Histoire maritime
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Présence dans le Paci que
des navires de la France Libre
Dimitri Ignatie
Un ancien marin du Cap des Palmes
Cet article est paru dans le Bulletin de la Société détudes historiques de la Nou-
velle-Calédonie n° 77 du 4e trimestre 1988. Lauteur, olontaire comme tous les marins des
Forces navales de la France libre, a  ni la guerre fourrier sur le Cap des Palmes. Les néo-
Calédoniuens se sont mobilisés dés le second semestre 1940 derrière le général De Gaulle,
les uns formant le bataillon du Paci que qui sillustra à Bir Hakeim aux ordres du com-
manadant Broche, lui même y étant tué, les autres comme Dimitri Ignatie rejoignant la
Marine combattante. Ce document est à la fois le  uit dune recherche hisrorique et dun
témoignage vécu. Une rue de Nouméa porte aujourdhui le nom de lauteur. La rédaction
remercie la Société détudes historiques de la Nouvelle-Calédonie de lautoriser à publier ce
document. La rédaction
La vague ne produit pas le granit
« Vous, les marins de la France libre. Ce que ous avez fait pour la France en pour-
suivant la lutte sur la mer. Eners et contre tout, dans le plus grand drame de notre histoire,
rien, ni le temps, ni les passions, ne le aceront jamais. Je ous salue. Mes camarades ! »
Charles De Gaulle
L’histoire des marins et des navires des Forces navales françaises libres (FNFL)
destinés à jouer leur rôle dans la guerre du Paci que est une histoire simple,
forte et pure. En e et, après la défaite de la France en juin 1940 et lorsque se
déploya le 2 juillet 1940 en Angleterre, sous le pavillon national, létamine du premier
pavillon de beaupré à la Croix de Lorraine, les e ectifs des Forces navales françaises
libres réunissaient 400 hommes.
Ce petit groupement était représenté par des marins de la Marine nationale,
de la marine marchande et des pêcheurs, pour la plupart en provenance de lÎle de Sein,
qui sétaient embarqués pour lAngleterre après avoir reçu de la main du Recteur, non
pas la bénédiction mais labsolution universelle, car cétait un départ pour la guerre, et
à la guerre, on peut mourir.
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Jour après jour, mois après mois, la foi allait soulever la mer et le 1er août 1943,
et selon la décision du général De Gaulle, la France Libre «comme on hisse la bannière
aux abords du champ de bataille» se mua en France combattante. Les Forces navales
françaises libres comptaient 8 000 hommes. Au nom de la France, elles avaient fait la
guerre sur toutes les mers du monde à bord de 63 navires de guerre et de 72 navires de
commerce jaugeant plus de 400 000 tonnes et à bord dune véritable  ottille de pêche.
Un bataillon de fusiliers-marins, un bataillon de fusiliers commandos et une  ottille de
laéronavale avaient également participé à la guerre.
Les unités des Forces navales françaises libres avaient parcouru 4 millions de
milles, escorté à bon port 10 000 navires marchands alliés, tant dans les mers glacées
que sous le soleil brûlant. Sur ces unités, 1 300 hommes étaient morts au combat. Dans
ce combat, si mortel, cest la participation des navires et des hommes des Forces navales
françaises libres dans le Paci que qui retient toute notre attention dans ce récit.
En raison des di cultés que le mouvement de la France Libre rencontrait en
Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, et des menaces japonaises qui se faisaient jour, le
général De Gaulle décida denvoyer dès que possible des navires de la France Libre dans
le Paci que. Ainsi, dans lordre de leur départ dAngleterre, ce furent :
Le contre-torpilleur le Triomphant
Contre-torpilleur de 2 800 tonnes dune série de 6 du type le Malin, entré en
service en 1936. Longueur 132 mètres, largeur 12 mètres, tirant deau 3,80 m. Vitesse aux
essais 43 nœuds, rayon daction 4 000 nautiques à 15 nœuds, 3 000 nautiques à 21 nœuds.
