RAFFINEMENT ET PERFECTION Je préfère abandonner le terme d'évolution à la biologie et parler de raffinement pour qualifier le résultat du développement mental de notre être singulier, d'autant plus que celui-ci ne présuppose aucun trajet déterminé mais peut se déployer en diverses directions. C'est ce que nous montrent les grands maîtres du passé. Nous pouvons considérer qu' Epicure, Confucius et Lao-tseu ont atteint le même degré de raffinement, pourtant ils ne se ressemblent pas car ils n'ont pas cultivé leur esprit dans les mêmes directions. De nombreux courants spirituels utilisent un concept qui affirme qu'il existe un état idéal qui réunirait toutes les qualités possibles sans montrer le moindre défaut, même Confucius parle de perfection de la sagesse. C'est le danger de la dénomination qui présuppose l'existence non prouvée d'une chose et nous invite à nous égarer dans des fantasmes et des mythes. Toutes les personnes qui croient en la perfection seraient surprises de constater et d'admettre après l'avoir constaté que ce concept implique logiquement l'idée d'une limite qui ne pourrait être dépassée, et que si le sens de ce parfait est difficilement définissable et donc mentalement complètement flou, celui de limite est lui bien net et d'une grande clarté et de ce fait domine et transforme ce concept au point de le rendre en grande partie obsolète ou du moins de le réduire à quelque chose de beaucoup moins séduisant qu'il n'y paraissait au premier abord. Le courant bouddhiste est sans doute celui qui s'est le plus enferré dans cette idée de perfection en plaçant au centre de ses préoccupations et de son cadre conceptuel ce qu'il désigne comme la suprême illumination parfaite du Bouddha, et en a tiré en partie du moins les conséquences en concevant cet éveil parfait comme une extinction, c'est à dire qu'au delà il n'y a non seulement plus de progression possible mais tout simplement plus rien. Cette conception est la conséquence de l'influence de la culture indienne sur le bouddhisme ancien, des idées de karma et de réincarnation accompagnées de la conviction que notre vie est un océan de souffrances et que pour un Hindou la seule aspiration raisonnable c'est de mourir. Mais mourir ne suffit pas, il faut encore échapper à toute réincarnation possible, briser le cycle infernal de la souffrance. Voilà où peuvent nous mener des idées sottes, aussi je préfère la philosophie d'Epicure et l'athéisme passionné des vers sublimes de Lucrèce au bouddhisme. Epicure peut être considéré comme un précurseur de la multipolarité en avançant l'idée que l'âme est un agrégat d'atomes et non une entité spirituelle, il insiste sur la valeur de l'expérience immédiate, ses conceptions humanistes sont toutes au service d'un bonheur, d'une sagesse que nous pouvons atteindre par l'exercice de notre liberté dans les voies de la modération, de la prudence et de la justice. Si nous pouvons qualifier l'ordre métaphysique du logos de parfait parce qu'il permet l'existence de tous nos mondes physique et mentaux, cette perfection est celle d'un immuable atemporel que nous ne pouvons concevoir car notre analytique se fonde sur des grilles. Ce qui fait l'originalité de notre dynamique mentale c'est qu'elle se meut à la recherche d'une cohérence, poussée par l'aspiration au dépassement de soi de la foi (notre fonction 9), que les structures fondamentales du vivant (nos fonctions mentales) ne lui permettent pas d'atteindre son ultime absolu. Si d'ailleurs ce pouvait être le cas, notre fonction 9 n'aurait plus alors de raison d'être et s'éteindrait, provoquant non seulement la rupture de cette dynamique mais tout mouvement au sein du vivant, le transformant en une belle mais morte statue de sel. Ce n'est heureusement pas notre destin et notre raffinement n'a pas de limite dans aucune de ses directions possibles, qu'il est un éternel devenir dans l'éternelle présence de notre être singulier.