COURS DE SOCIOLOGIE DU TRAVAIL I Année académique

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COURS DE LA CHAIRE
JACQUES LECLERCQ
6 – 10 octobre 2014, 14h00-17h15
LANSO1391D – SOC Auditoire MONT 1
Prof. Nicky LE FEUVRE
Université de Lausanne
Labso - Institut des Sciences sociales
De la société salariale à la société de l’individualisme :
Défis pour la sociologie du travail et du genre
2ème séance
Mardi 7 octobre 2014
PLAN DES COURS
Cours N°2:
 Ce que la « société salariale » implique pour la
division sexuelle du travail et pour le genre:

Variabilité des « cultures de genre »: Outils
d’analyse et pratiques sociales (Pfau-Effinger)
 Articulation des niveaux de régulation des
« cultures de genre »: le rôle des institutions
intermédiaires

Comme le travail domestique et le travail à temps
partiel reviennent aux femmes (Battagliola);
3
La DST lors du processus
d’industrialisation
La sociologue allemande Birgit Pfau-Effinger (1993,
2004) a analysé les effets du processus
d’industrialisation sur la DST dans différents
contextes nationaux.
Elle cherche surtout à comprendre l’origine de la
variabilité qui marquent à la fois les taux d’activité
professionnelle des femmes dans différents
contextes sociétaux et les modalités de leur
intégration sur le marché du travail, notamment les
différences de développement du travail féminin à
temps partiel.
4
La DST lors du processus
d’industrialisation
A partir d’une comparaison de l’Allemagne, des
Pays-Bas et de la Finlande, elle observe plusieurs
différences majeures: en matière de taux d’activité;
de taux de travail à temps partiel; de travail à temps
partiel‘contraint.
Pour comprendre la variabilité des « solutions »
organisationnelles trouvées à la séparation des
espaces de production et de reproduction lors de
l’industrialisation, elle propose de regarder de plus
près les mécanismes de ce processus, selon trois
indicateurs empiriques majeurs:
5
La DST lors du processus
d’industrialisation
1. La nature de l’organisation de la production
agraire qui précède le début de l’industrialisation,
dont les normes d’organisation familiale et la
place traditionnelle des femmes au sein de la
société rurale ;
2. Les modalités de l’industrialisation, dont plus
précisément:
a) le moment historique du début de
l’industrialisation, au regard du développement
rural et des institutions étatiques et :
6
La DST lors du processus
d’industrialisation
2. b) Le fait que l’industrialisation se soit inscrite
dans la continuité des structures sociales,
économiques et culturelles agraires ou se soit, au
contraire, opérée par une rupture radicale par
rapport aux structures de la société traditionnelle;
3. Le système de valeurs (notamment du point de
vue de la répartition sexuée des tâches) de la classe
ou de la strate sociale qui a joué le rôle le plus
important dans ce processus de transition vers le
capitalisme industriel.
(Pfau-Effinger, 1993 : 398).
7
Cadre analytique: les « cultures
sociétales » de genre
 Elaboration d’un corpus important de recherches
sur les processus de mise au travail des femmes
dans différents contextes sociétaux (nationaux),
en réaction à la typologie des régimes de
protection sociale proposée par le sociologue
danois Gosta Esping-Andersen (1990);
 Une pluralité d’outils conceptuels (« modèles »,
« contrats », « régimes », « cultures »,
« arrangements », « configurations » de genre,
etc.) qui visent à décrire les injonctions
normatives en matière de mise au travail (salarié
& domestique / de care) des hommes et des
femmes.
8
Un exemple: la « culture de genre »
chez Birgit Pfau-Effinger (2004)
 Il s’agit de caractériser la variabilité des
configurations sociales en matière de division
sexuelle du travail (taux d’activité des
femmes, importance des formes atypiques
d’emploi, répartition sexuée du travail de
care, etc.)
