DEVELOPPEMENT DES PREFERENCES ALIMENTAIRES

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DEVELOPPEMENT DES PREFERENCES ALIMENTAIRES
DURANT L’ENFANCE ET L’ADOLESCENCE
PROFESSEUR N. RIGAL
MAITRE DE CONFERENCES EN PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT,
UNIVERSITE DE PARIS 10, FRANCE
[email protected]
Rôle des parents dans l’évolution des comportements alimentaires durant l’enfance
La psychologie du goût s’est donné comme objectif de comprendre le déterminisme de la construction
du goût et de la mise en place des préférences alimentaires en se dotant d’outils scientifiques :
l’observation et l’expérimentation. Cependant, il s’agit d’une science encore récente, et
particulièrement peu développée en ce qui concerne l’enfant. Les données objectives dont nous
disposons actuellement ne suffisent donc pas à établir de conclusions définitives. Cependant, leur
convergence nous invite à proposer un certain nombre d’explications et de recommandations (Rigal,
2000).
Comment évoluent les comportements alimentaires avec l’âge ?
A la naissance, le goût du petit de l’homme lui permet d’avoir des comportements parfaitement
adaptés à ses besoins. Premièrement, il apprécie ce qui est nourrissant, notamment ce qui est gras et
sucré, comme l’est le lait maternel. Deuxièmement, il ne montre pas de préférences marquées pour les
odeurs ce qui lui permet d’accepter l’ensemble des sensations olfactives délivrées par le lait de sa mère
qui se parfume des aliments qu’elle consomme. Enfin, il sait bien s’autoréguler : il sait adapter ses
consommations à ses sensations de faim et de satiété. En résumé, pendant les deux premières années
de vie, la situation est idyllique : le nouveau-né a du plaisir à consommer ce dont il a besoin (en
densité, en diversité et en taille) et ses parents s’en émerveillent !
Dans les sociétés d’abondance alimentaire, la situation se complique pour une majorité d’enfants audelà de deux – trois ans. Certes l’enfant continue d’apprécier ce qui est nourrissant, ce qui continue de
présenter un caractère adaptatif. Cependant, sa capacité d’autorégulation diminue. Dans un
environnement alimentaire abondant, il est alors tenté de consommer les produits denses en des
quantités trop importantes, c’est-à-dire qui vont au-delà de ses besoins. De plus, en tant qu’omnivore,
il est tenu d’élargir son répertoire alimentaire à une grande variété d’aliments. Deux freins puissants
entravent ce besoin vital. Premièrement, les aliments tels que les fruits et les légumes sont rejetés en
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raison de leur caractère peu rassasiant. Deuxièmement, environ trois quarts des enfants deviennent
néophobes : ils refusent de goûter les aliments qu’ils ne connaissent pas. En somme, pendant une
période qui couvre en moyenne les âges de 2 à 7 ans, l’enfant devient difficile à nourrir (risque de
consommation excessive des aliments denses et difficulté à élargir son répertoire de consommation à
des aliments de bonne qualité nutritionnelle) et ses parents s’en désolent !
Comment expliquer cette évolution des comportements alimentaires de la naissance à l’enfance ? Nous
nous centrerons sur le rôle des parents, en laissant de côté les facteurs propres au développement
affectif et cognitif de l’enfant.
Comment préserver la capacité d’ajustement calorique du jeune enfant ?
Nous nous sommes basés sur une étude réalisée par Birch et ses collègues (2000) auprès d’un
échantillon de 156 filles âgées entre 4 et 6 ans et leur mère dont on connaît l’indice de masse corporel.
On mesure la capacité d’ajustement calorique des filles selon un protocole dit de « libre accès ». Après
qu’elles aient consommé leur déjeuner, on les invite à jouer librement dans une salle où se trouvent à
disposition des jouets et des aliments de grignotage à forte valeur énergétique. On calcule, à partir des
restes, le nombre de calories ingérées (qui devrait être quasiment nul étant donné l’état de satiété en
début d’expérience). Les mères sont invitées à compléter différents questionnaires qui évaluent leur
tendance à restreindre leur propre alimentation à travers des régimes, leur perception et leurs
préoccupations du fait que leur fille puisse être en surpoids, et le niveau avec lequel elles contrôlent
l’accès de leur enfant aux aliments riches, gras ou sucrés.
