46ème J.A.N.D. 27 janvier 2006
La formation précoce du goût chez l’enfant
Natalie Rigal
Université Paris-X, Département de psychologie, Laboratoire 1588 – 200, avenue de la République
92001 Nanterre Cedex
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Quels sont les critères qui guident les préférences alimentaires à la
naissance ?
Aussitôt après leur naissance, tous les bébés du monde montrent, à travers des mimiques
de plaisir et la fréquence de leur succion, leur goût inné pour le sucré, et pour le gras. Ils
manifestent au contraire leur dégoût en présence de saveurs amère ou acide. On ne sait pas
exactement s’il s’agit d’une programmation génétique, ou d’un acquis de la vie intra-utérine.
Quoi qu’il en soit, ce comportement a une valeur adaptative parce qu’il oriente le bébé vers
ce dont il a besoin, à savoir ce qui est nourrissant (sucré et gras) et non toxique, comme l'est
le lait de sa mère.
A la naissance, la situation est donc idyllique : le bébé manifeste son plaisir pour l’aliment
dont il a besoin et la mère, percevant ce plaisir, en conçoit à son tour une satisfaction. C’est
la base d’échanges socio-émotionnels qui régulent les repas de l’enfant.
Les critères des choix alimentaires évoluent-ils au cours du développement ?
Généralement, à partir de l’âge de 18 – 24 mois, le rapport parents-enfant dans le domaine
alimentaire se dégrade : l’enfant continue d’éprouver du plaisir pour le gras et le sucré ; en
revanche, les parents adhèrent à une croyance selon laquelle les aliments pourvoyeurs de
plaisir, parce que denses sur le plan énergétique, mettent en jeu la santé ou la silhouette de
leur enfant. Cette croyance est fausse en soi. Les aliments denses, s’ils sont consommés en
quantité raisonnable, ni ne nuisent à la santé, ni ne conduisent à une surcharge pondérale.
Ne pas développer les sentiments de culpabilité face à la consommation des produits
denses est une tâche importante que les parents doivent se fixer afin de prémunir
l’apparition de troubles du comportement alimentaire chez leur enfant.
La croyance que la consommation des aliments denses a des effets délétères est liée à
l’apparition chez l’enfant d’une période de grande sélectivité : certains aliments auparavant
acceptés, les fruits et les légumes notamment, ne sont plus consommés, ou seulement avec
beaucoup de réticences. Plusieurs interprétations ont été proposées pour expliquer le rejet
des légumes : i/ L’interprétation « sensorielle » renvoie à la saveur amère de certains
légumes. ii/ L’hypothèse « de satiété » repose quant à elle sur le caractère peu rassasiant
des végétaux : ceux-ci seraient rejetés en raison de leur incapacité à soulager durablement
les sensations de faim. iii / L’interprétation « phylogénétique » renvoie au caractère
potentiellement toxique des végétaux : le rejet des légumes traduirait une peur ancestrale
d’empoisonnement. iiii / Enfin, selon l’hypothèse « mercantile », les légumes, proposés bruts,
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feraient pâle figure dans un marché alimentaire composé essentiellement de produits
manufacturés. Aucune de ces hypothèses (sensorielle, sociologique, de satiété) n’a fait
l’objet d’études scientifiques suffisamment nombreuses pour que l’on puisse attester de leur
validité.
Quelle attitude adopter pour guider les choix de l’enfant ?
Attirance pour les aliments denses
Les craintes ressenties envers les produits denses peuvent amener certains parents à
contrôler très fortement, voire à interdire, l’accès à ces produits. Des études, certes encore
peu nombreuses, ont montré que cette pratique peut avoir des effets délétères. Les enfants
qui ont subi des restrictions importantes tendent à consommer les aliments interdits en excès
quand ceux-ci sont proposés en accès libre.