 Pour sa part, la sociologue allemande Birgit
Pfau-Effinger (2004) propose de caractériser
la « culture de genre » dominante dans tel ou
tel contexte socio-historique à l’aide de
quatre « dimensions centrales »:
9
La « culture de genre »: indicateurs
a) L’idéal social qui désigne les principales
sphères d’activité par lesquelles les femmes
et les hommes devraient « normalement »
être intégré.e.s à la société et la nature des
relations entres ces sphères (symétrie
versus complémentarité) ;
b) La manière dont les relations de
dépendance entre les hommes et les
femmes sont socialement constituées
(autonomie versus dépendance unilatérale
ou mutuelle) ;
10
La « culture de genre »: indicateurs
c) la construction sociale des relations
intergénérationnelles (ex. nature des droits et
devoirs des parents à l’égard de leurs enfants,
des enfants à l’égard des parents âgés
dépendants, des époux entre eux/elles);
d) la sphère sociale à laquelle les activités de
care (prise en charge de la dépendance) sont
prioritairement dévolues (la famille, l’Etat, le
marché, le secteur associatif, etc.).
11
La « culture de genre »: indicateurs
Ces 4 dimensions peuvent se combiner de
plusieurs manières et ces combinaisons
correspondent aux différentes « cultures de
genre », qui prescrivent chacune des modèles
normatifs de comportement aux hommes et aux
femmes et dessinent des formes multiples de
parcours de vie, plus ou moins différenciées
selon l’appartenance sexuée.
Les individus sont + ou – « contraint.e.s » par
ces arrangements institutionnels dans la vie de
tous les jours (Bühlmann et al, xxxx)
12
La « culture de genre »: Utilité
Cette perspective d’analyse permet donc de
rendre compte des processus distincts
d’institutionnalisation des inégalités de sexe,
sur le marché du travail et dans les systèmes
de protection sociale:
 Il y a une variabilité historique, qui ne
correspond pas à une distinction trop
simpliste entre sociétés traditionnelles
(inégalitaires) et sociétés « modernes »
(éventuellement plus égalitaires ou moins
discriminantes…)
13
La « culture de genre »: Utilité
 Les principes de la division sexuelle du travail
qui sont adoptés + valorisés lors du
développement du système de protection
sociale exercent une influence durable sur
tous les aspects de l’organisation sociale et
sur les « préférences » des individus
 En matière de genre, les sociétés sont donc
caractérisées par une certaine « dépendance
au sentier » (path dependancy) qui rend des
innovations (ou des transgressions) plus ou
moins faciles à envisager.
14
La « culture de genre »: Utilité
Une telle perspective permet:
 De rendre compte des différences entre pays
en matière d’organisation du travail salarié et
de répartition du travail domestique + de care
 De comprendre qu’une même pratique (ex. le
travail à temps partiel des femmes) ne sera
pas plébiscitée de la même manière selon le
contexte sociétal
 Qu’il y a une forme « d’encastrement » des
normes de genre dans l’ensemble de
l’organisation sociale.
15
La « culture de genre »: Un exemple
La comparaison Allemagne / Finlande.
Au 20ème siècle, ces deux pays manifestent des
« cultures de genre » très différentes:
Allemagne: Taux moyen d’activité des femmes;
taux élevé de temps partiel (chez les mères),
carrières féminines plutôt discontinues, écarts
importants de salaires H/F.
Finlande: Taux élevé d’activité des femmes;
taux faible de temps partiel (surtout chez les
mères), ségrégation horizontale importante,
mais écarts de salaires H/F plutôt faibles.
16
La « culture de genre »: Un exemple
Cette mise en perspective historique permet à
Pfau-Effinger de proposer une typologie des
« cultures de genre » présentes sur le continent
européen, au moment de l’apogée de la
« société salariale » (milieu du 20ème siècle).
Cette typologie vise à rompre avec les
tendances évolutionnistes qui guettent souvent
les analyses comparatives du genre et de la
DST (sociétés « avancées » / « en retard »).