Les résultats mettent en valeur que plus les mères contrôlent les prises alimentaires de leurs filles, plus
celles-ci ont des difficultés à ajuster les quantités consommées dans le protocole de libre accès et plus
elles sont en surpoids. Deux facteurs peuvent se trouver à l’origine de cette liaison CAP (Contrôle 
Ajustement  Prise de poids) : d’une part, la tendance de la mère à Restreindre sa propre
alimentation (R-CAP); d’autre part, le Surpoids initial de l’enfant (S-CAP).
Dans le schéma R-CAP, le surpoids de l’enfant est en partie expliqué par les préoccupations de la
mère pour sa propre minceur : dans son combat pour rester mince, elle implique sa fille en contrôlant
fortement son alimentation. Ce contrôle a des effets inverses à ceux qui sont souhaités puisqu’il
participe à déréguler la capacité d’ajustement calorique de l’enfant qui surconsomme les produits qui
lui sont interdits à la maison quand ceux-ci se trouvent en libre accès. Dans le schéma S-CAP, le
surpoids de l’enfant est à l’origine des préoccupations de la mère pour la santé ou la silhouette de sa
fille. Sa fille étant en surpoids, la mère restreint son alimentation afin de l’empêcher de prendre
davantage de poids. L’effet obtenu n’est pas inverse mais boomerang : la fille risque d’augmenter
encore son indice de masse corporelle par réaction excessive au contrôle imposé par sa mère.
L’idéal est donc de ne pas déréguler la capacité d’ajustement calorique des enfants : laissons-les
continuer à gérer leurs prises alimentaires en fonction de leur état de faim et de satiété, tout en leur
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proposant un répertoire alimentaire diversifié dans lequel le chocolat et les légumes verts trouvent leur
place et où les aliments attirants ne sont pas constamment disponibles.
Comment donner aux enfants le plaisir pour les légumes ?
Les apprentissages les plus efficaces chez l’enfant sont ceux qui reposent sur la familiarisation qui
peut se faire à court terme autour de la préparation du repas, ou à plus long terme par consommation
répétée.
La familiarisation à court terme consiste à développer le nombre de contacts entre l’enfant et l’aliment
avant que celui-ci ne soit présenté dans l’assiette, ceci en associant l’enfant à la préparation du repas.
L’idée de demander aux enfants d’établir leur menu n’est pas toujours une bonne idée car l’angoisse
néophobique est renforcée en situation de choix. En revanche, une fois le menu décidé, associer
l’enfant à la « collecte » des produits permet une première prise de contact. La collecte la plus efficace
se fera dans le jardin ou sur le balcon pour les plantes aromatiques : la réponse néophobique est
nécessairement réduite lorsque l’enfant a fait pousser le produit et connaît ainsi son origine. Plus
simplement, amener son enfant faire le marché et lui demander de choisir les produits suscite une
première forme de connaissance : le produit est associé à un lieu et une personne familiers, de cette
façon sa provenance n’est plus totalement inconnue.
Il semble également que l’enfant acceptera plus volontiers de goûter un produit qu’il aura lui-même
cuisiné, que tout plat prêt à consommer.
Enfin, l’éducation sensorielle, qui consiste essentiellement à parler avec l’enfant de ce qu’il mange
autrement qu’en termes hédoniques (« j’aime » ou « je n’aime pas ») ou normatifs (« c’est bon ou
mauvais pour la santé ») est également un moyen par lequel les sujets peuvent s’approprier des
produits au départ inconnus. Le langage permet d’établir des liens entre l’inconnu et le familier. Il est
donc essentiel de mettre des mots sur la nourriture, de décrire avec les enfants les sensations qu’elle
leur procure.
La familiarisation à plus long terme consiste en une consommation répétée du produit dans le temps.