Armement : 5 pièces de 138, 4 pièces de 37, 9 tubes lance-torpilles, 2 grenadeurs. Équi-
page : 13 o ciers, 147 hommes. Commandant : capitaine de  égate Philippe Auboyneau.
Il quitta Plymouth le 31 juillet 1941, passa à Saint-Jean-de-Terre-Neuve le 6 août,
aux Bermudes le 10 août, à Kingston (Jamaïque) le 13 août et franchit le canal
de Panama le 16 août. Après escale à Acapulco le 21 août, il arrive à San-Diego le
25 août.
Le 5 septembre 1941, jour de son départ, le commandant  ierry dArgen-
lieu prend passage à son bord pour se rendre à Tahiti. Deux chau eurs furent laissés à
lhôpital et sept déserteurs manquèrent volontairement lappareillage. Le Triomphant
arrive le 14 à Honolulu et le 23 septembre à 7 h 25 sur rade de Papeete.
Le commandement des FNFL à Londres avec le plein accord de lamirauté bri-
tannique ne prévoyait quune courte mission de représentation dans le Paci que pour
Le Triomphant qui devait être remplacé aux environs du 15 novembre par le Cap des
Palmes.
Au cours du mois doctobre, Le Triomphant, transportant le gouverneur géné-
ral Brunot visite successivement di érentes îles de la Société et les Îles Fiji pour arriver
à Bora-Bora le 21 octobre à 14 heures et accoste le Cap des Palmes arrivé le matin. Cette
manœuvre permet au Triomphant de refaire su samment de mazout pour regagner
Papeete le 22. Pendant son périple dans les îles, le commandant reçoit par télégramme
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des instructions pour se préparer à se mettre en route pour litinéraire Auckland (28 oc-
tobre) - Nouméa - Brisbane - Port Darwin - Batavia - Singapour - Colombo et Suez
(arrivée prévue le 13 décembre). Il devait, dès son arrivée en Méditerranée, se placer
sous lautorité du commandant en chef britannique en Méditerranée.
Ce programme ne put être exécuté pour di érentes raisons, notamment inci-
dents mécaniques et évolution rapide de la situation dans le Paci que ; le Triomphant
dut séjourner plus de deux ans dans un océan pour lequel il navait pas été conçu.
Auckland nétait pas en mesure de prendre les réparations du Triomphant en
main ; on lenvoya donc dabord à Wellington où il arriva le 4 novembre puis à Sydney
pour son passage en cale sèche, la question ne pouvant être envisagée à Singapour, trop
encombré.
Reparti de Wellington le 7 novembre, le Triomphant eut une très mauvaise
traversée. Il arriva à Sydney le 10 avec ses glissières de la pièce II défoncées par la mer,
et des avaries à la machine bâbord. Il navait pas encore terminé ses essais après répara-
tions lorsque survint lattaque japonaise sur Pearl Harbour qui changeait radicalement
la situation dans le Paci que.
Tous les navires relevant de lAustralian Station reçurent le 8 décembre le mes-
sage suivant : « Commence hostilities against Japan 2137 Z/7. »
Le commandant dArgenlleu avait fait parvenir au Triomphant un télégramme
lui demandant, à la suite de louverture des hostilités dans le Paci que, de prendre le
plus tôt possible contact avec Nouméa. De Londres, létat-major des FNFL lui faisait
savoir que son retour en Méditerranée serait fonction des circonstances actuelles. Les
autorités britanniques de leur côté devaient mettre en route un détachement de soldats
sur Nouméa. Le Triomphant fut désigné pour assurer sa protection.
Après plusieurs sorties en exercices, en compagnie des croiseurs australiens
HMAS Perth et Canberra, le Triomphant reçoit du commandant en chef britannique
en Extrême-Orient lordre descorter un détachement de larmée transporté par lOr-
miston. Le programme prévoit le départ de Sydney le 17 décembre, escales à Moreton
Bay (19/20) - Nouméa (23/25) - Brisbane (27/28) - Port Darwin 3/4 janvier – Soura-
baya (7/8) avec arrivée à Batavia le 9 janvier 1942.