> 5 types (+ 1 que nous proposons de rajouter)
17
Exemple de la comparaison Allemagne –
Finlande (Pfau-Effinger, 1993)
Allemagne
Industrialisation précoce
(19e siècle);
Rupture radical avec la
société agraire
(urbanisation);
Rôle moteur de la
bourgeoisie financière et
urbaine;
Conception de l’État
providence à partir du
modèle du « male
breadwinner »
Finlande
Industrialisation tardive
(début 20e siècle);
Continuité avec les structures
sociales de la société
agraire;
Rôle moteur des petits
propriétaires agricoles
(sylviculture);
Conception de l’État
providence à partir
18 du
modèle du « adult worker »
à temps plein
femme temps partiel
femme au foyer
Autriche
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
Enfant de + 6 ans
59.0
20.4
27.8
17.7
45.3
50.4
9.3
22.3
13.6
Belgique
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
Enfant de + 6 ans
48.7
37.2
35.2
23.2
28.8
39.2
13.6
19.1
14.9
Italie
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
Enfant de + 6 ans
49.8
30.5
27.7
14.0
18.6
19.3
21.9
36.6
37.3
Finlande (*)
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
Enfant de + 6 ans
68.2
52.7
76.3
6.5
9.1
6.9
10.4
29.6
9.2
Pays-Bas
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
Enfant de + 6 ans
39.9
7.9
8.1
30.9
53.7
53.5
11.4
23.9
21.1
Suède (*)
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
Enfant de + 6 ans
50.0
35.6
49.7
17.0
37.9
29.6
8.8
9.9
6.7
Suisse
Sans enfants
Enfant de – 6 ans
55.3
11.7
21.7
44.1
9.0
28.6
1. Le modèle de la « famille
économique »



présent dans les sociétés en transition vers un système
capitaliste industriel, même s’il perdure comme modèle
minoritaire dans d’autres contextes sociétaux
contemporaines (ex. certaines professions libérales).
se caractérise par une forme de coopération
institutionnalisée entre hommes et femmes dans le cadre
d’unités de production de petite taille (exploitations
agricoles, etc.), où la contribution des femmes à la survie
économique de l’unité s’avère substantielle.
du fait d’un enchevêtrement des espace-temps de travail et
de non travail, la gestion conjointe des activités productives
et reproductives s’opère de manière relativement souple,
sans que la présence d’enfants en bas âge ou d’autres
personnes dépendantes ne modifie radicalement la
participation des femmes aux activités proprement
productives.
20
2. Le modèle du « male breadwinner /
female carer » (homme pourvoyeur)



différenciation forte des compétences et domaines
d’intervention sociale des hommes et des femmes
les mères sont généralement dispensées d’un
investissement continu dans une activité rémunérée
tout au long de la vie, alors que le travail représente
la voie unique d’intégration sociale des hommes
(pères).
En contrepartie de leur accès à un « salaire
familial », les femmes participent à la production de
services de care destinés à assurer le bien-être des
groupes les plus démunis de la société (enfants,
personnes âgées ou dépendantes).
21
3. Le modèle du « modified male
breadwinner »



il donne lieu à la création de modalités spécifiques
d’intégration partielle et généralement discontinue
des femmes dans les activités productives
rémunérées (dont le travail à temps partiel constitue
la forme emblématique)
sans pour autant modifier en profondeur les principes
d’une organisation différenciée des formes
d’intégration sociale en fonction de l’appartenance
sexuée (et du statut matrimonial ou parental)
Ici, les femmes sont « actives », mais autrement que
les hommes. Elles peinent à atteindre l’autonomie
économique et financière.
22
4. Le modèle « adulte travailleur /
l’état pourvoyeur de care »



correspond aux principes de la « citoyenneté
laborieuse » (Beck, 2000), où hommes et femmes
sont tenu.e.s d’assurer leur propre survie
économique par le biais d’une activité productive
rémunérée tout au long de la vie, quel que soit leur
statut matrimonial ou parental.
afin de soutenir les parents de jeunes enfants, une
partie des activités de care est externalisée et prise
en charge par le biais de services collectifs (de
santé, d’éducation, etc.) financés par les organismes
publics (source de multiples emplois féminins).
il correspond au modèle développé dans les sociétés
socio-démocrates du Nord de l’Europe (modèle dit
scandinave).