Un certain nombre d’études réalisées auprès d’enfants, mais plus souvent auprès d’adultes, ont
confirmé que le plaisir pour un aliment augmente avec le nombre de consommations (voir par
exemple Rigal, 2005). Cet effet dit « effet positif de l’exposition » peut être renforcé en jouant sur la
tonalité affective du contexte et la présence d’autrui lors de la consommation (Birch, 1980 ; Birch et
al., 1980) : les aliments sont d’autant plus appréciés au fur et à mesure des consommations qu’ils sont
consommés dans un contexte chaleureux, avec la présence d’autres qui consomment avec plaisir les
mêmes aliments que l’enfant.
La notion de style éducatif parental dans le domaine alimentaire a émergé dans la littérature récente.
Ces travaux comparent les effets du style éducatif dit « démocratiques » (imposition de règles de
consommation qui sont cependant expliquées, avec des possibilités de négociation) à ceux du style dit
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« autoritaire » (imposition de règles sans explication ni négociation). Les travaux sont encore peu
nombreux et leurs résultats parfois peu consensuels. Sur 12 études, 8 indiquent que, en moyenne, plus
les parents ont un style éducatif démocratique, plus leur enfant consomment des fruits et / ou des
légumes (Kremers et al., 2003 ; Vereecken et al., 2004]. D’autres études montrent au contraire qu’un
style autoritaire favorise la consommation des légumes [Wardle et al., 2005]. Les deux styles
permettent d’imposer des règles, notamment de proposer les aliments de façon répétée, mais dans un
contexte plus chaleureux dans le cas des pratiques démocratiques que dans celui des pratiques
autoritaires, ce qui expliquerait le meilleur impact du premier style comparativement au second. Ces
résultats restent cependant à affiner et à confirmer.
En conclusion : le plaisir favorise l’adaptation
L’attirance de l’enfant pour les produits gras et sucrés n’est pas à condamner mais doit être encadrée
en apprenant à l’enfant à gérer les quantités ingérées. Evitons pour cela de déréguler sa capacité
d’ajustement calorique par un contrôle parental fort et une surexposition aux produits denses. Le rejet
des produits peu denses, notamment les légumes à partir de l’âge de 2 ans, peut être atténué par des
pratiques éducatives se déroulant dans un contexte social chaleureux.
En résumé, l’éducation au goût se fonde essentiellement sur la notion de plaisir : plaisir régulé pour les
aliments denses, plaisir construit par apprentissage pour les aliments de bonne qualité nutritionnelle.
Parions que le plaisir est le meilleur garant de conduites adaptatives qui se mettent en place de façon
durable.
Rappelons pour finir que le tableau qui vient d’être décrit repose sur des moyennes, mais il existe dans
le domaine alimentaire de fortes différences entre individus qu’il s’agit de prendre en compte lors des
consultations.
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RÉFÉRENCES
•
Birch, L.L.: Effects of peer model's food choices and eating behaviors on preschooler's food
preferences, Child Development, 1980; 51: p. 489-496.
•
Birch, L.L., S.I. Zimmerman, and H. Hind: The influence of social-affective context on the
formation of children's food preferences, Child Development, 1980; 51: p. 856-861.
•
Birch 2000
•
Birch, L.L. et al. : Mothers' child-feeding practices influence daughters' eating and weight,
American Journal of Clinical Nutrition, 2000; 71(5): p. 1054-1061.
•
Kremers, S.P.J., et al.: Parenting style and adolescent fruit consumption, Appetite, 2003;
41(1): p. 43-50.
•
Rigal, N., La naissance du goût. Comment donner aux enfants le plaisir de manger? 2000,
Paris: Noesis. 159.
•
Rigal, N. La consommation répétée permet-elle de dépasser la néophobie alimentaire? Revue
Européenne de Psychologie Appliquée, 2005; 55: p. 43-50.
•
Vereecken, C.A., E. Keukelier, and L. Maes: Influence of mother's educational level on food
parenting practices and food habits of young children, Appetite, 2004; 43(1): p. 93-103.
•
Wardle, J., S. Carnell, and L. Cooke: Parental control over feeding and children's fruit and
vegetable intake: How are they related?, Journal of the American Dietetic Association, 2005;
105(2): p. 227-232.
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