Les insignes de chevalier des palmes académiques, que j’ai la charge de
vous remettre ce soir au nom de la République française, sont une marque
de reconnaissance pour votre œuvre de philosophe et votre carrière
d’enseignant, mais elles sont aussi un signe de grande et haute estime pour
votre personne, le service que vous avez choisi de rendre, et ce qu’on peut
appeler le style de votre vie intellectuelle, spirituelle et amicale.
Il y a d’abord le style, si particulier, de vos livres, qui forment aujourd’hui
ce qu’on peut appeler une œuvre, qui n’est pas un système, mais le
témoignage d’une raison qui ose se tenir au plus près du mystère sans
naturellement prétendre l’épuiser, mais sans renoncer ni à en rendre
raison, ni à en rendre témoignage.
« Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, mais à croire afin de
comprendre », dit Saint Anselme, qui fut et reste votre maître spirituel et
l’objet de votre thèse de doctorat, soutenue à la fois à l’université catholique
de Louvain et à l’Ecole pratique des hautes études. Le livre qui en est tiré
porte ce titre qui résume à la fois l’ambition et l’humilité de votre travail de
philosophe : « dire l’ineffable ». Vous n’avez pas peur de vous dire
métaphysicien, en des temps où l’on n’ose plus guère employer ce mot, non
pas pour fuir le monde mais au contraire pour y ancrer votre pensée, une
pensée de la vie, de la compassion, une pensée du mal aussi, de la violence,
et de la manière de l’affronter. De la tradition médiévale à la pensée
contemporaine, de la scolastique à la phénoménologie, vous n’êtes pas
l’homme d’un pré carré intellectuel, mais d’une quête, d’un
questionnement qui vous conduit sur des chemins toujours nouveaux, en
nomade de la philosophie, au risque d’entrer en conflit, parfois, avec
d’autres tempéraments plus sédentaires.