23
5. Le modèle « pourvoyeurs duals de
ressources et de care »:


la responsabilité pour le maintien du bien-être des
membres les plus fragiles de la société est toujours
renvoyé prioritairement vers la sphère familiale, mais avec
une réorganisation structurelle de marché du travail,
permettant aux femmes et aux hommes – ensemble ou
indépendamment les uns des autres - de combiner sous
différentes formes des activités productives rémunérées
et des activités non rémunérées de care.
ici, l’Etat intervient plutôt comme instance de régulation du
marché du travail, par le biais de mesures visant à
favoriser la réduction du temps de travail, la flexibilité
horaire et des congés liés aux responsabilités ponctuelles
de care des salarié.e.s des deux sexes.
24
6. Le modèle « adulte travailleur /
marché pourvoyeur de care »



ici, l’externalisation des charges de care ne s’opère pas
par le biais de services publics (avec un souci d’équité et
de redistribution verticale des ressources), mais plutôt par
le biais de services marchands.
la « commodification » (Lewis, 2007, 1998) des activités
de care passe par le développement de services
marchands (payants), auxquels les individus accèdent
plus ou moins facilement en fonction des revenus
qu’ils/elles retirent de leur travail rémunéré.
Ce modèle produit une différenciation importante dans la
manière de combiner les activités productives et
reproductives, non pas entre les sexes, mais entre
différentes catégories sociales (et/ou ethniques) de
femmes, se traduisent par une polarisation potentielle des
expériences féminines en la matière (Le Feuvre &
Andriocci, 2005).
25
26
27
Traduction de ces « cultures de genre » dans
les courbes de l’activité (féminine) en Europe
28
29
30
Taux d’activité à temps partiel selon le sexe,
l’âge et le pays, 2006
32
Evolution de la part du travail domestique au sein des
couples effectuée par des hommes, 1980s - 2006
Pays
1980s
Début 2000s
Danemark
31%
41%
Espagne
23%
32%
USA
32%
33%
Source: Esping-Andersen, 2009: 39
33
L’utilité de cette approche
conceptuelle pour analyser la DST?
 Il s’avère indiscutablement intéressant de
dessiner le cadre normatif au sein duquel
hommes et femmes décident des modalités
concrètes de leurs investissements
professionnels et familiaux
 Il est également important de souligner à quel
point ce cadre est contraignant (certains
contextes permettent de faire des choix que
d’autres contextes n’offrent pas, notamment aux
femmes).
 Les « cultures de genre » sont pensées de
manière évolutive et dynamique dans te temps
(historicité des rapports sociaux de sexe).
34
L’utilité de cette approche
conceptuelle pour analyser la DST?
Néanmoins, ces approches comportent au moins
deux écueils:
 Elles peinent à penser la variabilité des
expériences féminines (du travail salarié et du
care) au sein même d’un contexte sociétal
donné, notamment en fonction des
appartenances de classe.
 Elles restent plutôt fondées sur l’idée d’une
assignation prioritaire des femmes à la sphère
domestique, alors que l’Europe s’oriente depuis
une dizaine d’années vers l’adoption / imposition
de la « citoyenneté laborieuse » pour les 2
35
La variabilité (de classe) des
expériences féminines?
 Quel que soit le contexte sociétal, les
comportements d’activité des femmes varient
fortement en fonction de leur « capital scolaire »;
 Les femmes diplômées tendent partout à adopter
les principes de la « citoyenneté laborieuse »
(malgré un « coût » personnel variable pour elles
de ce modèle d’activité, selon le contexte);
 Les « cultures de genre » sociétales se
manifestent, en réalité, surtout chez les femmes
les moins diplômées (induisant des inégalités +
ou – fortes entre femmes d’un même pays).
