1884, il publia un article où il montrait combien était inutile d’essayer de
saisir le flux de la conscience par le biais de l’introspection [2]. En 1904, il
publia un autre travail dont le nom est auto-évident : « Est-ce que la
conscience existe ? » [3]. Au début du XXe, la psychologie de conscience et
l’introspection étaient remises en question par plusieurs théoriciens de
renommée. D’abord, par les fonctionnalistes, depuis James jusqu’à McKeen
Cattell et Angell. McKeen Cattell avait été cofondateur du Psychological
Review, et Angell fut nommé président de la puissante American Psychological
Association (APA) en 1907. Tous les deux avaient exprimé leur réticence à
définir la psychologie comme science de la conscience, et proposaient
l’utilisation de méthodes objectives [4]. Si l’on considère aussi l’approche
comportementale de la psychologie animale de Thorndike [4] ou de Yerkes
[5], on devrait conclure que, en 1913, la conception objective de Watson
n’impliquait alors aucune nouveauté révolutionnaire. Seulement il prit une
position claire et radicale dans un contexte de crise disciplinaire, et sut se
faire reconnaître comme le fondateur d’une tradition qui le précédait.
En France, la « tendance objective » en psychologie commença
symboliquement avec les fameuses critiques d’Auguste Comte à l’égard de
l’introspection : l’œil ne peut se voir lui-même. Cependant, elle ne se
concrétisa qu’avec Théodule Ribot ; philosophe de vocation positive,
spencérien convaincu, il était à la fois le continuateur de Jean Martin
Charcot et d’Hyppolite Taine, bien qu’ils eussent été ses contemporains. De
Charcot, il prit et systématisa la tradition psychopathologique qui remontait
à Claude Bernard, voyant en la maladie une expérimentation de la nature
qui servait à expliquer la normalité. De Taine, il prit son intérêt pour l’étude
scientifique de l’intelligence et sa volonté de détacher la psychologie des
spéculations métaphysiques de la philosophie spiritualiste. Sur le plan
théorique, comme on le verra plus loin, il s’appuya sur la psychologie
anglaise et la psychologie allemande, introduisant en France les travaux de
Spencer, de Stuart Mill et de Galton, aussi bien que ceux de Fechner et de
Wundt. D’après Roudinesco, « l’œuvre de Ribot est semblable à une
‘passoire’. Elle forme un creuset où se retrouvent tous les courants
scientifiques, théoriques et idéologiques d’une époque [7]. » Sur le plan
institutionnel, en 1878, il fonda la Revue Philosophique de France et de
l’Étranger, première publication française consacrée à la nouvelle
psychologie. En 1885, il créa, avec Charcot, Paul Janet et Charles Richet la
Société de psychologie physiologique et, finalement, en 1888, il fut nommé
titulaire de la chaire de Psychologie expérimentale et comparée au Collège
de France. En somme, il se fit reconnaître comme le fondateur de la
psychologie scientifique française.
Néanmoins, force est de dire que les contextes de développement des
ces deux traditions « objectives » furent radicalement différents. Aux États
Unis, la psychologie était une discipline solidement installée et même plus
importante que la philosophie ou la médecine, dont l’organisation
professionnelle était plus récente
. En fait, la psychologie, comme profession
autonome, fut une invention américaine. Le personnage du psychologue, tel
qu’on le connaît aujourd’hui, naquit aux États Unis, avec les premiers cursus