Il est vrai que certains enfants éprouvent une difficulté à réguler la consommation de produits
gras et sucrés. On n’en connaît pas précisément les raisons, mais les études actuelles nous
donnent des pistes d’explication. Rappelons que les bébés ont une bonne capacité de
régulation : ils mangent quand ils ont faim et s’arrêtent parvenus à satiété. La plupart des
adultes perdent cette capacité d’ajustement calorique car, au cours de leur développement,
ils ont appris à répondre à des signaux externes du type « finis ton assiette » ou « fais plaisir
à maman ». C’est pourquoi, pour préserver la capacité innée de régulation des enfants, il
faut leur apprendre à rester centrés sur leurs sensations de faim et de satiété et éviter les
sollicitations par des signaux externes.
Finalement, condamner les produits gras et / ou sucrés peut avoir des effets délétères. Il faut
proposer à l’enfant l’ensemble des possibles en lui donnant les moyens de gérer les
quantités dont il a besoin.
Rejet pour les aliments peu denses
Les parents peuvent aider les enfants à diversifier leur alimentation en leur apprenant à
dépasser leur réticence initiale à goûter ce qui est peu denses et / ou peu familier (i.e., la
néophobie alimentaire). Pour donner envie aux enfants de consommer un aliment, les
parents doivent procéder par familiarisation. Des travaux ont en effet montré que le plaisir
pour un aliment augmente au fur et à mesure des consommations (phénomène dit
d’ « exposition répétée »).
Les effets positifs de l’exposition sur l’appréciation sont renforcés par un certain nombre de
facteurs sur lesquels les parents peuvent intervenir. i/ L’appropriation sensorielle qui consiste
à associer l’enfant à la préparation des repas. ii/ La tonalité affective du contexte : l’aliment
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est d’autant plus apprécié qu’il est consommé dans un contexte chaleureux. iii/ Le fait de
donner l’exemple : être exposé à un modèle qui consomme le même plat que soi favorise
l’acceptation de ce plat.
Enfin, un courant de recherche s’amorce, centré sur la notion de « styles éducatifs », à
savoir le niveau de contrôle et d’ajustement que les parents adoptent dans leurs pratiques
éducatives générales ou spécifiques au domaine alimentaire. Aucune de ces études n’est
d’origine française ce qui, étant donné l’impact de la culture sur les pratiques alimentaires,
empêche toute généralisation des résultats issus des travaux anglo-saxons. La variable la
plus souvent étudiée en lien avec le style éducatif est celle du statut pondéral de l’enfant
(Indice de Masse Corporelle). Les résultats indiquent soit qu’un contrôle trop important de la
part des parents augmente la prise de poids des enfants, soit que le contrôle permet de
stabiliser le poids des enfants autour d’une valeur moyenne. L’impact du style éducatif des
parents sur les comportements alimentaires de l’enfant a également été étudié : les parents
démocratiques (à la fois imposant un contrôle et capable de s’ajuster à l’enfant) induisent
une consommation de fruits et de légumes chez l’enfant, de manière plus efficace que les
parents autoritaires (uniquement dans le contrôle).
Conclusion
Les critères de choix des enfants évoluent peu avec le temps : l’attirance pour les produits
gras et / ou sucrés reste importante tout au long du développement. Une telle attirance n’est
pas à condamner, mais doit être encadrée chez les enfants qui ont perdu leur capacité innée
à réguler leurs prises alimentaires en fonction de leurs besoins physiologiques. Le rejet initial
envers les produits peu denses, notamment les légumes, apparaît en général à partir de 2
ans. Ce rejet peut être atténué par un ensemble de pratiques éducatives. Il s’agit
essentiellement de proposer aux enfants un modèle alimentaire dans lequel la notion de
plaisir est centrale : plaisir régulé pour les aliments denses, et plaisir construit par
apprentissages implicites pour les aliments de bonne qualité nutritionnelle mais souvent
rejetés a priori. Le plaisir est le garant de conduites adaptatives mises en place de façon
durable.
Références bibliographiques
Rigal, N. (2000). La naissance du goût. Paris : Agnès Vienot
Poulain, J.-P. (2001). Sociologie de l’alimentation. Paris : PUF.
Boucher, B. & Rigal, N. (2005). Il mange, un peu, trop, pas assez. Paris : Marabout
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