36
Taux d’activité des femmes âgée de 25 à 49
ans, selon niveau d’études, 2013
Pays
ISCED 0-2
Primaire
ISCED 3-4
Secondaire
ISCED 5-6
Supérieur
Tous niveaux
d’études
63.5
84.4
87.2
81.7
47.5
74.5
87.4
75.3
41.1
62.4
73.8
57.9
65.5
81.1
86.4
80.0
60.2
78.5
90.0
79.3
54.1
77.9
87.9
79.9
69.2
80.3
85.0
80.6
Autriche
Belgique
Italie
Islande
Pays-Bas
Slovénie
Suisse
Source : Eurostat
37
38
Synthèse intermédiaire
 Les approches en termes « cultures / contrats
de genre » sont utiles pour rappeler que les
rapports hommes / femmes ne se configurent
pas de manière identique dans tous les
contextes socio-historiques

Capacité à penser l’historicité du genre
 Elles sont moins utiles pour rendre compte
des variations internes à un contexte sociohistorique donné (par âge, classe, ethnicité)

Difficulté à penser les changements de
paradigme en matière de modèles d’égalité
Précisions définitionnelles
 Le taux d’activité exprime le rapport à la
population d’âge actif (15 à 64 ans) des
personnes qui se présentent effectivement
sur le marché du travail, qu’elles soient
occupées ou chômeuses. Ce taux traduit
donc un comportement par rapport au
marché du travail, comportement qui est luimême fonction d’un nombre considérable de
variables tenant autant à l’individu, à sa
famille et à sa culture, qu’au contexte
économique et institutionnel dans lequel il
évolue.
Précisions définitionnelles
 Le taux d’emploi rapporte à la population en
âge de travailler (15 à 64 ans) le nombre de
personnes qui ont effectivement un emploi
(population active occupée). Il donne une
idée de la participation effective à l’emploi
d’une population qui pourrait potentiellement
travailler. Dans le cadre de la stratégie
européenne EU 2020, l'objectif de taux
d'emploi a été fixé pour la catégorie des 2064 ans.
Précisions définitionnelles
 Le taux de chômage rend compte de la
proportion des personnes qui, dans la
population active, sont sans emploi, à la
recherche d’un emploi et disponibles pour
occuper un emploi. Il mesure le déséquilibre
entre l’offre et la demande de travail.
Source: http://www.iweps.be/taux-dactivitetaux-demploi-et-taux-de-chomage-parcommune-calibres-sur-lenquete-sur-les-forcesde
Deuxième partie de séance
Comment les formes atypiques d’emploi (et le
travail domestique) reviennent-ils aux femmes?
Battagliola, Françoise (1984) « Employés /
employées: Trajectoires professionnelles et
familiales », In ouvrage collectif (dir.) Le sexe
du travail, Presses universitaires de Grenoble:
57-70.
Comment le travail domestique et le travail à
temps partiel reviennent-ils aux femmes?
Méthodologie de suivi diachronique des trajectoires
professionnelles et familiales des hommes et des
femmes (de niveau de qualification identique au départ)
au sein d’une même entreprise (la Sécurité sociale en
France).
 Analyse de la rhétorique de justification des « lignes
de carrière » différenciées selon l’appartenance sexuée;
 Analyse des mécanismes précis de reproduction de la
division sexuelle du travail (professionnel & domestique);
 Analyse du rôle du travail à temps partiel dans les
trajectoires féminines (et masculines).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
La démarche innovante de cette recherche se trouve
dans le refus d'analyser ces formes spécifiques ou
atypiques du travail salarié uniquement en fonction
des ‘besoins’ supposés des femmes.
Alors que les analyses en termes de rôles de sexe
présentent le plus souvent le travail à temps partiel
comme une solution idéale pour les femmes qui
cherchent à ‘concilier’ leurs rôles parfois
contradictoires de mère, épouse et travailleuse, les
recherches en termes de rapports sociaux de sexe
soulignent les inévitables impasses théoriques d’une
telle approche analytique.