Par télégramme du 2 janvier 1942, expédié de Wellington au commandant en
chef Extrême-Orient, avec copies au haut-commissaire de Nouméa et au commandant
du Triomphant par la Marine néo-zélandaise, cette dernière fait part de ses préoccupa-
tions concernant une information selon laquelle les autorités françaises dIndochine
prépareraient avec laccord des Japonais une exdition contre Tahiti. En conséquence,
le commandant en chef de lEastern Fleet désirerait détacher le Triomphant à Nouméa
dès quil sera disponible, pour la défense de lOcéanie française. Cest aussi le point de
vue du capitaine de vaisseau dArgenlieu, haut-commissaire à Nouméa.
Au cours de la traversée Brisbane-Port Darwin, le commandant en chef Eas-
tem Fleet donne lordre au Triomphant de revenir à Brisbane et dassurer des missions
descorte du pétrolier Fallke ell vers Nouméa et Suva, avec retour à Sydney le 22 janvier
1942.
Après être passé en cale sèche pour réparation de son dôme ASDIC et e ectuer
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les réparations aux chaudières, le Triomphant se voit con er la mission de lévacuation
des îles Nauru et Ocean.
Les îles Nauru (Pleasant) et Ocean (Paanopa1) sont situées sur léquateur, res-
pectivement à 400 et 250 milles à louest de larchipel des Gilbert. Nauru était sous
mandat britannique depuis 1920 ; Ocean, annexée par la Grande-Bretagne en 1901,
était le siège du gouvernement des archipels Gilbert et Ellice.
Nauru, constituée par une formation corallienne couverte de cocotiers, ren-
ferme, des dépôts de phosphate très abondants. Cétait le siège dune exploitation très
importante, puisque pour la seule ane 1940, 121 navires chargeaient un total de
592 794 tonnes. La population de Nauru sélevait à 3 352 habitants, contre 2 744 ha-
bitants à Océan.
À partir du 6 décembre 1940, deux croiseurs auxiliaires allemands, lOrion et le
Komet coulèrent pendant le mois de décembre 1940, 6 cargos en attente de chargement
ou non loin de Nauru et le 27 décembre 1940 après avoir adressé un message à ladmi-
nistration de lîle pour lui enjoindre de sabstenir dutiliser la radio et de faire écarter
la population, ils bombardèrent la jetée aux phosphates, les allèges et les réservoirs de
combustible, en faisant de gros dégâts, mais aucune victime.
Il ny aura plus aucune alerte sérieuse dans ces îles avant lentrée en guerre du
Japon. Mais dans la deuxième quinzaine de décembre 1941, les Gilbert sont partielle-
ment occupées par les Japonais, et le commandement britannique prend, dès la  n de
janvier 1942, la décision de procéder à lévacuation dune partie de la population de
Nauru et Ocean (qui furent occupées ultérieurement le 25 août 1942). Lopération est
con ée au Triomphant.
La traversée Sydney - île Nauru représentant une distance de 2 700 milles, un
ravitaillement en cours de route simposait donc, dautant plus que Nauru, pas plus
quOcean dailleurs, ne possédait le moindre stock de mazout. À cet e et, le cargo
Trienza qui se trouvait à Auckland et dont les ballasts avaient été aménagés pour trans-
porter 1 600 tonnes de mazout, fut mis en route en temps utile pour se rencontrer avec
le Triomphant au mouillage de Port-Sandwich dans lîle Malicollo aux Nouvelles-Hé-
brides, qui ne se trouve quà un peu moins de 1 000 milles de Nauru.
Le Trienza appareilla dAuckland le 14 février et  t route à 11,5 nœuds pour
arriver à Port-Sandwich le 20.
Parti de Sydney le 17 à 05 h 00, le Triomphant t route à 17 nœuds et samarra
le 21 à 10 h 00 à couple de son ravitailleur à Port-Sandwich. Après ravitaillement, il en
repartit à 16 h 00 et  t route à 20 nœuds où il stoppa sans mouiller le 23 à 18 h 15 loca-
les, devant lappontement, en manœuvrant pour se tenir à distance des récifs. Lévacua-
tion se ectue suivant le programme convenu. Outre les évacués, le Triomphant embar-
que des soldats et deux canons. Il repartit à 20 h 35 pour arriver le 26 à Port-Sandwich
après une traversée sans incident.
