(plus de vingt-cinq ans) ayant un
bas niveau de qualification
demandeurs d'emplois longue
durée, femmes analphates, per-
sonnes étrangères ne maîtrisant
pas ou peu la langue française...
En mars 1990, la Direction par-
tementale du Travail et de l'Em-
ploi émet la proposition d'un
fonctionnement en plateforme
(regroupement de plusieurs orga-
nismes jouant des rôles complé-
mentaires) et donne une informa-
tion sur un possible financement
d'actions expérimentales par la
Direction gionale du Travail et
de l'Emploi. L'équipe de forma-
teurs pose un projet d'antenne
«accompagnement et suivi» de
manière à prendre en compte un
certain nombre de difficultés des
stagiaires mises à jour au cours de
la formation : orientation inadé-
quate, manque de confiance en
soi, aide à la recherche d'emploi
pendant les six mois suivant la fin
du stage, souffrances psychiques
entravant à la fois les apprentis-
sages et llaboration d'un projet
professionnel.
L'antenne comprend donc un
accueil individualisé des candi-
dats, une aide à la recherche d'em-
ploi, un atelier théâtre et une per-
manence de psychologues. Les
formateurs souhaitaient que la
psychologue soit membre de
l'équipe, repérée comme telle par
les stagiaires. La psychologue cli-
nicienne intervient avec une com-
tence particulière, compétence
qui se trouve de ce fait mise à la
disposition de l'équipe et des sta-
giaires.
L'entrée en formation apparaît
comme porteuse d'espoirs, de pro-
jets, de résolutions de problèmes.
La présence d'une psychologue,
en prenant en compte la souf-
france psychique, rappelle la com-
plexide toute demande de chan-
gement (acquisitions cognitives
ayant pour objectif d'être négo-
ciables dans une recherche d'em-
ploi) et les conflits qu'elle
engendre au niveau de laalité
psychique et qui vont se jouer sur
le terrain de laalité sociale.
L'intervention de la psychologue
est double :
- interventions auprès de groupes
entrant en formation,
- entretiens individuels d'accom-
pagnement durant le stage.
Intervention
auprès de groupes
Les personnes socialement dis-
qualifiées interrogent les liens
entre leur histoire sociale (trajec-
toire sociale, culture et valeurs) et
le traumatisme de la perte de leur
place dans la socté. Le travail
groupal amène toute une rie
d'échos, de contrats narcissiques.
L'approche groupale ouvre à une
élaboration collective de manière à
passer d'une position d'objet de la
crise économique à une position
L'ENTRÉE EN
FORMATION
APPARAIT COMME
PORTEUSE
D'ESPOIRS, DE
PROJETS, DE
RÉSOLUTIONS DE
PROBLÈMES
de sujet avec l'étayage des autres
membres du groupe. Le groupe
permet à chacun un réinvestisse-
ment narcissique dans un lieu
socialisant. Je propose des sup-
ports pour faciliter la prise de
parole et l'implication de chacun.
Je me suis inspirée de la
marche du Laboratoire de
changement social de Paris VII.
Je pars d'un thème général qui
articule les dimensions sociales,
culturelles et affectives de la
personne. Le groupe partage des
férences communes ou
échange sur des pratiques
culturelles différentes (par
exemple autour de la scolariet
des lieux d'apprentissage). Cha-
cun transmet ou non une parole
plus personnelle sur le sens que
prend l'ente en formation.
Suivi
psychologique
durant la
formation
Un entretien individuel vient clore
le travail de groupe. Le stagiaire
peut y faire part d'une demande de
suivi ou lmettre à tout autre
moment de la formation. Il a pu, au
sein du groupe, faire l'expérience
d'une écoute différente et avoir ainsi
une représentation d'un travail
psychique.
Les demandeurs sont des personnes
confrontées à une symptomatologie
antérieure à la formation
(dépression, conduites addictives,
troubles du sommeil...) ou qui p-
sentent des difficuls directement
liées à la situation d'apprentissage
(manque de concentration, troubles
de mémoire). En tout cas, le
traumatisme de la perte de l'emploi
s'adjoint à d'autres traumatismes. Le
sujet en s'appropriant le traumatisme
social comme un traumatisme
personnel le rend compréhensible. Il
intégre le sentiment de pouvoir agir
sur lui et ses conséquences. Il réduit
ainsi la part du déterminisme mais
surtout ne s'y sent plus enfermé.
En conclusion, l'entrée en formation
de personnes socialement dis-
qualifiées signe le retour à une
rythmicité quotidienne. Le rythme
éveille à la pensée alors que se noue
un contrat narcissique entre le sujet
et l'équipe formatrice, le sujet et le
groupe de pairs. La personne, par
ces liens intersubjectifs, pourra
historiciser son parcours social.
Le psychologue en intégrant des
férences plurielles (sociologique,
ethnologique, psychanalytique)
s'attache à l'émergence de la pene
et en particulier à celle qui
accompagne les démarches de réin-
sertion dans la réalité quotidienne.
lène de la Vaissière
Bibliographie
De Gaulejac V., La lutte des places, Hommes et
Perspectives, Marseille, 1994.
Goffman E., Stigmates - les usages sociaux des
handicaps, Editions de minuit.
Kaës R., « Pacte dénégatif et alliances incons-
cientes » in Gruppo, 8, nov 92.
ACCOMPAGNER
LES EXCLUS
LE JOURNAL DES PSYCHOLOGUES - AVRIL 97 - N° 146
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