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
En effet, en l'absence d'une remise en question
simultanée de la division sexuelle du travail
domestique (celle-ci étant renvoyée du côté du
‘naturel’, donc, implicitement du moins, aux
fondements biologiques), il est impossible de saisir
l'importance de l'articulation dialectique entre la
sphère de la production économique et celle de la
reproduction domestique dans le processus de
reproduction de la division sexuelle du travail.
En effet, comme le souligne Françoise Battagliola :
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
« La différenciation selon le sexe des emplois
occupés et des cheminements professionnels
s'appuie sur les positions différentes des hommes et
des femmes dans la sphère de la reproduction, mais
n'en résulte pas directement. C'est en effet
également à travers une politique de gestion du
personnel, un ensemble de règles informelles et les
stratégies des agents, que se met en place et se
reproduit la division sexuelle du travail dans le cadre
de la production. La division technique du travail qui
tend à masquer, à travers sa rationalité, la division
sexuelle, la recoupe en fait quasiment totalement. »
(Battagliola, 1984 : 63).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Dans son analyse des trajectoires professionnelles
et familiales des hommes et des femmes
employé.e.s à la Sécurité sociale, Françoise
Battagliola (1984) tente de saisir les mécanismes
objectifs et subjectifs de cette articulation
dialectique.
Elle montre comment, dans les années 1980, les
hommes et les femmes entrent très jeunes à la
Sécurité sociale (mais dans les proportions d'un
homme pour dix femmes), et avec des niveau de
formation comparable (BEP ou CAP d'employé.e de
bureau / agent administratif).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Au début de leur carrière ils et elles occupent les
mêmes emplois en bas de l’échelle, mais, avec
l'ancienneté dans l'institution une nette
différenciation apparaît:
« Au bout d'une dizaine d'années d'ancienneté, les
personnes interviewées occupent en effet des
positions très différentes selon qu'il s'agit d'hommes
ou de femmes. » (Battagliola, 1984 : 64).
Hommes > postes d’encadrement / postes avec une
grande autonomie opérationnelle (déplacements)
Femmes > toujours des employées de base (aucune
promotion féminine observée).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
En effet, les hommes bénéficient directement de leur
place minoritaire dans l'institution.
En raison de la relative rareté des postes
intéressants et des possibilité de suivre les
formations, ceux-ci sont pris en charge par les
agents d'encadrement (masculins) qui font suivre
aux jeunes recrus de leur service les mêmes
cheminements qu'eux-mêmes ont suivies:
« Cette discrimination n'est pas tant recherchée pour
elle-même qu'elle ne résulte d'un ensemble de
pratiques quotidiennes, d'habitus en actes »
(Battagliola, 1984 : 65).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Les pratiques de l'encadrement et les stratégies des
acteurs sont légitimées par l'idéologie véhiculée à
tous les niveaux de l'institution, selon laquelle:
« Ayant à pourvoir aux besoins d'une famille, les
hommes quitteraient l'organisme s'ils ne pouvaient
monter, alors que beaucoup de femmes ne
viendraient chercher qu'un salaire d'appoint. » (ibid.)
Autrement dit, aux yeux de l’organisation (DRH), les
femmes manquent d’ambition et sont susceptibles
de se satisfaire de perspectives réduites de carrière
parce qu’elles (sont supposées) vivre en couple
avec un homme pourvoyeur principal de ressources,
qui, lui, doit avoir des perspectives d’évolution.
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Les explications données à une telle situation
renvoient donc à la position des hommes et des
femmes dans la sphère familiale; sphère qui serait
prioritaire pour les femmes et qui constituerait un
handicap pour leur vie professionnelle.
Mais, un regard plus attentif sur les processus de la
différenciation des trajectoires professionnelles des
hommes et des femmes permet une remise en
question des idées reçues les plus résistantes dans
ce domaine.
= Avantage de l’approche diachronique des
trajectoires sexuées.
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
D'une part, les femmes qui ont interrompu leur
activité professionnelle lors des grossesses au-delà
du congé légal sont peu nombreuses et la majorité
des femmes cessent leur activité en raison des
maternité autour de deux fois 6 mois (une période
qui correspond exactement au service militaire des
hommes à l’époque!).