Aussitôt, passagers et matériels débarqués et le plein de ses soutes refait, le
Triomphant repartit pour lîle Océan devant laquelle il se présentait le 28 à 17 h 50 lo-
cales. Lopération sexécuta dans les mêmes conditions et les réfugiés furent débarqués
1Aujourdhui Banaba, île de la république du Kiribati. NDR
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le 2 mars 1942 à Port-Sandwich doù le Triomphant repartit le lendemain pour Bris-
bane, escortant le Trienza. Arrivée le 7 mars.
Le 9 mars, il repartit pour Sydney pour la remise en état de ses chaudières. Il
entra en réparation à Sydney le 10 mars 1942, pour ne reprendre en fait, son activité,
quà la  n du mois de janvier 1943.
Lentrée du Triomphant en réparation à Sydney au mois de mars 1942 coïnci-
dait avec la réorganisation du commandement des FNFL. Par décret du 4 mars 1942, le
capitaine de vaisseau Auboyneau est nommé contre-amiral à titre temporaire et désigné
pour remplacer lamiral Muselier, démissionnaire de son poste de commissaire national
à la Marine. Il quitte e ectivement son commandement le 30 mars et prendra, à partir
du 2 mai à Londres, les fonctions de commandant en chef des FNFL en plus de celles
de commissaire à la Marine.
Lintérim du commandement du Triomphant a été assuré du 30 mars au
23 juillet 1942 par le lieutenant de vaisseau Gilly, o cier en second. Le nouveau com-
mandant, le capitaine de vaisseau Ortoli fut désigné le 27 mars ; sa prise de commande-
ment naura lieu que le 23 juillet 1942.
Le 29 janvier 1943, le bâtiment reprend son service actif à la mer en e ectuant
diverses missions descorte.
Le 7 février, le cargo britannique Iron Knight de 4 812 tonnes est torpillé à en-
viron 150 milles dans le sud de Sydney. Envoyé à son secours, le Triomphant appareillera
de Sydney le 8 à 05 h 36 et  t route à 27 nœuds vers les lieux du sinistre où il aperçut
à 11 h 17 une première embarcation, puis, vingt minutes plus tard, trois radeaux et de
nombreux débris  ottants. Recueillis 14 rescapés sur les 52 hommes qui constituaient
léquipage. Les recherches se sont prolongées jusquau soir et remis le cap sur Sydney à
22 h 55 pour y arriver le 9 à 08 h 00.
Pendant le mois de février, continuation des missions descorte avec notam-
ment du 25 au 28 février, escorte des paquebots Île de France, Aquitania et Queen Mary
transportant la 9° division dinfanterie australienne. Ce convoi navigue à sa vitesse
maximum, soit aux environs de 30 nœuds.
Parmi ses di érentes missions en mars, il escorte à nouveau du 16 au 18 mars
lÎle de France qui transportait le 2e contingent du Bataillon du Paci que vers lAfrique.
Ils étaient partis quelques jours auparavant de Nouméa par le Hellena sur Sydney.
Pendant les mois davril à juillet 1943, il continua ses missions descorte autour
de lAustralie avant de rentrer en cale sèche pour réparations du 19 au 29 juillet.
Les autorités navales américaines se sont assurées des services du Triomphanr
pour la ecter à des missions descorte dans les eaux de Nouvelle-Guinée. Après de
nombreuses missions pendant le mois daoût, le navire fait route isolément sur Sydney
pour remise en état des chaudières dont le fonctionnement avait donné lieu à de nom-
breux incidents.
Il est immobilisé à Sydney du 9 septembre au 8 novembre 1943 et change de
commandant le 15 septembre (capitaine de vaisseau Ortoli remplacé par le capitaine
de frégate Gilly). À ce moment, il doit rentrer en Méditerranée par lOcéan Indien,
conformément aux accords passés par létat-major général avec lamirauté britannique.
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