Remise des insignes de chevalier des palmes académiques au Révérend Père Paul Gilbert s.j., Villa Bonaparte, 5 mars 2014 Monsieur le Recteur magnifique, Chers Pères, Chers amis, En ce jour où nous commençons le Carême, jour de pénitence, permettezmoi d’infliger une première pénitence à votre modestie, Monsieur le Doyen, cher Paul Gilbert. C’est un plaisir et un honneur que de vous recevoir ici, pour une occasion un peu plus solennelle que d’habitude, même si elle reste marquée avant tout par l’estime profonde et l’amitié simple de ceux qui vous entourent. Vous êtes venu si souvent ici, ces dernières années, que nous oublions que cette maison n’est pas à proprement parler la vôtre, puisque vous êtes un fils de la nation belge. Vous êtes même, pour être plus précis, un fils de Charleroi, une région réputée pour l’humour et la générosité de ses habitants, et ceux qui vous connaissent savent à quel point vous êtes resté fidèle à cette origine et à cette réputation. Les insignes de chevalier des palmes académiques, que j’ai la charge de vous remettre ce soir au nom de la République française, sont une marque de reconnaissance pour votre œuvre de philosophe et votre carrière d’enseignant, mais elles sont aussi un signe de grande et haute estime pour votre personne, le service que vous avez choisi de rendre, et ce qu’on peut appeler le style de votre vie intellectuelle, spirituelle et amicale. Il y a d’abord le style, si particulier, de vos livres, qui forment aujourd’hui ce qu’on peut appeler une œuvre, qui n’est pas un système, mais le témoignage d’une raison qui ose se tenir au plus près du mystère sans naturellement prétendre l’épuiser, mais sans renoncer ni à en rendre raison, ni à en rendre témoignage. « Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, mais à croire afin de comprendre », dit Saint Anselme, qui fut et reste votre maître spirituel et l’objet de votre thèse de doctorat, soutenue à la fois à l’université catholique de Louvain et à l’Ecole pratique des hautes études. Le livre qui en est tiré porte ce titre qui résume à la fois l’ambition et l’humilité de votre travail de philosophe : « dire l’ineffable ». Vous n’avez pas peur de vous dire métaphysicien, en des temps où l’on n’ose plus guère employer ce mot, non pas pour fuir le monde mais au contraire pour y ancrer votre pensée, une pensée de la vie, de la compassion, une pensée du mal aussi, de la violence, et de la manière de l’affronter. De la tradition médiévale à la pensée contemporaine, de la scolastique à la phénoménologie, vous n’êtes pas l’homme d’un pré carré intellectuel, mais d’une quête, d’un questionnement qui vous conduit sur des chemins toujours nouveaux, en nomade de la philosophie, au risque d’entrer en conflit, parfois, avec d’autres tempéraments plus sédentaires. Nomade, vous l’êtes aussi au sens propre, puisque vous êtes un voyageur, on pourrait presque dire un « routard de la philosophie », toujours en mouvement pour aller enseigner aux quatre coins du monde, de Kinshasa à Mexico en passant par Tananarive et Sao Paolo, ces extrémités du monde qui sont en train d’en devenir des centres. Vous êtes en même temps profondément ancré dans les creusets intellectuels et spirituels de la Vieille Europe – Rome, où vous êtes arrivé en 1986 pour enseigner à l’université pontificale grégorienne, et dont vous n’êtes jamais reparti, mais aussi Paris, et son Institut catholique, où vous avez enseigné de nombreuses années. Bien avant que le terme ne soit consacré, vous avez l’instinct d’aller aux périphéries, celles du monde, je viens de le dire, mais aussi celles de l’existence, avec discrétion, humilité et fidélité. La présence nombreuse ce soir de vos amis de l’Arche et de Foi et Lumière, en est le témoignage. Votre pensée comme votre vie sont ainsi placées sous le signe de la générosité et du désir de servir. Depuis maintenant 28 ans, vous servez vos étudiants, comme enseignant, comme directeur de thèse, maintenant comme doyen. Ces étudiants viennent du monde entier, et vous exercez auprès d’eux un service véritablement universel, et donc éminemment jésuite. Comme philosophe, comme jésuite, comme professeur, vous alliez de manière singulière fidélité et liberté. Vous tracez votre route sans manquer de reconnaître votre dette à l’égard de vos maîtres – Bergson, Husserl, Marion, sans oublier Joseph Maréchal. Vous avez consacré votre vie à l’institution académique sans cesser de porter sur elle un regard distancié, parfois amusé. Liberté intellectuelle, spirituelle, vestimentaire aussi, ont souvent noté vos confrères et vos étudiants… Ils sont présents nombreux ce soir, et témoignent du tissu d’amitié que vous avez créé autour de vous, et jusqu’au bout du monde. Chaque année, un groupe constitué de vos anciens doctorants italiens se réunit pendant une semaine autour de vous, non pas à Castelgandolfo, mais dans les Dolomites. C’est à cela qu’on reconnaît les grands théologiens comme les grands philosophes, on le sait… Nous sommes très heureux, dans cette ambassade, de faire nous aussi partie, d’une certaine façon, de ce « Gilbertkreis », de ce cercle d’amitié et de réflexion que vous avez suscité. Depuis maintenant quatre ans, vous animez, avec le père Jean-Pierre Sonnet et avec Nicolas Bauquet le directeur de l’Institut français – Centre Saint-Louis, le cycle annuel de conférences en philosophie et théologie contemporaines que nous organisons avec votre université. Bien des fois, ces conférences se sont poursuivies ici, autour de la table de l’ambassade, en discussions passionnantes où de nouveaux liens intellectuels et personnels entre intellectuels français et romains se sont tissés. C’est grâce à vous, et bien sûr au soutien infaillible de votre recteur, que la pensée française, ou plutôt francophone, continue de montrer ainsi sa fécondité et sa capacité à susciter de nouveaux questionnements. C’est pour toutes ces raisons, cher Paul Gilbert, que je suis heureux de vous distinguer aujourd’hui. Au nom du Ministre de l’Education nationale, je vous fais Chevalier des Palmes académiques.