Mais le résultat le plus intéressant de cette
recherche concerne les femmes (peu nombreuses,
d'ailleurs) qui ont recours à un congé parental plus
long et/ou qui ont demandé (ou accepté) un poste à
temps partiel.
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Celles-ci se caractérisent par une ancienneté
relativement importante au sein de l’organisation, qui
normalement les aurait largement laissés le temps
d'obtenir une promotion ou du moins un poste de
travail plus intéressant, avant l’arrivée des enfants.
Pour reprendre l'interprétation de Battagliola:
« Ainsi est-ce souvent après de vains efforts en ce
sens, que certaines femmes, lorsque les revenus
familiaux le permettent, recourent aux congés sans
solde et au temps partiel, pour prendre quelque
distance avec un travail peu gratifiant. » (1984 : 67).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
On voit bien que la logique dominante des analyses
classiques en sociologie du travail est questionnée
par cette recherche - la position familiale des
femmes ne permet pas d'expliquer leur position
marginalisée et subalterne sur le marché du travail.
La répartition (réelle ou supposée) sexuée du travail
domestique:
 constitue plutôt un alibi aux parcours professionnel
stagnants des femmes
 sert à justifier les promotions dont bénéficient les
hommes (qui, rappelons-le, dont très minoritaires
au sein de l’organisation).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Ainsi:
« L'efficacité d'une telle relation tient essentiellement
à son caractère d’évidence: l'institution comme
système d'habitus objectivé dans des rôles de
fonctionnement (formelles et informelles) redouble et
renforce les dispositions qu'hommes et femmes ont
intériorisés.… » (Battagliola, 1984 : 68).
> Théories interactionnistes du « doing gender »
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
De plus:
« Cette différenciation entre carrières masculines et
féminines joue en retour sur le fonctionnement
familial dans le sens d'une rigidification de la division
du travail dans le couple. La promotion de l'homme
se traduit par un important investissement dans le
cadre du travail, elle tend à mobiliser les ressources
de l'ensemble du groupe familial et à engendrer une
délégation de plus en plus importante du travail
domestique à la femme. » (Battagliola, 1984 : 68).
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
Ainsi, la répartition inégalitaire du travail domestique
ne précède pas forcément les inégalités sexuées de
carrière; elle peut aussi en résulter.
C’est précisément parce que les perspectives de
carrière des femmes sont plus limitées (en raison
des croyances communes en leur « priorités
domestiques et familiales », actuelles ou à venir)
qu’elles se retrouvent, au fil du temps, avec la
majeure partie du travail domestique à assumer.
Gestion flexible de la main-d’œuvre et
division sexuelle du travail
De la même manière, la croyance commune en la
disponibilité totale des hommes pour l’activité
professionnelle agit comme un critère
(discriminatoire) de promotion. Indépendamment de
ce que les hommes font réellement dans la sphère
domestique (pères « participatifs » ou « absents »),
ils ont pensés a priori comme « disponibles » pour
l’employeur. Cette croyance agit en leur faveur:
 Sur le marché du travail (accès aux meilleurs
postes, meilleurs salaires, etc.)
 A la maison (légitimité de leur ‘absence’ en raison
de leurs charges professionnelles importantes…).
Conclusions intermédiaires
Cet exemple paradigmatique montre à quel point
l’État (politiques publiques) et les entreprises
(politiques de gestion + ou – sexuée de la maind’œuvre) constituent des déterminants majeurs des
configurations de genre et des formes précises de la
division sexuelle du travail
Les politiques publiques pèsent sur les décisions
des ménages et sur les pratiques de gestion des
ressources humaines dans les entreprises.
Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur
ces mécanismes complexes de régulation du travail
des femmes lors des prochaines séances du cours.
Merci de votre attention
A demain, pour une séance consacrée à
l’émergence de la « société salariale » (au
milieu du 20ème siècle) et aux conditions
actuelles de son effritement
Références bibliographiques
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